Le
conflit afghan, comme d’ailleurs la quasi-totalité des conflits de
contre-insurrection modernes, montre que nos forces sont surtout vulnérables
lorsqu’elles sont visibles et prévisibles, c’est-à-dire essentiellement dans les
bases et sur les routes. La solution immédiate et intuitive consiste à
augmenter la protection des bases et des convois, voire des hommes dans les
convois par de l’acier, de la terre ou du béton. Cela présente l’immense avantage
d’être visible et le décideur, politique puis militaire, peut montrer ainsi qu’il
a pris des mesures. Qu’il me soit permis de livrer deux anecdotes pour
illustrer l’importance nouvelle de ce dernier point.
En
2006, et alors que j’avais déjà fait, avec d’autres, une série d’analyses sur
la menace des engins explosifs improvisés (EEI ou IED) en Irak, j’ai été
convoqué en urgence par mes chefs. Le ministre de la défense de l’époque avait
rencontré la mère d’un de nos premiers blessés par ce type d’arme et celle-ci l’avait
interpellé sur les mesures prises pour y faire face. Le ministre avait à son
tour interrogé le haut responsable militaire qui l’accompagnait et d’un seul
coup toute la chaine hiérarchique s’est ébranlée. Les quelques mots d’une mère
avaient eu plus d’effets que deux ans de rapports. Quelques années plus tard et
alors qu’au cours d’un débat quelqu’un évoquait les inconvénients de l’alourdissement
du fantassin, un autre haut responsable répondit : « comment allez-vous dire à un élu que toutes les mesures de
protection n’ont pas été prises alors qu’elles étaient disponibles ? ».
Avec, en plus, la crainte de la judiciarisation on aboutit ainsi à la
transformation du souci, normal, de protection de nos soldats en principe de
précaution paralysant.
Face
à ce constat, on peut imaginer des solutions moins intuitives et moins visibles
mais sans doute plus efficaces qui consistent à évoluer hors des bases et des
axes. On a déjà évoqué sur ce blog, le cas des Marines des Combat action platoons au Vietnam, moins vulnérables en vivant dans
les villages vietnamiens que dans les bases car protégés par leur connaissance
du milieu. Je pourrais citer le cas de mon bataillon à Sarajevo en 1993 placé
au cœur de la zone du plus dangereux des mafieux-chefs de guerre bosniaques et
qui n’a jamais été attaqué lorsque nous étions au milieu de la population. Alors
que nous semblions être les plus vulnérables à l’air libre et loin de la base,
nous étions les plus protégés, car les habitants, que nous aidions de toutes
les manières possibles, nous renseignaient sur les coups qui se préparaient
contre nous. Tous les combats contre la 10e brigade de montagne ont
eu lieu autour de notre base. On pourrait évoquer aussi le cas des Australiens
au Vietnam ou de la politique de nomadisation du 2e RIMa dans le
district afghan de Surobi. On reviendra sur cette notion de protection
indirecte.
Je
ne dis pas qu’il faut abandonner la protection directe mais si on suit cette
voie il faut simplement faire en sorte que non seulement la protection ne
diminue pas notre capacité de manœuvre mais au contraire qu’elle permette d’être
plus audacieux. Deux exemples historiques pour illustrer mon propos :
●
Au début de la campagne en Birmanie 1942, les Britanniques n’osaient pas porter
le combat dans la jungle car les pertes, par maladie pour la très grande
majorité, y étaient très importantes. Ils laissaient donc ce terrain aux
Japonais, moins soucieux des risques, qui bénéficiaient ainsi d’un avantage
opérationnel énorme. Un effort considérable fut porté sur la médecine tropicale
qui connut alors des progrès fulgurants. Lorsque le taux de pertes par maladie
fut réduit de plusieurs dizaines de fois, non seulement les Britanniques ne craignirent
plus de porter le combat en jungle mais ils le firent sciemment afin d’y
attirer les Japonais qui eux, n’avaient fait aucun effort en la matière. Le rapport
des pertes étaient alors tel entre les deux adversaires que le combat en jungle
était devenu « rentable » pour les Britanniques.
