A la fin du roman Le Hobbit, JRR Tolkien, décrit une grande bataille qui réunit une coalition d’armées pour le moins disparates, et habituellement
antagonistes, face aux forces du mal. La grande bataille qui se déroule désormais dans
le nord de l’Irak autour de la grande ville de Mossoul ressemble, en réel
tragique cette fois, à cette grande confrontation finale où tous les acteurs de
la guerre sont réunis. Essayons de décrire comme elle peut se dérouler.
Mossoul,
comme centre de gravité
Mossoul est immense et concentre le sixième de
toute la population contrôlée par l’Etat islamique ainsi qu’une bonne partie de ses
ressources. C’est aussi une base historique pour l’organisation, l’endroit où
elle a survécu clandestinement après les défaites de 2007-2008, celui d’où
elle est repartie à la conquête des provinces sunnites de l’est de la Syrie et
de l’Irak, le lieu enfin de sa plus grande victoire en juin 2014 et de la
proclamation du Califat. Pour les adeptes d’une approche directe, comme les
planificateurs militaires américains, Mossoul constitue donc un « centre
de gravité » idéal, un objectif clair dont la conquête permettra
d’atteindre des résultats décisifs. A cet égard, la volonté de
territorialisation de l’EI aura permis, contrairement à l’action réticulaire et
clandestine prônée par Al Qaïda, de donner au monde des repères beaucoup plus
visibles de succès ou d’échecs. Cela a contribué un temps au succès de l’Etat
islamique, les conquêtes spectaculaires suscitant admiration et allégeances. Les
drapeaux plantés sur la carte sont désormais plutôt ceux de leurs adversaires. Cela
contribue donc à l’inverse à la désagrégation de l’alliance de groupes et
tribus que l’Etat islamique avait formé à sa suite et à l’accélération de son
reflux.
La conquête de Mossoul est donc depuis le début de
son intervention en août 2014 dans les plans du Central
Command américain, pressé d’en finir et de se retirer à nouveau de ce
théâtre maudit. De son côté, le gouvernement irakien a toujours été plus
prudent, soucieux des menaces plus immédiates contre Bagdad comme de la
complexité politique d’une telle opération au cœur d’un nœud d’intérêts
contradictoires. Avant d’envisager cette bataille décisive, il aura donc fallu
en passer par la lente reconstitution de forces de manœuvre et l’endiguement
des dernières attaques de l’Etat islamique au printemps 2015 pour procéder seulement ensuite
à la reprise du terrain. Après la reprise de Tikrit, victoire difficile et
isolée en mars 2015, la reconquête a commencé véritablement à la fin de l’année sur l’Euphrate
avec les batailles de Ramadi puis de Falloujah au printemps. Les efforts se
sont portés ensuite sur le Tigre avec une progression rapide, signe d’un
affaiblissement certain de l’ennemi, depuis Tikrit et Baiji sur l’autoroute n°1
jusqu’à la route qui relie celle-ci à Erbil, dans la zone de Qayyarah, Makhmour
et Gwer. Les forces gouvernementales y effectuent alors leur jonction avec les
forces du gouvernorat kurde laissant toutefois en arrière, entre le Tigre et la
ville de Kirkouk, une poche encore tenue par une brigade de l’Etat islamique (soir
entre 1 000 et 1 500 combattants et une centaine de véhicules) autour d’Hawija.
Outre cette poche d’Hawija, l’EI ne contrôle plus alors en Irak qu’une partie
de l’Euphrate à la frontière de la Syrie et surtout la région de Mossoul.
Outre la zone désertique à son sud-ouest, cette
région de Mossoul est un cercle assez plat d’environ 30 km autour du centre de
la ville avec des excroissances vers l’ouest en direction de Tal Afar (à 50 km)
et Sinjar et vers le sud en direction de Qayyarah (à 60 km environ). La ville
de Mossoul elle-même représente une zone urbanisée trois fois plus vaste que
Paris intramuros, entourée de petites villes et villages sur les six axes
routiers qui partent dans toutes les directions. La zone la plus densément
urbanisée est à l’est sur l’axe en direction d’Erbil, la capitale du Kurdistan.
La population résiduelle à l'intérieur de Mossoul est au moins de 600 000, soit le tiers
environ d’avant-guerre.
