La France
est en guerre, elle est même en guerre quasi-perpétuelle. Selon les termes du
droit international humanitaire (DIH), la guerre est un conflit armé entre
Etats et/ou groupes politiques non-gouvernementaux. Le caractère politique de
cette confrontation est, avec sa limitation dans le temps, ce qui la différencie
de la mission de police, autre emploi possible de la force légitime qui ne
considère que des contrevenants à l’ordre et à la loi et qui est une mission
perpétuelle.
Selon
cette définition, qui exclut donc les engagements militaires où aucun ennemi
n’est désigné par « déclaration » et qui relèvent de la police internationale
(missions par ailleurs tout aussi dangereuses), et en considérant seulement les
confrontations qui ont occasionné des morts violentes, la France a mené
plusieurs dizaines de guerre depuis 1962. Pour autant, bien peu ont été décrites
comme telles, en grande partie parce qu’en France c’est l’exécutif qui en
décide et selon deux critères : la répugnance ou non à considérer
l’adversaire comme un ennemi (et donc lui donner un statut politique) et la
volonté de mobiliser ou non l’opinion publique.
Une guerre contre un Etat tous
les cinq ans
Dix de
ces guerres que la France a mené peuvent être qualifiées
d’« interétatiques », ou conflit « international » selon le
DIH. Ce sont celles qui devraient poser le moins de problème de qualification
puisqu’elles concernent normalement des acteurs équivalents en droit et en
statut. Pour autant, il est des situations où la volonté commune de maintenir
la confrontation dans un cadre très limité retient de lancer la mobilisation
des esprits et des forces des nations dans une montée aux extrêmes.
Le premier de
ces conflits a opposé la France à la Tunisie en juillet 1961 au sujet de la
possession de la base de Bizerte. L’action de la force, justifiée par la
« légitime défense manifeste », a été très violente mais aussi très
limitée dans l’espace et le temps. Le deuxième Etat que la France a affronté
est la Libye, de 1983 à 1988. La confrontation s’est limitée au territoire du
Tchad et malgré la présence de forces aéroterrestres de part et d’autre, l’affrontement
y a été très indirect, la France soutenant le gouvernement d’Hissène Habré et
la Libye son opposant. Le colonel Kadhafi a finalement accepté un cessez-le-feu
en 1988 mais organisé l’année suivante des attentats aériens où ont péris 54
Français.
Durant la
même période, sur fond de contentieux financier et de volonté de présence au
Proche-Orient, la France a aussi affronté la jeune République islamique iranienne et
la Syrie. La confrontation est restée souterraine. La France a soutenu militairement
l’Irak contre l’Iran qui ont riposté par le biais d’organisations armées qui
frappaient durement au Liban et à Paris. En 1988, la France s’avouait vaincue,
renonçait à certaines ambitions et remboursait le prêt octroyé par le Shah. Il
y avait bien eu « lutte
armée et sanglante entre groupements organisés » selon la
définition de la guerre par Gaston Bouthoul mais sans qu’aucun des instruments
de force ne soit apparus ouvertement. A une échelle bien plus réduite, il a en
été sensiblement de même en Côte d’ivoire pendant quelques jours de novembre
2004 après l’attaque « accidentelle » de l’aviation ivoirienne et
l’agression des ressortissants française par une milice politique
« indépendante ».
La France
a aussi été engagée dans cinq guerres dans le cadre de coalitions dirigées par
les Etats-Unis : contre l’Irak (1990-1991), la République bosno-Serbe
(1995), la Serbie (1999), le régime Taliban (2001) et la Libye (2011). Ces
affrontements, où la France a été un acteur très minoritaire et où elle n’a
perdu aucun soldat au combat, ont cependant été clairement des guerres, dans
l’acceptation la plus restrictive qui puisse être.
Les
institutions de la Ve République donnent un pouvoir discrétionnaire à
l’exécutif pour engager la force armée. Jusqu’à la réforme de juillet 2008 qui
impose d’informer le Parlement du déclenchement d’une opération et de demander
l’approbation de sa poursuite au bout de quatre mois, le gouvernement a pu ainsi
engager des guerres de fait sans même avoir à les « déclarer », voire
même parfois à « en parler ». Alors que la dimension politique,
rappelons-le condition sine qua non
de l’état de guerre, y était souvent évidente, c’est finalement le besoin, ou
l’obligation, de mobiliser les esprits qui a déterminé la décision de
« déclaration » de guerre.
