Modifié le 6 mars 2020
La France est en guerre au
Sahel. On ne saurait pas forcément dire
quand cette guerre a commencé pour elle. Faut-il remonter à au Groupe islamique armé (GIA)
algérien qui, lui nous a tué 21 ressortissants français en
Algérie ou en France dans les attentats entre 1994 et 1995, projetant même de
détourner un avion de ligne pour l’écraser sur Paris ? Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ex- Groupe salafiste
pour la prédication et le combat (GSPC) en est issu et se
considère depuis toujours en guerre contre nous. Faut-il considérer la mise en place en 2009
des Forces spéciales de l’opération Sabre, premier acte discret de l’implication militaire directe de la
France dans la région ?
Dans tous les cas notre guerre au Sahel est déjà la
plus longue conduite par la France depuis très longtemps, avec la perspective
de durer encore probablement de nombreuses années. Elle est en cela assez typique
de ces longs conflits sans début clair et à la fin incertaine qui opposent
désormais des États à des organisations armées dans des « complexes conflictuels » régionaux. Nous y intervenons
pour empêcher que les entités qui nous sont hostiles à l’intérieur nous portent
des coups trop violents dans la région ou même désormais en métropole, limiter
ensuite les conséquences qu’une profonde déstabilisation de la zone pourrait
avoir sur nos sociétés, par l’explosion des trafics de drogue non contrôlés par
exemple ou des flux migratoires.
Est-ce que nous nous y prenions bien ? Pas forcément. Le « bouclier
lointain » peut devenir lourd à porter si justement il est trop lourd et s’il
faut le porter trop longtemps. Nous avons encore un peu de mal à
appréhender ces conflits longs, presque perpétuels, mais le Sahel peut être notre
école.
Dans
le complexe conflictuel sahélien
L’Afrique occidentale et
centrale est le théâtre d’opération privilégié de la Ve République.
Nous y intervenons régulièrement depuis la fin de la colonisation à partir d’un
système opérationnel assez unique fondé sur un réseau d’accords bilatéraux, de
bases locales, de coopération/formation et de forces d’intervention professionnelles
en alerte en métropole ou sur place, comme la 6e Compagnie parachutiste
d’infanterie de marine (CPIMa), une unité longtemps composée de soldats
français, volontaires service long ou professionnels, et de différents pays
africains. Ces forces sont réduites en volume, mais activables très rapidement
sur simple décision du président de la République. On imagine alors qu’elles ne
serviront qu’à gérer de petites crises locales, selon le principe du verre
d’eau lancée sur l’incendie naissant.
Bien sûr, les choses ont
été rapidement plus compliquées que cela et ce modèle souffrait d’un défaut de
naissance : nous intervenions beaucoup, mais presque exclusivement dans
nos anciennes colonies et chacune de ces interventions pouvait être ressentie,
localement et en France, comme un retour à l’ancienne sujétion. Soumis à ce
dilemme de l’intervention souvent demandée et de l’accusation toujours
possible, nous avons beaucoup tâtonné dans l’emploi de nos forces sur de
continent. De force de contre-coup d’État dans les années 1960, nous sommes
passé à une campagne de contre-insurrection imprévue au Tchad en 1969-1972,
puis à des actions de force rapides à la fin des années 1970, avant de préférer
l’appui indirect et discret aux armées locales, puis les opérations de
stabilisation c’est-à-dire sans considération d’ennemi dans les années 1990
et sous drapeau européen. Malgré les nombreux précédents fâcheux, nous avons
même tenté l’interposition en République de Côte d’Ivoire. Les résultats de ces
expérimentations, qui étaient surtout des substituts à l’intervention directe,
ont été très mitigés.
L’engagement dans le
théâtre sahélien en 2009 commence sous une nouvelle forme, légère et discrète, avec
la proposition d’aider les armées locales à se transformer et une petite capacité d’intervention directe ponctuelle et discrète
de nos forces clandestines ou spéciales. Cette « empreinte légère » fonctionne jusqu’en 2012. La Mauritanie accepte notre aide et cela va être un succès, et nous contenons AQMI dans ses attaques et ses prises d'otages. Pour le reste, nous ne touchons pas vraiment aux problèmes de fond de la région.