Les
options militaires de l’Etat islamique
On ignore quelles sont les forces réelles de l’Etat
islamique dans cette région. Les estimations varient de 3 000 à 9 000
combattants, sachant qu’il est toujours difficile de distinguer entre soldats
permanents, auxiliaires des milices locales, plus ou moins volontaires, ou
policiers. C’est dans tous les cas relativement peu, par rapport aux dimensions
de la zone de bataille mais aussi par rapport aux effectifs totaux de l’organisation,
qui eux-mêmes varient de 30 000 à 100 000 hommes suivant les estimations. Il est vrai
cependant que l’EI, victime de son hubris,
n’a pas développé ses forces au rythme de ses conquêtes et qu’elle doit
contrôler encore 90 000 km2 tout en faisant face simultanément à
plusieurs fronts. Dans les principales batailles urbaines précédentes en Syrie
comme en Irak, il déployait seulement une à deux brigades. Pour la défense de
Mossoul, d'une bien plus grande importance stratégique, il est probable qu’il
engage nettement plus de forces en fonction des modes opératoires choisis.
L’Etat islamique peut en effet ne pas vraiment combattre. Il est possible que Daesh soit abandonné par certains de ses alliés,
voire même par une partie de ses combattants les moins motivés, laissant sur
place un petit groupe de combattants isolés. Il est plus probable cependant qu’un
repli général, s’il s’effectue, soit volontaire afin de ne pas perdre le gros
de ses forces dans un combat conventionnel jugé perdu d’avance. Ce repli peut se
faire vers le reste de l’Irak sunnite ou, surtout, la Syrie, avec les
difficultés toutefois de franchir une route 47 sous le feu des Kurdes de Sinjar
ou de la force aérienne de la coalition. Une méthode classique d’exfiltration
consiste alors à se noyer dans le flux des réfugiés. Si l’Etat islamique laisse
partir facilement la population civile de Mossoul, qui constitue autrement son
principal bouclier, cela peut-être un indice de ce choix. Le repli peut
s’effectuer aussi à l’intérieur même de la ville par un passage à la clandestinité,
comme par exemple lors des opérations de reprise de Mossoul en
novembre-décembre 2004 ou en 2008 après avoir été chassé de Bagdad et des
provinces purement sunnites.
L’EI peut, au contraire, décider de combattre
jusqu’au bout, en espérant, à l’image du premier siège de Falloujah en avril
2004, lasser et user ses ennemis par une résistance acharnée et l’exploitation
médiatique des dommages collatéraux qui ne manqueront pas de survenir. Avec le
temps, il peut espérer aussi que les antagonismes entre les Alliés renaîtront et enrayeront leur action. Dans cette hypothèse, les moyens mis en œuvre par l’organisation
seront plus importants que ce qui est généralement estimé actuellement.
On assistera probablement, comme en témoignent les
préparatifs depuis des mois, à un mélange de ces deux options, avec en
parallèle de l’évacuation d’une partie des forces vers Raqqa, dont les leaders, un long combat
de freinage mené par trois à huit brigades suivi peut-être d’un passage local
à la clandestinité. Lors de la deuxième bataille de Falloujah en novembre 2004,
les forces rebelles avaient diminué de moitié avant la bataille et les
principaux leaders s’étaient enfuis. Les 3 000 combattants restant en revanche avaient
combattu jusqu’au bout pendant plus d’un mois.
Le
dispositif de la coalition
Pour réaliser cette conquête, plusieurs armées ont
été réunies autour de la plaine de Mossoul, selon un dispositif triple :
zone statique de bouclage, plus ou moins étanche, et zone d’attaque.
D’ouest en est, à partir du barrage de Mossoul et
sur les trois quarts de la ligne de front on trouve les forces du gouvernorat
du Kurdistan. En 2014, l’ « armée » kurde irakienne comportait
en fait trois composantes, une force commune et très négligée de brigades de
réserve et surtout les milices, de 25 000 hommes chacune environ, du PDK du
clan Barzani, proche de la Turquie, et de l’Union patriotique kurde (UPK) du
clan Talabani, proche de l’Iran. Après la découverte de l’extrême faiblesse de
l’armée irakienne en juin 2014, celle des Peshmergas
(combattants kurdes) lors de l’offensive de l’EI en août en direction d’Erbil a
été encore plus surprenante. Ceux qui avaient été capables de résister à Saddam
Hussein pendant des années ne parvenaient à stopper les forces de l’Etat
islamique qu’avec le secours de la coalition menée par les Américains. Le
gouvernorat kurde irakien, au contraire du mouvement kurde syrien formé en
2011, s’est largement démobilisé avec les années de paix et la prospérité
pétrolière. Depuis la stabilisation du front kurde irakien, les opérations y
sont très statiques à l’exception de la reconquête des monts Sinjar et de la ville
de Sinjar en novembre 2015, avec l’aide des forces kurdes turques du Parti des
travailleurs (PKK) et syriennes du Parti de l’union démocratique (PYD). Les forces kurdes ont intégré également les
petites milices syriaque, assyrienne et yézidi présentes entre Sinjar et
Telskuf au nord de Mossoul.
