De la période Fort Lamy 1960 à N’Djamena 1975…
Le Tchad (1) occupe une place à part dans
l’histoire des colonies françaises au XXe siècle. En été 1940, alors
que la métropole et l’empire colonial français apprenaient les paroles de « Maréchal nous voilà », cette
colonie rejoint la France Libre du Général de Gaulle. C’est en effet, sous
l’impulsion de son gouverneur Félix Eboué (d’origine guyanaise) que ce
territoire se tourne vers « l’homme du 18 juin ». Cette particularité
historique est renforcée par le départ de Fort Lamy (2) de la première
opération militaire de l’embryon des Forces Françaises Libres. En effet, un
colonel (un des rares qui veut continuer la lutte contre le vainqueur allemand
en rejoignant de Gaulle) à la tête de tirailleurs sénégalais (en fait, des
Tchadiens du sud de la tribu Sara), se lance en janvier 1941, dans un raid
suivi d’un coup de main sur une garnison italienne du Fezzan (au sud de la
Libye). Il s’appelait Leclerc et la saga du ‘’serment de Koufra ‘’ démarrait.
En septembre
1958, l’approbation par referendum de la
Ve République, permet « en douceur » l’accession à
l’indépendance des colonies africaines (AOF & AEF). La Communauté française
qui se veut un « Commonwealth » à la mode de Paris, cherche à régir
les relations entre l’ancienne puissance coloniale et ces nouvelles nations à
la négritude affirmée (Expression du normalien, Léopold Senghor futur président
du Sénégal).
La « guerre
froide » opposant les pays occidentaux aux pays communistes va s’étendre
sur le continent africain. Une politique du « pré carré » au sud du
Sahara s’établit dans l’esprit des dirigeants de notre pays. Avec en devanture,
un ministère de la coopération, un management à l’Elysée (3) et « en arrière boutique », une caserne
sise boulevard Mortier, sans oublier une petite compagnie aérienne(4)…Quelques années
plus tard un mot résumera ces relations : Francafrique, l’auteur de ce
néologisme ? Félix Houphouët Boigny, (ancien ministre de la IVe
& Ve République), devenu président de la République de Côte d’Ivoire.
1960, Indépendance du Tchad.
Ce pays, le
Tchad est le quatrième plus grand pays du continent africain (Superficie 1 285
000 km 2). Il s’étend entre le 5e parallèle de latitude Sud et le tropique du
Cancer. Le Tchad possède, dans son fantastique étirement longitudinal, des
frontières d’une grande linéarité (5). A l’intérieur, une population autour de 10 millions d’habitants (espérance
de vie 48 ans, PIB 240 $). La diversité tchadienne est représentée par des
variétés ethniques (plus d’une centaine) ; aucune ethnie n’est majoritaire
et le nombre exact de dialectes ne peut être connu avec exactitude. Parmi les 13 langues dont 18 sont parlées par
50 000 locuteurs, il y a le français et l’arabe tchadien (6). Trois
religions - musulmane, animiste et chrétienne (catholiques/protestants) -,
cohabitent, mais les antagonismes entre nomades du Nord (les seigneurs du Dar
el Islam) et les sédentaires du Sud du Dar el Abid (= pays des esclaves) ont
tendance à ressurgir, après un demi-siècle de paix coloniale (7).
1965, « Une
jacquerie »…
Les populations
du Guéra se soulèvent contre un emprunt forcé payable en bétail et le
quadruplement de la « taxe civique » d’où :
* Tueries d’une dizaine de fonctionnaires (originaires du Dar el Abid),
* En
représailles, l’Armée Nationale Tchadienne (ANT) rase plusieurs villages (8)
1966, cristallisation
de l’opposition, un mouvement armé, le Front de Libération National (FROLINAT) est
créé. Ce mouvement rassemble les musulmans du Nord et du Centre-Est, mais
également des opposants de toutes régions influencés par le nassérisme.
