mercredi 30 septembre 2020

Barkhane-Une analyse de l’engagement militaire français au Sahel

La nouvelle étude porte la campagne militaire français au Sahel de mai 2013 à septembre 2020, ses fondements stratégiques, son évolution, son bilan opérationnel et tactique et surtout ses perspectives.

Cette note de 21 pages est disponible ici en version Kindle.

Toutes les autres études sont disponibles également sur Kindle. 

A défaut de Kindle passez par le bouton "Faire un don" en haut à droite et j'envoie en format pdf tout ce que vous me demandez dans les instructions ou encore à l'adresse indiquée sur le message. Un don d'un euro suffit.


Si vous avez déjà une version ancienne d'une note, il suffit de me demander la nouvelle.

01-La guerre première. De la guerre du feu à l'empire de fer
02-La voie romaine. L'innovation militaire pendant la République romaine
03-L'innovation militaire pendant la guerre de Cent ans

04-Corps francs et corsaires de tranchées. La petite guerre des Français (1915-1918)
05-Innovations militaires en Indochine (1945-1954)
06-La victoire oubliée. La France en guerre au Tchad (1969-1972)
07-La guerre d'usure entre Israël et l'Egypte (1969-1970)

08-GI’s et Djihad. Les évolutions militaires pendant la guerre en Irak (2003-2008)
09-Sisyphe à Gaza. Israël contre le Hamas, enseignements opératifs et tactiques (2008-2014)
10-Levant violent. Une brève histoire militaire de la guerre en Syrie et en Irak (2011-2016)
11-Etoile rouge. Enseignements opérationnels de quatre ans d'engagement russe en Syrie (2015-2019)
12-Lutter contre les organisations armées en Afrique subsaharienne (avec Laurent Touchard)

13-L'art de la guerre dans Starship Troopers de Robert Heinlein

14-Théorie de la section d'infanterie
15-Régiment à haute performance
16-Une expérience de lutte contre les snipers (Sarajevo, 1993)
17-Retour sur les combats d'Uzbin (18 août 2008)

18-VE 1 Manager comme un militaire. Recueil de billets
19-VE 2 20 notes sur les organisations humaines. Recueil

20-L'expérience des Combined action platoons-Une expérience réussie de contre-guérilla au Vietnam
21-Le vainqueur ligoté-L’armée française des années 1920
22-Confrontation en Ukraine (2014-2015)-Une analyse militaire
23-Barkhane-Une analyse de l'engagement militaire français au Sahel

La vie des balles

12 novembre 2017 

Une balle de fusil se déplace à une vitesse qui dépasse largement celle du son (340 m/s au niveau de la mer). La 7,62 M43 de la Kalachnikov AK-47 a une vitesse initiale (car bien sûr elle diminue au cours du déplacement) de 720 m/s, ce qui est plutôt lent comparé, par exemple, à la 5,56 F1 du Famas qui part à 930 m/s. Il existe bien sûr des projectiles subsoniques, pour des usages spécifiques et avec certaines contraintes mais c’est rare. Je n’en parlerai pas.

Comme tout objet supersonique cette balle déplace autour d’elle une onde de surpression de l’air qui se matérialise par un « bang » violent. Contrairement à une légende, cela ne correspond pas à au franchissement du mur du son. C’est un phénomène qui accompagne l’objet tout au long de sa trajectoire supersonique. J’ai toujours eu beaucoup de mal à savoir jusqu’à quelle distance le bang d’un petit objet comme de fusil pouvait être audible, sur des centaines de mètres certainement mais vraiment fort sur quelques dizaines de mètres.

Le problème est que ce  « bang » ressemble beaucoup  à celui de la détonation de départ, qui elle-même provoque une onde qui se déplace…à la vitesse du son. Pour compliquer le tout, le tir du même projectile va entraîner un troisième bruit : un sifflement provoqué par le cône de vide juste derrière la balle. Là encore, je ne connais pas la distance maximale pour ce sifflement (tous les avis experts seront appréciés).

Une balle provoque donc trois bruits dans l'air que nous baptiserons : TAC pour le claquement du bang, SI pour le sifflement et TO pour la détonation de départ. Après il y a bien sûr le bruit de l'impact, en espérant que celui-ci ne soit qu'à proximité. Retenez que si vous entendez des impacts, c'est que vous être relativement proche et que ceux-ci se confondront plus ou moins avec les TAC. Considérez les de la même façon pour comprendre la suite.