Grâce à l’appui du PDK, la Turquie,
traditionnellement protectrice de la minorité turcomane mais cherchant aussi à
se positionner comme défendant aussi les populations arabes sunnites, a
installé une base à Zaylkan près de la ville de Bashiqa au nord-est de Mossoul
où elle forme, équipe et encadre une petite milice arabe sunnite, la Garde de
Ninive, dirigée par l’ancien gouverneur Atheel Nujaifi. Les effectifs globaux
de cette force commune sont sans doute faibles, quelques milliers d’hommes au
maximum. Son emploi reste une inconnue, le gouvernement de Bagdad étant très
hostile à cette présence turque. Outre que les capacités militaires de cette
force sont limitées, il est probable qu’il s’agit surtout là d’un instrument
politique visant à peser sur la suite des évènements.
Les forces offensives de leurs côtés sont réunies
au sud-est de Mossoul sur un front d’une centaine de kilomètres de front de
Khazar à l’autoroute n°1. Elles comprennent quatre groupements.
Sur l’axe Mossoul-Erbil (autoroute n°2) et à partir
de la ville de Kalak on trouve une (la 70e) à deux brigades (avec la
80e) kurdes, soit au maximum 6 000 combattants, associés à un
bataillon de la 16e division d’infanterie et un bataillon de la
division d’or, l’unité militaire « anti-terroriste » (forces
spéciales). Ce groupement est le plus proche de Mossoul mais il doit parcourir
30 kilomètres sur l’axe le plus urbanisé et donc sans doute le plus difficile. Au
regard des forces engagées, ce n’est pas l’axe prioritaire.
Plus au sud, c’est l’armée régulière qui est
presque entièrement à l’action, soutenue par deux fortes bases-arrières
installées à Kara Soar et à Qarrayah. Cette armée régulière est le vrai
instrument de manœuvre irakien mais toujours plus ou moins associé aux
Américains, leur créateur. Après l’effondrement de 2004 puis celui de 2014,
c’est quasiment une troisième armée irakienne que les Etats-Unis ont
reconstitué depuis l’invasion de 2003, avec l’aide d’Alliés de la coalition,
dont la France en bonne place avec 300 conseillers et formateurs. Cette «
nouvelle nouvelle » armée irakienne, qui s’ajoute au reliquat des 14 divisions de
l’époque Maliki, est forte d’environ 4 divisions équipées et formées par la
coalition et de l’unité anti-terroriste, équivalente à une forte division.
L’ensemble représente, avec les services, une masse de manœuvre d’au maximum 50
000 hommes, tous volontaires, efficace mais constamment employée. Environ la moitié
de cette force est déployée au sud de Mossoul.
A Gwer, c’est l’équivalent d’une brigade mécanisée
qui est déployée, la plupart des éléments venant de la 9e division
irakienne, la seule unité blindée de l’ordre de bataille. Elle a une
quarantaine de kilomètres à franchir jusqu’à Mossoul sur un espace relativement
ouvert. A Qarrayah, on trouve également l’équivalent d’une brigade avec deux
bataillons de la 15e division d’infanterie, un élément de la
division d’or et un autre de l’unité anti-teroriste du ministère de l’intérieur
ainsi que des éléments de la police fédérale. Cette brigade plus légère est à
50 km de Mossoul sous un espace ouvert, hors des grands axes. L’élément
principal se trouve au sud de Qarrayah entre l’autoroute n°1 et la Tigre. On y
trouve une brigade lourde, un bataillon blindé de la 9e division et
deux bataillons mécanisés, et des unités des unités de la 16e
division placées sur l’autoroute. La brigade mais probablement engagée, comme élément
offensif principal, en direction de Mossoul, 80 km plus au nord, par
l’autoroute. La 16e division a peut être engagée avec cette brigade
ou avoir pour mission de préserver l’axe logistique Bagdad-Qayyarah notamment
des menaces pouvant survenir du désert à l’ouest ou de la poche d’Hawija.