Certaines
confrontations n’ont pas été avouées. D’autres très limitées et/ou relevant de
la « légitime défense » n’ont pas eu besoin de beaucoup de soutien
pour l’action déjà décidées par le Président de la République. Ce sont
finalement les guerres en coalition, et plus particulièrement celle qui
paraissait la plus difficile, contre l’Irak en 1990, qui ont suscité le plus de
mobilisation, en partie sous l’influence de la manière américaine qui impose
souvent une hystérisation préalable pour forcer un processus de décision
d’entrée en guerre beaucoup plus rigide qu’en France.
Cette
« guerre du Golfe » a d’ailleurs la seule, parmi ces dix conflits
interétatiques à avoir été qualifiée de « guerre », sans que par
ailleurs l’appel à l’article 35 de la Constitution, prévoyant un vote du
Parlement soit envisagé. Un mandat des Nations-Unies ou la demande d’aide d’un
Etat, voire l’invocation de l’article 51 de la Charte des Nations-Unies sur la
légitime défense, remplacent désormais cette disposition. La dernière
déclaration officielle de guerre, par le Président de la République, date donc
de septembre 1939. Pour autant, la dernière guerre reconnue officiellement, en
1999, est une guerre contre une organisation non-étatique : le Front de
libération nationale (FLN).
Les guerres à bas bruit
La
quasi-totalité des soldats « morts pour la France » depuis 1962 sont
tombés face à des groupes non-étatiques.
Certains de
ces groupes étaient français : l’Organisation armée secrète (OAS) puis ses
avatars Charles Martel ou Commandos delta pour l’extrême-droite, Action directe
et quelques groupuscules pour l’extrême-gauche, Front de libération nationale
corse et le Front de libération nationale kanak et socialiste pour n’évoquer
que les groupes qui ont tué pour des raisons politiques. Du point de vue de ces
cinq groupes ou mouvances, l’état de guerre ne faisait aucun doute mais aucun
d’entre eux n’a accédé à la masse critique du FLN, d’abord contenu à la sphère
criminelle avant de remporter la guerre en Algérie. En refusant de leur
conférer une quelconque équivalence, l’Etat a maintenu tous ces groupes dans la
criminalité. Leurs faibles capacités permettaient de les traiter avec les
moyens de police (éventuellement renforcés de forces militaires) dans le cadre
du droit pénal ordinaire. Tous ces groupes ont été détruits ou ont cessé le
combat sans qu’il soit nécessaire de prononcer le mot de « guerre »
pour décrire la situation ou pour mobiliser les esprits.
Les groupes
armés les plus importants et dangereux que la France a affronté ont été étrangers.
Jusqu’en 2013, il y a eu successivement l’Union des populations camerounaises
(UPC) jusqu’en 1963, le Front de libération nationale (Frolinat) au Tchad de
1968 à 1979, les Tigres Katangais au Congo en 1977 et 1978, le Polisario en
Mauritanie en 1977-1978, le Front patriotique rwandais (FPR) de 1990 à 1993,
une coalition regroupant Al Qaïda, les Taliban et sans doute surtout le
Hezb-e-Islami Gulbuddin en Afghanistan. La France est intervenue presqu’à
chaque fois à la demande d’Etats locaux. Ceux-ci confinaient aussi leurs
adversaires intérieurs à la criminalité (ou au « terrorisme ») et il
apparaissait difficile pour la France de les qualifier autrement. Il
n’apparaissait pas non plus nécessaire d’en parler beaucoup puisque les moyens
engagés et les risques pris ne semblaient pas justifier d’un appel à la
mobilisation. L’engagement limité au loin offre au moins la possibilité de se
retirer éventuellement avant que la guerre soit terminée sans engager des
intérêts vitaux. Dans ces conditions, la mobilisation, qui a pour effet de lier
les actions à ce que l’on a annoncé et donc de diminuer la liberté d’action,
n’est pas toujours nécessaire et peut même apparaître comme négative.
Ces conflits
ont donc été engagés menés « à bas bruit », y compris en Afghanistan.
Hormis l’engagement de Forces spéciales dans la province de Kandahar de 2003 à
2006, la véritable entrée en guerre contre les groupes armés à eu lieu en 2008
avec l’engagement en Kapisa-Surobi. Cette entrée en guerre, s’est faite de la
plus discrète des façons, le Président de la République ne l’évoquant ni à la
nation, ni même à ses représentants. Mais refuser de qualifier les
choses et même de les évoquer n’empêche pas celles-ci d’exister et la guerre
est un domaine d’action, non seulement violent mais aussi très incertain car dialectique.
Les deux embuscades de Bedo au Tchad en 1970 et de la vallée afghane d’Uzbin en
2008, où tombaient respectivement 12 et 10 soldats français, ont constitué des
révélateurs d’une situation qui contredisaient violemment la discrétion
officielle, plaçant les autorités dans un grand embarras et devant la nécessité
d’expliquer pourquoi elles avaient dissimulé l’état de guerre. Le terme de
guerre est revenu très progressivement dans le discours politique sur
l’engagement français en Afghanistan, témoignant de la difficulté à se dédire
sans se renier.
