Extrait (et résumé) de La chair et l'acier, Tallandier, 2004 ou sa version en poche : L'invention de la guerre moderne : Du pantalon rouge au char d'assaut 1871-1918, Collection Texto, Tallandier, 2014.
L’échec de
l’offensive de Champagne en septembre 1915 entraîne une crise majeure dans l’armée
française et qui marque la fin définitive du paradigme de l’« offensive à
outrance ». Les fronts sont décidément « inviolables » et on a
épuisé l’infanterie pour s’en convaincre.
Sur 1,2 million de soldats français tués pendant la Première Guerre
mondiale la moitié est déjà tombée à la fin de 1915. Chaque compagnie
d’infanterie de la 13e DI a, par exemple, perdu dans l’année trois
fois son effectif moyen, en tués, blessés ou disparus. Tout cela pour des gains
de terrain presque nuls et des pertes ennemies nettement inférieures. Le
constat d’échec est flagrant. Les premiers signes de découragement, voire de
grogne sont alors très sensibles dans la troupe. Le 12 novembre 1915, le
général Fayolle note dans son carnet : « Que
se passe-t-il en haut lieu ? Il semble que personne ne sache ce qu’il faut
faire ». Le 31 décembre, il ajoute : « si on n’y apporte pas de moyens nouveaux, on ne réussira pas
». Il faut inventer au plus vite une autre manière de faire la
guerre.
Face
au nouveau blocage et à l’impuissance avouée des Jeunes-Turcs du Grand quartier-général
(GQG), Joffre laisse s’exprimer ses généraux. Une grande activité
intellectuelle règne alors durant l’hiver 1915 qui aboutit à la victoire d’une
école de pensée baptisée « conduite scientifique de la guerre ».
La victoire de l’« opposition »
Les « méthodiques » (Foch, Pétain, d’Urbal,
Fayolle) prennent appui sur les quelques succès locaux obtenus, en particulier
par Pétain en Artois et en Champagne. Son rapport du 1er novembre
1915 sur l’offensive de septembre sert ainsi de base à la nouvelle doctrine.
L’idée majeure qui s’en dégage est l’impossibilité d’emporter d’un même élan toutes
les positions successives de l’ennemi. On se rend compte en particulier que, du
fait des problèmes d’organisation et de déplacement de l’artillerie, la
deuxième position ennemie est beaucoup moins frappée par les feux que la
première. Sa prise est donc beaucoup plus difficile d’autant plus que, faute de
surprise et quelle que soit la vitesse de l’offensive, les réserves allemandes ont
toujours le temps de la renforcer. Pétain estime donc qu’avant d’espérer
réussir une percée décisive il faudra au préalable user l’ennemi sur l’ensemble
du front par des attaques successives mais lentes. Mais l’idée de bataille
décisive, synonyme de percée à ce moment-là, est encore largement dominante. Une
nouvelle « majorité » se forme autour de quelques Polytechniciens
artilleurs pour concevoir cette bataille décisive comme une succession de
préparations-assauts axiales et non pas latérales comme le préconise Pétain,
avec toujours l’espoir de pouvoir percer une fois les réserves ennemies
épuisées. Foch, dans une note en date du 20 avril 1916, parle de réaction contre
les « folles équipées » de
l’infanterie au cours des batailles de 1915. Désormais « la certitude mathématique l’emporte sur les facteurs
psychologiques ». Une analyse de tous les détails photographiés
du front doit permettre une planification précise de la destruction de tous les
obstacles ennemis à partir de barèmes scientifiques. On n’est pas très éloigné
des conceptions que Falkenhayn, le général en chef allemand, développe pour son
offensive de Verdun. L’année 1916 sera celle des batailles géantes et
obstinées.
Une nouvelle production réglementaire
Toutes ces
idées nouvelles trouvent leur matérialisation dans une série de documents
réglementaires comme l’Instruction du 20
novembre 1915 sur l’artillerie lourde ou la Note du 27 décembre 1915 sur les enseignements des batailles de
septembre, très imprégnée de
l’expérience directe des combattants. La liaison infanterie/artillerie passe au
premier plan et tous les moyens doivent être employés pour la réaliser.
Surtout, le 8 janvier 1916 est diffusée l’Instruction
sur le combat offensif des petites unités. C’est une nouvelle conception de
l’infanterie : « On ne lutte
pas avec des hommes contre du matériel […] L’infanterie s’use rapidement […] On évitera donc, aussi bien au début qu’au cours d’une action
offensive, de donner trop de densité à la ligne de combat ». Les
expressions « enlever coûte que coûte » ou « enlever à tout
prix » sont rayées du vocabulaire. Le souci d’économie des fantassins
apparaît clairement ainsi que les rôles respectifs des armes : « On ne doit donc jamais lancer une
attaque sans la faire précéder et accompagner par une action d’artillerie
efficace». Ce document est suivi de l’Instruction
du 26 janvier 1916 sur le combat offensif des grandes unités destinée
à remplacer la note similaire du 16 avril 1915. C’est une étape essentielle
dans l’évolution de la doctrine de combat. Elle rompt définitivement avec les
errements du règlement sur le service en campagne de 1913 qui avait continué à
inspirer les opérations de 1915. Le but à atteindre est toujours le même,
c’est-à-dire la percée à travers les positions organisées de l’adversaire, mais
sous la forme d’une opération à longue
échéance comportant une série d’attaques méthodiques de positions successives.