Le contexte change profondément avec la prise de contrôle du Nord-Mali par le Mouvement
national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Cette crise révèle alors la
faiblesse profonde des Forces armées maliennes (FAMa) et ce qui est presque
toujours lié, des institutions du pays. Critiquant l’inaction et la corruption du
gouvernement un groupe de militaires organise organisé un coup d’État à Bamako le 22 mars
2012, ce qui plonge le pays encore plus dans la confusion. Dans le Nord, les
organisations djihadistes, AQMI et Ansar Dine, auxquelles se joint le Mouvement
pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) se retournent contre
le MNLA et prennent à sa place le contrôle des villes du Nord. Avant la
territorialisation de l’État islamique en Syrie et en Irak, la moitié d’un pays
africain se trouve d’un seul coup aux mains d’organisations djihadistes.
La réponse à cette situation a été classique. Dès
le coup d’État du 22 mars, la Communauté économique des États de l’Afrique
de l’Ouest (CEDEAO) négocie la remise en place d’institutions maliennes stables
et organise une opération militaire, la Mission internationale de soutien au
Mali sous conduite africaine (MISMA), destinée à aider les FAMa à reprendre le
contrôle de l’ensemble du pays. L’action de la CEDEAO est alors appuyée par les
grandes organisations internationales, comme l’Union européenne qui propose de
fournir une mission de formation ou de reformation technique des bataillons
FAMa (EUTM, European Training Mission).
La France annonce qu’elle appuiera le processus.
Les résultats ont également été classiques. Par
manque de financements, et de troupes et d’états-majors opératifs formés et
immédiatement disponibles, la MISMA met un temps particulièrement long pour se
mettre en place, alors qu’il ne s’agit que de déployer 3 300 soldats. L’UE ne fait guère mieux avec EUTM.
Au bilan, lorsqu’au mois de janvier 2013 Ansar
Dine reprend les hostilités contre l’État malien en lançant un raid en
direction de Mopti au centre du pays, rien n’est prêt après huit mois de
tractations. Face aux quelques centaines de combattants d’Ansar Dine, il n’y a rien
de solide. C’est finalement la France, seule à disposer de vraies capacités
d’intervention rapide dans la région, qui est appelée au secours.
La France accepte et pour la première fois depuis
1978, nous nous engageons en Afrique dans une intervention directe, baptisée Serval, avec un ennemi désigné et une
mission claire, le chasser du Nord-Mali. Les premiers à intervenir sont les hommes de l’opération Sabre et la force de frappe aérienne
basée à N’Djamena ou même en France. Ils sont rapidement rejoints par des
forces venues de métropole ou des pays alentour et au bout d’un mois, la force
terrestre comprend une brigade avec quatre groupements tactiques interarmes (GTIA)
motorisés et un groupe aéromobile tandis que la force aérienne a pratiquement
doublé avec 37 aéronefs divers, dont douze avions de combat. C’est la plus
grande opération militaire française depuis 1990.
Serval est un remarquable
succès, en grande partie du fait de la territorialisation de l’ennemi qui a
permis de donner la priorité à l’affrontement force contre force et de fournir
des résultats visibles. Serval a pu
être ainsi une « opération séquentielle », une forme d’intervention où on agit exclusivement contre la
force armée ennemie en progressant d’objectif en objectif jusqu’au but final.
Il suffit alors de regarder sur la carte la progression des petits drapeaux
pour savoir dans quel sens va l’histoire. Après avoir stoppé l’attaque ennemie,
le bénéfice de la surprise est conservé avec
la prise de risque d’une contre-offensive immédiate. La rapidité de l’offensive
en direction de Gao et Tombouctou permet de libérer la boucle du Niger dès le
28 janvier puis les villes du Nord jusqu’à la frontière algérienne. Les
combats véritables commencent mi-février dans l’Adrar des Ifhogas contre AQMI,
avec l’aide précieuse d’un bataillon tchadien, et aux alentours de Gao contre
le MUJAO. À la fin du mois d’avril, les groupes djihadistes ont perdu un tiers
de leurs combattants au combat et leurs bases ont été détruites. Depuis le
début de l’intervention française, il y a eu 400 combattants djihadistes
tués au combat pour 4 Français, 7 Maliens et 23 Tchadiens. Dans cette forme
opérationnelle en séquence, la réponse à la question « pourquoi nos soldats meurent-ils ? » est claire et n’induit que rarement le doute puisqu’elle
s’accompagne de résultats visibles.
