Comme en Crimée,
l’offensive russe prend complètement le gouvernement ukrainien et les pays
occidentaux par surprise. Dans la nuit du 23 au 24 août, le front
ukrainien sur la frontière est percé, en particulier au centre dans la zone du
5e bataillon territorial qui se débande et laisse un trou de 40 km.
Une centaine de véhicules blindés russes y passe en quelques heures, alors que
l’état-major ukrainien refuse d’abord de croire à une opération d’une telle
ampleur, un retard fatal à ses forces les plus avancées.
L’objectif
opérationnel est de dégager les bastions séparatistes de la pression des forces
ukrainiennes, un objectif minimal pour une escalade que l’on veut également
minimale dans l’espace et le temps. Il y a quatre axes d’effort portés chacun
par une force hybride autour d’un groupement tactique interarmes (GTIA), c'est-à-dire un bataillon mixant chars-infanterie blindée et artillerie.
L’introduction des
GTIA russes ne peut que changer la donne opérationnelle. Les différences de
niveau tactique entre les unités loyalistes ukrainiennes et les unités rebelles
étaient plutôt à l’avantage des premières, mais l’écart était faible, ce qui
expliquait la longueur et l’indécision des combats. Avec les GTIA russes on se
trouve avec des unités de valeur humaine sans doute comparable, mais qui ont
sur les points de contact plusieurs avantages techniques sur leurs adversaires.
Les T-72B3 et T-90
russes ont des blindages réactifs qui résistent pratiquement à tout l’arsenal
antichar ukrainien, lance-roquettes RPG-7 ou 26 et même missiles guidés,
car ils ne disposent que peu de charges tandem. Pour les contrer, les
Ukrainiens sont obligés d’engager leurs propres chars, en position d’infériorité
technique, ou leurs obusiers 2S1 en mode canon d’assaut. Les obus des 2S1
ne sont pas pénétrants, mais possèdent une grande puissance cinétique. Le 2S1
est en revanche peu blindé et vulnérable.
Le deuxième
avantage russe est, une nouvelle fois, la supériorité de leur artillerie, non
plus cette fois sur les positions statiques de la frontière, mais en combat
mobile. Le rapport de forces en nombre de pièces d’artillerie sur les points de
contact est de l’ordre de 5 à 7 contre 1 en faveur des Russes et avec un
environnement technique très supérieur.
Avec plusieurs
niveaux qualitatifs d’écart entre les adversaires, les combats conduisent
mécaniquement à des résultats décisifs, car il devient possible de disloquer le
dispositif de l’adversaire.
Si le commandement
ukrainien et les puissances occidentales avaient anticipé cette offensive, il
aurait été possible de se préparer et de compenser ces niveaux d’écart par la
livraison et la maitrise de missiles antichars modernes de type Javelin ou
TOW II par exemple. Rien n’a été fait dans ce sens. Pour résister un peu
plus, il aurait fallu également que les forces ukrainiennes se fortifient
autant que possible non seulement sur la frontière, mais aussi à l’intérieur
sur les lignes de contact de manière à résister à la fois à l’artillerie et aux
blindés lourds par des obstacles, mines et tirs d’artillerie à vue. Cela
demandait un effort considérable et du temps, mais ce n’était pas inconcevable.
Encore une fois, cela n’a jamais été sérieusement envisagé, car jugé peu
nécessaire.
Il aurait peut-être
été possible aussi de se préparer à mener un combat de harcèlement sur les
forces mobiles adverses. C’était difficile avec des troupes aussi médiocres et
en un temps aussi court, qui plus dans un terrain plutôt défavorable, mais
peut-être pas impossible la densité des forces étant relativement faible et
autorisant alors des infiltrations d’unités légères et des combats imbriqués.
Huit ans plus tôt,
le Hezbollah libanais était parvenu à tenir tête à l’offensive aéroterrestre
israélienne en combinant tous ces éléments. L’armée ukrainienne en a été
incapable, en grande partie parce qu’elle ne concevait même pas qu’un tel
effort puisse être nécessaire. Fin août, la (nouvelle) surprise russe n’est pas
seulement opérationnelle, elle l’est aussi dans la stratégie des moyens. À
quelques heures de l’affrontement, il n’était plus possible de modifier le
système de forces ukrainien, l’issue était donc fatale.
Au nord, l’effort
porte sur le dégagement de l’aéroport de Louhansk. Le GTIA russe est doté de
mortiers 2S4 Tyulpan de 240 mm, les plus puissants au monde avec des
munitions de 230 kg, éventuellement guidées par laser, pouvant être
envoyées de 9 à 20 km. Les défenses sont écrasées. La 1ère brigade
blindée ukrainienne tente une opération de dégagement qui donne lieu à des
affrontements entre ses T-64 et les T-72B et T-90 russes, sans doute les
premiers combats de chars un peu importants en Europe depuis 1945. Les
Ukrainiens sont repoussés et les parachutistes sur l’aéroport obligés de se
replier en catastrophe. Le 1er septembre, l’aéroport est pris.
