dimanche 11 avril 2021

Fantaisie militaire : quand tu entends que l'on veut faire appel à l'armée...aujourd'hui pour rééduquer les mineurs délinquants

Interview Figaro 02 septembre 2020 ici

En 2011, Éric Ciotti avait déposé une loi, adoptée, mais jamais mise en œuvre, prévoyant que l’Établissement public d’insertion de la défense (Epide), qui accueille depuis 2005 dans ses centres de jeunes majeurs en difficulté, s’ouvre aux mineurs de 16-18 ans ayant commis des faits de faible gravité, pour un service citoyen de six à douze mois. Le garde des Sceaux a évoqué l’idée de le mettre en place. Que vous inspire cette mesure ?

Le code de la défense regroupe les textes relatifs à l’organisation générale, aux missions, au personnel militaire et au fonctionnement de la défense. Dans la rubrique «Mission des armées» il est écrit: «préparer et d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation». Il n’est écrit nulle part que les armées aient à servir de maison de correction, de centre de formation professionnelle, de palliatif à des peines de prison, d’anxiolytique pour la population, de fournisseurs de photos pour les articles sur le terrorisme, d’antigang à Marseille ou ailleurs, de supplétif à la police nationale, de régulateur du nombre de sangliers, de société de ramassage des poubelles ou de nettoyage des plages, d’éducateurs pour adolescents en internat-découverte.

La liste n’est pas exhaustive, pour en trouver une nouvelle il suffit de concilier lacune dans un champ de l’action publique et désir de montrer que l’on veut faire quelque chose. Le problème est qu’on ne soigne pas les maladies en fonction des remèdes les plus efficaces, peut-être parce qu’on ne les a plus, mais des potions disponibles et visibles sur l’étagère. Or, l’armée est une potion toujours disponible et qui, c’est vrai, peut soigner beaucoup de choses, même si c’est sans doute parfois de manière placebo.

Les unités militaires sont réactives, disciplinées et dotées par nécessité d’une forte cohésion. Les soldats français sont, il faut le rappeler, volontaires à faire des choses pas naturelles pour la Patrie : tuer et être tué.

Pour cela on crée autour d’eux des obligations à faire honneur à l’uniforme, au drapeau, et à ne pas faire honte à des camarades dont on a forgé l’amitié dans de durs entraînements et des opérations. On ne peut séparer l’action qui peut être un sacrifice et sa préparation. On ne transpire pas dans les entraînements pour le plaisir d’apprendre l’effort, mais pour être prêt au combat. Sinon, on fait du sport. Même les bataillons d’infanterie légère d’Afrique, les «Bat’d’Af» qui n’incorporaient que des recrues à casier judiciaire jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie, étaient engagés au combat, où ils n’ont d’ailleurs jamais beaucoup brillé.

Va-t-on engager ces mineurs dans des combats? Non évidemment et heureusement! Dans ce cas, les engager dans un processus de formation d’un soldat, en se disant qu’au moins cela en fera quelqu’un de bien, n’a pas de sens. Cela risque par ailleurs d’affaiblir notre institution.

«Je souhaite évidemment qu’il y ait le moins d’incarcération possible de mineurs chaque fois que c’est possible, ça va de soi», a déclaré Éric Dupond-Moretti en juillet dernier, plaidant de manière générale pour une diminution de la détention provisoire. Craignez-vous que l’armée devienne un palliatif à la prison?

Mais quel est le rapport entre la prison et l’armée ? Être dans l’armée, c’est une sanction ? Il est toujours singulier de voir des gens trouver soudainement de grandes vertus éducatives ou rééducatives à une institution qu’ils ont préféré éviter lorsque cela leur était possible au temps du service national obligatoire pour les hommes et volontaire pour les femmes. L’éducation à la dure, c’est pour les autres, les gueux, voire les canailles. Cela fera du bien un tour à l’armée! Oui, mais voilà ce n’est pas le rôle de l’armée, et moins que jamais.

Il est toujours singulier des voir des gens trouver soudainement de grandes vertus éducatives ou rééducatives à une institution qu’ils ont préféré éviter lorsque cela leur était possible au temps du service national obligatoire pour les hommes et volontaire pour les femmes.

