dimanche 26 août 2012

O'Connor et le principe de Diagoras



Série Leadership troopers

La campagne militaire britannique la plus brillante de la Seconde Guerre mondiale a eu lieu du 8 décembre 1940 au 7 février 1941 en Afrique du Nord. Partant de Marsa Matrouh, en Egypte, une petite force de 40 000 hommes est parvenue à détruire l’armée italienne qui avait pénétré en Egypte, à s’emparer des forteresses de Bardia et Tobrouk et à pénétrer enfin en Cyrénaïque en franchissant 250 km dans le désert au Sud du Djebel Achdar afin de couper la retraite ennemie le long de la route littorale.  L’offensive s’est arrêtée au sud de Benghazi, à 800 km de la ligne de départ. A ce moment-là, la Western desert force avaient fait 130 000 prisonniers italiens alors qu’ils ne totalisaient eux-mêmes que 1 800 tués, blessés et disparus.

Le plus étonnant dans cette campagne est peut-être que celui qui l’a préparée et conduite, le général Richard O’Connor, est resté inconnu. Deux raisons peuvent expliquer cette anomalie : il n’a jamais, à l'instar d'un Rommel ou d'un Montgomery, organisé sa publicité et, surtout, il a été capturé le 6 avril 1941, complètement par hasard par une troupe allemande égarée. Le meilleur général britannique du moment a ainsi disparu de l’Histoire pour n’y réapparaître que modestement après son évasion d’un camp en Italie à la fin de 1943. Il a ensuite commandé le VIIe corps d’armée britannique en France de juin à novembre 1944 mais sans renouer avec les succès éclatants. A ce moment-là, même son opération en Libye était devenue l’ « offensive Wavell » du nom de son supérieur hiérarchique.

Le général O’Connor est ainsi une parfaite illustration du principe de Diagoras, du nom de ce philosophe grec athéiste à qui on montrait des peintures de naufragés en prière comme preuve du pouvoir salvateur de la foi et qui répondit qu’il ne voyait nulle part les images de ceux qui avaient prié et s’étaient noyés quand même.

A côté des chefs militaires les plus célèbres, il y a eu aussi de nombreux noyés de l'Histoire tout aussi brillants sinon plus mais qui ont échoué car la qualité première d’un leader est encore la chance. Rommel est infiniment plus connu qu’O’Connor alors qu’il a mené lui aussi de nombreux déplacements téméraires sur le champ de bataille. Les hommes, conducteurs, aide de camp, officiers d’état-major qui sont tombés à côté de lui ont été très nombreux. Lui-même s’en est toujours sorti vivant par pur hasard.

Mais la chance, c’est aussi d’être là au bon moment ou à la tête de la bonne organisation. Avec, le 8 décembre 1940, O’Connor à la tête de la 10e armée italienne et le maréchal Graziani à celle du la Western desert force, il est probable que la victoire soit quand même restée aux Britanniques. Pour autant, la même inversion des rôles au moment de la déclaration de guerre de l’Italie au Royaume-Uni, le 11 juin, aurait encore été différente car à ce moment-là la Western desert force n’était qu’un embryon. O’Connor et quelques officiers ont modelé la WDF, et particulièrement la 7e division blindée, pour que le capital organisationnel de l’unité soit à la hauteur du saut technique représenté par la motorisation et les chars. O'Connor s’est ainsi donné les moyens d’influer sur l’Histoire bien plus que les Italiens, qui disposaient par exemple de 400 chars, mais qui n’ont rien modifié à leurs méthodes avec l’arrivée de ces engins motorisés.

Avant d’étudier le « leadership par l’exemple », n’oublions donc pas, comme le soulignait Armen Alchian dès 1950, ce que la réussite doit à la chance et aux circonstances.



6 commentaires:

  1. Ah... la chance ! ne dit on pas que napoléon demandait à ses généraux et officiers si outre leurs grandes qualités ils avaient la "chance".

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  2. Bonjour,

    Oui O'Connors avait beaucoup de valeur, et ce qui était au départ une offensive limitée est devenue une offensvive stratégique majeure, après la victoire de Sidi Barrani (un désastre pour les italiens, qui vont se retrouver enfermés dans deux forteresses : Bardia et Tobrouk, dans une situation intenable).

    Mais je ne suis pas d'accord avec vous sur le fait que Graziani aurait fait pareil coté anglais : peut-être mal remis d'une blessure à la tête lors d'un attentat à Addis Abeba, celui que l'on appelle fort justement le "boucher des montagnes vertes", condamné pour crimes de guerre en 48, s'est montré un très mauvais chef de guerre : ses forces à Sidi Barrani était mal postées.