La percée est suivie d’une phase d’exploitation où la cavalerie a toujours le
premier rôle.
A
la suite des décisions arrêtées en décembre 1915 à Chantilly entre les Alliés,
cette nouvelle doctrine doit être mise en œuvre dans l’offensive
franco-britannique sur la Somme
prévue pour l’été 1916. Le groupe d’armées du Nord (GAN), qui en est largement
à l’origine, est aussi chargé de sa mise en pratique. Outre le travail de planification,
cet état-major doit donc pendant les premiers mois de 1916 mettre au point les
méthodes concrètes d’application puis les faire accepter et assimiler par les
corps de troupe. Le GAN devient ainsi le laboratoire de la « conduite
scientifique de la guerre » avec des hommes comme Foch mais aussi Weygand,
son chef d’état-major, Fayolle, à la tête de la VIe armée, ou encore le colonel
Carence, pour l’artillerie, le commandant Pagézy pour la défense contre les
avions, le commandant Pujo pour la liaison entre l’aviation et l’infanterie, le
capitaine Fournier, spécialiste des questions de transport et le colonel Guy
pour participer à la mise au point de la coordination artillerie-infanterie. Mais comme en février 1916 se déclenche
l’offensive allemande sur Verdun, la première depuis Ypres en avril 1915, un
nouveau foyer d’innovations et d’apprentissage se crée sur la Meuse. Les deux pôles
d’idées vont coexister pendant le premier semestre de la nouvelle année de
guerre, se nourrissant l’un l’autre.
L’artillerie
a la part belle dans le nouveau paradigme. Pour Foch : « Ce n’est pas une attaque d’infanterie à préparer par
l’artillerie, c’est une préparation d’artillerie à exploiter par l’infanterie
». Dans une étude écrite en octobre 1915, Carence écrit :
« L’artillerie d’abord ;
l’infanterie ensuite ! Que tout soit subordonné à l’artillerie dans la
préparation et l’exécution des attaques ». Pour lui, la force offensive d’une armée réside dans son
artillerie lourde. Foch ajoute que l’infanterie « doit apporter la plus grande attention à ne jamais entraver la
liberté de tir de l’artillerie». Pour Weygand : « L’approvisionnement en artillerie
lourde domine toute la conduite de nos attaques ».
La revanche des artilleurs
Pour
autant, le volume de cette arme augmente assez peu. L’accroissement de
l’artillerie lourde n’est que de 590 nouvelles pièces pour l’ensemble de
l’année 1916. Il faut en réalité attendre le 30 mai 1916 pour qu’un grand
programme fixe pour le reste de la guerre la structure et les renforcements à
amener à l’artillerie des grandes unités. Ses premiers effets en se feront
sentir qu’à la fin de 1917. En attendant, le grand défi pour l’artillerie est
celui de l’emploi optimal de l’existant, c’est-à-dire l’artillerie de campagne
et les pièces de forteresse récupérées, dans des conditions totalement
différentes de celles imaginées avant-guerre. La bataille de la Somme est préparée en
s’appuyant sur l’analyse poussée des combats offensifs de 1915 mais aussi sur
la bataille de Verdun. La forme inédite de cette dernière, localisée, défensive
et de longue durée, pose de nombreux problèmes. Dans le système de rotation des
divisions mis en place par Pétain, il arrive que les régiments d’artillerie,
qui souffrent beaucoup moins que l’infanterie, restent plus longtemps sur place
pour renforcer les unités relevantes. On découvre alors que le développement
constant, la diversification, la profusion des innovations dans les régiments
ont entraîné une divergence croissante des méthodes qui rend difficile le
travail avec une unité « étrangère ». Avec la mainmise de l’aviation
allemande sur le ciel, on s’aperçoit aussi de la grande dépendance de l’artillerie
vis-à-vis de l’observation aérienne. C’est toute une arborescence de méthodes
scientifiques de tir, de coordination entre les armes ou entre différents types
de pièces, de procédures logistiques, de gestion des munitions et des moyens de
liaison, etc. qu’il faut profondément renouveler avec de profondes
ramifications dans l’industrie et ses laboratoires (métallurgie, chimie,
transmission, météo, aviation).