Ces trois bruits dans l'air peuvent être pollués par d’autres, des échos sur des bâtiments par exemple. Ils sont normalement assez caractéristiques et je n’en parlerai pas. En revanche, la connaissance des interactions des trois sons directs produits par une balle dans l'air constitue un paramètre important de la survie sur le champ de bataille. Imaginons quelques cas de figures.

Un tireur perché en haut d’un bâtiment à 600 m, et tire dans votre direction, pas très loin mais pas sur vous : vous aurez entendu successivement TAC et TO.

Si vous ne connaissez pas l’existence de l’onde de Mach et de TAC, vous le confondrez avec TO, la détonation de départ. Vous croirez qu’on vient de vous tirer dessus depuis un endroit très proche. Ce sera une erreur grossière, qui peut vous amener à des réactions dangereuses (vous poster et/ou riposter face à une mauvaise direction ; vous placer ainsi, immobile, dans une position où le tireur, contrairement à ce que vous pensez, vous voit toujours). Vous entendrez le deuxième bruit qui vient à vous, TO donc si vous suivez, mais vous le négligerez probablement car plus sourd et surtout plus lointain, vous le considérerez comme un autre tir (d'où les comptes-rendus qui annoncent bien plus de tirs et de tireurs qu'en réalité) nettement moins dangereux. Dans tous, les cas vous serez dans la confusion.

Si vous connaissez le phénomène, vous aurez compris qu’une balle est passée pas loin de vous et vous attendrez le TO (un bruit beaucoup plus sourd et qui se traîne à la vitesse du son) qui viendra un tout petit peu plus tard. Le décalage entre TAC et TO vous donnera un indice très grossier de la distance (n'oubliez pas que quand vous entendez le TAC, le TO s'est déjà déplacé). Retenez qu'avec un décalage d'une seconde environ vous êtes entre 300 et 600 mètres du tireur. Vous aurez surtout une meilleure idée de l'endroit où il se trouve. Vous pourrez donc réagir de manière plus judicieuse. 

Au passage, ne croyez pas comme le bang est puissant qu’il s’agit de munitions explosives, non c’est un bruit normal de projectile plein. C’est ce bruit fort et surprenant qui vous incite par réflexe à baisser la tête et les épaules, ce qui ne sert évidemment à rien car le projectile est déjà passé. Ce n’est pas tant l’habitude qui vous empêche d’avoir ce réflexe que l’attention. Si vous vous attendez à entendre ce bruit (ce qui, il est vrai, se confond souvent avec l’habitude), vous ne bougerez pas plus que ça. Sinon, surpris, même ancien, balafré et tatoué, vous sursauterez.

Si en plus vous entendez un SI juste après le TAC, cela ne change rien fondamentalement au phénomène sinon que vous savez que la balle est passée très près et que donc, information précieuse, c’est sans doute vous qui étiez visé. Rappelez vous alors qu’à cette distance, les deux secondes nécessaires à la balle pour venir à vous, vous permettent de faire plusieurs mètres. Si vous ne pouvez pas vous mettre à l’abri, bougez ! Vous pouvez même vous baisser. Vous réduirez considérablement la probabilité d’être touché.

Variante fréquente : vous pouvez entendre TAC, TAC, TAC, etc…puis TO ou même TO, TO, TO. Félicitations, vous êtes dans l’axe d'un tir en rafale ou d'une mitrailleuse. Dans  ce dernier cas, le calibre est généralement plus important, les claquements sont plus forts (jusqu’à devenir écrasants lorsqu’ils passent au-dessus de votre tête) et la distance des projectiles par rapport à vous peut-être plus importante. Le phénomène reste cependant le même. Il faut attendre la fin de la séquence et, encore une fois, l’arrivée du TO ou des TO pour avoir l’origine et la distance du tir. C'est même en général plus facile car vous avez plus d'informations. Vous entendrez deux séries de bruits, des TAC dans l'air ou sur le sol, les murs, etc. puis des TO et plus il y en a et plus le tireur est loin (le dernier TO correspond au dernier TAC). Au passage, si vous vous apercevez que deux séquences successives de TAC+ TO ne se ressemblent pas, vous pouvez effectivement dire à ce moment-là qu'il y a probablement deux tireurs. 