●
Le 20 juin 1944, de la bataille navale des Mariannes, après avoir étrillé la force
aéronavale japonaise attaquant sa flotte, l’amiral de l’US Navy Mitscher n’hésita
pas à envoyer à son tour un raid de 216 avions sur les navires impériaux. Les Japonais
avaient compté sur le plus long rayon d’action de leurs appareils pour les
lancer en limite de potentiel et ne pas craindre une contre-attaque forcément
trop courte. Ils avaient simplement négligé deux facteurs : les Américains
étaient capables de remplacer rapidement les avions perdus et surtout, leur
système de récupération des pilotes à la mer leur permettait de sauver plus de
90 % de leurs hommes. C’est donc avec la certitude que beaucoup d’appareils
manqueraient de carburant pour revenir apponter (qui plus est de nuit) mais qu’il
serait néanmoins possible de récupérer les pilotes que Mitscher a lancé son
raid qui a complètement surpris l’ennemi.
On
peut concevoir aussi une protection par le feu, à la manière de la contre-réaction
définie par le lieutenant-colonel Pierre (DSI n°56, février 2010) : nous
agissons, l’ennemi réagit à notre action, nous contre-réagissons par le feu. C’est
sensiblement la méthode américaine au Vietnam acceptant que dans 85 % des cas l’initiative
du combat appartienne à l’adversaire (ce qui est le cas aussi en Kapisa). Le problème
de cette méthode est qu’elle est, pour l’instant, coûteuse en temps de
préparation et en moyens mais on peut travailler pour l’alléger, réduire les
délais et surtout les risques de tirs fratricides ou de pertes civiles.
Le
colonel Héluin me rappelait récemment le principe simple qui le guidait en
Afghanistan : il ne s’agit pas de réduire la mission afin de ne pas avoir de pertes
mais de voir comment on peut réduire les risques en accomplissant la mission. Et
pour cela, il n’y a pas que le blindage.
Sur le concept CAP : http://lavoiedelepee.blogspot.fr/2011/09/une-autre-maniere-de-pratiquer-la.html
Je suis preneur de toute
information chiffrée sur les progrès de la médecine tropicale pendant la
campagne de Birmanie.
Déployer des forces et refuser qu'il y ait des pertes, c'est tout simplement tellement contradictoire qu'à part protéger l'aéroport, il vaut mieux rester à la caserne.
RépondreSupprimerLa lutte contre les IED (j'appelle cela "l'artillerie de l'ennemi", elle frappe à peu près quand elle veut, sans préavis) n'est pas nouvelle. Vous l'avez vous-même largement étudié.
Les portugais utilisaient des dragons à cheval dans leurs guerres outre-mer dans les années 70 pour sortir des chemins.
Les britanniques y sont confrontés très tôt en Irlande du Nord. Des blindés saladin ou saracen sont "tapés" par l'IRA. les Brits vont déployés des Close Observation Platoon (postes d'observation camouflés type "cache de F.S" tenus par des sections d'infanterie (!) pour observer les allées et venues des suspects et ainsi contrebalancer un peu l'avantage des paramilitaires qui évoluent en civil...Encore faut-il oser faire confiance aux jeunes cadres des unités régulières...)
Les israéliens eux-mêmes ont font l'expérience au sud-liban dès 1982. Si les français découvrent les brouilleurs en 2007, ceux-ci sont utilisés par les israéliens et les brits depuis presque 30 ans...
Toute armée liée aux axes (manque d'hélicos, véhicules à roues, etc)y est particulièrement menacée. Les nombreuses et répétitives patrouilles qui "labourent la mer" sans résultats concrets sont autant de cibles pour des insurgés qui ont le temps de repérer les allées et venues des troupes. Trop de protection tue la protection, c'est le cercle vicieux.
En restant humble sur ce sujet, il faut peut-être essayer de revoir notre façon de concevoir le contrôle de zone. Le "combat couplé" que vous évoquiez dans un post précedent est un début de réponse. Il faut une stratégie indirecte avec moins de troupes étrangères sur le terrain et plus de combat couplé. Garder les troupes alliées pour les QRF et les Hit and Run. Dans certains bataillons de l'ANA, les afghans ouvrent les routes tous les matins à pied, en triangle base en avant...Ils diminuent ainsi le risque d'attaques IED... Ce n'est pas idéal mais c'est mieux que de rouler comme des "caluts" en balançant des "warning shot" sur tout ce qui bouge...Encore une fois, la mobilité (chère à nos cavaliers légers) n'est pas une fonction en soi. Elle est le résultat combiné d'autres facteurs (dont le blindage).