Le premier effort de 1916 porte sur la maîtrise de la
gestion des informations. Pour y parvenir, on commence par mettre en place une
structure de commandement adaptée. En 1915, on crée un commandement de
l’artillerie lourde au niveau du corps d’armée puis, en 1916, de véritables
états-majors d’artillerie capables de commander les groupements de feux de
taille variables. On remarque ainsi que lorsque les évolutions sont tellement
rapides les règlements sont plus des états de l’art que des guides pour
l’avenir. On crée également une structure spécifique d’instruction, pour
unifier les méthodes, et d’expérimentation, pour les faire évoluer plus
rationnellement. Le 27 juin 1916, après plusieurs tâtonnements, le Centre
d’études d’artillerie est créé à Châlons. Il est chargé de centraliser la
documentation, définir la manœuvre, perfectionner l’instruction technique et
faire profiter les commandants de grandes unités de toutes les innovations
touchant l’emploi de l’artillerie. Le Centre examine également les procédés imaginés
dans les différentes unités pour retenir et généraliser ceux qui font leur
preuve. Le CEA perfectionne la planification et l’usage des « Plans d’emploi de
l’artillerie » qui permettent de gérer les étapes de la séquence de tir.
L’aérologie et la météorologie font d’énormes progrès. Le GAN dispose de sa
propre section météo commandée par le lieutenant de vaisseau Rouch avec un
vaste réseau de transmissions y compris sur des navires.
Des yeux dans le ciel
Après l’échec de l’aviation de bombardement, dont le rôle
est très limité en 1916, les Français, dans la cohérence de la bataille
d’artillerie qui s’annonce, mettent l’accent sur l’emploi de l’avion dans
l’observation et la liaison entre les armes. Foch envoie le commandant Pujo à
Verdun, où il étudie les méthodes mises en place au cours de la bataille. Il
reprend l’idée d’un « bureau tactique » charger de gérer de
nombreuses escadrilles (et les ballons) à partir de bases parfois très
éloignées du front. Les escadrilles sont attachées à des secteurs particuliers
et, pour réduire « les pertes de mémoire », elles y restent le plus
longtemps possible même si leur corps d’armée d’appartenance se replie. Tous
les renseignements recueillis sont centralisés puis diffusés. Sous l’impulsion
du capitaine de Bissy, une section
photographique est créée dans chaque corps d’armée afin d’assurer
l’actualisation permanente du panorama et la diffusion de plusieurs centaines
d’épreuves par heure. L’aviation d’observation doit être capable également d’effectuer
des missions de reconnaissance, avec escorte, au-dessus des lignes ennemies,
notamment pour vérifier les résultats des tirs d’artillerie. A leur retour, les
missions font l’objet d’un compte rendu immédiat par TSF, puis par écrit avec
les photos.
Toujours à la suite de l’expérience de Verdun, des avions
sont mis de la disposition de chaque division, avec un détachement de liaison
et une instruction pour éclairer les commandants sur les règles
d’emploi de ces moyens : possibilités, missions à demander, conditions
indispensables à leur accomplissement, résultats à escompter. Ces appareils
biplaces, volant à basse altitude, forment l’embryon de l’escadrille présente
dans la majorité des divisions en 1918. Ils sont le lien entre les troupes
d’assaut, l’artillerie et le commandement. Pour l’offensive de la Somme , la 13e DI
disposera par exemple d’une vingtaine d’appareils, répartis en trois cellules
pour les liaisons, la coordination avec l’artillerie divisionnaire et la
contre-batterie par l’artillerie lourde. Il faut mettre en place tout un panel
de moyens de liaisons pour organiser les communications entre l’air, qui envoie
des messages en morse ou message lest, et le sol, qui répond avec des fusées,
fanions ou projecteurs. Des « pots éclairants Ruggieri » et des
panneaux blancs sont distribués aux divisions pour signaler aux avions
l’avancée des troupes au sol. En 1915, par exemple, il était habituel
d’affecter une zone d’action fixe à chaque batterie d’artillerie. En 1916, les
groupes d’artillerie disponibles pour un appui se manifestent par des drapeaux
levés et, en cas de demande urgente, un avion peut donner directement des
ordres à l’un d’entre eux, même si cela lui impose de tirer hors de sa zone
d’action. Dans l’esprit des Français, l’aviation est donc conçue avant tout
comme un multiplicateur d’efficacité plutôt qu’une arme à part entière.
Apparition de la notion de supériorité aérienne
Les Allemands imposent cependant une innovation tactique
majeure en cherchant à obtenir la supériorité aérienne totale sur un secteur du
front. Dès le début de leur offensive sur Verdun, en février 1916, ils
concentrent 280 appareils de chasse dont
40 Pfalz E et Fokker E à tir synchronisé au-dessus de la zone des combats afin
de neutraliser les moyens d’observation aériens de l’artillerie française. De
fait, les quelques avions ennemis sont vite chassés du ciel et l’artillerie
française est presque aveugle.
