mercredi 1 avril 2020

Toyota-USA face à la crise de 2008-Résister sans licencier


Publié initialement le 26 juillet 2012

A l’heure où certaines grandes entreprises, et même des administrations, n’envisagent pas d’autres solutions à la crise que la suppression massive de postes, il n’est peut-être inutile de voir comment une entreprise comme Toyota est sortie de la crise économique, avec un déficit de 4 milliards de dollars en 2008, sans licencier un seul de ses employés.

La crise a été résolue…avant la crise

La crise de 2008 a pourtant été violente pour l’entreprise japonaise et plus particulièrement sa branche américaine, décrite ici, avec la conjonction de la contraction considérable du crédit et de l’augmentation du prix du pétrole. Les ventes en Amérique du Nord ont chuté d’un coup de 40 % y plongeant toute l’industrie automobile dans une situation critique. En juillet 2010, plus de 300 000 emplois avaient été supprimés dans ce secteur...sauf chez Toyota.

Toyota est une entreprise particulièrement résiliente. Cette résilience repose sur deux fondements : l’autonomie financière et une culture de l’amélioration permanente jusqu’aux plus bas échelons.

L’autonomie financière date de la crise de 1950 lorsque Toyota s’est trouvée incapable d’honorer les salaires (provoquant la seule grève prolongée de son histoire). Les prêteurs ont obligé la direction, qui a démissionné ensuite, à se séparer de 1 500 employés. Depuis, Toyota s’obstine à conserver des liquidités en propre (jusqu’à 40 milliards de dollars) plutôt que de les distribuer en somptueux dividendes ou en primes généreuses pour ses dirigeants.

Cette autonomie financière permet à l’entreprise de résister aux pressions extérieures et lui donne le temps d’analyser vraiment la situation afin d’appliquer ses propres solutions. Celles-ci sont lentes et peu visibles puisqu’il n’y a pas de destitution ou de grand plan social mais elles sont inexorables et surtout très efficaces.

C’est ainsi que lorsque survient la crise de 2008, le conseil de l’entreprise, composé uniquement d’anciens dirigeants, commence par faire une analyse approfondie de la situation. Il en découle un plan, Vision globale 2020, qui définit les axes d’investissements à long terme et sur lesquels il ne faut pas transiger (concentration sur des véhicules économes et respectueux de l’environnement, accent sur les technologies hybrides et les carburants alternatifs) et une décision stratégique pour faire face à la crise du moment : la rentabilité sera restaurée sans licenciement, ni fermeture d’usine. Les ouvriers expérimentés, formés à la résolution de problèmes et à l’amélioration continue (Kaïzen), sont un actif précieux. Ils ne sont donc pas considérés comme un problème mais comme la solution.

La gravité de la situation est clairement expliquée à tous jusqu’au plus modeste des employés américains et tout le monde doit se mettre au travail pour y trouver des remèdes.

L’appel à la responsabilité et l’intelligence de tous

Le premier axe d’effort étant celui de la réduction des coûts. Une partie de cette réduction est venue mécaniquement de la réduction de l’activité. La fin des heures supplémentaires a, en moyenne, représenté une perte de 10 % des revenus pour les employés. Par solidarité, les cadres ont vu également leurs primes réduites provisoirement, parfois jusqu’à 30 %. Des dizaines de cercle de qualité ont été formés dans les usines américaines pour travailler sur cette question qui ont passé au crible tout le fonctionnement des usines et ce en toute transparence. Depuis la fin des voyages en classe affaire pour les cadres jusqu’à l’économie d’électricité dans les bureaux, ces groupes ont traqué le Muda (gaspillage, même minime). Une équipe du Kentucky ont inventé une machine capable de démonter les transrouleurs (ils étaient jusque-là remplacés à chaque changement de modèle) et d’en recycler les éléments. Dans cette même usine du Kentucky, deux millions de dollars ont pu être économisés en 2009 dans une seule des deux chaînes d’assemblage.

Ces économies n’ont pas suffi à empêcher l’arrêt de chaînes d’assemblage, en particulier pour les gros véhicules produits dans l’usine du Texas et celle de l’Indiana. Pourtant, là encore, il n’a été procédé à aucun licenciement, ni même au chômage technique pour les ouvriers qui y travaillaient. L’immobilisation a été au contraire transformée en opportunité d’investissement humain. Les 900 ouvriers sans travail de l’Indiana ont été regroupés en équipes kaïzen, sous la direction de cadres et chefs de groupe eux-mêmes préalablement formés, pour étudier des problèmes concrets, notamment à partir des données collectées sur les problèmes rencontrés avant l’interruption de la chaîne. Ils ont surtout été formés à une multitude de sujets dont certains correspondants à des étudiants de deuxième année : outils statistiques pour le contrôle qualité, analyse ergonomique, prévention des accidents de travail, maintenance des équipements. L’autoformation a également joué à plein. Un chef de groupe, ancien policier, a développé des méthodes de recherche de défauts à partir des méthodes de recherche d’indices sur un lieu de crimes (photographies, signalisation, usage de plumeaux pour mieux voir les bosselures et éraflures, etc.) qui ont été appliquées ensuite à l’ensemble de la maison Toyota.

