Aujourd’hui,
la foudre
Ce qu’il faut retenir, c’est
d’abord le titre qui décrit bien la distinction entre les deux formes d’affrontement
moderne : sous le seuil de la guerre ouverte et au-delà. C’est une distinction
ancienne mais qui a été exacerbée par l’existence des armes nucléaires, car
entre « puissances dotées » le franchissement du seuil de la guerre amène très vite à frôler celui,
totalement catastrophique, de l’emploi des armes nucléaires. Autrement dit, le
seuil de la guerre ouverte entre puissances nucléaires est un champ de force
qui freine les mouvements à son approche et peut les accélérer après son
franchissement, du moins le croit-on car on n’a jamais essayé. Dans cette situation
l’affrontement ne peut être que long et peu violent ou bref et terrible.
Dans la première partie de
son livre, présenté sous forme de faux dialogues, le général Delaunay expose d’abord
sa conception de la foudre. L’ennemi potentiel de l’époque est alors clairement
identifié : l’Union soviétique.
Le monde n’est pourtant pas
alors aussi bipolaire qu’on semble le croire aujourd’hui. La Chine populaire mène
alors son jeu de manière indépendante, après un franchissement de seuil contre
l’URSS en 1969-1970 qui a failli virer à la guerre nucléaire. Le Petit livre
rouge fait un tabac dans les universités françaises. Jean Yanne réalise Les
Chinois à Paris de Jean Yanne (1974). Il y a des guérillas maoïstes
partout dans le Tiers-Monde, on ne dit pas encore « Sud-Global », et certains pays comme
la Tanzanie s’inspirent de la pensée du Grand timonier. Pour autant, l’étoile
rouge palie quand même pas mal à la fin des années 1970 alors que le pays est
en proie à des troubles internes, un phénomène récurrent, et vient de subir un
échec militaire cinglant contre le Vietnam. Dans les années 1980, on parle
beaucoup du Japon, non pas comme menace militaire ou idéologique, mais comme un
État en passe de devenir la première puissance économique et technologique mondiale.
Le voyage au Japon est alors un passage obligé pour tout décideur en quête de
clés du succès, avant que le pays ne fasse pschitt à son tour quelques années
plus tard. Et puis il y a les États-Unis qui ont été eux aussi secoués par des
troubles internes dans les années 1960-1970 en parallèle de la désastreuse
guerre au Vietnam et à qui on prédisait un long déclin mais qui reviennent sur
le devant de la scène politique internationale avec Reagan. Comme quoi, décidément,
il faut se méfier des projections sur l’avenir des nations. Après tout, on parlait
aussi dans les années 1960 d’un « miracle français », on n’en parle plus dans les années 1980.
Tout cela est une
digression. La foudre ne peut alors vraiment venir que de l’URSS ainsi d’ailleurs
que le cancer le plus dangereux, on y reviendra plus tard. Il faut bien
comprendre que l’époque est aussi très tendue et que la guerre est présente
dans le monde sous plusieurs formes, au Liban, entre l’Argentine et le Royaume-Uni,
entre l’Iran et l’Irak, en Ulster, en Afghanistan, en Angola ou au Mozambique,
sur la frontière de la Namibie où s’affrontent notamment Cubains et
Sud-Africains, entre la Somalie et l’Éthiopie où survient également une famine
terrible, en Syrie, et dans plein d’autres endroits du Tiers-Monde en proie à
des contestations internes. C’est l’époque aussi de grandes catastrophes écologiques
et industrielles comme à Bhopal, Tchernobyl ou les grandes marées noires.
Foudre
rouge
Il y a surtout la menace nucléaire.
L’horloge de la fin du monde ou horloge de l’Apocalypse (Doomsday Clock)
est mise à jour régulièrement depuis 1947 par les directeurs du Bulletin of
the Atomic Scientists de l’université de Chicago. De 1984 à 1987, elle
indique trois minutes avant le minuit de l’emploi de l’arme nucléaire, du
jamais vu depuis 1953. Plus précisément, depuis la fin des années 1970, on
s’inquiète beaucoup du développement par les Soviétiques d’un arsenal nucléaire
de grande précision, en clair les missiles SS-20 capables de frapper non plus seulement
les larges cités mais aussi désormais de petites cibles comme des silos de missiles
ou des bases aériennes.