Pour faire face à cette menace, les Français sont obligés
de livrer une bataille aérienne, la première de l’Histoire. Le 28 février, le
commandant De Rose, directeur de l’aéronautique de la Ve armée, est chargé
de la responsabilité de l’aviation de combat à Verdun. Il constitue un
groupement « ad hoc » de quinze escadrilles avec ce qui se fait de
mieux dans l’aviation de chasse en personnel (Nungesser, Navarre, Guynemer,
Brocard, etc.) et en appareils ( Nieuport XI). L’expérience, qui perdure
jusqu’à la maîtrise définitive du ciel par l’aviation française, est
extrêmement productive. Cette concentration de talents forme un nouveau
laboratoire tactique qui met au point progressivement la plupart des techniques
de la maîtrise du ciel : patrouilles permanentes d’escadrilles (3-5
appareils) dans des cadres d’espace et de temps précis, raids de 10 à 25 avions
à l’intérieur des lignes ennemies avec les « As » en couverture
haute, patrouilles solitaires des « As », secteurs aéronautiques
correspondant aux secteurs de corps d’armée, procédures de vol groupé (signaux
d’alerte par battement d’aile, encadrement par chef de groupe et serre-files,
actions « à l’imitation », vol sur plusieurs étages), gestion de la
fatigue des pilotes (2-3 missions/jour), de la maintenance entre les missions,
coordination air-sol, etc. On expérimente également l’appui feu air-sol
notamment lors de l’attaque sur le fort de Douaumont le 22 mai ou la
destruction des ballons d’observation ennemies (fusées à mise à feu électrique
Le Prieur d’une portée de 2000 m , balles incendiaires, canon aérien de 37 mm ). Le 22 mai, huit
Nieuport XI équipés de fusées Le Prieur, ancêtres des roquettes modernes,
incendient la totalité des ballons allemands sur la rive droite de la Meuse. La bataille et la
volonté de quelques hommes ont permis de rassembler en un système cohérent
toutes ces innovations souvent imaginées avant la bataille de Verdun dans des
escadrilles diverses. Ce système est synthétisé dans un document en juillet par
Le Révérend (chef du groupement à partir du 28 mars) et officialisé le 10
octobre 1916 par un règlement. C’est un exemple parfait d’une « grappe »
d’innovations issue du front par un laboratoire tactique et qui est généralisée
par la suite. Le GAN adopte le concept et un groupe de chasse est constitué à
Cachy sous le commandement de Brocard avec huit escadrilles Spad dont celle des
Cigognes, qui s’est illustrée à Verdun. Le Lieutenant de vaisseau Prieur est
également présent.
Apparition de la logistique automobile
La
bataille de Verdun est l’occasion d’une autre innovation majeure, à
l’initiative des Français cette fois (et jamais imitée par les Allemands). La
première expérience d’organisation rationnelle des moyens de transports
automobiles semble avoir été l’évacuation de Reims au début du mois de
septembre 1914. Elle est l’œuvre du capitaine Doumenc,
l’« entrepreneur » du service automobile, subdivision qui appartient à
l’artillerie. Grâce à lui et quelques autres, l’idée s’impose que le transport
automobile peut apporter une souplesse nouvelle dans les transports de la
logistique et surtout des hommes, leur évitant les fatigues de la marche tout
en multipliant leur mobilité. Les achats à l’étranger et la production
nationale permettent de disposer dès 1916 de la première flotte automobile
militaire au monde avec près de 40 000 véhicules (trois fois plus que l’année
précédente et presque 200 fois plus qu’en 1914). Cette abondance de moyens
autorise la constitution de groupements de 600 camions capables de transporter
chacun une brigade d’infanterie. En 1916, il est ainsi possible de transporter
six divisions d’un coup.
L’efficacité de cet outil est démontrée lorsqu’il s’agit
de soutenir le front de Verdun, saillant relié à Bar-le-Duc, 80 km plus au Sud, par une
route départementale et une voie ferrée étroite, Le Meusien, qui ne peut satisfaire qu’environ 10% des besoins. Sur
l’initiative de Doumenc, le 20 février 1916, veille de l’attaque allemande, est
créée la première Commission Régulière Automobile (CRA) dont la mission est
d’acheminer 15 à 20 000 hommes et 2 000 tonnes de ravitaillement logistique par
jour par ce qui devient rapidement la
Voie sacrée. La
CRA est organisée sur le modèle des chemins de fer. La route
est divisée en six cantons qui disposent chacun de moyens de liaison et de dépannage. Elle est empierrée en
permanence par 1 200 territoriaux qui acheminent la pierraille depuis des
carrières proches (700 000 tonnes au total) pour la jeter ensuite directement
sous les roues des 8 000 camions qui, à la vitesse 15 à 20 km/h , roulent jour et
nuit et font eux-mêmes office de rouleau compresseur. Grâce à une organisation
rigoureuse, la CRA
est ainsi capable de transporter 500 000 tonnes et 400 000 hommes par mois de
mars à juin 1916 sans compter les 200
000 blessés évacués par les services sanitaires. Elle est dissoute le 15
janvier 1917. Entre temps, le GAN avait copié l’idée et créé sa propre CRA sur
l’axe Amiens-Proyart afin d’alimenter la bataille de la Somme , avec un trafic
supérieur encore à celui de la
Voie sacrée.