Mais Serval
n’était qu’une bataille. À l’été 2013, si elles ont été battues et
contraintes à la fuite ou la clandestinité au Nord-Mali, les organisations ennemies
existent toujours et aucun des problèmes de la région et en particulier du
Mali, corruption et inefficacité voire oppression des institutions et de
l’administration, clivages socioethniques, « question touareg », tous ces éléments qui ont fait que ces groupes ont pu y
prospérer n’est résolu. Devant ce changement de contexte, il était nécessaire également
de changer de forme opérationnelle.
Barkhane
L’expérience des opérations semble indiquer que si
on ne peut raisonnablement espérer un succès stratégique dans les trois années
qui viennent, il faut alors s’attendre à ce que les forces étrangères présentes et
visibles à côté du au problème non résolu y soient associées. Commencera alors le
temps du doute et de l’usure, puis du retrait rapide et de la victoire de l’ennemi.
En anticipant que cela durera plus de trois ans, il faut soit décider de
renoncer tout de suite, soit s’organiser pour un conflit très long. Nous n’avons
fait vraiment ni l’un ni l’autre.
En lançant l’opération Barkhane en juillet 2014, nous avons décidé de rester visibles à
côté du problème. Fondamentalement, Barkhane
correspond à l’association dans une seule force de toutes les opérations que
nous menions déjà dans les pays du G5-Sahel, Mauritanie, Mali, Niger, Burkina
Faso et Tchad. L’élément nouveau par rapport à avant 2013 est le maintien d’un
GTIA aéroterrestre à Gao et dans les bases temporaires autour, c’est-à-dire au cœur
de la zone critique.
Barkhane travaille en coopération
avec les autres acteurs militaires de la région, Mission multidimensionnelle
intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) qui remplace
et intègre la MISMA, EUTM, les forces armées nationales et enfin la force conjointe du G5-Sahel créée officiellement en février 2017. Toutes
ces entités auxquelles il faudrait ajouter toutes les missions de développement
ou l’Organisation des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) s’empilent
les unes aux autres dans la région, sans empêcher le centre du Mali, le nord du
Burkina-Faso et le Nord ou le Sud-ouest nigérien, d’échapper au contrôle des États
locaux. La MINUSMA ne sait pas combattre, EUTM ne fournit que de la formation
technique à l’armée malienne et ne touche donc que la surface de ses problèmes,
la force conjointe comme toutes les forces interafricaines doit attendre des
années pour trouver les moyens techniques et financiers de fonctionner. Les États
malien et burkinabè bougent peu.
Barkhane est donc, avec les armées
mauritanienne et tchadienne en périphérie, l’acteur militaire le plus important
du complexe conflictuel. Pour autant, avec un effectif total variant de 3 000 et 5 000 soldats et une
force aérienne d’une quarantaine d’aéronefs de tous types pour une région
immense, ses moyens ne lui permettent pas de faire vraiment autre chose que des
raids et des frappes. Ses effectifs sont tellement réduits que même associée à
quelques bataillons locaux, elle ne peut se déployer qu’au mieux quelques
semaines dans une région. Elle est souvent efficace dans la traque et l’aide à
la population (avec des moyens très faibles), mais ce n’est forcément que
temporaire. La « tache d’huile » ne fonctionne que si elle est permanente. Les mêmes causes
produisant les mêmes effets, si cette « tache d’huile » s’efface parce que l’État n’en a pas profité pour rétablir
une administration légitime, au bout de quelques jours, quelques semaines,
quelques mois éventuellement, les choses redeviendront comme avant. Contrairement
à Serval, Barkhane est une opération cumulative. Cette fois pas de drapeau à
planter sur des villes libérées, pas de batailles, mais une multitude de
petites actions isolées dont on espère qu’elles finiront par produire après des
années un « État final recherché » ambitieux, mais flou.
Au bilan, le principal effet de Barkhane est surtout dissuasif en
empêchant l’ennemi de faire les choses en grand, constitution de bases, raids
volumineux, sous peine d’être repéré et frappé. C’est déjà beaucoup, mais la
force d’une organisation armée réside surtout dans sa capacité de génération.