Le premier scénario que
décrit Jean Delaunay et auquel on pense alors beaucoup est donc celui d’une
attaque nucléaire désarmante en Europe. Dans ce scénario, les Soviétiques provoquent
une grande explosion à impulsion électromagnétique au-dessus de la France puis après
une série de frappes nucléaires précises, des raids aériens et des sabotages parviennent
à détruire ou paralyser la majeure partie des capacités nucléaires en Europe. Il
ne resterait sans doute vraiment de disponibles que les sous-marins nucléaires
lanceurs d’engins (SNLE) qui auraient maintenu la communication.
A ce stade, l’arsenal
nucléaire américain en Europe serait largement mis hors de combat. Les
Américains ne pourraient utiliser le nucléaire que depuis leur territoire et
avec la certitude qu’une riposte soviétique les frapperait aussi sur ce même
territoire. On peut donc considérer qu’ils seraient beaucoup plus dissuadés de
le faire que s’ils tiraient de République fédérale allemande (RFA) avec riposte
en RFA.
Quant aux pays européens
dotés, leur force de frappe attaquée dans ses bases militaires et ces centres
de communication aura été très affaiblie mais sans que la population soit beaucoup
touchée. Ce qui restera de cette force ne sera peut-être plus capable de franchir
les défenses soviétiques, et de toute façon il s’agira surtout de missiles
tirés de sous-marins trop peu précis pour frapper autre chose que des cités et
là, retour à la case départ : si tu attaques mes cités, je détruis les
tiennes, d’où là encore une forte incitation à ne pas le faire. Bref, on serait
très embêté et très vulnérable à la grande offensive conventionnelle qui suivrait.
Pour faire face à ce scénario,
les États-Unis ont proposé en 1979 de déployer des armes nucléaires, non pas « tactiques » — celles-ci ont été
largement retirées, car peu utiles et déstabilisatrices — mais de « théâtre » ou encore « forces nucléaires intermédiaires, FNI » tout en proposant à l’URSS un dégagement simultané
d’Europe de ce type d’armes. L’URSS tente d’empêcher ce déploiement en instrumentalisant
les mouvements pacifistes sur le thème « s’armer c’est provoquer la guerre » ou « plutôt rouges (c’est-à-dire soumis) que morts ! ». Les manifestations sont impressionnantes de 1981
à 1983 mais les États de l’Alliance atlantique ne cèdent pas. En 1985, cette
crise des « Euromissiles » est pratiquement terminée et ce risque d’attaque désarmante se réduit
beaucoup. Gorbatchev, à la tête du Comité central depuis le mois de mars, accepte
de négocier et l’accord sur les FNI deux ans plus tard marque le début véritable
de la guerre froide.
La
guerre des étoiles
Un autre sujet dont on
parle beaucoup en 1985 est l’initiative de défense stratégique (IDS) lancée par
Reagan en mars 1983, popularisée sous le nom de « Guerre des étoiles », en clair la mise en
place d’un bouclier infranchissable antimissile utilisant notamment massivement
des « satellites tueurs » armés de puissants lasers. Entre bluff et volontarisme américain sur
le mode « conquête de la Lune en dix ans », on ne sait pas très bien dans quelle mesure les
initiateurs du projet y croyaient vraiment, mais on ne parle que cela à l’époque.
Le général Delaunay a tendance à croire cela comme très possible à terme, ce
qui ne manquera pas d’avoir des conséquences très fortes sur toutes les
stratégies d’emploi du nucléaire. Ce sera d’abord très déstabilisant, car l’URSS
se trouvera désarmée devant ce bouclier, d’où peut-être la tentation d’agir avant
qu’il ne soit effectif. Ce sera ensuite paralysant pour la France, car on imagine
alors que les Soviétiques feront de même et disposeront aussi de leurs
boucliers antimissiles antibalistiques. Delaunay en conclut que : « L’arme nucléaire, qui a préservé la paix pendant
quarante ans une certaine paix ne pourra bientôt plus être considérée comme la
panacée en matière de défense ».