Après son adaptation douloureuse au monde des
tranchées, l’infanterie française subit une nouvelle transformation en 1916
sous l’influence de deux facteurs majeurs et contradictoires : l’arrivée de
nouveaux équipements dont on espère un surcroît d’efficacité et son épuisement
consécutif aux épreuves de l’année précédente. Paradoxalement, la bataille de
Verdun malgré les pertes terribles qu’elle occasionne regonfle son moral. Il
est vrai que pour la première fois depuis la fin de 1914, on y retrouve le goût
de la victoire. Pour autant, et comme en témoigne la bataille de la Somme , si le combat de
l’infanterie de la fin de 1916 n’a plus rien à voir avec celui du début de la
guerre des tranchées, un trouble demeure.
Le trouble des fantassins
L’infanterie,
bien que préservée dans la nouvelle doctrine, a plus de mal à s’y adapter que
l’artillerie. Le changement de mentalité que le nouveau paradigme propose
suscite des sentiments contradictoires chez beaucoup d’officiers de cette arme.
Il signifie pour eux « désapprendre » que l’élan et l’à-propos des
attaques peuvent suppléer à l’efficacité des feux. Ils craignent donc que leur
arme se retrouve inhibée, perde ses qualités et sa prééminence. Pour autant, on
ne conçoit plus d’offensive sans préparation d’artillerie préalable, mais on ne
voit pas comment résoudre le problème de l’absence de surprise qui découle de
cette même préparation, désespérément lente du côté allié. Il faut ainsi une
semaine aux franco-britanniques pour préparer l’assaut sur la Somme en juillet, là où les
Allemands peuvent se contenter d’une préparation d’artillerie de neuf heures
seulement le 21 février devant Verdun. La tâche de l’infanterie française à
l’attaque est donc rendue plus difficile et pour compenser cela on développe
des procédés extrêmement centralisées et méthodiques, à l’opposé de sa culture
depuis la Révolution
française.
A la
lumière des premiers combats de Verdun on s’aperçoit aussi que les Instructions
de janvier 1916 sont mal appliquées. En juin encore, une note du GQG décrit des
formations d’attaque de l’infanterie
encore trop denses et avec des vagues d’assaut composées d’hommes au
coude à coude. Le terrain est toujours aussi mal organisé au cours de la
bataille. Une note du 2 juillet 1916, est obligée de préciser que « l’organisation d’un terrain au cours
de la bataille est une opération militaire qui, comme toute autre, ne peut
réussir que si elle est conduite ».
De nouveaux équipements
On
espère néanmoins que l’environnement de feu d’appui et surtout l’apparition de
nouveaux armements vont redonner un rôle efficace à l’infanterie en lui
permettant de réduire plus facilement les nids de résistance. Non seulement, la
dotation en mitrailleuses passe à 24 pièces par régiment (contre 6 en 1914 et 8
en 1915), mais on réussit aussi à se doter d’une « mitrailleuse
offensive », c’est-à-dire transportable
pendant les assauts. Le fusil-mitrailleur Chauchat, qui tire la munition
de 8 mm
Lebel à une cadence de 250 coups/minute, arrive sur le front en mars 1916 à
raison de huit par compagnie d’infanterie. Comme toutes les nouveautés à ce
moment-là, l’arme est testée à Verdun, en l’occurrence lors de l’attaque du 22
mai sur le fort de Douaumont. Usiné trop vite et avec des matériaux de basse
qualité, il connaît de nombreux dysfonctionnements surtout dans un
environnement boueux. Il devient vite impopulaire mais, faute de mieux, le
combat de l’infanterie française s’organise progressivement autour de lui.
L’infanterie
souhaite également se doter de sa propre artillerie. Des essais sont faits avec
des canons de 75 mm
amenés au plus près de la première ligne mais les chevaux, seuls capables à
l’époque de tirer ces pièces, ne peuvent y survivre. En attendant d’hypothétiques
pièces automotrices ou tractées par des engins à chenilles, on se contente de
modèles plus légers et donc moins puissants. Chaque compagnie reçoit 24 fusils
lance-grenades Vivien-Bessière qui permettent d’envoyer des projectiles de
500 g
jusqu’à 180 m .
Chaque régiment reçoit également un puis trois canons de 37 mm capables de frapper un
nid de mitrailleuses à 1
500 mètres avec un obus à grande vitesse initiale. La
pièce est tirée par des chevaux jusqu’au plus près, puis à bras d’hommes sur le
champ de bataille. Le premier lance-flammes français, le Hersent, et surtout
les mortiers font également leur apparition. Le modèle pneumatique Brandt tire
un obus à ailette à une distance maximum de 585 m . Les mortiers
Jouhandeau-Deslandres de 75 mm
(portée 1 000 m
pour 46 kg )
et surtout Stokes (portée 2
000 m ) apparaissent plus tardivement. Cette deuxième
phase d’équipement de l’infanterie française débute au printemps 1916 et se
poursuit jusqu’au au milieu de 1917. Elle permet de combler en partie le retard
technique sur l’artillerie, qui la première a effectué sa mutation, et de faire
enfin jeu égal avec l’adversaire, qui se dote néanmoins de matériels
équivalents.
