mercredi 26 décembre 2012

Dans la matrice


Série Leadership troopers

Une des failles majeures du système opérationnel israélien lors de la guerre contre le Hezbollah à l’été 2006 a incontestablement été le soutien logistique. Dès que les unités de Tsahal manœuvraient de quelques kilomètres, en particulier à l’intérieur du territoire libanais, les flux logistiques basculaient dans la confusion. La faute en revenait à un système mis en place peu de temps auparavant et qui avait consisté à retirer tout ce qui relevait du soutien aux unités de combat pour les confier à des bases à vocation régionale. Le système, quoique rigide, avait fonctionné tant que bien que mal en temps de paix. Il explosa complètement lorsque cinq brigades furent engagées au combat. A l’instar de grandes entreprises civiles, l’armée israélienne avait adopté une organisation matricielle, chaque bataillon relevant simultanément d’une chaine opérationnelle et d’une chaine soutien. L’affrontement de 2006 venait de démontrer que cette organisation n’était pas faite pour la guerre.

La structure matricielle est apparue dès la fin des années 1950 dans l’industrie aéronautique américaine afin de gérer des projets industriels complexes avant de commencer à se généraliser dans les années 1980-1990. Elle se veut la conjonction de deux systèmes traditionnels : l’organisation par fonctions (production, commerce, recherche et développement, etc.) et l’organisation par divisions, géographiques et/ou techniques regroupant en interne les fonctions nécessaires (par exemple automobiles, poids lourds, machines agricoles pour un constructeur comme Renault). Le premier type d’organisation rationalise l’emploi des ressources mais il est rigide. Il est donc plus adapté pour des entreprises monoproductrices et évoluant dans des environnements stables. Le second type est plus souple, chaque division disposant de ressources internes pour s’adapter, et globalement plus résistant puisque la faillite d’une division n’engage pas forcément l’ensemble de l’organisation au contraire des grandes fonctions. Il est cependant plus exigeant en ressources.

L’organisation matricielle cherche donc à cumuler les qualités des deux systèmes : rationalisation des ressources et souplesse. Ce faisant chaque unité d’action se trouve au croisement de deux chaines de responsabilités, fonctionnelle et opérationnelle, sans relations de domination hiérarchique formelle l’une sur l’autre. Le système fonctionne donc forcément de manière conflictuelle dans la mesure où chacune de ces chaines poursuit des objectifs précis relatifs à sa structure propre et relevant d’une logique de gestion spécifique. Ce fonctionnement par conflit, forcément couteux en énergie et en temps, peut malgré tout être efficace dans la mesure où, comme le décrivait Georg Simmel, le conflit est aussi un échange d’informations. La confrontation des points de vue peut alors permettre d’exposer des problèmes et de faciliter leur résolution. Mais le conflit peut aussi être paralysant surtout si les deux fonctions divergent et/ou si l’une d’elle a moins besoin de l’autre (matrice asymétrique, par exemple lorsque le soutien a moins besoin des opérationnels que l’inverse). Dans ce cas, on assiste alors généralement non pas au cumul des qualités mais plutôt au cumul des défauts. L’ensemble devient confus et donc rigide (en 2011, les 286 employés du pôle des contrats grands comptes d’Alactel-Lucent du site de Lannion devaient tous rendre compte à 46 managers) mais aussi finalement couteux. La confusion impose souvent une re-bureaucratisation qui fait perdre tous les gains initiaux d’allègement du soutien avec, en outre, une démotivation du personnel avec les conséquences que cela peut avoir sur la production et les ventes.

L’organisation matricielle ne fonctionne correctement que s’il y a convergence des chaines par une forte culture commune, une adhésion à un projet mobilisateur et une circulation libre de l’information. Si on en croît les travaux de Philippe d’Iribarne (La logique de l’honneur), les organisations françaises seraient à cet égard plutôt mal adaptées aux matrices. Plus exactement, les situations seront très différentes selon les rapports personnels qui auront été établis entre les principaux intervenants des deux chaines et, de fait, dans le cadre de la matrice asymétrique décrite plus haut, les choses dépendent beaucoup de la bonne volonté des acteurs de la chaine fonctionnelle.  