Petite particularité des tirs en rafales : vous pouvez aussi les voir arriver avant de les entendre (la lumière va plus vite que le son), de nuit bien sûr si le tireur n'est pas caché ou si les balles touchent quelque chose en allant dans votre direction. Dans un tir unique, hors ricochet malheureux, le choc va neutraliser la balle et vous ne serez plus menacé par elle (mais d'autres peuvent venir et vous êtes averti). Pour un tir en rafales en revanche, voir des impacts ne signifie pas la fin du danger. Pour de nombreuses raisons, les balles ont plutôt tendance à partir plus haut qu'on ne voudrait, le mitrailleur peut donc tirer sciemment trop bas pour corriger cela et savoir où il tire. 

Maintenant, vous ne pouvez entendre aussi qu’un seul bruit. Dans ce cas, soit, bonne nouvelle, vous n’êtes pas dans l’axe du tir (les TAC vont dans une autre direction et vous n’entendez que le TO, qui, lui, va dans toutes les directions) ; soit, et selon les situations cela peut-être une mauvaise nouvelle, vous êtes très proche du tireur et là tout se confond. Si vous n’êtes pas armé et que vous n’avez rien de particulier à faire dans le secteur, le mieux est de fuir.

mercredi 16 septembre 2020

Stress organisationnel et Reine rouge


Article complet dans Défense et sécurité internationale, n°148, juillet-août 2020

Le 23 mars 1918, la IIIe armée française est engagée en Picardie au secours de la Force expéditionnaire britannique (BEF). Les divisions d’attaque allemandes viennent de percer les lignes de défense et il faut donc les affronter hors de la zone des tranchées à la manière des combats de 1914. On s’aperçoit alors que l’infanterie française ne sait plus très bien combattre de cette façon. L’artillerie en revanche s’en sort beaucoup mieux et se réadapte très vite à ce nouveau contexte.

Cette différence s’explique par la présence parmi les artilleurs de beaucoup de vétérans des combats de 1914 qui savent se passer des «plans directeurs», des lignes téléphoniques et du réglage aérien. Il leur suffit de se souvenir des méthodes anciennes (4 ans !). Dans les bataillons d’infanterie en revanche, du fait des pertes terribles et des mutations, il n’y a quasiment plus personne à avoir connu cette époque, et beaucoup sont désemparés. La guerre se joue aussi dans le champ invisible de l’évolution du capital de compétences.  

Courbe de Yerkes et Dodson et Pratique opérationnelle

La courbe de Yerkes et Dodson (1908) décrit la relation entre le stress et la performance cognitive selon le même principe que la courbe de Laffer relative à l’impôt : trop peu ne stimule pas, trop ne stimule plus. Entre les deux pôles, on trouve l’«eustress» défini par le médecin autrichien Hans Selye comme la zone positive du stress, celle où on met en œuvre tous les moyens à sa disposition pour faire face à un événement donné, jusqu’au moment où une pression trop importante finit pour inverser le processus et devenir paralysante.

À la manière du biologiste et politiste britannique Dominic Johnson on peut établir un parallèle entre ce phénomène individuel et le comportement des organisations. Pour reprendre le cas de la Première Guerre mondiale, la période qui va de la déclaration de guerre jusqu’à la venue de l’hiver 1914 est l’occasion d’une transformation considérable de l’armée française. Il y a peu d’innovations techniques, sinon des adaptations rapides d’équipements militaires et civils déjà existants, mais il y a énormément d’innovations de structure, parfois de culture lorsque le regard a changé sur les choses (s’enterrer ou se cacher pour se protéger n’est plus honteux) et surtout de méthodes. L’ensemble de ces quatre axes interactifs forme la Pratique, c’est-à-dire ce qu’est réellement capable de faire une organisation.

Le contenu de cette Pratique augmente très vite, car l’écosystème «armée française» est très incité à innover et il associe trois qualités : l’absorbabilité des pertubations, une plus grande diversité (active, réservistes, armes différentes réunies au même endroit) et une plus grande connectivité (colocalisation, proximité, télégraphe, téléphone, automobile) qu’en temps de paix. Au bout de trois mois de guerre, l’armée française a plus changé que depuis le début du siècle. Elle reste ainsi sur le sommet de la courbe de Yerkes et Dodson avec des fortunes différentes suivant les spécialités. Si l’artillerie ne cesse d’accumuler des compétences, l’infanterie qui connaît un taux de rotation de son personnel (pertes et mutations) quatre fois plus élevé que l’artillerie a plus de difficultés à maintenir ses compétences. Comme en témoignent les difficultés de 1918, l’infanterie française est peut-être déjà en réalité sur la courbe descendante, lorsque le processus d’oubli est plus fort que celui de mémorisation.