La
nouvelle physionomie du combat d’infanterie
Equipements,
structures, méthodes et culture étant toujours en interactions, des apports
matériels aussi importants que ceux de 1916 mais aussi les épreuves de l’année
précédente, les apprentissages ou l’évolution sociale ne peuvent manquer
d’avoir des conséquences profondes sur la physionomie générale du combat
d’infanterie. La diversité des matériels entraîne le développement de la
spécialisation et de l’interdépendance des hommes. La généralisation de
l’emploi des grenades à main, par exemple, impose un travail d’équipe. Le
grenadier est en effet très vulnérable pendant les lancers. Il faut, autour de
lui, des camarades qui le protègent et d’autres qui l’approvisionnent en
munitions. Dans l’infanterie, on passe en quatre ans de trois armes (fusil,
pistolet, mitrailleuse) à neuf et à chaque introduction nouvelle cette division
du travail s’accroît qui impose une solidarité nouvelle. On crée une infanterie
industrielle, où la section devient une machine à « produire du feu »
dans laquelle chacun des combattants est un rouage. La section d’infanterie
devient la cellule d’emploi d’armes différentes et son chef acquiert une
autonomie réservée jusque-là au capitaine commandant la compagnie. Mais si dans
l’industrie, cette spécialisation apparaîtra rapidement après la guerre comme
synonyme d’aliénation, voire d’abrutissement avec le travail à la chaîne, dans
le contexte des tranchées, elle est une condition de survie. Elle introduit une
plus grande efficacité des cellules tactiques mais surtout, comme cela a été
évoqué, on crée ainsi, à l’instar des pièces d’artillerie, des liens mutuels
qui s’ajoutent à l’accoutumance et à la camaraderie pour aider à
« tenir ». Dans les offensives, les lignes à un pas d’écart ont
disparu assez vite (mais restent longtemps dans les règlements) pour être
remplacées par des groupes, au début improvisés par les hasards du terrain et
de la bataille puis structurés et institutionnalisés. Les assauts se font
toujours par vagues mais ces vagues associent des cellules de plus en plus
autonomes.
La
pénurie d’hommes est le deuxième stimulant de l’évolution de l’infanterie. A la
fin de 1915, l’infanterie française atteint son apogée avec 364 corps mais elle
va désormais décroître jusqu’à l’armistice au rythme moyen de quatre régiments
par mois. Elle devient ainsi une ressource rare et alors que l’industrie militaire
commence à tourner à plein rendement, il devient préférable d’investir dans les
matériels. Cette pénurie impose des transformations dans les structures.
L’échelon brigade est dissout et la division est réduite progressivement à
trois régiments (cela concerne un tiers des divisions à la fin de 1916). Du
fait de cette nouvelle structure, chaque régiment d’infanterie peut être
associé à un groupe d’artillerie de campagne et créer ainsi des liens étroits.
Pour remplacer les deux brigadiers, un commandant de l’infanterie divisionnaire
est créé, à l’imitation du commandant d’artillerie. Comme ce dernier, il peut
recevoir des missions diverses comme commander un échelon de la division ou
coordonner les troupes de première ligne et l’artillerie divisionnaire. Les
méthodes de planification progressent énormément. Les divisions ne sont plus
attachées à des corps d’armée particuliers, ce qui suppose que les états-majors de ces derniers soient capables
de commander des structures modulaires très variables, grand facteur de
souplesse qui demande cependant une unicité de doctrine.
L’« infanterisation » de la cavalerie
L’échec de l’offensive de Champagne brise
aussi les espoirs de chevauchées de la cavalerie, espoirs vite transférés
cependant dans l’offensive prévue sur la Somme qui envisage toujours une exploitation. La
pression sur les effectifs est cependant telle que, tout en se
battant pour conserver un maximum d’escadrons à cheval, la cavalerie est
obligée d’accepter de fournir du personnel aux armes déficitaires, comme
l’infanterie, ou en cours de développement. En novembre 1915, 48 escadrons sont
supprimés et 7 200 chevaux reversés dans d’autres armes, dont 4 000 dans
l’artillerie. Le 21 mai 1916, deux divisions sont dissoutes, puis une troisième
en août de la même année. A ce moment-là, la cavalerie a perdu environ la
moitié de ses escadrons.
