dimanche 6 janvier 2013
vendredi 4 janvier 2013
mercredi 2 janvier 2013
La guerre-Une vision française, entretien avec le général Guy Hubin
Entretien avec le général Hubin.
1/Mon
général, on pourrait qualifier votre ouvrage de « traité hybride »
entre essai de stratégie et somme d’histoire militaire, par ailleurs assez
impressionnante. Quel était votre objectif en écrivant « La guerre-une
vision française » ?
Le
désintérêt manifesté en France pour les questions militaires est inquiétant,
surtout dans un contexte qui impose visiblement un effort d’adaptation de nos
vieilles conceptions opérationnelles. Il en laisse le monopole à d’autres qui
persistent à un effort intellectuel, en faisant courir le risque d’une
importation de concepts pas toujours adaptés à nos besoins et surtout il fait
courir le risque d’une perte d’intérêt et de compétence du politique qui est
nécessairement en charge de la définition de la stratégie.
Les
militaires sont les experts de leur propre métier mais il faut qu’il en fasse à
la preuve face à des institutions qui devraient s’en inquiéter mais que ne s’y
intéressent guère, comme l’université, tandis que d’autres qui n’ont pas
grand-chose à y faire comme l’institution judiciaire s’y engagent. Il serait
dommage que cette armée qui a tant apporté au modèle de guerre occidental
renonce à réfléchir.
L’objet
de cet ouvrage est donc de concourir à maintenir l’intérêt pour les questions
opérationnelles et entretenir la culture, la connaissance de notre culture
militaire. L’officier française méconnait sa propre culture et cela le gêne
pour en parler et pour innover car l’imagination se nourrit de travail et de
culture. L’étude historique nourrit l’étude prospective.
On
a tort de négliger cet aspect de notre fonction et cela gêne aussi nos
correspondants civils. Comment des gens peuvent-ils être de vrais
professionnels quand ils ne connaissent pas l’histoire de leur métier.
2/Les
institutions de défense de la Ve République ne sont-elles pas
responsables en partie de cet isolement du militaire ?
Le politique a besoin de culture opérationnelle pour
définir la stratégie. Il doit être conseillé par des hommes en qui il a toute
confiance, ce qui n’est pas toujours le
cas en France, le conseiller militaire étant toujours, plus ou moins considéré,
comme l’agent de son administration. Il apparaît nécessaire que les conseillers
des politiques soient donc choisit par ceux-ci parmi des volontaires et qu’ils
assument leur charge en toute loyauté envers un représentant de la nation. En
d’autres termes, il faut qu’ils arrivent et partent avec lui.
Plus généralement, l’esprit de la politique
gaullienne se délite. On confond le déploiement de moyens et l’exercice de la
volonté. On se gargarise des coalitions,
en oubliant que l’isolement parfait n’a jamais existé et que les alliances ont toujours fonctionné
cahin-caha, si bien qu’on ne peut pas renoncer à la prise de risque. A force de
courage et de volonté et quel que soit le jugement qu’on peut porter sur elle,
on ne peut nier qu’Israël a toujours eu une stratégie nationale et que tout le
monde en tient compte. La volonté d’audace, la prise de risque sont inhérentes
à la décision nationale.
3/Vous
parlez dans votre ouvrage d’un modèle français mais ne devrait-on parler plutôt
d’un modèle occidental ?
Il
s’agit en réalité d’un patrimoine commun au monde occidental depuis les cités
grecques et que la France ,
longtemps première puissance militaire de cet espace, a porté à son apogée par
de nombreuses innovations comme l’armée permanente, l’administration militaire,
le premier système d’artillerie moderne, les structures autonomes comme la
division ou le corps d’armée. Ce patrimoine stratégique est fondé sur la
prééminence de l’action comme instrument de dissipation du brouillard de la
guerre et la recherche de la destruction par la bataille. La bataille
napoléonienne représente le point d’orgue de ce modèle.
On
peut opposer à ce modèle un modèle nomade asiatique où l’affrontement, la
bataille, n’est pas le point de départ qui fait l’évènement mais plutôt la
conclusion d’un long travail d’analyse et de préparation. Là, où pour reprendre
les principes de la guerre de Foch nous privilégions traditionnellement la
concentration des efforts, les nomades mettent l’accent sur l’économie des
forces. L’équilibre entre connaissance et capacité est beaucoup mieux réalisé
chez eux que chez nous.