Éric Dupond-Moretti, qui a des mots très gentils pour l’institution militaire, mais dont on cherche vainement la trace du service militaire, pourrait mobiliser ses propres services après tout. Quitte à trouver un palliatif à la prison pourquoi ne pas organiser quelque chose à l’intérieur du ministère de la Justice ? Il n’y a pas de modèle à admirer au ministère de la Justice ? Pourquoi pas dans l’administration pénitentiaire par exemple ?

Pensez-vous que sa mise en place pourra se faire sans difficultés?

Bien sûr qu’il y aurait des difficultés. Il faut quand même rappeler que l’expérience a été tentée de 1984 à 2004. Cela s’appelait les «Jeunes en équipe de travail» (JET) et cela consistait à organiser des «stages de rupture» de quatre mois à l’intention des jeunes délinquants, détenus majeurs de moins de trente ans ou mineurs à partir de 16 ans. Ces stages, proposés aux jeunes par le juge d’application des peines, devaient les préparer à leur réinsertion sociale et professionnelle. Les JET étaient gérés par une association et les armées ainsi que la Gendarmerie fournissaient l’encadrement, les infrastructures et l’équipement.

Au total, sur vingt ans, 5 800 jeunes délinquants sont passés par JET. Le bilan est très mitigé. Deux ans après leurs stages, plus de 60 % des mineurs qui s’étaient portés volontaires étaient retombés dans la délinquance. Le résultat était un peu meilleur pour les adultes, même si 20 % se trouvaient à nouveau incarcérés. Alors que l’on réduisait considérablement le budget de fonctionnement des armées, celles-ci n’ont plus souhaité assurer cette mission arguant en fait du faible «rendement» de ce stage et de l’impossibilité désormais de le soutenir.

L’implication dans la formation professionnelle par le biais des Epide et du Service militaire volontaire, ou du Service militaire adapté dans la France d’outre-mer, donne en revanche de bons résultats, mais il ne s’agit pas de réinsérer des délinquants après un stage court, mais de venir en aide à des jeunes en difficulté, volontaires et sélectionnés, par une longue formation. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Cela fonctionne, même si encore une fois c’est un détournement de mission.

Prônez-vous le rétablissement du service militaire à l’ensemble des jeunes?

Pourquoi pas si on répond correctement à la question : pour quoi faire ? Rappelons que le principe du service militaire, puis «national», n’était pas de rendre service aux jeunes qui y était soumis, par les soi-disant bienfaits éducatifs ou le vivre ensemble, mais de rendre service à la nation, parfois en donnant sa vie. Si l’idée est effectivement de rendre service à la nation, alors oui cela peut se concevoir. Un service militaire n’a de sens que si on engage éventuellement les recrues au combat. Si ce n’est pas le cas, on est alors dans un grand projet éducatif, et s’il concerne des mineurs, comme le projet de Service national universel (SNU) c’est la mission de l’Éducation nationale.

On peut imaginer que le service national apporte un renfort de 800000 jeunes utile à des services publics souvent en grande difficulté.

Le service national peut être un vrai projet ambitieux et un vrai projet de société, mais en réalité, il n’y a sans doute que deux voies cohérentes. La première est le retour à une forme de service national élargi à l’ensemble du service public. Cela suppose de surmonter la réticence juridique de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui considère cela comme du travail forcé et bien sûr de traquer et donc sanctionner les inévitables resquilleurs, condition sine qua non de la justice de ce service. L’effort est considérable, mais on peut imaginer qu’un renfort de 800 000 jeunes peut être utile à des services publics souvent en grande difficulté.

La seconde consiste à s’appuyer sur l’existant des services volontaires. Rappelons que le projet insensé de SNU prévoit de dépenser 1,5 milliard d’euros par an pour fondamentalement organiser deux semaines de stage découverte à tous les jeunes d’une classe d’âge et ce chiffre ne comprend pas les dépenses d’infrastructure sans doute nécessaires. Ce chiffre représente le quadruple de celui du Service civique et ses stages rémunérés de 6 à 12 mois, ou dix fois celui des 30 000 contrats de la réserve opérationnelle n° 1 des armées, mais on pourrait aussi évoquer les sapeurs-pompiers volontaires ou les réservistes du ministère de l’Intérieur.