La
cavalerie doit accepter également de se transformer partiellement et
provisoirement en infanterie. Les six régiments à pied créés à partir d’août 1915 sont organisés comme des régiments d’infanterie. Leur belle
tenue au feu leur permet de ne pas être versés directement dans l’infanterie et
de conserver leurs attributs de cavaliers sous le nom de régiments de
cuirassiers à pied (RCP). Les divisions de cavalerie ne possèdent plus à ce moment-là
comme soutien d’infanterie que le groupe cycliste, élément de feu puissant,
très mobile et qui a fait ses preuves, mais qui est ramené de 400 à 200 fusils en 1916. Mais même les
structures des unités à cheval doivent s’aligner peu à peu sur celle de
l’infanterie. Ainsi lors de la mise à terre en vue du combat, les unités de
cavalerie sont systématiquement fusionnées par deux et doivent adopter la
terminologie des fantassins (deux pelotons deviennent une section, deux escadrons
deviennent une compagnie etc.). L’armement individuel est amélioré. De 1914 à
1917, le mousqueton du début est remplacé par trois modèles successifs de
carabines. L’équipement de cavalier fait place à celui de l’infanterie avec outil
portatif individuel, musette à grenades, masques à gaz et panneau de
jalonnement. L’armement collectif suit la même progression, la dotation en
armes automatiques passe d’une section de mitrailleuses par brigade à deux
sections par régiment, plus six fusils-mitrailleurs et neuf tromblons V-B par
escadron.
Surtout, l’arme s’engage dans la motorisation. Le 31 décembre 1915 déjà,
29 escadrons de dragons sont remplacés par des escadrons de groupes légers,
possédant leurs véhicules automobiles et surtout, un groupe d’une douzaine
d’automitrailleuses est mis en place dans chaque division de cavalerie. Un
deuxième est formé en juin 1916. Tous ces changements finissent par donner à la
division de cavalerie une puissance de feu équivalente à celle d’une division
d’infanterie pour des effectifs inférieurs de moitié et une vitesse de
déplacement double. La force mobile de choc devient ainsi peu à peu une force mobile de feu.
La
perspective d’une guerre longue, l’arrivée massive de matériels nouveaux et les
nouvelles idées, imposent un intérêt plus prononcé de la part du GQG pour la
structure d’instruction. En octobre 1915, Joffre ordonne de « réduire au strict minimum les forces
laissées en première ligne pour permettre de perfectionner l’instruction des
troupes ». On
distingue désormais une ligne des armées, des réserves de groupes d’armées, à
environ 20-30 km
du front, et des réserves générales (placées près d’une voie ferrées). Cette
nouvelle organisation, associée à la part du front de plus en plus importante
prise en compte par les Britanniques, permet de dégager du temps libre pour
l’apprentissage et l’entraînement dans les camps qui sont créés dans chaque
armée. Il se met en place une sorte de « 3 x 8 » enchaînant périodes
offensives, repos et secteur calme. L’année 1916 se partage ainsi, pour la 13eDI,
en 93 jours de bataille (Verdun et La
Somme ) contre plus de 200 en 1915, 88 jours de secteur et le
reste en repos-instruction.
L’archipel des centres d’instruction
En
1916, les états-majors de groupes d’armées, organismes stables, sont largement
à l’origine de la prolifération de cours, écoles et centres d’instruction. Le
GAN possède sa propre école d’Etat-Major pour la formation des jeunes officiers
de réserve ou d’active. Ils y apprennent la guerre scientifique moderne :
calcul rigoureux des besoins en munitions d’artillerie par mètre de front
attaqué, des rondins nécessaires à la construction des abris et des positions
de batteries, du nombre de baraques indispensables aux camps destinées aux
troupes en réserve, aménagement des gares de ravitaillement, des constructions
indispensables au service de santé, etc. Le GAN crée un cours d’artillerie
lourde et, dans chaque armée, un cours d’artillerie de campagne et de tranchées
avec des champs de tir. Surtout, les centres d’instruction d’Amiens et de
Montdidier permettent de donner la bonne parole à des centaines d’officiers
avant l’offensive sur la Somme. Pétain, commandant du groupe d’armées du Centre
(GAC) depuis le 2 mai, est passionné par ces questions et il multiplie également
les initiatives. En août 1916, il crée un Centre d’études du génie où on
expérimente les nouveautés, puis, dans le giron de ce centre, une Ecole
d’instruction du génie pour les officiers subalternes. D’autres centres
d’instruction, comme celui des observateurs en avions à Matougues sont mis
sur pied. Dans chaque armée du GAC, on
crée une école de chefs de bataillon et des centres d’instruction pour hommes
de troupe (écoles de mitrailleurs, de fusiliers-mitrailleurs, de grenadiers,
d’agents de liaison). Les officiers d’état-major des IVe et Ve
armées sont envoyés en stage dans les grandes unités en action devant Verdun.
De nombreux bulletins de renseignements (aviation, 2e bureau,
aides-mémoire, etc.) sont répandus dans les unités. Un grand camp de manœuvre est
mis en place dans chaque armée avec toute une infrastructure adaptée
(reproduction de tranchées, réseaux téléphoniques, dossiers d’exercices, etc.).
Le camp de Mailly est étendu de façon à ce qu’un corps d’armée français à trois
divisions puisse y travailler.