Surtout,
nous sommes et serons probablement de plus en plus souvent confrontés à un
adversaire dont le modèle consiste à prendre le contre-pied du notre. Pour cela
il rejette la concentration au plus petit échelon possible, il évite la
fixation par tous les moyens, fait reposer sa liberté d’action sur la
connaissance, ce qui donne à ses moyens de combat un excellent rendement.
D’autant plus qu’il se soucie peu du succès tactique pour s’intéresser avant
tout au résultat stratégique et donc politique. Son but n’est pas de vaincre
mais de durer et par là il finit par vaincre.
3/Ce
modèle nomade n’est finalement pas très différent des méthodes que vous prôniez
dans Perspectives tactiques.
Le
développement de la puissance de feu mais aussi des technologies de
l’information ont entrainé, la dilution parallèle des combattants sur le champ de
bataille. Là où Napoléon mettait une armée, le champ de bataille de Waterloo
n’aurait abrité qu’une division en 1918, un bataillon en 1945 et il n’y aurait
plus qu’une section aujourd’hui. La conception linéaire du combat, héritée des
phalanges grecques, fait place nécessairement à l’imbrication des actions de
combat. L’idée de concentration des efforts sur une manœuvre axiale s’en trouve
fatalement perturbée.
Il
paraît donc nécessaire de rééquilibrer les principes d’emploi des forces à ces
nouveaux fonctionnements opérationnels, principes que l’accent mis sur la
concentration des efforts à toujours tordu. Il est temps de redonner à la
connaissance la place qui lui revient et de garantir la liberté d’action par le
renseignement autant que par l’action elle-même.
Au
niveau stratégique, à partir du moment où l’existence de la nation n’est plus
en jeu, la mobilisation populaire ne peut plus fonctionner. Le pays vaque à ses
occupations tandis que les missions militaires, pour la plupart limitées et au
loin au sein de milieux complexes, sont confiées à une troupe professionnelle.
Dans ce contexte, la notion de victoire devrait être plutôt synonyme de
compromis avantageux plus qu’un absolu. Paradoxalement, alors que les nations
occidentales limitent désormais l’ampleur et les risques des engagements, elles
persistent par idéologie et moralisation à ne chercher que des victoires
décisives contre des ennemis présentés comme malfaisants.
4/Comment peut-on dès
lors imaginer de renouveler l’art de guerre « à la française » ?
Le
plus important est de rééquilibrer nos principes. Sans renoncer au principe de
concentration, il faut le ramener à une importance plus raisonnable et ne plus
nous imaginer y trouver la réponse à tous les problèmes. Il faut poursuivre et
accentuer notre effort en matière de renseignement de sorte que la connaissance
vienne au même niveau que la capacité pour assurer notre liberté d’action. Il
faut revenir à Foch et mettre l’économie des forces au premier rang de nos
préoccupations, évidemment sans faire des économies, mais en recherchant
l’optimisation du rendement des moyens.
Ensuite,
il faut prendre conscience que la manœuvre axiale a beaucoup perdu de son
rendement et que la manœuvre zonale va avoir d’importantes conséquences sur la
structure des unités, l’organisation du commandement, les modes de circulation de l’information et donc, au bout
du compte, sur la nature des ordres. Dans ce cadre, la notion de fixation doit
être revue de sorte que l’adversaire ne puisse y échapper.
Il
est un autre point auquel il faut très sérieusement réfléchir, c’est celui de
l’imbrication. Nous l’avons toujours pratiquée mais, par un mimétisme fâcheux, nous sommes en passe d’y renoncer. Or, quelque
soit le contexte, on n’y échappera pas. Il faut donc adapter nos conceptions en
matière de sûreté à cette exigence. Ce que, dans notre langage d’occidentaux,
nous appelons des attentats ne sont en fait que des séquences de combat dont le
déroulement nous échappe complètement, faute d’avoir sérieusement réfléchi à la
signification de l’imbrication.
Enfin,
il faut redonner au risque ses lettres de noblesse. Le risque calculé, accepté,
géré est un atout indispensable à toute conception opérationnelle. Celui qui en
refuse la perspective a fort peu de chance de réussir. Au surplus, il ne pourra
jamais éviter la part de risque assumée par les exécutants, alors le chef doit
aussi porter sa croix et considérer le risque, à l’instar du général Yakovlef,
comme un facteur d’efficacité à part entière.
Guy Hubin, La guerre-Une vision française, Economica, 2012.
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