1968, Les
Toubous-Goranes, grands nomades chameliers de la vaste région du B.E.T. (Borkou,
Ennedi, Tibesti = 45% du territoire) sont en rébellion ouverte (9). La
dissidence est là.
Ces troubles
préoccupent de Gaulle pour qui, le Tchad, a valeur d’un haut symbole (1940 :
Le début de la France Libre).
Au mois d’août
1968, une opération ponctuelle est déclenchée contre une mutinerie des Toubous
de la Garde nationale ; un élément de la 11e Division
Parachutiste avec une petite force aérienne stationne à Bardaï pendant deux
mois. Sans combat, on dégage le préfet, un colonel tchadien, d’une très
mauvaise posture.
En mars 69, le président François Tombalbaye
(10) fait appel à la France, lors de sa rencontre avec M. Foccart ;
celui-ci analyse la déliquescence de l’état tchadien et…la menace soviétique
qui se pointe du côté du Congo Brazza. En avril 1969,
sous l’impulsion de l’ambassadeur de France (M. Wibaux), une mission de réforme
administrative (MRA) commence à œuvrer pour épauler les fonctionnaires
tchadiens. On n’oubliera pas le côté militaire avec l’envoi de 600 conseillers
dans le cadre d’une assistance militaire technique (AMT) à l’Armée Nationale
Tchadienne (ANT).
En métropole, le
monde politique se prépare au référendum sur la régionalisation (et sur la
suppression du Sénat…). Le « non » l’emportant pour la première fois,
le premier Président de la Ve République démissionne ! Georges
Pompidou est élu, on change les meubles à l’Elysée et la France, en cet été 69,
se débride… M. Foccart de la cellule élyséenne est toujours là, et il convainc
le nouveau Président d’envoyer au Tchad des unités de professionnels, « sans
le claironner ». De toute façon, l’opinion publique n’en n’a que
faire ; pour les Français d’après mai 68, l’armée se résume à la
« bombe atomique ». Il y a bien le service militaire, mais cela
intéresse que les parents des conscrits
« non pistonnés » qui, durant 16 mois (et bientôt 12 mois), vont
goûter aux frimas de la ligne bleue des Vosges et à la vie du rail nocturne. Dans
les transistors et les premiers autoradios, les « tubes »
s’enchaînent ce qui permet aux Français de fredonner des airs « peace
& love » : « La Californie. Wight is Wight » et autres
« je t’aime, moi, non plus ». Les « Trente glorieuses » de
notre société occupent les esprits.
L’engagement
En renfort d’un
Régiment Inter Armes Outre-Mer (6e RIAOM) stationné sur cet immense
territoire, les légionnaires parachutistes du 2e REP sont déployés. De son côté l’Armée de l’Air
positionne sur la Base aérienne 172 de Fort Lamy :
~ Une dizaine d’avions Nord 2501 (un Transall C160
en présérie viendra effectuer des détachements), une douzaine d’hélicoptères H34
Sikorski cargos dont deux « Pirate »
armés d’un canon de 20m/m et trois hélicoptères de liaison Alouette II. L’unité
prendra le nom de Groupe Mixte de Transport
(GMT 059).
~ L’appui feu
aérien verra l’arrivée de cinq Skyraider AD 4 N venant de l’entrepôt de
Châteaudun (EAA 1. B.A. 279) et quatre autres AD 4 N de l’escadron 1/21 de
Djibouti. Ils sont accompagnés par un Breguet 765 Sahara transportant les mécanos et le matériel technique. Ces deux flight qui avaient décollé de deux bases
quelque peu éloignées se posent à Fort
Lamy le 3 septembre 68, à cinq minutes d’intervalle ! Après avoir reçu
leurs munitions, ils décollent pour Faya-Largeau, (situé à 1000 km au nord).
Dès le lendemain un détachement se pose à Bardaï. A Aozou, où les Toubous
encerclent cet oasis (11) le poste de l’ANT respire grâce à l’intervention au
sol du 6° RIAOM avec l’appui des AD-4N.
