L’élément le
plus important de la confiance en soi est sans doute la possibilité d’agir, si
possible contre la menace, à défaut d’agir tout court. Dans le film d’Alain
Resnais, Mon oncle d’Amérique, le professeur Henri Laborit
décrit une expérience de laboratoire. Un rat, seul dans une cage, subit des
décharges électriques. À la fin de l’expérience, le rat présente tous les
symptômes de stress aggravé. Lorsqu’on place deux rats ensemble dans la même
cage et sous les mêmes décharges électriques, on s’aperçoit à la fin de l’expérience
qu’ils ne présentent pas de signes de stress. La différence avec le premier cas
est qu’ils se sont battus entre eux. Cela n’a diminué en rien la quantité
d’électricité reçue mais, au contraire du premier rat qui n’a fait que subir,
ils ont agi. La comparaison avec les rats peut choquer, pourtant la réalité est
la même, un combattant qui agit diminue sa tension nerveuse, encore faut-il
qu’il puisse agir.
On a évoqué la
difficulté de la période d’attente avant le combat. De la même façon, une étude
sur les troubles psychologiques dans la Royal Air Force de
1941 à 1945 montre que ceux-ci frappèrent surtout les équipages de bombardiers,
pour la plupart soumis à une menace diffuse, mais permanente lors de leur
missions. De nombreux pilotes de chasse avouent aussi avoir préféré affronter
la chasse adverse plutôt que l’artillerie antiaérienne contre laquelle ils ne pouvaient
rien. Cette action sécurisante consiste souvent à ouvrir le feu, pour rien
sinon satisfaire son besoin de faire quelque chose. Certains sont trop stressés
pour prendre même cette décision, il faut alors les obliger à faire quelque
chose de positif comme creuser un poste de combat ou apporter les premiers
soins à un camarade par exemple. L’expérience montre qu’ils s’empresseront de
le faire, même si c’est dangereux, car cela les soulage aussi.
Une autre
expérience psychosociale a consisté à faire travailler deux groupes d’individus
dans des pièces séparées, mais avec, pour tous, un fond sonore permanent très
déplaisant. Les membres d’un de ces groupes disposaient d’un bouton permettant
d’arrêter le bruit, les autres en étaient dépourvus. Les résultats des travaux
de ceux qui disposaient d’un bouton furent meilleurs mais, ce qui est plus étonnant,
sans que ce bouton ne soit utilisé. Le simple fait d’avoir la possibilité
d’agir sur leur environnement avait suffi. À Sarajevo de 1992 à 1995, les
règles d’ouverture du feu, dans le cadre des règlements des Nations Unies,
pouvaient varier considérablement d’un bataillon à l’autre. Dans certains cas,
le chef de corps se réservait seul le droit de faire ouvrir le feu ; dans d’autres unités, au contraire, l’initiative du tir était laissée au
jugement de chacun, quel que soit son grade. La complexité des situations fit
que les bataillons « décentralisés » n’ont pas beaucoup plus ouvert le feu que les unités « centralisées » mais il est certain que la frustration,
et donc les troubles psychologiques, y fut bien moindre.
En résumé, dans ce premier cercle, l’homme doit se sentir fort, capable d’agir et avec le sentiment intime d’avoir de bonnes chances de s’en sortir. Pourtant cela ne suffit pas. En 1944, en Normandie et dans les Ardennes, de nombreuses unités américaines furent disloquées, entraînant la dispersion de milliers de soldats. Ces milliers d’hommes isolés furent d’une efficacité très faible. Les groupes formés à la hâte avec ces isolés ne s’avérèrent guère plus efficaces, limitant leurs actions à leur survie. En revanche les équipes de pièces, groupes de combat ou sections qui avaient été arrachés à leur position et à leurs unités d’origine, mais étaient restés ensemble pendant le repli, furent au contraire beaucoup plus solides. Aligner des hommes compétents ne suffit donc pas, il faut les « coudre ensemble » pour reprendre le mot de MacDonald à la bataille Wagram. Cette « couture morale » constitue le deuxième cercle de confiance. La force, c’est les autres.
Tu arrêtes de faire cadeau de pages entières de ton (excellent) livre "Sous le feu" quand tu veux...
RépondreSupprimerJe te signale qu'à la suite de ton dernier article j'ai écopé de plus de 10.000 passages Twitter en quelques heures juste pour avoir émis l'idée que tu pourrais faire une nouvelle édition "revue et augmentée".
Tant que tu n'as pas la main qui tremble, et qu'il te reste l'œuil vif et le poil luisant il faut foncer.
Tu as un vrai lectorat, qui sait que tu as déjà écrit des ouvrages de référence.
Mais celui-là c'est un peu une pierre angulaire.
Tu passe un coup de polisseuse, tu vois ce qui a changé (les guerres malheureusement on n'en manque jamais), l'influence sondages sur les cons...eillers présidentiels et gouvernementaux...
Et au Nom de Dieu...