Pour revenir à la straégie indirecte, l'histoire nous montre bien qu'à chaque fois que les Brits ont encadré ou soutenu des formations afghanes au XIX ème siècle en gardant leurs troupes régulières pour des raids (cas de Lord Roberts sur Kaboul...en 1882???) ils ont obtenu plus de résultats qu'en déployant des brigades complètes en rase campagne. Enfin, il faut obtenir les renseignements par la population. Je ne suis pas sûr que nous soyons près à tout mettre en oeuvre pour l'obtenir...d'ou la nécessité du combat couplé...
Pour terminer sur le Régiment d'Assistance Militaire que vous évoquiez dans un post dédié, je me permets de ne pas être d'accord. Cette culture de "l'assistance au combat" doit être toutes armes. Je pense qu'un DIO permanent de 50 pax par brigade commandé par un lieutenant-colonel (permettant ainsi de donner des TC supplémentaires...) avec les spécialistes issus des régiments (JTAC,EO, sapeurs, logmen, ETC)serait plus efficace et plus multiplicateur d'efficacité et de motivation. Que feraient-ils quand ils ne sont pas déployés ? Entrainement de spécialité et encadrement des réservistes...
Enfin, il faut clairement développer une doctrine du combat couplé (pourquoi pas à l'EMSOME mais gare à la nouvelle niche...) et en particulier l'apprentissage pratique des langues rares.
Un exemple avec le mot sécurité (défense globale oblige) elle est un processus simple, nous pouvons le définir ainsi : "ensemble des mesures, moyens, et méthodes pour contrer le risque dans le temps ! La notion de réaction au temps par rapport aux risques est vital! l'analyse des risques me permet d'identifier les risques rapidement, ainsi que les cibles, les menaces ensuite sans perdre de temps j'organise mes moyens, mes mesures avec une méthode adaptée ! si je détecte un danger je le supprime tout de suite ou je déménage !
RépondreSupprimerAVANT que le risque potentiel soit là je fais de la PRÉVENTION: je prépare, j'organise, je forme, je sensibilise.
PENDANT: Le risque potentiel est là il devenu danger, mes moyens de PROTECTION rentre en action, il y a peut de moyens qui arrête le risque lourd, mais mes mesures de protection vont le contenir, le ralentir, le freiner (une porte coupe feu).
Dans l'attente de quoi : de l'INTERVENTION moyens et mesures organisés qui ne rentre en action que quand le risque est là (les pompiers) elle doit éradiquer le danger et nous éviter la destruction total que le risque devenu danger nous fais courir. Quand vos moyens ne prennent pas en compte l'INTERVENTION vous n'avez qu'une posture de SURVEILLANCE? vous donnez l'alerte, vous contenez un peu, mais vous êtes vouez à la destruction.
Une force, une unité doit toujours maîtriser le processus de SÉCURITÉ dans son ensemble. Une force spécialisée en PRÉVENTION (BFS) en PROTECTION (ONU) ne pourra rien sans une force d'intervention (QRF puissante). le mot sûreté a été captée par les hommes qui luttent contre la malveillance, en fait sûreté pourrait être remplacé par sur-sécurité, une sécurité avec un contrôle permanent de qualité (sûreté urbaine, sûreté nucléaire, sûreté d'une division en manoeuvre)
Oui une force obsédée par la PROTECTION est condamnée à l'inertie, voir à la destruction, le risque lui il a tout le temps pour agir par l'usure ou l'écrasement massif.
citoyen tous au abris.
Bonsoir,
RépondreSupprimers'il ne fait pas de doutes que l'amélioration de nos véhicules blindés ont concrètement contribué à sauver des vies, j'ai plus de doutes sur les équipements individuels.
Je n'ai pas trouvé de chiffres sur le nombre de blessures évitées ou attenuées ni sur le nombre de vies sauvées grace au port des protections balistiques. Cette question ne peut venir bien entendu qu'après avoir accepté l'éventualité de pertes et donc la prise de risques...
Mais elle est cruciale si l'on veut demander au combattant débarqué d être mobile !
FP
Je n'ai pas non plus ces chiffres, mais ils doivent exister car le phénomène est assez précisémment mesurable.
SupprimerEn revanche, ce qui n'est pas mesurable, ce sont les pertes causées indirectement par les protections balistiques : les tactiques prévisibles parcesque liées aux axes, la moins bonne utilisation du terrain, la moindre mobilité (individuelle et collective) ont évidemment un coût humain, très difficile à estimer.
A défaut, ce qui est quantifiable et visible l'emporte dans la balance...
Peut-être une campagne d'expérimentation tactiques (au CENTAC, par exemple) pourrait éclairer le débat.