Après les chocs des grandes offensives allemandes en mars et mai 1918, la grande surprise de l’époque est constituée par la prise par les Alliés en seulement deux semaines d’octobre 1918 de l’ensemble de lignes fortifiées regroupées sous l’appellation de «ligne Hindenburg», la même ligne qui avait résisté pendant la majeure partie de l’année 1917. Elle n’était simplement plus tenue par les mêmes hommes. En perdant ses meilleurs soldats pour former une armée offensive, l’armée allemande sur la position s’était appauvrie et fragilisée. C’est le phénomène de «sélection-destruction» décrit par Roger Beaumont dans Military Elites. L’emploi des divisions d’assaut allemandes de mars à juillet 1918 a dilapidé un énorme capital de compétences sans obtenir de résultats stratégiques décisifs, et lorsque survient la contre-attaque générale alliée, l’armée allemande qui lui fait face atteint rapidement son point de rupture et se désagrège en quelques semaines

Certaines campagnes sont purement cumulatives comme la bataille de l’Atlantique pendant la Seconde Guerre mondiale. La pression de la campagne sous-marine allemande stimule la Pratique alliée sans lui faire atteindre le point de rupture. Au bout du compte selon un processus darwinien, l’écosystème allié constitué initialement surtout de proies devient lui-même plein de prédateurs féroces : corvettes Flowers, porte-avions d’escorte, avions-traqueurs B-24 Liberator, destroyers, tous équipés de matériels de plus en plus sophistiqués comme les radars Type 27 ou les nouvelles grenades sous-marines et de mieux en mieux renseignés grâce au décryptage des codes allemands. Le perfectionnement et la production de sous-marins allemands est incapable de suivre le même rythme. Après 1942, le tonnage de navires marchands alliés coulés diminue régulièrement alors que le nombre de sous-marins allemands ou italiens détruits chaque mois quadruple de janvier 1942 à janvier 1943 et reste stable ensuite au rythme d’un toutes les 36 heures. Si la production de sous-marins permet de faire face aux pertes, il est beaucoup plus difficile en revanche de remplacer les équipages perdus. Ceux-ci sont de plus en plus novices alors qu’inversement toute la force anti-sous-marine alliée ne cesse de gagner en expérience et en efficacité. Le phénomène est inverse dans le Pacifique, où ce sont les sous-marins prédateurs américains qui ne cessent de gagner en efficacité et étouffent tout le transport maritime japonais.

La Reine rouge et les organisations armées

L’hypothèse de la reine rouge est proposée par le biologiste Leigh Van Valen et peut se résumer ainsi : l’évolution permanente d’une espèce est nécessaire pour maintenir sa place face aux évolutions des espèces avec lesquelles elle coexiste. Il s’agit en somme de bouger beaucoup pour pouvoir rester simplement à la même place comme le personnage de la Reine rouge dans Alice au pays des merveilles. Le stratégiste David Killcullen utilise cette métaphore dans The Dragons and the Snakes pour décrire le sentiment d’impuissance des grandes armées occidentales face aux organisations armées en particulier au Moyen-Orient, malgré l’énormité des efforts consentis et des innovations.

Il se trouve simplement que la plupart de ces organisations sont maintenues en permanence sur la partie haute de la courbe de Yerkes et Dodson. Killcullen prend l’exemple du Mouvement des Talibans du Pakistan (Tehrik-e-Taliban Pakistan, TTP) installé dans la zone tribale pakistanaise. Tous ses chefs depuis 2002 ont été tués par des drones américains, et immédiatement remplacés à chaque fois par un leader plus dur et expérimenté. Malgré, et peut-être donc à cause de, la pression américaine et pakistanaise le TTP n’a jamais cessé de monter en puissance.

Ces grandes organisations sont presque toutes structurées en centaines de groupes autonomes de la taille d’une section évoluant au sein de milieux difficiles. Ces groupes sous pression sont incités à innover, ils ont une bonne connectivité grâce à de nombreux liens aussi bien personnels, familiaux, tribaux, écoles, que techniques grâce aux moyens modernes, et une bonne absorbabilité grâce à la connexion avec de nombreux flux de ressources et notamment humaines. Ces organisations, en Irak par exemple pendant la présence américaine ou dans le Sahel, subissent des pertes sensibles mais pas assez pour être déstabilisées. Avec une moyenne de six à sept ans de service pour un militaire du rang français, on peut considérer que la plupart de ceux qui ont participé à l’opération Serval en 2013 sont déjà civils. Et depuis cette époque, très peu parmi eux ont passé au moins un an au Sahel. Pendant ce temps, la majorité des combattants djihadistes qu’ils ont eu en face en 2013, et dont plus de 80 % avaient survécu, sont restés sur place, ont accumulé de l’expérience et évolué plutôt par sélection et méritocratie.