Il ne voit pas d’avenir aux
SNLE au-delà de vingt ans, mais privilégie le développement des missiles de
croisière, moins coûteux et considérés comme invulnérables pendant longtemps.
Le général Delaunay exprime
en fait de nombreux doutes sur la priorité absolue accordée au nucléaire (alors
à peu près un cinquième du budget de Défense) au détriment du reste des forces.
Chef d’état-major de l’armée de Terre depuis 1980, Delauany avait démissionné en
1983 afin de protester contre la faiblesse des crédits accordée à son armée. Il
privilégie alors l’idée de « dissuasion par la défense », en clair en disposant d’abord d’une armée conventionnelle
forte, plutôt que « par la terreur ». Cela nous amène au deuxième scénario, auquel on
croit alors en fait beaucoup plus qu’au premier, trop aléatoire.
Moisson
rouge
La menace de « foudre » qui inquiète le plus à l’époque
est « l’attaque éclair aéromécanisée » conventionnelle. L’idée est simple : « rompre l’encerclement agressif des pays de l’OTAN et
préserver l’acquis du socialisme » en conquérant un espace tellement vite que les pays occidentaux n’auront
pas le temps de décider de l’emploi l’arme nucléaire. Delaunay décrit un scénario
où depuis l’Allemagne de l’Est les Soviétiques essaieraient d’atteindre la côte
atlantique de Rotterdam à La Rochelle en cinq jours. Cela paraît à la fois très
long et très ambitieux. D’autres scénarios de l’époque comme celui du général
britannique Hackett (La troisième guerre mondiale, 1979 ; La guerre
planétaire, 1983) décrivent une opération sans doute plus réaliste limitée
à la conquête fédérale allemande en deux ou quatre jours, je ne sais plus. Je
ne sais plus non plus quel alors est le scénario de Tempête rouge de Tom
Clancy (1987) mais il doit être assez proche.
On voit cela comme une
grande offensive en profondeur essayant de s’emparer de tout ou presque en même
temps : sabotages et partisans dans la grande profondeur, parachutistes et
héliportages sur les points clés comme les passages sur le Rhin, groupes
mobiles opérationnels (GMO) perçant les lignes le long de la frontière de la
RDA et armées blindées les suivant sur les grands axes. Dans le même temps et
utilisant tous les moyens possibles, en particulier une flotte de près de 300
sous-marins d’attaque, les Soviétiques s’efforceraient d’entraver autant que
possible le franchissement de l’Atlantique aux Américains. Une fois l’objectif choisi
« mangé », l’Union soviétique arrêterait ses forces, « ferait pouce ! », et proposerait de
négocier une nouvelle paix.
Delaunay, comme tout le
monde à l’époque et moi compris, croit alors en la puissance de l’armée rouge.
Les chiffres sont écrasants, mais la qualité reste floue. Il y a alors un autre
livre dont on parle beaucoup, c’est La menace — La machine de guerre soviétique
d’Andrew Cockbur (1984) qui donne une image peu reluisante de l’armée
soviétique. Tout le monde alors l’a lu, dont le général Delaunay qui l’évoque avec
scepticisme. Certains parlent même alors de maskirovka, une habile tromperie. Il
est vrai qu’il est toujours aussi difficile de mesurer la valeur d’une armée
avant un combat que celle d’une équipe de sport avant son premier match depuis
des années. On observe à l’époque que les Soviétiques ne sont pas franchement à
l’aise en Afghanistan où ils se signalent surtout par leur immense brutalité,
justifiée à l’époque par certains en France de nom de la lutte contre l’impérialisme
américain et de la libération des Afghans. C’est cependant un conflit très
différent de ce qu’on imagine en Europe. On aurait été très surpris, voire
incrédules, si on nous avait présenté des images d’un futur très proche, 1994, montrant
des troupes russes humiliées et battues à Grozny par quelques milliers de
combattants tchétchènes. On aurait aussi tous dû aussi relire La menace avant
la guerre en Ukraine.