L’axe d’effort
principal est au centre et plein-est en direction d’Ilovaïsk. Laissés sans
ordres clairs, plus de 2 500 combattants ukrainiens sont encerclés
dès le 24 août sans avoir bougé. Après plusieurs jours de combat autour de
la ville et la défection d’un bataillon de volontaires qui ouvre leur
dispositif, les forces ukrainiennes tentent un repli négocié et tombent dans
une embuscade. À la fin des combats, le 29 août, entre 450 à 1 000 soldats ukrainiens ont été tués avec autant de blessés et
prisonniers. C’est alors le plus grand désastre de l’armée ukrainienne.
L’état-major est mis en cause pour son absence de réaction.
Plus au sud, un
autre groupement de forces reprend une grande partie du terrain, mais échoue à
s’emparer de Volnovakhe et de Donskoye, point clé de communications.
Le dernier
groupement de forces se déplace le long de la côte de la mer Noire et ouvre un
nouveau front en direction de Marioupol. Le 27 août, il s’oppose
violemment à l’armée ukrainienne à Novoazovsk et la refoule. Encerclée,
Marioupol est fortifiée et en partie évacuée. Les premiers combats dans les
faubourgs débutent le 4 septembre, à l’avantage des Russes, mais ils sont
arrêtés par la signature du protocole de Minsk sous les auspices de
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Le protocole,
complété le 19 septembre par des mesures techniques, consacre d’abord la
victoire militaire de l’opération russe, puisqu’il établit la « ligne de contact » à celle de l’avancée de ses forces, à
l’exception du saillant de Sebaltseve. Les forces ukrainiennes encerclées se
retirent de la zone d’opération tandis que Marioupol est dégagée après encore
plusieurs semaines d’accrochages. Une grande partie des résultats d’ATO, au
moins ceux du mois d’août, est annulée.
Le gouvernement
ukrainien accorde l’« autonomie locale » dans les oblasts
de Donetsk et de Louhansk. En échange les combattants étrangers de toutes
origines doivent quitter le territoire ukrainien avec leur équipement. Une zone
privée de toute arme lourde est également créée sur 15 km de part et
d’autre de la ligne de contact. Dans les faits la ligne de contact devient une
ligne retranchée et si les GTIA quittent l’Ukraine, les Russes continuent
d’équiper et d’encadrer les forces séparatistes afin de consolider leur
position et de dissuader le gouvernement ukrainien de tenter à nouveau une
offensive.
La guerre devient larvée avec des violations fréquentes du cessez-le-feu. La situation politique se dégrade à la fin de l’année, avec l’organisation d’élections législatives le 2 novembre dans les deux républiques séparatistes, entrainant le 2 décembre l’annulation du « statut spécial » accordé lors du protocole de Minsk aux deux provinces russophones. Le 26 décembre, les pourparlers sont suspendus. Les accrochages se multiplient et font place à la mi-janvier à de violents combats autour de l’aéroport de Donetsk.
Le 14 janvier
2015, une nouvelle offensive russe est lancée. La pression est exercée sur
l’ensemble du front qui est désormais continu depuis le nord de Louhansk
jusqu’à Marioupol, mais avec un effort particulier au centre sur deux
objectifs : l’aéroport de Donetsk et la poche de Debaltseve.
Les procédés
tactiques n’ont guère changé depuis septembre, hormis que les forces
ukrainiennes sont beaucoup plus retranchées ce qui rend les combats plus
difficiles et plus longs. L’aéroport de Donetsk est assailli selon les mêmes
procédés que pour celui de Louhansk en septembre. La position est alors tenue
depuis fin mai par les forces ukrainiennes qui maintiennent un cordon
logistique depuis leurs positions principales au nord. Les combats sont
incessants autour de l’aéroport malgré les accords de Minsk, mais les forces
rebelles sont aussi impuissantes à s’en emparer que l’armée ukrainienne à la
dégager.
Le déblocage
intervient avec l’arrivée d’au moins un GTIA russe. Comme à Louhansk en
septembre, la position est d’abord soumise à l’« artillerie
d’écrasement » des mortiers d’écrasement de 240 mm, suivie d’une série de
petites attaques où les sections de chars de bataille russes servent de fer de
lance. Les forces ukrainiennes sur place, surnommées « cyborgs » du fait de leur résistance acharnée lancent
plusieurs contre-attaques qui permettent le 17 et le 18 de reprendre une partie
des positions perdues dans les infrastructures aéroportuaires. L’attaque de
dégagement par une brigade blindée depuis le sud de la zone échoue en revanche
complètement, entravée dans son propre champ de mines. Dès lors, devant le
rapport de forces, l’issue ne fait plus de doute et le 21 janvier 2015
l’aéroport est pris après 242 jours de siège. Cette victoire est
essentiellement symbolique, l’aéroport, ravagé et toujours sous la portée de
tir de l’artillerie ukrainienne étant inutilisable.