A ces deux
composantes s’ajoute un embryon de force aérienne tchadienne, composé de cinq
DC3 Dakota et de trois MH 1521 Broussards (en 1970, un Cessna 337
« push-pull » dotera le parc avions de « La Tchadienne »). Les
pilotes et mécanos sont détachés de l’Armée de l’Air (12). La mise en place
d’une base avancée à Mongo est décidée (13) et la constitution de dépôts de barils
de carburant stocké dans les postes isolés tenus par l’A.N.T. Résultat, les
pleins se font à la pompe à main Japy ! Les équipages et mécanos ouvrant
invariablement la séquence « Shadocks »
(14). Le grand voisin du nord - avec sa façade méditerranéenne et ses futures
réserves d’or noir -, a un vieux roi. Dans la nuit du 31 août au 1er
septembre, la Libye se trouve un jeune leader (27 ans). Sous l’œil
bienveillant du « Raïs » égyptien (le colonel Nasser), un certain
Mouammar Kadhafi prend le pouvoir, sans effusion de sang (ce qui va changer
quelques années après…).
« On ne
fait pas la guerre au caillou (Tibesti) »
Tel aurait pu être l’axiome sur lequel le général français désigné pour
commander cette intervention, aurait dû s’appuyer…Pour deux raisons
géographiques :
- La faiblesse du
peuplement dans ce Borkou-Ennedi & Tibesti (B.E.T.) ,
- L’éloignement et les
rares voies d’accès…
Mais ce
commandant des éléments français, refait des opérations de pacification (du
style maintien de l’ordre en Algérie
avant l’arrivée du Général Challe) avec en appui (ou en secours…) «
l’aviation ».
Seulement voilà,
les avions AD4 N sont des grands consommateurs d’huile (15 litres/heure)
et les possibilités des voilures tournantes ne sont pas sans limites. Les
causes en sont, les distances (le territoire tchadien c’est deux fois et demie la France) et les conditions climatiques (Chaleur d’où
une portance moindre, poussières et
sables s’infiltrant partout). On tente d’innover dans l’appui aérien des
troupes au sol, fin janvier 1970, un Nord 2501 du CEAM arrive de Mont de Marsan
et se pose à Faya. Ce Nord POM (15) est armé de deux canons …
A terre, les
opérations consistent à supprimer chaque fois les menaces contre les postes
tenus par l’ANT, par des interventions localisées et temporaires, donc sans
suites positives…Une série d’accrochages, parfois meurtriers, (et parfois
accompagnés de destruction de palmeraie et de troupeaux) remplissent les
cahiers de marche et les propositions de citation pour la « V.M. »
(16)…Résultat, les Toubous-Goranes - qui avaient entretenus (pendant quarante
ans) des relations respectueuses et dignes avec des cadres coloniaux (militaires
français) -, deviennent de farouches ennemis ! Le nom de Goukouni Weddeye,
fils d’un chef traditionnel Toubou ( « Derdé »), commence à se
prononcer dans les oasis ...
Bédo le 11 octobre 1970
Une compagnie
para (la 6e CPIMa) - de retour d’une de ces interventions et se
dirigeant par camion (Dodge 6x6) vers l’oasis de Faya Largeau (chef lieu du
B.E.T.) -, tombe dans une embuscade tendue par les Toubous. Ceux-ci ont monté
ce guet- apens non prévu par le T.T.A. (17). En effet, les Toubous sont
positionnés de part et d’autre de la piste et au milieu de nulle part … Armés
de trois Fusils Mitrailleurs Bren, de
fusils Enfield 303 et de carabines Statti ces fiers guerriers des sables
ont fait, malheureusement, un bilan impressionnant : 11 paras tués !
Et 25 blessés.