Dans cette zone de l’autoroute n°1, un second
échelon est formé par les milices des Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi). Ces UMP sont en
réalité, avec l’aide de l’organisation iranienne al-Qods une réunion de
plusieurs dizaines de milices, presque toutes chiites, sous un même
commandement. On y retrouve en particulier d’anciens adversaires des Américains
comme l’armée du Mahdi, devenue « brigades de la paix », le Kataeb
Hezbollah ou le corps Badr, bras armé du Conseil suprême islamique irakien, le
grand parti chiite. Cet ensemble disparate et sans grand cohésion
opérationnelle, où certains groupes sont classés comme terroristes par les
Etats-Unis, a été capable de défendre les lieux saints et la province de
Diyalah au nord de Bagdad au moment de la grande offensive djihadiste du
printemps 2014. Leur entreprise de reconquête de Tikrit, à moins de 200 km de
Bagdad, en mars 2015 a cependant témoigné aussi de leur difficulté à mener des
manœuvres offensives complexes. Malgré une supériorité numérique considérable,
il a fallu faire appel à l’aide américaine et l’intervention de la division
d’or pour débloquer la situation après plusieurs semaines de combat. Les UMP se
sont signalés pendant et après la bataille par leur exactions auprès de la
population sunnite. Depuis ces forces ont été réduites en volume et utilisées
plutôt comme force d’appoint mais tout le monde s’inquiète de leur attitude
dans les provinces sunnites.
En parallèle de cette armée chiite, le gouvernement
Habadi et les Etats-Unis se sont efforcés aussi de s’associer de plus en plus
de forces sunnites, souvent des milices tribales. Avec le reflux de l’Etat
islamique depuis un an et le passage assez rapide de son image de libérateur à
celui d’oppresseur, ce recrutement a obtenu de plus en plus de succès et
environ 20 000 hommes combattants sunnites peuvent être alignés contre
l’Etat islamique. S’ils ne contribuent guère à la capacité offensive de
l’ensemble, ils sont importants car ils constituent, pour l’instant, les forces
de présence les mieux acceptées dans les provinces sunnites. Ces deux forces,
milices chiites et sunnites, sont présentes entre le Tigre et l’Euphrate en
arrière de la brigade blindée-mécanisée. Leur mission est peut-être, dans un
premier temps, de tenir l’axe vers Bagdad puis, au moins pour les milices
sunnites d’occuper le terrain conquis.
L’ensemble de ces forces est appuyé depuis août
2014 par la coalition menée par les Américains selon une stratégie indirecte de
frappes (en appui ou en profondeur) et soutien (formation, équipements,
formation, renseignement) des troupes irakiennes. Longtemps limité à des
frappes aériennes, la capacité de raids et frappes s’est peu à peu élargie à
l’emploi d’avions et même d’hélicoptères d’attaque, de forces spéciales et de
pièces d’artillerie. Les Alliés ont suivi strictement le mode opératoire décidé
par les Américains malgré ses fortes limitations initiales. L’ensemble de cette
coalition permet de réaliser une moyenne de 20 frappes aériennes quotidiennes
(dont 15 par les Etats-Unis) et désormais d’appuyer au plus près et de manière
souple les troupes terrestres grâce à l’artillerie et aux hélicoptères
d’attaque.
La
manœuvre d’approche
La manœuvre des Alliés pour prendre Mossoul est
très classique, dans son séquençage américain : préparation, attaque,
sécurisation, contrôle. Il y manque toutefois, au moins pour l’instant, les
leurres habituels (attaque selon un axe inattendu par exemple).
La phase d’attaque se déroule, on l’a dit, selon un
modèle en bouclage sur les trois quarts de la zone et avance en piston sur un
seul pan du périmètre. Il faut noter que le bouclage n’est pas tout à fait
complet dans la mesure où les sorties ouest de la ville sont libres au moins jusqu’à Sinjar. Pour l'instant du moins car un effort semble actuellement être fait au niveau du Tigre sur l'axe Tal Afar-Mossoul.