Ajoutons enfin que ce système n’a été conçue que pour des organisations programmatiques, au sens d’Edgar Morin, c’est-à-dire qui ne sont pas soumises à la dialectique, sinon indirectement par le biais du marché (on n’a jamais vu, par exemple, un commando de Peugeot-Citroën venir détruire des chaines de montage de Renault). Pour des organisations stratégiques, où « chacun fait la loi de l’ordre » et où il est nécessaire de s’adapter rapidement à des situations fluctuantes, les choses sont différentes. Un système qui ne fonctionne que par le conflit en interne peut difficilement être très efficace lorsqu’il faut affronter aussi un adversaire extérieur à l’organisation, surtout si cet adversaire est souple et innovant. Là où, en 2006, plus personne ne savait vraiment qui soutenait qui du côté de Tsahal, le Hezbollah était organisé en de multiples secteurs regroupant, sous un même chef, toutes les ressources pour combattre de manière autonome. Les deux adversaires répétaient ainsi l’expérience de la guerre de 1870, qui avait abouti, en France, à la loi sur l’administration de l’armée du 16 juin 1882 supprimant la distinction entre la chaine des forces et celle d’intendance pour les placer sous l’autorité des commandants de corps d’armée et de régions militaires. On avait bien compris, bien avant que les entreprises civiles ne s’y essayent, que le système matriciel pouvait comprendre de nombreux défauts mais surtout qu’il était désastreux pour faire la guerre.

lundi 24 décembre 2012

Le dossier de l'Alliance géostratégique : les armes EMP ou comment aimer la bombe lorsqu'on est un Etat voyou


L’Alliance géostratégique renoue avec les dossiers thématiques. Le dossier en cours concerne les armes EMP (ElectroMagnetic Pulse) ou comment j'ai appris à aimer la bombe...quand elle ne tue pas (au moins directement).

Introduction :

L’année 2012 est en train de s’achever. Elle vit même, peut-être, ses dernières heures ! Dix jours avant le 31 décembre ! Plus sérieusement, l’Alliance géostratégique vous propose de passer les fêtes en sa compagnie et de la meilleure manière : être avec les siens, profiter des agapes, faire une pause bien méritée tout en continuant à nourrir les neurones ! Lire la suite.


L’usage de l’électromagnétisme dans la guerre est courant depuis qu’il existe. Le but de ce court billet est de présenter une typologie de l’usage de l’électromagnétisme dans la guerre. Historiquement, il existe deux moyens principaux de transmettre des ordres à distance : l’acoustique (la voix) et l’électromagnétisme. Le second domaine domine maintenant les champs de bataille. Lire la suite.


« Une seconde après » est un ouvrage de William R. Forstchen qui traite de la destruction systémique de la société américaine (la fin du monde ?) et plus largement du pays sur ses bases actuelles, à la suite d’une attaque nucléaire. Une attaque nucléaire asymétrique est la base de ce scénario apocalyptique. Trois bombes atomiques tirées au-dessus des Etats-Unis induisent un effet électromagnétique (IEM) qui détruit toute l’électronique. Et, l’électronique est presque partout : voitures, médias, télécommunications terrestres et par satellite, matériel de santé, matériel de navigation, régulation des transports, régulation de l’énergie. En quelques secondes, la société revient à un stade de développement compris entre le néolithique et le début du XXème siècle ! Lire la suite.


Perhaps the most devastating threat could come from a low yield nuclear device, on the order of 50 kilotons, detonated a few hundred kilometers above the atmosphere. […] To execute this mission, all that is needed is a rocket and a simple nuclear device. Countries such as Iran, North Korea, Iraq and Pakistan possess missiles that could carry warheads to the necessary altitudes and either have, or are believed to be developing, nuclear weapons.
Commission to Assess United States National Security Space Management and Organization, 2001

Pour les puissances dépendantes des systèmes spatiaux, le scénario décrit par la Commission Rumsfeld en 2001 a tout du cauchemar. Il suppose qu’un « État voyou » nucléarisé, comme la Corée du Nord, celle-là même qui la semaine passée a réussi pour la première fois à placer un satellite en orbite à l’aide de sa fusée Unha-3, puisse un jour se sentir à ce point menacé qu’il soit prêt à opter pour une attaque indirecte de type HAND – « High Altitude Nuclear Detonation », explosion nucléaire à haute altitude. Prenons donc de la hauteur, disons l’orbite basse et au-delà, et étudions de plus près cette question… Lire la suite. 

http://alliancegeostrategique.org

dimanche 23 décembre 2012

L'humain d'abord. Le cas HCL-T


Série Leardership troopers

Les innovations sont souvent à chercher du côté des évènements surprenants et donc dans le cadre de grandes organisations, militaires ou non, dans les échecs ou les succès inattendus par leur ampleur. Quand, en moins de quatre ans et malgré la crise économique, une entreprise de la taille d’une « armée » européenne (85 000 employés) triple ses recettes et son bénéfice d’exploitation, multiplie par cinq le nombre de ses clients et fait monter de 70 % le taux de satisfaction de ses membres, elle attire forcément l’attention. Cette entreprise est indienne, c’est HTC Technologies (HLCT). Elle s’occupe de services informatiques et son président, Vineet Nayar, fait désormais partie des managers les plus écoutés dans le monde.