Au mois d’août 2008, après l’embuscade meurtrière d’Uzbeen (Afghanistan)
le nom de Bédo a resurgi. Le plus grand hebdomadaire de l’époque, Paris Match
dans son n° 1120, sort en double page la photo des onze cercueils alignés sous
l’ombre parcimonieuse des eucalyptus du camp Dubut à Fort Lamy, avec en
titre : « Mort au Tchad : Mort sans nom ! ». L’opinion
publique découvre avec stupéfaction que l’Armée française se bat en Afrique, 8
ans après la fin de la Guerre d’Algérie… alors que la théorie de riposte
nucléaire fait florès dans les milieux autorisés. La France s’émeut.
Le lettré
Georges Pompidou ne trouve pas de concetti pour tenter de contrecarrer un des titres de la presse : « Une
guerre qui n’ose pas dire son nom ».Il y a bien un ministre qui s’empresse
de déclarer que « ce sont des engagés… », pour essayer d’endiguer la
réminiscence douloureuse des retours de cercueils des soldats du contingent
tués lors des « opérations de maintien de l’ordre » en Algérie. Pas
de cérémonie aux Invalides, pas de décret présidentiel attribuant la Légion
d’Honneur à ces soldats morts pour la France…Et puis l’actualité chassant
l’actualité, le 9 novembre 70 : « Le Général de Gaulle est mort, la
France est veuve » (début de la déclaration présidentielle à la
Télévision).
Le commandement
positionne deux avions AD4 N en permanence à Faya- Largeau et par un prompt renfort le nombre de « Sky » passe de 6 à 9 sur ce
théâtre d’opérations tchadiennes. L’E.L.A 1/22 Ain se voit attribuer un insigne ‘’Le Ramel ‘’ (rapace d’Afrique).
On fait appel à l’Aéronavale…Le Porte-avions Foch de passage au large de
Douala, (port camerounais, mais également ouverture maritime pour le Tchad et
la R.C.A.) laisse sa Flottille d’hélicoptères HSS 1 (Sikorsky S58), ceux-ci
rejoignent Faya Largeau, fin décembre 70. (18)
En 1971, le FROLINAT est
reconnu par le colonel Kadhafi, mais ce soutien ne s’accompagne pas de
livraisons d’armes modernes. L’intervention
perdure, sous une appellation : Opération Limousin ; cela fleure bon
la province, mais cela cache 13 engagements qui se sont succédées (entre
novembre 1969 et octobre 1970). Les accrochages « égrènent » les tombés au champ d’honneur, parmi
ceux-ci un Médecin-Commandant et puis, le fils du général commandant les
troupes françaises.
* Le détachement
de l’ALAT avec ses Piper-tri-Pacer est à l’épreuve, résultat : un de ses
appareils est abattu du côté d’Amdagachi et trois membres d’équipage tués. Les
avions et hélicos décollent des pistes « dakotables »
comme, Am Timan, Bardaï, Bilkine, Fada, Faya, Melfi, Mongo, Ounianga Kébir, Oum
Chalouba, Zouar, etc. Les carnets de vol s’enrichissent des noms d’opération
tels que : Améthyste, Ephémère,
Criquet, Crocodile, Hyène, Caniche, Moquette, Cocker, Lévrier, Griffon, Setter,
Picardie, Bison alpha etc.
Pour le
personnel (non volontaire) du GMT 059, le séjour dure 9 mois sans permission en
métropole, seuls quelques jours de détente à Douala et sur la B.A 172 sont au
programme : c’est rude et aporétique par rapport à leurs homologues - volontaires
« OM » affectés pour 18
mois -, de la B.A.172 de Fort-Lamy. Dans
cette garnison, les aviateurs de la base vivent l’ambiance du « bon temps
des colonies » très loin des accrochages et des bivouacs avec lits picots
à l’ombre des kékés.... Cette analogie
permet de renforcer l’esprit de corps du détachement de voilures tournantes du
GMT 59.
