La ligne Morice désigne le réseau mis en place en 1957 du Nord au Sud le long de la frontière entre l’Algérie et la Tunisie afin d’empêcher l’infiltration des forces du front de libération nationale (FLN) formées dans ce dernier pays. Ce réseau comprend alors une simple ligne électrifiée protégée des animaux par deux grillages, courant de Bône à Souk-Ahras et Tébessa, prolongée plus au Sud par une surveillance par « radars-canons » et doublée en 1959 par une deuxième ligne (ligne Challe) collant à la frontière. Le dispositif mis en place en 1957 comprend trois filtres : quatre régiments d’infanterie occupent la zone entre la ligne et la frontière, six régiments blindés en patrouille permanente le long de la ligne (la « herse mobile ») et six autres régiments de secteurs à l’Ouest de la ligne. En décembre 1957, un premier bilan indique que malgré les moyens mis en place (équivalents à la moitié du nombre actuel d’unités d’infanterie et de blindés), 70 % des tentatives de franchissement ont réussi et que 2 000 combattants armés ont rejoints les Wilaya.
Le général Vanuxem propose alors de superposer à cette structure relativement fixe, une nouvelle structure beaucoup plus mobile et réactive. Cinq régiments parachutistes sont mis en place en face des principaux axes de pénétration et, c’est ce qui nous intéresse ici, une nouvelle structure de commandement, très originale. La mission des paras est simple (détruire les bandes qui franchissent) mais elle comporte une contrainte majeure : cette destruction doit s’opérer dans la journée qui suit le franchissement, sous peine de voir les fellaghas profiter de la nuit suivante pour disparaître définitivement. Il s’agit donc de concevoir et conduire des manœuvres qui, comme le rapporte le lieutenant-colonel Buchoud, commandant le 9e Régiment de chasseurs parachutistes (RCP), peuvent représenter quatre engagements d’une dizaine de compagnies à chaque fois et huit opérations héliportées dans une seule journée. Buchoud cite aussi l’exemple d’un capitaine engageant au combat sa compagnie trois fois dans la même journée avec des points d’application distants de 30 à 50 km .
Pour parvenir à une telle rapidité et une telle souplesse, les méthodes habituelles sont inopérantes. Le général Vanuxem impose donc un principe simple : le chef de corps du régiment parachutiste (un lieutenant-colonel) concerné par une infiltration doit prendre l’initiative de monter une opération et a le pouvoir de prendre le « contrôle opérationnel » de toutes les unités qu’il souhaite et quand il le souhaite, et cela sans considération de hiérarchie. Le 23 février 1958 à 0h30, le lieutenant-colonel Buchoud envoie ce message au général Vanuxem, depuis son hélicoptère de commandement, pour décrire un concept d’opération de niveau brigade monté en quelques minutes avec l’aide d’un capitaine :
1-Vous demande de placer un escadron du 18e dragons dès que possible en bouclage sur la route Souk-Ahras et faire rechercher le renseignements par poste Calleja
2-Je lance immédiatement mon escadron et escadron du 152e RIM, actuellement à mes ordres en bouclage entre Souk-Ahras et Dréa.
3-Disposerai pour 6h30 ensemble de mon régiment entre Zarouria et Dréa pour ratissage.
4-Cette action sera complétée vers le sud par mon groupement du 152e RIM.
5-Ces actions seront utilement prolongées au nord et au sud. Nord pourrait être confié à un élément du 60e RI et actionné par vos soins. Sud, à un élément du 152e, également actionné par vos soins.
6-Ai donné ordres à tous éléments du 152e RIM. Vous demande prévenir 60e RI, 18e dragons, 4/8e RA. Annulation opération précédemment prévue. Stop et fin.
La vitesse nouvelle donnée aux opérations de traque donne des résultats immédiats et en mai 1958, la bataille du barrage est pratiquement gagnée, non sans pertes par ailleurs (le 1er Régiment étranger de parachutistes perd 111 tués, dont le chef de corps, pour 1 275 combattants rebelles éliminés).
Les ordres d’opération dans un contexte dialectique sont toujours le résultat d’un arbitrage entre la vitesse et la précision de la conception. Faire confiance et donner provisoirement le pouvoir au chef au contact, en considérant que c’est lui qui dispose des meilleures informations, est un moyen d’accélérer les opérations tout en conservant une précision correcte des ordres. C’est également la méthode mise en place dans les divisions d’assaut allemandes de 1918 avec un échelon de commandement simplifié (armée-division-bataillon) et le pouvoir donné aux chefs de bataillon au contact sur tout ce qui arrive vers eux. C’est aussi un concept proche de la boucle Observation-Orientation-Décision-Action des pilotes de chasse. Il s’agit d’une manière de commander très efficace lorsqu’il faut agir vite et/ou profiter d’une situation de chaos, beaucoup moins (au moins intitialement) si la surprise ne peut pas jouer. Cela suppose de gérer une multitude d’ego froissés mais surtout de disposer de cadres de contact compétents à l’échelon pertinent de décentralisation. Cela ne pose guère de problème avec des Jeanpierre, Buchoud ou d'un Bigeard qui commence en 1957 sa 18e année de guerre à la tête de son quatrième régiment.
Les ordres d’opération dans un contexte dialectique sont toujours le résultat d’un arbitrage entre la vitesse et la précision de la conception. Faire confiance et donner provisoirement le pouvoir au chef au contact, en considérant que c’est lui qui dispose des meilleures informations, est un moyen d’accélérer les opérations tout en conservant une précision correcte des ordres. C’est également la méthode mise en place dans les divisions d’assaut allemandes de 1918 avec un échelon de commandement simplifié (armée-division-bataillon) et le pouvoir donné aux chefs de bataillon au contact sur tout ce qui arrive vers eux. C’est aussi un concept proche de la boucle Observation-Orientation-Décision-Action des pilotes de chasse. Il s’agit d’une manière de commander très efficace lorsqu’il faut agir vite et/ou profiter d’une situation de chaos, beaucoup moins (au moins intitialement) si la surprise ne peut pas jouer. Cela suppose de gérer une multitude d’ego froissés mais surtout de disposer de cadres de contact compétents à l’échelon pertinent de décentralisation. Cela ne pose guère de problème avec des Jeanpierre, Buchoud ou d'un Bigeard qui commence en 1957 sa 18e année de guerre à la tête de son quatrième régiment.