Depuis ses débuts Barkhane élimine en moyenne un combattant ennemi tous les
deux jours. Cela pourrait finir par entraîner l’usure voire la destruction de
groupes de quelques milliers d'hommes si ce combattant
éliminé n’était rapidement remplacé. Or les raisons seront toujours aussi
nombreuses de venir rejoindre les rangs de l’État islamique dans le grand
Sahara (EIGS) ou du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM),
réunissant tous les anciens groupes djihadistes de 2013 à quelques nouveaux. Non
seulement l’ennemi ne s’affaiblit pas, mais il tend à étendre son contrôle, et
à infliger des coups sévères aux forces locales et à la MINUSMA.
Barkhane a donc une certaine
efficacité, purement militaire, mais elle n’est pas efficiente. Malgré la
supériorité française sur chaque point de contact, une opération de longue
durée finit par coûter cher humainement. Au mois de février 2019, 32 soldats
français sont morts dans l’opération Barkhane
qui s’ajoutent aux dix de Serval, à
cette différence qu’au contraire de Serval,
on a plus de mal cette fois à associer ces pertes à des bilans concrets
importants. Chaque perte nouvelle induit le doute et l’accumulation du doute induit
le sentiment d’enlisement inutile. C’est beaucoup moins visible, mais
l’engagement d’une force moderne et sur de grands espaces coûte aussi cher financièrement,
de l’ordre d’un à deux millions d’euros par jour, à comparer à la moyenne des
combattants ennemis éliminés. Au total, donc Barkhane aura donc déjà coûté début 2020 aux alentours de 2,5 milliards
d’euros.
Enfin, sur la durée on s’expose aux « cygnes noirs », ces évènements
inattendus qui ont des effets stratégiques. Ces « cygnes
noirs » peuvent être favorables, comme lorsqu’un camp
ennemi décide de se rallier à soi par exemple, mais ils sont souvent négatifs.
Un comportement désastreux de nos soldats auprès de la population ou pire des
morts innocents, un accident d’hélicoptère, ou même simplement au moins cinq de
nos soldats tués en une journée de combat et l’engagement tout entier sera
remis en question. Nous sommes soumis à la qualité totale, or sur la longue
durée celle-ci est impossible à tenir.
Très rapidement, souvent aussi à partir de trois
ans, s’il n’y a pas de résultats cela deviendra de notre faute, parce que nous
sommes étrangers, parce que nous sommes visibles à côté du problème
alors que celui-ci est plutôt nourri par des facteurs invisibles, parce ce que certains, et pas seulement nos ennemis, ont intérêt à ce qu'on le voie ainsi. Mécaniquement, une opération qui ne produit pas
d’effets visibles et très sensibles verra son soutien national et local diminuer inexorablement,
d’où d’ailleurs la tentation politique de rechercher à tout prix des bilans positifs
à montrer, or les seuls bilans à montrer rapidement dans ce genre d’opérations
sont des bilans d’élimination. L’exécutif politique poussera donc encore plus à
traquer, rechercher et détruire, afin de « nourrir les communiqués », mais aussi à être plus visible encore à côté d’un problème dont
la résolution ne peut être que longue.
S’organiser pour durer
Ces problèmes auraient pu être évités en s’organisant
mieux pour mener une guerre de longue durée. Pour durer, il faut être efficace
tout en étant économe de la vie de nos soldats, de nos finances et de notre
image.
Un principe de base devrait être de placer dans
les mains d’une seule entité dirigée par une personnalité civile ou militaire
au rang de ministre tous les instruments de puissance et d’influence diplomatiques,
économiques, informationnels et militaires, dont nous disposons pour l’ensemble
de l’Afrique occidentale. La plupart des innovations ne sont pas techniques,
mais organisationnelles ou culturelles, faire travailler ensemble sous une même
direction et en synergie militaires, développeurs, diplomates et influenceurs
serait déjà une révolution. Il serait bon que cette entité ne soit pas placée
au cœur de la zone critique, mais en périphérie.
Les moyens militaires de cette organisation doivent
être de plusieurs ordres en fonction de leur visibilité. Les forces régulières
« lourdes » et donc visibles doivent
rester en périphérie de la zone critique et attendre les grosses cibles, de la
colonne de picks up à la base dans
une vallée montagneuse. C’est ainsi que l’on a procédé en
Mauritanie lors de l’opération Lamantin
en 1978 et à plusieurs reprises au Tchad. Au pire, si l’ennemi reconstitue des
bases importantes, il faut « refaire Serval », à
la demande du gouvernement local.