Toutefois dans
cette capitale, la luxuriance africaine ne fait pas partie du paysage, et
l’EMAA ayant décidé que les épouses étaient « persona
non grata », le soir, il n’y a pas la quiétude retrouvée d’un foyer
familial. Après quelques « mazout » (19), pour le « nassara »
la magie des nuits africaines se distillent…
L’Armée Nationale
Tchadienne est dorénavant encadrée (grâce à l’AMT) et des officiers commandos
zaïrois (eux-mêmes instruits par des Israéliens) donnent un vernis offensif. Le
général français quitte le Tchad, en déclarant que « seules quelques bandes de brigands sont encore à
l’œuvre »…
Fin 1972, Tombalbaye,
inspiré par le maréchal Mobutu président du Zaïre (ex Congo Belge), se lance
dans un programme « d’authenticité africaine ». Il invente une
religion et préconise le Yondo (phase d’initiation des jeunes tchadiens), le
Vaudou arrive par des conseillers haïtiens, les prénoms doivent retrouver une
origine africaine (lui-même change son prénom François en Ngarta) et la
capitale Fort Lamy devient N’djamena, le 7 septembre 1973. Les ministres et
autres hauts fonctionnaires adoptent le costume zaïrois ce que traduit le
franco-tchadien par l’expression « abacoste » (à bas le costume
cravate).
Début de la
période N’Djamena…
En 1973, le président
tchadien Ngarta Tombalbaye - sous l’influence de ses conseillers haïtiens -,
desserre les liens avec la France et noue des relations avec le Soudan et la
Libye. En échange de l’arrêt du soutien au FROLINAT, Tombalbaye cède aux
Libyens, la bande d’Aozou (l’équivalent d’un cinquième de la France).
Les autorités
françaises n’en prennent pas ombrage. Le bouillant colonel Kadhafi a une côte
sympathique du côté des médias parisiens et des…industriels de
l’armement ; les commandes étant payées cash ! Grâce à l’argent du
pétrole (20). Le Président Pompidou reçoit le leader libyen à Paris, le
résultat de cette visite officielle : la vente de 32 Mirages F1 (avec à la
clé la formation des pilotes et le soutien technique) (21).
Pierre Messmer
vient de succéder comme Premier Ministre à Jacques Chaban-Delmas ;
l’ancien ministre des Armées du Gal de Gaulle (nommé en février 1960 au moment
des ‘’ barricades ‘’ d’Alger) ne veut pas que les militaires français revivent
le syndrome de la fin de l’Algérie française dans ce grand bac à sable qu’est
le Tchad… Seule la trouée de Fulda (en R.F.A.) et le plateau d’Albion (en
Provence) doivent être « dans le visuel » de tous gradés !
L’Armée
française se retire officiellement et la Base Aérienne 172 n’existe plus en
tant que telle.
Après plus de
21 000 heures de vol pour « ses
grises » et 14 000 pour ses voilures tournantes, le GMT 059 - avec ses
pilotes, ses radionavigants, ses mécaniciens, ses armuriers & commandos tireurs
embarqués -, « plie les
gaules » sans tambour ni trompette. Durant cette première période tchadienne,
cette unité aérienne n’a eu à déplorer aucun tué et ce malgré des missions
limites, dans un environnement hostile et parfois avec une ferraille ambiante
qui avait impacté les carlingues des Nord 2501 et des H34 Sikorski.
« L’humilité étant l’antichambre de toutes
les vertus » on se doit d’écrire, que les membres d’équipage de
ce GMT ont su adapter un savoir-faire opérationnel au contexte de ce conflit
type « feu de brousse »…Sans
oublier le travail des mécanos qui ont assuré le soutien technique dans des
conditions assez éloignées des règles appliquées au bord de la Soubise (B.A.
721) et du lac du Bourget (B.A. 725) …Du côté de l’ELA 1/22 Ain, au retour de
missions d’appui feu, les « Ramel »
peints sur le capot moteur des AD-4N se sont fait parfois des frayeurs lors des
atterrissages (22).