Cet investissement humain a donné des résultats remarquables lorsque les chaînes ont été réactivées. Le nouveau gros modèle, le Highlander, a été lancé en un temps record et avec très peu de défauts. D’une manière générale le taux de défauts dans l’ensemble des usines américaines de Toyota a diminué dans des proportions considérables. Elles ont également appris, en deux ans seulement, à être rentables à partir de 70 % d’emploi des capacités de production (contre 80 % auparavant et contre 85-90 % chez les concurrents).

Le même principe du respect et de la confiance a été appliqué aux fournisseurs, qui produisent 70 % des composants d’une victoire Toyota. Pour aider ces sous-traitants en difficulté, Toyota a accéléré ses paiements (là ou d’autres les ont au contraire retardés). Contrairement aux habitudes du juste-à-temps, les usines Toyota ont stocké également des pièces détachées afin, encore une fois, de soutenir l’activité de leurs fournisseurs mais aussi de se préserver de leur faillite. L’usine au Texas a même inclus les fournisseurs dans le plan de formation de ses employés.

En octobre 2009, Toyota a retrouvé les bénéfices, sans licencier, fermer les usines ni sacrifier les investissements, en faisant simplement confiance à ses employés.

Sources :
Jeffrey Liker, Timothy Ogden, Toyota, un modèle de gestion de crise, Pearson, 2011.
Koïchi Shilizu, Le toyotisme, La découverte, 1999.

7 commentaires:

  1. Cette méthode si efficace et si humaine est-elle transposable en France? On peut en douter hélas, car sous ses dehors démocratiques, la société française reste profondément aristocratique. On est seulement passé d'une aristocratie de naissance à une aristocratie du savoir. On vante notre "élitisme républicain" : certes, mais en terme de pouvoir qu'est-ce qui a changé? Une nouvelle élite s'accapare la connaissance et ne la partage guère car c'est ce qui lui donne du pouvoir. Il n'y a qu'à voir les réticences et le malaise de cette élite devant internet. La mise en ligne gratuite des connaissances est regardée avec méfiance et souvent tout est fait pour la déconsidérer : exemple de Wikipédia. Beaucoup de ces gens pensent dans leur for intérieur que le savoir est quelque chose de trop précieux pour être partagé avec le "populaire" qui en ferait un mauvais usage en le déformant. Il suffit de se rappeler les sarcasmes qui avaient suivi l'annonce d'amener 80% d'une classe d'âge au bac : il ne vaudrait plus rien, disait-on. Il est toujours de bon ton de ricaner devant les résultats du bac et des échecs à l'université. Il ne s'agit pas de nier les problèmes, ils existent. L'expérience montre pourtant que lorsqu'on veut réellement partager la connaissance, la majorité des étudiants acceptent de faire les efforts nécessaires. Accéder à la connaissance demande de l'investissement personnel et c'est de la démagogie que de dire que c'est facile. L'éducation dite populaire en France a trop souvent été cantonnée dans des domaines secondaires sans importance. Résultat : une part trop importante de population crédule, sensible aux discours démagogiques dans tous les domaines : politiques, pseudo-scientifiques (que ne dit-on pas sur l'environnement)...

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    1. L'adjectif élitiste semble plus approprié qu'aristocratique pour qualifier nos sociétés occidentales. Une aristocratie joue un rôle de protection vis-à-vis du peuple dont elle est issue. Tel n'est pas le cas de nos élites modernes. Vous le connaissez sans doute déjà, mais si d'autres lecteurs sont intéressés par le sujet, "La révolte des élites" de Christopher Lasch, décrit très bien la façon dont la société américaine est devenue élitiste.

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  2. Fort beau modèle de gestion de crise qui a nécessité toutefois une anticipation (ces 40 milliards de réserve). Le modèle est si intéressant qu'on pourrait presque le transposer à notre armée, s' il est vrai qu'elle a atteint un plancher...
    Toutefois le précédent intervenant l'a bien dit, nous vivons dans une démocratie certes mais profondément aristocratique et pyramidale. Des traits culturels difficiles à gommer.

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  3. Vous avez raison et cela me rappelle un excellent article de Frédéric Lemaitre intitulé "Pourquoi Toyota n'est pas français". En même temps, les exemples que je donne se passent dans les usines américaines de Toyota, comme quoi certaines méthodes peuvent être adaptées dans d'autres cultures.

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  4. C'est ce qu'on appelle de la Recherche Opérationnelle qui est parfaitement appliquée par Toyota dans cet exemple. Toutes les entreprises d'une certaine taille et nos armées devraient avoir des équipes spécialisées dans cette discipline.

    Nous avons des chercheurs et des ingénieurs spécialisés dans l'aide à la décision qui sont obligés d'émigrer pour travailler... même si j'en connais un bon qui veut rester.

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  5. Mais pourquoi le modèle 2008 de Toyota, il n'a pas été appliqué par les directions générales des grandes entreprises US, Françaises et autres ?

    Peut être était-il appliqué partiellement par certaines entreprises allemandes, le bien connu "modèle rhénan" ....

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  6. Un article à méditer et une petite pierre dans l'édifice de recomposition de notre société. Cette crise aura sans doute du bon, bien sûr pas pour ceux qui auront été affectés

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