Il s’agit peut-être dans cette, très relative, faiblesse du dispositif d’une porte ouverte laissé aux rebelles
afin de les inciter au repli et affaiblir ainsi la résistance à Mossoul. Lors
des sièges menés par les forces américaines en Irak de 2004 à 2008, les
opérations de conquête (Falloujah, Mossoul, Ramadi, Tal Afar, etc) étaient effectivement
précédées d’un bouclage très poreux, en partie par manque d’effectifs mais aussi
certainement pour réduire les forces ennemies à combattre dans un contexte
difficile. Les opérations de pression, contre l’armée du Mahdi essentiellement,
à Nadjaf en 2004 ou à Sadr City en 2008, étaient au contraire très étanches.
L’idée n’y était pas de conquérir le terrain mais d’user suffisamment les
forces adverses pour obliger Moqtada al-Sadr, le leader mahdiste, à négocier. A
Mossoul, il n’est pas question de négocier, sinon avec les groupes alliés à
l’Etat islamique.
L’attaque aurait pu se dérouler par infiltration (deux
à trois jours de marche suffisent pour pénétrer dans la ville) et conquête
depuis l’intérieur, d’autant plus qu’avec un maximum de 10 000 hommes, il
est difficile à l’EI de totalement surveiller et contrôler une région grande
comme deux départements français. C’est ainsi que les rebelles irakiens avaient
procédé en novembre 2004 pour prendre d’un coup depuis l’intérieur le contrôle
de tous les points clés de Mossoul et l’attaque de Daesh en juin 2014 avaient
été précédée d’infiltrations à l’intérieur de la ville. Cela n’est pas
cependant dans le style américain qui préfère la manœuvre ouverte mais il est
probable qu’il y ait un certain nombre d’agents, introduits ou spontanés
locaux, qui coopèrent avec les forces extérieures au moins pour fournir du
renseignement et peut-être pour des actions armées.
A la place, on a surtout une attaque par colonnes
protégées convergentes sur les grands axes, bénéficiant d’appuis et capables de
s’aider mutuellement. Face à cela, il est probable que l’ennemi, qui encore une
fois ne peut tout tenir, se contente d’un combat de freinage multipliant les
engins explosifs et quelques actions isolées, souvent suicidaires. En arrière
de la zone de combat, il tentera d’harceler les lignes de communications
notamment à partir d’Hawija et de multiplier les attaques terroristes, à Bagdad
en particulier, afin de pousser à détourner une partie des forces du front de
Mossoul vers la sécurité intérieure et de faire pression sur le gouvernement.
De manière plus ou moins organisée depuis Raqqa ces attaques terroristes
peuvent toucher aussi les puissances impliquées dans la bataille, dont la
France.
Durant cette phase d’approche, les populations
civiles et notamment les réfugiés constituent un enjeu important. Plus la
population quitte la zone des combats et plus l’opération militaire de la coalition
anti-Daesh s’en trouve facilitée, cette population constituant, avec les
infrastructures urbaines, le principal bouclier de l’ennemi face à la puissance
de feu. C’est la raison pour laquelle l’organisation s’oppose généralement à
ces mouvements de population, qu’il ne peut cependant pas empêcher totalement.
Cette population de réfugiés doit être prise en compte, et celle-ci, du ressort
des autorités gouvernementales avec l’aide d’organisations internationales, constitue
aussi un test politique important. En 2004, la manière déplorable dont les
camps de réfugiés de Falloujah avaient été gérés par le gouvernement irakien et
son armée, avaient constitué une défaite en parallèle du succès militaire de la reprise de la
ville. Il en est sensiblement de même pour la population qui sera mêlée au
combat à Mossoul. Des erreurs de frappes aériennes (car contrairement à l’armée
du régime d’Assad ou inversement de certains mouvements rebelles syriens, il
n’y pas de volonté délibérée de s’en prendre à la population), des exactions
menées contre les civils arabes sunnites par des forces engagées pendant ou
après les combats, les règlements de compte en parallèle de la bataille, tout
cela peut compromettre l’opération militaire et plus encore la gestion politique
de la suite de la bataille.