L’approche de Vineet Nayar, dite Employees first, customers second ou EFCS, s’est toujours voulu résolument pragmatique. Elle s’est mise en place par étapes et en utilisant largement les possibilités des technologies de l’information. La première étape a simplement consisté à établir un point de situation à partir d’une série de consultations. Grande originalité, c’est la direction, loin des discours et slogans lénifiants habituels, qui a été souvent la plus critique sur la situation réelle de l’organisation. L’image qui est sortie de ces travaux a été celle d’une entreprise sur le déclin, très loin des slogans officiels qui dominaient jusque-là. Ces travaux d’analyse ont permis ensuite, tout aussi collectivement, de définir le projet le plus mobilisateur possible.

La première méthode qui a été choisie ensuite pour atteindre cet objectif ambitieux a été la confiance fondée sur la transparence selon le principe dit de « la fenêtre d’Amsterdam » (en rendant visible les intérieurs les larges fenêtres hollandaises poussent leurs habitants à les ranger et les nettoyer). Toutes les informations possibles sur l’entreprise et ses différentes sous-structures ont ainsi été mises à la disposition de tous. Bien entendu, la presse et la concurrence ont pu y avoir ainsi accès mais cela a été considéré comme un risque acceptable au regard des bienfaits obtenus. Chacun connaissait ainsi les objectifs de l’entreprise et la manière dont lui ou ses voisins, y contribuait ou non. Un forum a été ensuite mis en place permettant à n’importe quel employé des poser des questions à la direction.

La deuxième méthode a consisté à déterminer ceux qui étaient vraiment à la source des profits de l’entreprise et à organiser la hiérarchie autour d’eux. La « zone de valeur » ayant vite été identifiée dans les agents de première ligne au contact des clients, il a été décidé d’ « inverser la pyramide » et de mettre managers et services à leur disposition et non l’inverse. Parmi les procédés utilisés pour faciliter le travail des agents de première ligne on peut citer le Smart service desk, inspiré du service client, et qui permet à n’importe quel employé d’ouvrir un dossier électronique pour exposer un problème, demander un renseignement ou faire une requête de travail et de l’envoyer au service concerné. Le dossier est affecté à un agent qui doit s’efforcer de remplir un certain nombre de critères, dont un délai de résolution et au-delà de ce délai, le dossier est envoyé automatiquement à l’échelon supérieur. Le processus est entièrement transparent de sorte qu’un employé peut à tout moment consulter l’état d’avancement de son dossier et c’est lui qui le clôture lorsqu’il s’estime satisfait. Le SSD a non seulement permis de révéler et de résoudre une multitude de problèmes cachés jusque-là mais il a surtout fourni les données pour déceler des sources générales de problèmes et de les traiter en amont. Avec le temps, le nombre de dossiers a ainsi diminué, permettant de cette façon leur résolution encore plus rapide.

La troisième méthode, dérivée des deux précédentes, a consisté à faire confiance à l’intelligence de tous. La direction a utilisé le forum de questions, du haut vers le bas, pour demander leur avis aux employés, avec notamment la rubrique « Mes problèmes » du PDG. Des réunions, dites « Perspectives », ont été mise en place entre la direction et des employés pour vérifier la concordance des points de vue. Plus original, chaque manager est désormais noté par tous les employés ayant été en rapport avec lui dans l’année à partir d’un questionnaire simple (« ce manager vous aide-t-il à accroître la valeur que vous apportez au client ? Vous aide-t-il à analyser et identifier les solutions à un problème ? Etc.).

Au bilan, en faisant confiance à tous les employés et en mettant au centre des attentions ceux qui, au bas de l’échelle, sont considérés comme apportant vraiment des bénéfices à l’organisation, HCLT a non seulement résolu ses problèmes de productivité mais elle a connu une croissance bien supérieure à ses rivales dirigistes et/ou technocratiques traitant les subordonnées, au mieux, comme de grands enfants ou, au pire, comme des coûts.

Vineet Nayar, Les employés d’abord, les clients ensuite, Diateino, 2011.