Hors de ces deux options, me semble-t-il, on sera dans de la «fantaisie militaire», pour reprendre le titre d’un album d’Alain Bashung, de la part de gens qui n’ont jamais voulu porter l’uniforme.

9 commentaires:

  1. Très bonne synthèse de la situation.
    Merci

    Emmanuel DRESS

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  2. Bonjour,
    Au cri du coeur passé de Victor Hugo : " Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons ", certains voudraient lui substituer ce slogan actuel : " Ouvrez l'armée, vous fermerez des prisons ". Curieuse époque celle que nous vivons ... Bon week-end à toutes et à tous.

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  3. Autrefois il y avait les Bataillons d'Infanterie Légère d'Afrique ( Bat d'Afs ou Joyeux) . Le but principal n'était pas d'en faire des soldats mais surtout les éloigner des autres appelés pour que ces pommes pourries ne gâtent le reste du panier . Le problème est qu'on a quitté l'Afrique du Nord mais comme la majorité en sont originaires je propose de les renvoyer au Pays et que leurs gouvernements se débrouillent avec eux !

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  4. Je n'aurais pas dit mieux, merci Michel! Mais bon ça ne changera rien au final. Les personnes lucides dans ce pays sont vouées à l'anonymat.

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  5. vous n'expliquez pas bien pourquoi ces stages n'ont pas marché. Je peux vous en donner des éléments. lorsque les kids sont arrivés au centre, ils avaient peur d'ètre battus et des châtiments corporels. Le moindre geste, ils se planquaient Alors ils ont filé doux exactement une heure. Puis un des petits types a agressé un gentil encadrant .Verbalement d'abord devant les autres Pour voir ce qui allait se passer.il faut voir les instructions reçues. Cadre pénal à l'égard des comportements d adultes etc etc.De quoi geler sec toute initiative Et le gentil compagnon de compagnie n'a pas su réagir. Il a fait le copain camarade grand frère sévère Ok les monstres avaient reconnu une posture qu'ils connaissaient déjà bien .Celui des adultes coincés. Et les consignes, se sont effondrées toutes seules ,au fur et à mesure et plus encore ils cherchaient le contact, l aprovoc sachant que le volant de réponse était très limité. Demander à des éducs de les encadrer en leur en ôtant les moyens , c'est rendre impossible des le départ tout ce qui devrait ètre fait.. La seule idée qui ait marché mais qui naturellement été arrêtée aura été le stage en Afrique en pleine brousse ,sans portable, sans télé, sans drogue sans rien, avec l'obligation de travailler pour manger, avec personne à agresser et la fuite ,s'ils le veulent mais avec des bébêtes autour

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    1. Pas la peine d'aller en Afrique. Le Larzac fait parfaitement l'affaire.

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    2. Oui, mais ça manque singulièrement de bébêtes qui fonr peur!!!

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  6. Il y a plusieurs répétitions dans le texte, on dirait que ce n'est pas la version finalisée...

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  7. Je suis d'accord avec vous et contre ces mesures qui tentent de suppléer la carence des gens en charge de ces problèmes en s'en débarrassant sur n'importe qui d'autre pourvu que ce ne soient pas eux qui aient à les régler !
    Par contre, je suis en désaccord total avec ce que vous écrivez des Joyeux. Ainsi qu'au délire de Unknown! Avec les zouaves, la Légion et les troupes d'Afrique noire c'étaient les meilleurs de l'armée française durant la Grande Guerre et ce qui a empêché de leur attribuer un drapeau était qu'il aurait été le plus décoré de l'armée ! Cabochards, violents, étranges, tatoués, invertis,prêts à tout, peut être, mais lâches certainement pas, et des faits d'armes comme La maison du Passeur en font témoignage. Mon grand père qui en commandait une compagnie a été ramené dans les lignes après que deux d'entre eux se soient fait tuer pour aller le chercher. Et ensuite en Afrique dans les colonnes leurs attitude à été souvent élogieuse voire héroïque (lire les livres de l'adjudant Porcher à ce sujet entre autre...). A l'époque où vous les avez connu, peut être étaient ils tels, mais c'est le fait d'un mauvais encadrement qui crée de mauvaise troupes, ce qui était le cas de beaucoup de régiments d'appelés...

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