Revenons à notre guerre
éclair. La menace était donc réelle et elle l’est toujours, puisque c’est ce
qui après de nombreux exemples de l’histoire soviétique a été fait en Crimée en
février 2014 et tenté à grande échelle en février 2022 à l’échelle de l’Ukraine
tout entière. La possession de l’arme nucléaire ne suffit pas à dissuader complètement
de tenter des opérations éclair. Même si l’Ukraine avait disposé de l’arme nucléaire
en 2014, la Crimée aurait quand même été conquise par les Russes. On peut se
demander aussi ce qui se serait passé si au lieu de foncer vers l’Ukraine les
forces russes réunies en Biélorussie en 2021 s’étaient retournées contre les
petits Pays baltes ou la Pologne. En fait, l’offensive éclair (russe, pas de l’OTAN)
est le seul scénario de guerre contre la Russie sur lequel on travaille
sérieusement, et avec beaucoup d’incertitudes.
L’affrontement entre
puissances nucléaires est un affrontement entre deux hommes armés d’un pistolet
face à face, avec cette particularité que celui qui se fait tirer aura quand
même toujours le temps (sauf frappe désarmante, voir plus haut) de riposter et
tuer l’autre avant de mourir. À quel moment va-t-on tirer en premier ? Au stade
des insultes ? Des jets de pierre ? Des coups de poing ? etc. ? Personne ne le
sait très bien, mais a priori il faut avoir peur pour sa vie. Le meilleur moyen
de dénouer cette incertitude terrible est non seulement de disposer d’une arme
mais aussi d’être suffisamment fort, musclé, et maîtrisant les arts martiaux
pour repousser le moment où se sentira menacé pour sa vie. En clair, avoir une
force conventionnelle puissante et là je rejoins les conclusions du général Delaunay
en 1985.
Comment
être fort dans les années 1980
En fait dans les années 1980,
et même avant, tout le monde est à peu près d’accord là-dessus : si on
doit franchir le seuil de la guerre, il faut disposer d’une force conventionnelle
suffisamment puissante pour au moins pour retarder l’arrivée au seuil du
nucléaire.
Un courant représenté en
France en 1975 par Guy Brossolet avec son Essai sur la non-bataille ou
encore par le général Copel dans Vaincre la guerre (1984) mais aussi par
beaucoup d’autres en Europe, privilégie alors la mise en place d’un réseau défensif
de « technoguérilla ». L’histoire leur donnera plutôt raison en termes d’efficacité mais ce
modèle est jugé trop passif et trop peu dissuasif par la majorité, à moins qu’il
ne s’agisse de simple conservatisme.
Le général Delaunay, qui a
fait toute sa carrière dans l’Arme blindée cavalerie, est logiquement partisan
d’un corps de bataille de type Seconde Guerre mondiale, et le modèle du moment —
1ère armée française, Force d’action rapide et Force aérienne
tactique — pour aller porter le fer en République fédérale allemande lui
convient très bien. Il aimerait simplement qu’il soit plus richement doté afin
de « dissuader par la défense » et si cela ne suffit pas de gagner la bataille
sans avoir à utiliser la menace de nos gros missiles thermonucléaires. Il est en
cela assez proche de la doctrine américaine volontariste et agressive AirLand
battle mise en place en 1986 et déclinée ensuite, comme d’habitude, en doctrine
OTAN.
Point particulier, s’il est
sceptique sur le primat absolu du nucléaire « stratégique » (pléonasme), le général Delaunay
aime bien les armes nucléaires qu’il appelle encore « tactiques ». Il a bien conscience que
les missiles Pluton qui ne frapperaient que la République fédérale à grands coups
d’Hiroshima présentent quelques défauts, surtout pour les Allemands. Leurs
successeurs qui ne seront jamais mis en service, les missiles Hadès d’une portée
de 480 km permettraient de frapper plutôt en Allemagne de l’Est, avec si je me
souviens bien, des têtes de 80 kilotonnes d’explosif (4 à 5 fois Hiroshima), ce
qui est quand même un peu lourd pour du « tactique ». La grande mode du milieu
des années 1980, ce sont les armes à neutrons, des armes atomiques à faible
puissance explosive mais fort rayonnement radioactif qui permettraient de
ravager des colonnes blindées sans détruire le paysage. Cela plait beaucoup à
Delaunay comme à Copel et d’autres, mais on n’osera jamais les mettre en
service. On commence aussi à beaucoup parler des armes « intelligentes », en fait des munitions conventionnelles précises au mètre près, dans
lesquelles on place beaucoup d’espoir, cette fois plutôt justifié. Vous noterez
que c’est pratiquement le seul cas parmi toutes les grandes innovations
techniques qui sont évoquées depuis le début.