Dès le lendemain,
les combats commencent autour de la poche de Debaltseve au centre du Donbass.
Ce sera le combat le plus important de la guerre. Debaltseve est un nœud
routier et ferroviaire stratégique pris par les rebelles en avril 2014 et
repris par les parachutistes ukrainiens en juillet. La poche forme une enclave
entre les deux républiques séparatistes. Elle est tenue par l’équivalent d’une
petite division comprenant environ 6 000 hommes
solidement retranchés. Comme désormais toujours, il s’agit cependant d’un
ensemble hétéroclite avec une brigade d’assaut par air, une brigade mécanisée,
un bataillon de défense territoriale et plusieurs bataillons de volontaires,
dont un, le Djokhar Dudayev, composé
de Tchétchènes.
Preuve du nouveau
ralentissement des opérations par le renforcement des défenses, les forces
russes et rebelles sont obligées de déployer jusqu’à 19 000 hommes, c’est-à-dire la presque totalité de leur capacité de manœuvre.
On trouve donc là aussi une longue liste d’unités irrégulières, dont la brigade
Prizark et ses volontaires
internationaux ou la Garde nationale cosaque qui en forme la plus grande part,
avec peut-être 7 000 hommes. Il y a aussi plusieurs unités
russes avec au moins deux GTIA, un groupement de forces spéciales et pour
accroître encore la puissance de feu face aux nouvelles défenses, trois
groupements d’artillerie autonomes.
La position est investie sur ses trois côtés le 22 janvier et deux
groupements d’attaque sont formés au nord et au sud chacun autour d’un GTIA
pendant que la poche est frappée par l’artillerie. Commence alors une nouvelle
bataille d’usure, avec le bombardement permanent des positions ukrainiennes et
des assauts périphériques centrés sur les deux points d’appui placés de part et
d’autre de l’entrée du saillant. Les combats sont très violents, mais cette
fois les points d’appui résistent bien. On assiste à plusieurs combats limités
entre chars. L’emploi d’au moins un avion d’attaque Su-25 russe sur les
positions ukrainiennes est signalé.
Le
2 février, les forces rebelles et russes marquent une pause
opérationnelle, tandis que la Russie engage des renforts pour essayer
d’emporter la décision avant la fin des nouvelles négociations de Minsk. Il y a
alors plus de 10 000 soldats russes en Ukraine,
hors Crimée.
Les forces
hybrides ne parviennent pas à réduire la poche avant l’entrée en vigueur des
nouveaux accords de Minsk le 15 février à minuit, mais le combat continue
quand même. L’assaut final est donné le 16. Détail qui témoigne de la
supériorité russe également dans le champ électronique, l’attaque est précédée
d’envoi de SMS sur les téléphones portables des soldats ukrainiens leur
conseillant de se constituer prisonniers. Dans le même temps, la station
russe R-330Zh Zhitel présente dans la zone brouille le réseau de
commandement ukrainien. Les Russes concentrent sur la poche la majeure partie
des moyens de feux les plus lourds dont ils disposent, guidés par drones. Tout
le front est de la poche s’effondre et la ville de Debaltseve est investie.
Devant le
désastre imminent, l’état-major ukrainien planifie une opération de repli du
saillant pour la nuit du 17 au 18 février, mais les ordres passent
difficilement et la retraite bascule dans un grand désordre. Les unités
ukrainiennes éclatées en petites colonnes sont harcelées dans leur repli et
leurs pertes sont considérables, comme souvent lorsque les dispositifs sont
disloqués. Ce désastre suscite une vive polémique, notamment entre milices de
volontaires et l’état-major. Semen Semenchenko, créateur du bataillon Donbass,
propose même de former une armée autonome.
Le 18 février, la plus grande bataille de la guerre est terminée.
Bonjour Michel,
RépondreSupprimertrès intéressant comme d'habitude. Je pense qu'il faudrait explorer l'aspect lignes de communication, donc du ravitaillement, qui est primordial. En effet, les unités russes "jouent" à domicile, bénéficiant ainsi de tout le soutien national possible, et ce sans avoir à protéger outre-mesure leurs lignes logistiques (puisqu'elles peuvent aussi s'appuyer sur les forces du ministère de l'intérieur).
Bonjour j aimerais savoir si vous pouvez m expliquer comment l armée ukrainienne s est préparée à ce conflit ( entraînement….) merci
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