La
prise de Mossoul
La bataille la plus difficile sera dans les
quartiers même de Mossoul. Pour faire face à ces pénétrations, l’ennemi a probablement investi dans un « réseau de résistance » fait de points d’appui
solides aux abords de la ville, puis à l’intérieur de petits postes de
mitrailleuses lourdes et de snipers dans les points favorables (face à de
grands axes ou des espaces ouverts), certains de ces postes sont protégés. Pour
le reste le combat sera probablement décentralisé et mobiles par secteurs de
combat, par blocs ou groupes de blocs d’immeubles, combinant l’usage de mines
et d’engins explosifs avec le harcèlement de sections d’une vingtaine d’hommes
circulant à l’abri des vues aériennes par un réseau souterrain ou à l’intérieur
même des bâtiments. Si le ciel est à la coalition, le sol et le sous-sol est
aux combattants de Daesh. L’engin explosif est l’instrument premier du freinage
mais il est aussi délicat d’emploi pour les rebelles qui évoluent à proximité,
sans parler de la population. On privilégie donc les systèmes télécommandés et
on dissocie bien les zones piégées des axes de déplacement. Un certain nombre de
combattants-suicide à pied ou en véhicules joueront aussi le rôle de missiles
de croisière humains.
Pour autant, il est très difficile pour une force
de quelques milliers d’hommes d’interdire complètement l’entrée dans une ville
d’une circonférence de plus de 60 km. Il est donc probable que la phase de
combat aux abords sera relativement brève. Elle se déroulera probablement d’abord
au sud-ouest. Les collines qui s’y trouvent constituent un point clé dont la
possession, permet de disposer de vues et de capacités de tir intéressantes sur
l’adversaire, qu’il s’agisse de la plaine d’approche et de l’autoroute n°1 d’un
côté ou de l’aéroport et même d’une grande partie de la ville de l’autre. Elles
feront l’objet de combats préalables à l’entrée proprement dite. Puis les
forces de la coalition s’empareront des espaces peu denses et de la zone
industrielle et de l’aéroport immédiatement au nord de ces collines. Cela
formera une solide base à l’entrée de la ville avant d’entamer une progression méthodique
pour le contrôle des grands axes et des ponts sur le Tigre. Le deuxième axe de
pénétration privilégié est le sud-ouest, relativement facile d’approche mais
barré à la limite de la ville par un cours d’eau. On contournera donc
probablement les quartiers sud de Hay Sumer et Domeez pour pénétrer par la
route 80 et plus au nord par Judyafat. Cela se fera si possible en conjonction
avec l’attaque par l’autoroute n°2 venant d’Erbil mais qui aura dû faire face
plus tôt à des zones urbaines. On s’efforcera, là-aussi, ensuite de prendre le
contrôle des axes de pénétration du nord.
Le ciel et les toits sont d’emblée à la coalition,
en particulier ses moyens « persistants » de surveillance et de
frappes précis (drones et hélicoptères d’attaque) et les grands axes le seront
aussi à terme grâce à la combinaison de véhicules protégés, aux armes à longue
portée (armes de bord), d’appui précis (mortiers plutôt pour les toits,
artillerie pour les objectifs durs et proches et frappes aériennes pour les
cibles les plus protégées et à l’arrière) et d’infanterie. La présence d’une
partie de la population, plusieurs dizaines de fois plus importantes en volume
que les combattants de l’EI, impose cependant de sévère contraintes à l’emploi
des feux. C’est un facteur de ralentissement presque aussi important que la
résistance ennemie. Un dispositif de bouclage où là-encore les moyens
persistants de surveillance et de frappes sont essentiels, doit permettre de
contrôler les tentatives de fuite, en particulier vers Tal Afar.
Après la pénétration et le contrôle des axes de la ville,
la troisième phase consistera à nettoyer la ville de tous les engins explosifs
et des résistances résiduelles. Cette longue phase occasionne généralement un
tiers des pertes et est particulièrement éprouvante. C’est une mission de sapeurs
et de fantassins, peu nombreux pour une ville de cette dimension. Il sera sans
doute nécessaire de renforcer les forces déjà engagées, et déjà usées par des
forces nouvelles, de l’armée régulière irakienne et sans doute surtout par des
miliciens. Si les combats se déroulent de la même manière qu’à Falloujah,
Ramadi ou Tikrit, on peut estimer que les forces de la coalition perdront entre 6 000 et 10 000 tués ou blessés, pour l’essentiel dans la masse de manœuvre de
l’armée régulière irakienne, qui se trouvera alors presque entièrement
concentrée dans Mossoul et largement épuisée.
Si la victoire aura été proclamée bien avant, probablement
fin novembre, ce n’est qu’avec l’élimination, sans doute pas définitive, de la présence
organisée de l’Etat islamique que la bataille sera vraiment gagnée. Une autre
commencera alors, celle du retour à une vie normale dans la ville et dans la
région. Elle sera au moins aussi complexe à mener.