La confusion du discours
L’engagement
de janvier 2013 contre la coalition de groupes djihadistes au nord du mali, Ansar-Eddine,
Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) et Al-Qaïda
au Maghreb Islamique (AQMI), a marqué un tournant car, pour la première fois
sous la Ve République, un affrontement contre des groupes armés était
d’emblée et ouvertement qualifié de « guerre » par le Président de la
République. En réalité, il s’agissait d’une bataille puisque les ennemis
existaient toujours après les combats au Mali. La guerre déclarée en 2013 (mais
commencée en réalité vingt ans plus tôt avec le Groupe islamique armé) suit
donc son cours sans que l’on puisse très bien imaginer comment elle se
terminera.
Malgré cette
guerre en cours, et une opération de stabilisation difficile en Centrafrique,
on choisit ensuite de s’engager dans une autre guerre en rejoignant en
septembre 2014 une nouvelle coalition américaine mais contre un groupe armé
cette fois : l’Etat islamique. Comme dans les autres coalitions américaines,
la France est un acteur mineur contraint à une mobilisation des esprits
« à l’américaine » pour justifier son engagement et compenser les
faibles moyens par une forte posture. Contrairement à la clarté de l’année
précédente, on refuse la qualification d’ennemi aux « bouchers de
Daech », réduits à une bande de criminels psychopathes qu’il s’agit
simplement d’éliminer. On fait donc une guerre mais en la décrivant comme une
opération de police. Dans la confusion, on en vient même à justifier les frappes
françaises en Syrie en septembre 2015 à la fois par l’article 51 de la charte des
Nations-Unies relatifs à la légitime défense des Etats et par le souci unique
de démanteler a priori les réseaux
terroristes prévoyant d’attaquer la France. Dans cette guerre qui se déroule à
la fois à l’étranger et sur le territoire national, on avait oublié qu’entre la
« zone des armée » et celle « des arrières », il était
possible d’appliquer des droits différents, droit des conflits dans un cas,
droit pénal ordinaire dans l’autre, y compris pour les traîtres, phénomène qui
ne constitue pas une nouveauté ni historique, ni juridique.
Après les
attentats de janvier 2015, le Président de la République a requalifié
l’affrontement en cours de « guerre », surtout pour paraître à la
hauteur de l’émotion, mais en hésitant toujours sur la désignation de l’ennemi.
Par incompréhension, répugnance ou volonté de ne pas heurter, on est donc passé
de guerre aux « terroristes », à « Daech » (en évitant donc
de l’appeler par le nom que le groupe se donne), ou encore aux
« Islamistes » mais sans nommer d’organisations précises. La
déclaration de guerre reste toujours orpheline d’un ou de plusieurs ennemis
politiques clairement désignés.
Décisions
fortes qui engagent la nation dans un sens donné, il est difficile de revenir
sur les qualifications des contextes d’emploi de la force. Il reviendra donc
probablement au nouvel exécutif de dire clairement les choses. Qu’on le veuille
ou non, la France est déjà en guerre contre des organisations armées
précises : l’Etat islamique et la coalition des groupes djihadistes
saheliens. Il conviendra de dire s’il faut qualifier d’ennemis d’autres groupes
djihadistes, notamment ceux de la fédération Al-Qaïda, et si on veut en ajouter
d’autres, éventuellement « tous » les groupes djihadistes du monde. Cette
guerre aura forcément une fin, il serait bon aussi de préciser celle que l’on
souhaite et comment on compte y parvenir. Il sera nécessaire enfin de dire
comment on veut la faire et les moyens qui seront nécessaires pour l’emporter.
Si on refuse ces moyens, il faudra sans doute revenir à la première étape. Il
ne sert à rien de dire, comme le Président de la République juste après
l’attaque du 13 novembre 2015, que l’on va « tout
mettre en œuvre pour détruire l’armée des fanatiques qui a fait cela »
et ne rien faire de sérieux ensuite. La guerre ne se déclare pas de manière
floue, ni ne se conduit à la légère.
Billet tout à fait clair sur une situation récurrente et des postures politiques archaïques!
RépondreSupprimerDéni de réalité,objectif militaire flou avec des moyens qui s'appauvrissent d'année en année. La France veut tenir ça place dans le concert des grandes nations , mais ne peut et/ou ne veut se donner les moyens de ses ambitions.
Comme vous le soulignait mon Colonel le mot guerre est employé par beaucoup. Personnellement je crois que le terme de conflit asymétrique serait plus approprié!
