Georges Guynemer |
En 1946, deux psychologues américains, Swank et
Marchand, ont découvert qu’une petite minorité de soldats, 2 à 3 % qualifiés
d’« agressive psychopaths », étaient
capables de résister presque indéfiniment au stress des combats car ils s’y
trouvaient « à l’aise » et restaient relativement indifférents au
spectacle de la violence. En temps de paix, ces agressive psychopaths, dont on constate
que la proportion est identique à celle des As, canalisent souvent leur
capacité de violence dans des comportements carriéristes, politiques ou
économiques, dans la compétition sportive ou encore dans la délinquance mais logiquement c’est dans
l’univers de la violence guerrière qu’ils peuvent s’« exprimer »
le mieux, à l’instar du Capitaine Conan
du roman de Roger Vercel.
En étudiant la personnalité des quarante premiers As français, cette violence froide et dénuée de remords saute aux yeux. René Fonck, le premier de tous les As alliés avec 75 victoires (126 probables), écrit en 1920 dans ses mémoires de guerre : « J’atteignis l’homme en pleine poitrine et dans sa chute son avion se rompit […] J’atterris tout vibrant encore en me disant que c’était là du beau travail ». Guynemer, le « chevalier de l’air », n’est pas en reste. Dans un lettre d’août 1916, il décrit un combat à ses sœurs : « Avant-hier, attaqué Fritz à10 mètres , tué le
passager et peut-être le reste…A 7h30 attaqué un Aviatik ; emporté par
l’élan, passé à 50
centimètres , passager couic ! ». Dans une
autre, il décrit une victoire de
Brocard, son commandant de groupe : « du
pilote [allemand] il restait un
menton, une oreille, la bouche, le torse, de quoi reconstituer deux bras ». Deullin rapporte de son coté : « J’avais une explication avec deux
Aviatik. J’en poire un, puis, me retournant vers le second, je vois mon premier
dégringoler les roues en l’air et vider son passager de 3600 mètres . Servez
chaud ! C’était exquis ». On est bien en peine de trouver la
moindre trace de regret, de sentiment culpabilité ou même simplement d'horreur dans un écrit quelconque de ces hommes.
En étudiant la personnalité des quarante premiers As français, cette violence froide et dénuée de remords saute aux yeux. René Fonck, le premier de tous les As alliés avec 75 victoires (126 probables), écrit en 1920 dans ses mémoires de guerre : « J’atteignis l’homme en pleine poitrine et dans sa chute son avion se rompit […] J’atterris tout vibrant encore en me disant que c’était là du beau travail ». Guynemer, le « chevalier de l’air », n’est pas en reste. Dans un lettre d’août 1916, il décrit un combat à ses sœurs : « Avant-hier, attaqué Fritz à
On ne note pas non plus vraiment de plaisir sadique mais une sorte de jouissance du chasseur ou du duelliste. Le 15 mars 1918, en
patrouille à 5000 m
au dessus du fort de Brimont, Fonck repère un biplace de reconnaissance 1000 m plus bas. Il fond sur
lui mais l’équipage allemand est si absorbé par sa tâche qu’il peut s’approcher
à une vingtaine de mètres sans être repéré. Il décide alors, comme un chat face
à une proie captive, d’attendre une réaction pour tirer. « De telles minutes sont brèves, mais les impressions s’y
succèdent plus rapidement que les lignes employées à les décrire. L’homme qui
les vit dans leur intensité en garde un souvenir aussi durable que la marque de
l’eau-forte imprimée sur le cuivre. […] Quelquefois
dans la quiétude qui a enfin succédé à certaines heures épouvantables, il
m’arrive au fond du cœur de regretter obscurément qu’elles soient déjà passées.
L’habitude du danger offre à celui qui en accepte le risque, des satisfactions
particulières. Nous en avons par moment la nostalgie, et c’est alors que l’on
entreprend de sublimes folies. » Ce n’est pas la joie de tuer qui est
visiblement en cause mais le plaisir de la sensation du danger et l’esprit de
compétition. Fonck déclare préfèrer « souvent
épargner leur vie, surtout quand ils ont courageusement combattu mais […] il est rarement possible de faire quartier
sans trahir les intérêts du pays. » Il n’y a d’ailleurs que très peu
d’exemples de tirs sur des hommes sautant en parachutes et les gestes amicaux
ne sont pas rares entre gens ayant le sentiment d’appartenir à une même
élite. Madon écrit en 1916 : « Je
me pose comme une fleur, évitant les trous. Pied à terre. Je remercie le ciel
et j’adresse un salut amical à l’Allemand qui vient me survoler à douze cents
mètres. » En 1915, le pilote allemand qui a descendu Pégoud vient peu
après lancer une couronne sur la tombe de sa victime.
Il n’y a pas non plus de grands développements sur son propre sort. Pour
son baptême du feu, le 15 juin 1915, Guynemer note : « aucune impression si ce n’est de
curiosité satisfaite ». Un jour, Fonck voit son aile traversée par un
obus d’artillerie : « Je ne
déteste pas le léger frisson que j’éprouve encore à ce souvenir. La vie
m’apparaît meilleure. »
(à suivre)
Ces billets sont extraits de Le complexe d’Achille, Inflexions
n°16, (http://inflexions.fr/revue/numero-16)
et de Les tueurs du ciel, Magazine
14-18 N°34 et 35, octobre et décembre 2006.
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