Le 18 août 1916, paraît
une note sur l’Instruction des grandes unités dans les camps dont les principes
perdurent jusqu’à la fin de la guerre. Le 4 septembre 1916, deux ans après le
début de la guerre, paraît la note sur L’organisation
de l’instruction dans les armées qui s’inspire largement de l’exemple
du de Pétain au GAC. L’instruction des
différentes spécialités est répartie entre les différents échelons de
commandement. Lors d’opérations actives, certaines écoles peuvent être
momentanément supprimées. Un poste d’officier supérieur chargé de l’instruction
est créé aux échelons de l’armée et du corps d’armée. A l’échelon de l’armée,
il s’agit d’un officier ayant commandé une unité d’infanterie au combat,
assisté d’un adjoint artillerie et d’un adjoint génie.
Ce qui est aussi
nouveau à l’époque, c’est que les commandants des groupes d’armées ne se
contentent plus, à l’instar du GQG, de donner des directives. Ils effectuent
aussi eux-m^mees tout un travail d’explications. Déjà en décembre 1915, Foch
avait convoqué tous ses officiers généraux à Estrées-Saint-Denis pour leur
expliquer les principes nouveaux. Maintenant il visite les divisions dans les
camps d’instruction et parle aux officiers. Ce n’est pas inutile. Weygand
décrit, par exemple, la nécessité de l’implication personnelle de Foch pour
imposer le système de défense contre les bombardiers ennemis imaginé par le
commandant Pagézy et qui doit faire appel à plusieurs armes (réseau de guet,
batteries antiaériennes, avions de chasse, sections de ballons de protection).
Inspecteurs et CID
Deux
autres mesures de 1916 vont faciliter les évolutions. La première est la
reconstitution des inspections, tombées en désuétude avec la guerre, afin de
contrôler les compétences de chaque unité mais aussi de rationaliser les
évolutions et de diffuser les bonnes pratiques. L’artillerie ouvre la voie en
créant une inspection pour chacune de ses composantes. Elle est suivie par
l’inspection technique des chars d’assaut et l’inspection générale des écoles
et dépôts d’aviation.
L’autre
innovation importante de 1916 est la création dans chaque division d’un centre
d’instruction (centre d’instruction divisionnaire ou CID). Dans tous les
bataillons, chaque 4e compagnie d’infanterie a été remplacée par une
compagnie de mitrailleuses, plus réduite. Le surplus de cadres qui s’en dégage
est affecté dans le CID. Ce centre, base d’instruction mobile de la grande
unité, permet d’accueillir les recrues en provenance des dépôts de garnison de
l’intérieur, avant de les envoyer directement dans les unités combattantes.
Elles y rencontrent des cadres vétérans, des convalescents ou des blessés de
retour de convalescence. Les cadres de leurs futures compagnies viennent les
visiter. Cette innovation est accueillie favorablement car les avantages sont
multiples. Les hommes ne sont pas envoyés directement sur une ligne de feu qui,
sans la confiance dans des compétences qu’ils ne possèdent pas ou dans des
amitiés qui n’existent pas encore, les broierait psychologiquement et souvent
physiquement. Cette injection directe avait même souvent pour effet d’affaiblir
l’unité constituée en introduisant des éléments d’incertitude et en donnant un
surcroît de travail et de risque aux cadres. Ce processus plus lent permet de
s’initier progressivement aux conditions réelles du combat pour les
nouveaux et de « retrouver l’esprit du front » pour les
convalescents. Le dépôt divisionnaire permet l’apprentissage des armes
nouvelles et des procédés. Il constitue à la fois un foyer d’instruction et à
proximité des corps de troupe, une première réserve de renforts instruits,
prêts à être versés à l’avant.
Lorsque
commence l’offensive de la Somme, le 1er juillet 1916, l’armée
française s’est profondément transformée depuis son échec en Champagne en
septembre 1915. C’est en réalité la troisième métamorphose qu’elle connait en
deux ans, après l’adaptation rapide aux réalités de la guerre moderne en 1914
et la première adaptation à la guerre de tranchées de l’hiver 1914 à celui de
1915. Outre l’injection exogène de ressources nouvelles, cette nouvelle
évolution en profondeur s’effectue en interne sous la double pression des
nécessités de la bataille de Verdun, avec la IIe armée, commandée
par Pétain et surtout Nivelle, comme laboratoire tactique, et des idées de l’état-major
du GAN. On y voit pour la première fois, la mise en place d’une boucle complète
d’évolution depuis la remontée des retours d’expérience, la confrontation des
idées, leur synthèse dans une doctrine et l’application de cette doctrine par
le biais de tout un réseau de formation. L’information circule bien, et sa
transformation de Pratique en Doctrine (édification des règlements à partir de
l’explicitation de ce qui se fait ou devrait se faire), puis de Doctrine en
Pratique (assimilation des règlements et changement des habitudes) est
désormais bien établie. Pour autant, cette transformation est encore insuffisante
pour prendre l’ascendant sur un ennemi qui connaît par ailleurs un processus de
transformation similaire. La résistance à Verdun et les combats de la VIe
armée sur la Somme en juillet témoignent déjà du rattrapage tactique sur l’armée
allemande. Il faut attendre encore une quatrième transformation, celle du
deuxième semestre 1917 pour s’assurer de la victoire.