De fait, il y a un effort
considérable qui est quand même fait pour moderniser les forces occidentales.
Par les Américains d’abord et massivement, avec un effort de Défense de 7,7 %
du PIB en 1985, mais par les Européens aussi, y compris les Allemands qui ont
alors une belle armée et les Français qui lancent de nombreux grands programmes
industriels, du Rafale au char Leclerc en passant par le porte-avions Charles
de Gaulle. Le problème est que tout cet appareillage doctrinal et matériel que
l’on met en place pour affronter le Pacte de Varsovie, ne servira jamais contre
le Pacte de Varsovie qui disparaît seulement six ans après La foudre et le
cancer, mais de manière totalement imprévue contre l’Irak.
Le
Hic, c’est X
Ce que ne voit pas le général
Delaunay, comme pratiquement tout le monde en France, c’est que le modèle de
forces français n’est pas transportable hors d’Europe, ou si on le voit, on s’en
fout car cela ne sera jamais nécessaire. Personne n’imagine alors en France avoir
à mener une guerre à grande échelle et haute intensité contre un État hors d’Europe.
En juillet 1990 encore, le général Forray, chef d’état-major
de l’armée de Terre du moment, nous expliquait que le modèle d’armée français
permettait de faire face à toutes les situations. Trois semaines plus tard, le
même général Forray annonçait qu’il fallait faire la guerre à l’Irak qui venait
d’envahir le Koweït, mais comme on ne voulait pas y engager nos soldats appelés
on ne savait pas comment on allait faire.
Il n’est, étonnamment, quasiment
jamais question des opérations extérieures dans La foudre et le cancer,
alors que celles-ci sont déjà nombreuses et violentes, au Tchad et au Liban en
particulier. On sent que ce n’est pas son truc et qu’il considère cela comme une
activité un peu périphérique et à petite échelle pour laquelle quelques
régiments professionnels suffisent. Il ne remet jamais en question le principe
de la conscription et du service national, bien au contraire, et comme le
général Forray, ne voit pas comment cela pourrait poser problème.
Et c’est bien là le hic. Il est très étonnant de
voir comment des grands soldats comme Forray ou Delaunay qui avait 17 ans en
1940, a combattu pendant les guerres de décolonisation, a vu arriver les arsenaux
thermonucléaires capables de détruire des nations entières en quelques heures,
puissent imaginer que la situation stratégique du moment — qui dure à ce moment-là
déjà depuis plus de vingt ans — se perpétue encore pendant des dizaines d’années.
De fait, il était impossible à quiconque de prévoir les évènements qui sont
allés de l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev à la tête du comité central en mars 1985 jusqu’à la décision de Saddam Hussein d’envahir le Koweït en 1990, à
peine cinq ans plus tard. Un simple examen rétrospectif sur les deux derniers
siècles, montre de toute façon que jamais personne n’a pleinement anticipé les redistributions
brutales des règles du jeu international, et donc de l’emploi de la force, qui
se sont succédées tous les dix, vingt ou trente ans, ce qui est un indice fort
que c’est sans doute impossible.
La seule chose à admettre est que les arbres ne montent
pas jusqu’au ciel et que l’on connaîtra forcément une grande rupture au moins une
fois dans sa carrière militaire. Le minimum à faire est de se préparer à être
surpris et de conserver en tête ce facteur X dans nos analyses. En 1990, les
Américains n’ont pas plus que les autres prévus ce qui allait se passer mais
ils s’étaient dotés armée
puissante supérieurement équipée et entièrement professionnelle, donc
projetable partout. Après le blanc-seing du Conseil de sécurité des Nations-Unies,
impensable quelques années plus tôt, il leur a suffi de déplacer leur VIIe
corps d’armée d’Allemagne, où il ne servait plus à grand-chose, en Arabie saoudite.
Pour nous, qui n’avions pas fait le même effort, l’espoir de peser sur les
affaires du monde est resté un espoir.
(à suivre)
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