La France
continue à soutenir le pouvoir à N’djamena d’une manière qui se veut discrète.
Un colonel « baroudeur de la colo » est désigné comme conseiller du
Gal Malloum et l’Assistance militaire est toujours là. Le parc aérien de « La Tchadienne » se voit
doter des 6 AD4 N ; ils sont pilotés par des contractuels français (23).
1974, le 2 avril, le Président
Pompidou meurt. La France démarre une campagne électorale.
Au Tibesti, le
FROLINAT avec Goukouni Weddeye, voit l’émergence d’un gorane, Hissène Habré (24).
Voyant que Kadhafi a traité avec le pouvoir de Tombalbaye, Habré – malgré (ou à
cause de…) ses « humanités parisiennes et ardennaises »-, a l’idée
d’un enlèvement d’Européens. Du côté de Bardaï, il y a un médecin allemand et
sa femme, un coopérant français et une ethnologue /archéologue (Mme
Claustre est l’épouse d’un français œuvrant à la MRA de N’djamena) : Un
besoin d’argent et d’armes justifiant ce rapt « ces « Kirdis (25) »
feront l’affaire» !
21 avril 74, une
première mondiale : L’émergence de l’otage médiatisée…
Durant ce
rezzou, la femme du médecin est tuée, ce qui incite les autorités allemandes a
payé la rançon, le « Azst /daktor » est libéré. Quant au coopérant
français otage, il est utilisé comme chauffeur/mécano par les rebelles Toubous
(26), quelque mois après, il en profite pour s’évader.Seule otage restant,
l’ethnologue française. La France est en pleine campagne présidentielle et les
tentatives de négociation traînent quelque peu…Valéry Giscard d’Estaing est
élu, il a 47 ans ; « VGE » se débarrasse des vieux de la cellule
africaine de l’Elysée celle-ci sera dirigée par René Journiac. Un nouvel élan
est donné à la « Francafrique » à la manière giscardienne. Les médias
français s’emparent de l’affaire de l’otage. Lors d’un reportage de « Cinq
colonnes à la une », la France profonde est affectée à la vue de Françoise
Claustre pleurant, seule assise à même le sable de l’immense désert tchadien.
Le 11 septembre
un Mirage IV décolle de Bordeaux Mérignac mission : Reconnaissance longue
durée dans le nord du Tchad. C’est une première pour ce vecteur de la première
génération des F.A.S. il est équipé d’un pod CT-52, de brouilleurs CT-51
Espadon. Cinq ravitailleurs C-135F sont requis pour ce vol. Le 14
septembre : « Rebelotte »
(nom de cette seconde reco. stratégique). A Paris, on accepte la demande de
Tombalbaye d’envoyer un officier français (conseiller sécurité à N’djamena)
comme négociateur auprès d’Hisséne Habré. Le 23 août, Pierre Claustre, le mari
a rejoint son épouse et Habré possède tous les atouts dans cette partie de
poker menteur… une exécution des otages est annoncée !(27)
1975, l’Harmattan, ce
vent historique du nord, va continuer à souffler, mettant à rude épreuve les
esprits. En avril, le Gal Félix Malloum devient président après que Ngarta
Tombalbaye ait été assassiné. Pas d’émotion à Paris, on doutait de plus en plus
de ses capacités à gouverner…Le général président Malloum s’empresse de
dénoncer l’accord avec la Libye.
Quant à l’armée tchadienne, elle monte des
opérations au centre et à l’est du pays, les Pumas de l’ALAT assurent le
transport au plus près des accrochages, comme durant l’opération Koro et
d’autres gesticulations de l’ANT. Le pire est parfois évité et la relation de
ces accrochages n’arrive pas aux médias ; ceux-ci sont accaparés par le
départ des Américains de Saïgon, les vietnamiens communistes sont vainqueurs et
le terme de « boat people » va faire la une des journaux.