    En face, les britanniques sont certes inférieurs en nombre, mais disposent d'unités plus cohérentes et mieux entraînées (en décembre la 7th Armoured Division et la 4th Indian Motor Division), et surtout de l'avantage tactique d'un régiment complet d'Infantry Tank Matilda Mk II. (le 7th RTR) dont la cuirasse résiste à tous les antichars italiens de l'époque (il leur faudra tirer au canon de campagne sur les chenilles pour espérer les immobiliser).

    La 7Th Armoured Division, est l'héritière de la "Mobile Force (Egypt)" du Western Desert (aussi appelée "Matruh Mobile Force" et surnommée "Mobile farce par les britanniques) formée et entraînée à partir de 1938 par le général Percy Hobart ("Hobo") un visionnaire de génie de la guerre blindée, et Ingénieur de surcroît.

    Ses idées étaient tellement peu orthodoxe, qu'il sera renvoyé à la vie civile par Wavell. cette sanction fut si injuste que Liddell Hart écrivit un article dans le Sunday Pictorial en 41, Churchill réagit immédiatement en rappelant ce chef si précieux pour la guerre mobile (il forme la 11th Armoured division). Il deviendra l'un des artisans du succès du débarquement du 6 juin 44, avec ses inventions, les "Hobart's funnies" regroupées au sein de la 79th Armoured Division.

    O'Connors hérite donc du travail effectué depuis deux ans par un spécialiste de l'armée blindée britannique, Hobart, encore plus méconnu que lui...

    Il parvient en revanche à tirer tous les dividendes d'une situation tactique favorable au Sud de Sidi Barrani, et qu'il exploite à fond, en improvisant et malgré des circonstances difficiles (retrait des indiens, remplacés par la 6th Australian Division en pleine campagne, pertes, parasitage de la campagne de Grèce...).

    Cordialement

    Cédric Mas

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  3. Oui je suis d'accord si le Général Graziani avait été Anglais, il n'aurait rien fait, il avait la possibilité d'organiser son armée pour la rendre efficace dans le désert pour un combat mobile, les Italiens avaient autant d'expérience que les British, avec sans aucun doute de très bon officiers spécialistes du désert.
    Il avait de quoi faire 4 brigades motorisées blindées, avec chars, infanterie motorisée, , artillerie et DCA portées, transformer des 75 en canons anti-char etc...
    Ils avaient de très bonnes troupes pour en tirer un élément mobile, avec les 2 Divisions Libyennes, les 2 Divisions de Chemises Noires, la brigade blindée Babini. L'absence d'auto blindée de reconnaissance était très pénalisant, cela sera corrigé avec les AB 41 par la suite mais tardivement, les vielles AB Bianchi seront inutiles.
    le manque de compréhension et d'adaptation est flagrant surtout après mai/juin 1940.

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    1. C'est la raison pour laquelle je distingue le commandement en juin et en décembre. Maintenant, je pense qu"effectivement la campagne de Graziani à la tête de la WDF n'aurait pas été très glorieuse.

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    2. Attention, Graziani ne dispose pas d'automitrailleuses en 1940 (les Bianchi et Fiat Tripoli sont indisponibles et de toutes les façons inaptes au combat), et n'a que très peu de chars.

      En effet, si l'on écarte les tankettes L3 que les historiens persistent à classer comme des chars alors que cela n'en est pas (classerait-on des Tankette renault UE avec une mitrailleuse dans la catégorie des Tanks ? non bien sûr), Graziani n'a en juin que deux bataillons de M11/39 (très mauvais et usés, rappelons que les canons des M11 ont été récupérés sur des vieux Fiat 3000, version italienne du F-17), et en décembre deux bataillons de plus de M13/40 tipo I en cours de rodage loin derrière (plusieurs vont débarquer en janvier et février).

      Il dispose en revanche d'un excellent groupement motorisé colonial, le Raggrupamento Maletti, bien armé et très mobile. Mais c'est cette unité qui sera détruite la première justement lors de l'offensive O'Connor !

      Enfin, signalons que les italiens n'ont pas de munitions antichars pour leurs 75/27 et leurs 65/17.

      CM

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    3. De précieuse "zinfo" Rien n'à rajouter, fort et clair O'Connor aurait il fait mieux que Graziani avec les Italien ?

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