Depuis sa création en 1982, le Hezbollah s’est transformé à plusieurs reprises face à Israël, mouvement clandestin, organisation de guérilla dans le Sud-Liban parvenant même à tuer un général israélien et surtout à obtenir le départ de Tsahal en 2000, armée structurée enfin capable de résister à nouveau à une grande offensive israélienne en 2006. À cet égard et assez typiquement, le remplacement en 1992 d’Abbas Moussaoui, premier leader du mouvement tué par les Israéliens, par Hassan Nasrallah a probablement plus renforcé le Hezbollah qu’il ne l’a affaibli. De la même façon, dans la bande de Gaza, le Hamas de la guerre de 2014 était plus fort que celui de 2008, malgré les multiples attaques qu’il avait subies entre temps. L’État islamique en Irak puis Hayat Tahrir al-Sham en Syrie sont des versions améliorées du système des filiales d’Al-Qaïda qui représentait lui-même des adaptations à la réponse américaine aux attaques du 11 septembre 2001.

Il est significatif que les quelques exemples de destruction d’organisations armées, guérilla en Tchétchénie en 2009, Tigres Tamouls (Liberation Tigers of Tamil Eelam, LTTE) au Sri Lanka en 2009 également ou l’étouffement de l’État islamique en Irak (EEI) en 2008 n’ont pu être obtenu que par des déploiements de force considérables de «prédateurs». Dans le dernier cas, la victoire n’a pu être obtenue que grâce à l’engagement de 160000 soldats américains, de presque autant de membres de sociétés privées et de soldats de la nouvelle armée irakienne. Il y a eu aussi et peut-être surtout 100000 supplétifs irakiens, dont beaucoup d’anciens adversaires. Les soldats américains de 2007, et même les autres, n’avaient plus grand-chose à voir avec ceux de 2003, les innovations en tous genres s’étant multipliées. La Pratique américaine de contre-insurrection a fait autant de progrès en quatre ans que celle de la lutte anti-sous-marine pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ce n’est qu’au prix de cet effort énorme de «prédation» qu’il a été possible d’arrêter de stimuler les organisations armées et de les faire basculer au-delà du point de rupture. Cela a eu un coût énorme mais au bout du compte moindre sur la durée qu’en laissant l’ennemi au sommet de la courbe de stimulation. D’un autre côté, si les intérêts vitaux ne sont pas en jeu, une bonne stratégie en position asymétrique peut simplement consister à ne rien faire ou se contenter de parer les coups du «faible» et d’attendre que ses faiblesses structurelles, en espérant qu’il en ait, fassent le reste. En d’autres termes, face à des structures politico-militaires particulièrement résilientes et apprenantes, la « guerre à demi » ne donne que des résultats médiocres, au mieux le sur-place de la Reine rouge. Si on ne veut pas engager des prédateurs adaptés au milieu et en nombre élevé, il vaut mieux s’abstenir.

Hans Selye, Le Stress de la vie : Le problème de l’adaptation, Gallimard, 1962.
Dominic Johnson, “Darwinism Selection in Asymmetric Warfare: The Natural Advantage of Insurgents and Terrorists”, Journal of the Washington Academy of Sciences, Vol. 95, No. 3, Fall 2009, pp. 89-112.
Lance H. Gunderson (dir.), C. S. Holling (dir.), Panarchy: understanding transformations in human and natural systems, Edited with L. Gunderson, (editors) Washington, DC: Island Press, 2002.
Roger Beaumont, Military Elites, Robert Hale and Company, London, 1974.
Leigh van Valen, A new evolutionary law Evolutionary Theory, Vol. 1, 1973.
David Killcullen, The Dragons and the Snakes: How the Rest Learned to Fight the West, C. Hurst & Co Publishers Ltd, 2020.
Dominic Johnson, “Darwinism Selection in Asymmetric Warfare: The Natural Advantage of Insurgents and Terrorists”, Journal of the Washington Academy of Sciences, Vol. 95, No. 3, Fall 2009, pp. 89-112.
Stanley Mc Crystal, Team of Teams: New Rules of Engagement for a Complex World, Penguin, 2015.