Nos soldats se battent contre une idéologie ou le gain de territoire n'a pas forcément de sens! Très peu de gens connaissent la TF Wagram les BAP et leurs missions..
Loin des yeux , loin du Coeur EMA communique mais les medias reprennent peu ou pas les informations. Pour preuve la publication du Général DE VILLIERS concernant les moyens de l'armée! En espérant que les choses évoluent grâce à vos chroniques et votre charisme médiatique. J'ai toujours plaisir à vous entendre ou a vous lire
En vous remerciant
Mes respects mon Colonel
Ce texte explicite que nous sommes une nation qui n'a pas arrêté de guerroyer après 1962. Bravo pour ce récapitulatif; cela explique que le soldat français est un combattant qui sait rapidement s'adapter au terrain et à l'ennemi (ce qui n'est pas le cas de beaucoup de nos voisins européens).
RépondreSupprimerPetite coquille: en Côte d'Ivoire vous avez mis des guillemets à ''accidentelle '',on pourrait en mettre à l'aviation ''ivoirienne'' compte tenu de la nationalité des équipages...
Il suffit d'avoir été plus ou moins militaire pour savoir que les politiques ont les pires peines du monde à savoir employer l'armée notamment lorsqu'ils ont été peu ou pas militaires (sic).
RépondreSupprimerEt c'est bien dommage.
De la même façon qu'un quidam pourrait s'entraîner sur un circuit pour acquérir le maniement d'un véhicule ou au stand de tir pour celui d'une arme, un politique (Voire même le susmentionné quidam, soyons fou, ou rétrograde) devrait savoir quand, comment, où et pourquoi employer la force armée et plus particulièrement actuellement faire la différence entre la police et l'armée.
On se félicite d'état major éclairé
Mon colonel,
RépondreSupprimerVotre article inventoriant les divers conflits / guerre auxquels la France participa, et surtout leur gestion politique est fort pertinent. Mais hélas il ne semble pas que nos dirigeants politiques, surtout depuis ces 10 dernières année, en est tiré les leçons. Excuser le terme c'est actuellement du "bricolage" à CT, et nos quelque moyens militaires encore opérationnels sont dispersés dans plusieurs conflits/guerre. Le verbe politique ne supplée pas à une stratégie, et les moyens allant avec.
Il faut rappeler que la coalition anti-daesh créé en septembre 2014, est arrivé après que Bachar ait été désigner ennemi n°1, et que la France a donc dans cette perspective plutôt "particulière" (ingérence?), motivé au départ contre la Syrie, avec livraison d'armes à des rebelles accessoirement modérés. C'est d'ailleurs des jeunes de chez nous qui étaient partis combattre le régime de Bachar, qui sont revenus djihadistes terroristes. On pense que, on fait que, sans objectif donc sans résultat, la concertation aux oubliettes. Sadam, Kadhafi, Bachar, sont devenu les excusent afin, soit de prendre les richesses pétrolières, soit de faire le jeu de la politique israélienne anti-iranienne dont Bachar est un des alliés. Voilà je voulais donner un peu de consistance dans un sujet tellement confus, à la moral tellement imperceptible, que pour avancer dans une analyse au plus proche de la réalité, il fallait rappeler les enjeux inavouables, mais aussi les erreurs de trajectoire dû à des politiciens parfois très peu inspirer, ou simplement dû à la folie inhérente aux hommes. Ce qui serait intéressent maintenant, c'est de connaitre les retombés économiques direct et officiel de ces conflits larvés, vers le fonctionnement de la nation française, et du bien-être du peuple français, trop souvent méprisés à bien trop d'égare. On pourrait aussi parler de Lockerbie ou d'Abou Nidal par exemple, qui ont arrangés du monde à l'époque, mais pas ceux que l'on croyait. Je rappel que les trois dictateurs que j'ai cité plus haut étaient tous garant de la liberté de culte, alors qu'aujourd'hui nous avons choisi de défendre le fondamentalisme sunnite et juif (Je ne dis pas que les chiites sont fréquentable, mais tant qu'ils restent dans leur caca, c'est leur problème.), au détriment de ce que nous sommes depuis des lustres, parlant même une langue développé dans les monastères chrétiens, mais aujourd'hui renié jusqu'au cou. Alors où voulez-vous en venir exactement, car je n'ai pour une fois, pas compris la finalité de votre analyse. Est-ce que certains sèmeraient la haine et la guerre pour des intérêts religieux ou mercantiles? Sans blague?! Conduire une guerre en la déclarant ou pas, cela reste juste de l'administratif, mais savoir pourquoi on la fait, et pour qui, cela me parait plus important.
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