Dans le nord,
Habré fort de ses otages réclame de Paris une livraison d’armes (la demande se
chiffre à 17 tonnes !). Le SDECE va organiser cela, des vieux stocks du temps du Biafra (1967/68) sont disponibles.
Un vol de DC4 se fait entendre pas très loin de l’Emi Koussi (volcan éteint du
Tibesti), mais Habré/ Weddeye sont exigeants sur la qualité des armes
livrées ! Les otages traînent leurs solitudes et en France l’opposition
s’indigne et les rumeurs et autres ragots trouvent un terreau favorable.
Le 25 septembre
1975, du côté d’Aouzou, un Transall se pose sur un terrain des plus sommaires…Moteurs
tournant, par la tranche arrière un civil en descend, il a, à la main une
mallette. Louis Morel, (ancien préfet des Ardennes et ancien directeur des RG) va
remettre 4 millions de Francs (environ 700 000 €) à Habré. Malloum, après
avoir appris qu’une rançon et des armes ont été livrées, exige le retrait de
tous les militaires français. Le 27 octobre 1975, le dernier soldat français
quitte le Tchad. Dans l’indifférence générale. Mais la saga des ailes
françaises au Tchad allait perdurer en ce XXe siècle finissant et en
ce début du XXIe…
Cdt (h) Bernard Lart
(1) Ce nom viendrait du
mot lac que l’idiome - utilisé par les nomades arabes du nord -, traduit par
« lû sad » ou « chad ».
(2) En mars 1900, Fort
Lamy a été fondé par Emmanuel Gentil. Cette agglomération - qui se construit
sur la rive droite du Chari -, prend le nom du Commandant Lamy, tué quelques
jours auparavant dans la bataille de Kousseri. A l’issue de cet affrontement,
le chef des forces autochtones, le sultan esclavagiste Rabah fût décapité.
(3) La cellule
africaine avec une éminence grise (Jacques Foccart) au service du Gal de
Gaulle, mais pas éminence grise du général…
(4) Siège parisien du
Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE deviendra
DGSE en 1981) qui possède une unité aérienne (ELA 1/56 Vaucluse stationné
depuis 1967 sur la B.A.105 Evreux).
(5) Quoique certains
décrochages permettent de penser que l’appétence à une boisson – l’absinthe -
en vogue dans les années 1920 a pu contrarier quelque peu les visées du
théodolite…
(6) Ou arabe « choa ».
Le franco-tchadien est l’autre langue véhiculaire.
(7)Cette rivalité
ancestrale, on la retrouve dans tous les pays du Sahel
(Mauritanie/Sénégal ; Niger, Soudan & Mali…)
(8)Le chef de l’ANT, le
Gal Félix Malloum avait baptisé ce genre d’opération :
« Carbonisation » ! Vous avez dit humour noir ?…
(9)D’après le colonel
Jean Chapelle auteur d’un livre intitulé ‘’Le peuple tchadien ‘’ (édition
Harmattan 1980), le Toubou est un
« razzieur » redoutable par sa technique ancestrale et sa rusticité
saharienne.
(10) De l’ethnie Sara
converti au Protestantisme (Baptiste).
(11) Cette mise en place d’aéronefs préfigurait-elle les futurs
interventions de l’Armée de l’Air sur la Mauritanie, la Libye et dernièrement
le Mali, on peut le penser…
L’AD4 N avait un moteur de 2700 cv , celui-ci souffrait beaucoup dans
l’air siliceux du Tchad, le résultat était : un changement au bout de 300
heures de vol. L’armement du « Sky » était de 4 canons de 20 m/m, 12
roquettes T10 ou 12 bombes de 250 lives.
(12) A l’exception d’un
sergent pilote tchadien, le reste du personnel est français jusqu’en 1984.
(13) Dans cette grosse
bourgade du centre du pays, l’acteur de cinéma Georges Marshall avait fait
construire des boukarous (construction circulaire avec un toit conique en
chaume) pour héberger les riches amateurs de chasse aux gros gibiers. Le D.I.H Air s’y installa.