La zone critique de son côté doit être occupée par
des moyens discrets. La priorité doit y être la recherche du renseignement et
la connaissance du milieu. Il faut des moyens de surveillance, il faut aussi un
réseau de gens sur le terrain qui connaissent parfaitement les régions, parlent
la ou les langue(s), et passent leur temps à chercher à comprendre.
S’il faut y agir ponctuellement, il faut le faire avec des forces masquées, clandestines, « forces spéciales noires » de raids, « forces spéciales blanches » pour l’encadrement, mercenaires si possibles français.
S’il faut agir avec un peu de volume et il en faut souvent, il faut s'associer. Il n’y a pas d’exemples de contre-insurrection moderne menée par une puissance au sein d’un pays étranger souverain qui n’ait réussi sans l’intégration sous le commandement de cette puissance de forces « non nationales ». Les troupes du Special Air Service (SAS) ont encadré les milices locales dans la guerre du Dhofar au début des années 1970 et cela a été la clé du succès. En en 1969 l’armée nationale tchadienne a fusionné avec les forces françaises le temps de leur reconstitution et cela seulement a permis à ces dernières à se retirer trois ans plus tard après avoir vaincu le Front de libération nationale. Au Sud-Vietnam l’expérience militaire américaine la plus réussie a été l’intégration de groupes de combat de Marines dans les sections d’autodéfense des villages. Les mêmes Américains n’ont pu l’emporter en Irak en 2007 qu’en intégrant dans leurs rangs 100 000 miliciens locaux qui venaient s’ajouter aux 160 000 membres de sociétés privées également payés par eux. Une des forces de l’intervention actuelle de la Russie en Syrie est que l’engagement au contact au sol y est conduit soit par des troupes privées russes, soit par le 5e corps d’armée syrien sous commandement russe.
Dans l’idéal, à efficacité et contrôle équivalents
moins les nationaux qui sont dans ces forces mixtes sont visibles et mieux c’est. Après le
retrait des forces régulières du Tchad en 1972, hormis un bataillon en réserve
d’intervention à N’Djamena, la plupart des aéronefs de l’armée de l’Air
tchadienne sont pilotés, très efficacement, par des Français en uniformes tchadiens. Les
soldats privés, éventuellement détachés temporairement de la force régulière, pour
peu évidemment qu’ils soient contrôlés comme cette dernière, font le travail
aussi bien et plus discrètement. S’ils portent l’uniforme local, on peut plus
difficilement critiquer la France et s’ils tombent, cela n’est pas annoncé dans
les médias.
On obtient ainsi de la force, de la masse, de la connaissance du
milieu, pour infiniment moins cher en coût humain, financier et d’image. Mais
là encore, il faut innover culturellement et dépasser des blocages
psychologiques, sous peine d’être dépassés par ceux qui le font.
Pour la structure des forces, on sait depuis
longtemps à quoi elle doit ressembler une armée de contre-insurrection en milieu
complexe. Il faut d’abord une force qui ressemble à celle de l’ennemi, donc une
force nomade et bien intégrée dans le milieu physique et humain. Cette force
sert d’abord exercer une pression sur l’ennemi, le traquer et le fixer, en
coordination avec des forces de sécurité permanentes et des forces d’intervention aéroterrestres locales ou extérieures. L’armée mauritanienne a adopté ce modèle avec
succès avec un effort particulier pour payer correctement et réellement les
soldats et les accompagner socialement, sans quoi tout le reste serait inutile.
Tout cela s’est fait avec l’aide des Américains et des Français, par le biais
de la présence permanente de coopération, les détachements d’instruction
opérationnelle (DIO) de la base française de Dakar qui viennent assurer des
formations temporaires et des Forces spéciales ou clandestines françaises qui
ont grandement aidé à la formation des Groupes spéciaux d’intervention (GSI),
les unités nomades qui surveillent la frontière, et les accompagnent parfois
dans leurs missions. Cela ne gagne pas la guerre, mais permet au moins que les
objectifs stratégiques que nous cherchons à atteindre, l’endiguement de l’ennemi
djihadiste et le maintien du désordre à un niveau tolérable pour nos intérêts
soient atteints au moindre coût.
Notre modèle de forces, tel qu’il est conçu, tel
qu’il est employé n’est pas complètement adapté aux conflits longs et de faible intensité
qui semblent être désormais la norme. D’autres nations, avec qui nous pouvons
être en confrontation dans ces complexes de conflits, ont déjà pris beaucoup
d’avance dans cette manière de faire la guerre.