(14) Série TV en vogue
à partir d’avril 1968. « Les Shadocks, mais qu’est-ce qu’ils font ?
Ils pompent évidement ».
(15) Nord POM comme Police d’Outre-mer : Cet
euphémisme serait-il une recherche dans la discrétion? Avec deux AME 621 Oerlikon de 20
m/m montés sur affût aux portes latérales et la partie avant dotée d’une plaque
d’une tonne de blindage ( afin de protéger l’équipage), cette
« Grise » armée ne produit pas d’essais concluants, ses domaines de
tirs sont limités. Fin février, ce Nord Pom retrouve l’air humide des Landes.
(16) Le 13 novembre 1968, le ministre de la Défense ouvre la possibilité
de décerner la Croix de la Valeur Militaire au personnel servant au Tchad.
Aucune médaille commémorative n’est prévue: En effet, c’est sous la
présidence de Valery Giscard d’Estaing que la médaille coloniale se transforme
en médaille Outre-mer avec une agrafe Tchad et ce en 1979.
(17) Texte Toutes Armes qui réglemente toutes les
missions et autres fonctions, dans l’Armée de Terre.
(18) En mars 1971, la 33e F retrouve le pont d’envol du Foch.
Bilan des « marins du ciel » : Un hélico détruit (l’autre étant
quelque peu abimé) lors d’une opération de « sling » pour changer le
moteur d’un HSS1 en panne. A Mongo, dans les rangs des mécanos H34 qui, depuis plus d’un an, utilisent le palan
(voir un tronc de palmier) pour changer « à bras ferme » un moteur
défaillant, on sourit quelque peu…
(19) Chaque conflit où l’Armée française a été impliquée génère des
mots et expressions particulières; pour le Tchad, on relèvera entre
autres: le « Mazout » (Coca-cola avec whisky), « la Gala » (marque de bière
locale), « le kéké » (arbuste épineux) et le « Golo »
(habitant du Tchad).
(20) En octobre 1973, les pays pétroliers
regroupés dans l’’OPEP décide de multiplier par quatre le prix du baril de
pétrole.
(21) Ce qui a permis à
certains sous-officiers & officiers à la roue dentée de vivre ‘’une pré-retraite
‘’ sur les côtes méditerranéennes de la Tripolitaine.
(22) Dans cette escadrille, on déplore un pilote
tué en février 1969, son avion avait percuté la mer, lors d’une démonstration
au large de Libreville (Gabon).
(23) Le
Gabon d’Omar Bongo mettant la « main à la poche ». Les autres Skyraiders
retrouvant la météo dunoise (B.A 279) et certains seront donnés au Cambodge.
(24) Hisséne Habré -né en 1942 à Faya -, est
remarqué par « les alphabétiseurs » et
il devient « bagagé ». Un officier français servant comme méhariste l’envoie en
France. Etudes à Paris et un stage à la ‘’préfectorale ‘’ (Sous-préfecture de
Sedan). Ce passage en métropole le confirme dans sa vocation d’administrateur
et…d’honorable Correspondant du SDECE.
(25) Kirdi,
mot arabo-tchadien pour désigner les non-musulmans.
(26) La
pauvreté de ces rebelles du FROLINAT se traduisait par un manque de chauffeurs
et un parc de véhicules très modeste (3 Land Rover) ; avec une partie de la
rançon, ils ont pu acquérir un Santana (version ibérique du Land) et surtout se
faire livrer de la nourriture (pâtes alimentaires, sucre, sel) pour ne pas
vivre sur le dos des quelques habitants du B.E.T. et éviter ainsi les
dénonciations…
(27) Funeste
initiative. Pendant huit mois, l’officier français est retenu prisonnier par
les Goranes d’Habré. Voyant qu’il va être exécuté, il demande à être fusillé.
Refus du tandem Weddeye / Habré ; ils font procéder à la pendaison. Cet
officier français s’appelait Commandant Pierre Xavier Galopin.