vendredi 3 avril 2020

Comment dire avec des mots simples à des gens de partir au combat avec vous


Amené à commenter la tactique dans les principales batailles de la série Game of Thrones, j’ai été frappé par l’usage abondant des discours de motivation avant ou pendant les combats. On notera que seuls les héros sympathiques en font, ce qui ajoute bien sûr à leur charisme. J’exclus évidemment l’Armée des morts de ce constat car si les Marcheurs blancs sont plutôt flegmatiques ils ne sont pas non plus insensibles aux émotions et donc à la peur, au contraire de leurs soldats.

Car bien sûr toute cette affaire tourne autour de la peur et de sa gestion, c’est-à-dire du contrôle de l’emballement créé par l’amygdale, cette petite sentinelle au cœur du cerveau qui organise la mobilisation générale en cas de danger. L’amygdale est puissante mais elle est bête, elle n’organise les choses qu’en fonction du passé (elle est intimement reliée à la mémoire) et non du présent. Pour analyser le présent, il faut utiliser son néocortex. Pas besoin heureusement d’être intelligent pour cela, il suffit simplement de pouvoir répondre à la question : « suis-je capable de faire face à la situation ? » Si la réponse est oui, il y a de fortes chances que vous vous transformerez en super-héros à la Jon Snow le temps de la bataille, si elle est négative l’emballement va s’accentuer jusqu’au moment de la paralysie avant la crise cardiaque.

En réalité, la plupart des membres d’un groupe placé dans une situation de stress auront du mal à répondre rapidement à la question, surtout si cette situation est surprenante et pas très claire. Quand les pulsations cardiaques montent trop vite, la réflexion devient difficile. C’est là qu’interviennent l’exemple et/ou le verbe. Sans l’un ou l’autre, on reste généralement « comme un con ».

L’exemple, c’est un modèle d’action qui se présente à soi. On voit quelqu’un qui va vers la menace (ou prétendue menace parfois, mais c’est une autre question) ou au contraire et plus fréquemment s’en éloigne et on le suit.

Le verbe, c’est l’épée qui tranche le nœud gordien. Il peut être intérieur (« Vas-y ! Bouge-toi ! »). On parle alors « d’écouter son courage », mais chez beaucoup il ne dit jamais rien. Le verbe est surtout extérieur, venant de quelqu’un qui, lui, a répondu « Je peux faire face » à la fameuse question et a entendu une autre voix intérieure qui lui disait « il faut que tu dises quelque chose à tous ceux qui sont dans l’expectative…c’est ton boulot de chef, ton devoir, tu ne t’en sortiras pas sans eux, etc.). Et voici donc, après ce long préambule Sa Majesté le discours de motivation.

Comme j’ai parlé de GoT en  introduction pour attirer l’attention en voici un très simple qui en est issu :

Soldats !

Je suis une moitié d’hommes, mais qu’êtes-vous donc ! Il y a une autre sortie, je vais vous montrer. Sortez derrière eux et foutez-leur dans le cul.
Ne combattez ni pour le Roi, ni pour le royaume, ni pour l’honneur ou la gloire, ni pour la fortune, vous n’aurez rien !
C’est votre ville que Stannis veut piller, vos portes qu’il veut enfoncer, s’il entre c’est vos maisons qu’il enfoncera, votre or qu’il volera, vos femmes qu’il violera !
Des hommes courageux frappent à notre porte. Allons les tuer !


Les initiés auront reconnu le discours de Tyrion au cœur de la bataille de la Néra (saison 2, épisode 9), alors que la situation est critique, que le roi vient de rejoindre sa maman et que tout le monde regarde la Main.

En voici un autre, historique et très connu :

Soldats, vous êtes nus, mal nourris; le Gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner. Votre patience, le courage que vous montrez au milieu de ces roches sont admirables ; mais il ne vous procure aucune gloire, aucun éclat ne rejaillit sur vous. Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir; vous y trouverez honneur, gloire et richesses. Soldats d'Italie manqueriez-vous de courage ou de constance ?

Il s’agit bien sûr de la Proclamation du général Bonaparte à l'armée d’Italie le 27 mars 1796. Bonaparte ne peut plus s’adresser directement aux dizaines de milliers d’hommes de son armée, mais il fait comme si en utilisant des intermédiaires.

Tous ces discours reposent en réalité sur des mécanismes simples que je m’empresse de vous dévoiler.  

En premier lieu, il ne s’agit à chaque fois que de deux choses : mobiliser (pour obliger à un comportement peu naturel) et/ou sécuriser (« ça va bien se passer »). On mobilise lorsque les choses paraissent faciles et qu’on risque de se faire surprendre ou au contraire lorsqu’elles sont difficiles et qu’il faut mobiliser toutes les ressources. On sécurise lorsqu’on veut persuader que la situation est grave mais pas désespérée et que la montagne est haute mais que son sommet est atteignable. Tout dépend donc de la situation de départ, et il ne faut évidemment pas se tromper. En général, un bon discours comprend un mélange des deux modes. Je conseille pour ma part un modèle club-sandwich PSSP (Pression-Sécurisation-Sécurisation-Pression) en trois ou quatre séquences commençant par une interpellation mobilisation, suivie d’une ou deux séquences de sécurisation et se terminant par une nouvelle mobilisation, éventuellement une injonction.

Quels sont les ingrédients à y mettre ? Reprenons les deux exemples. De quoi parle-t-on ? De soi ou de l’ennemi, dans le passé, maintenant ou dans le futur. Ce qui stimule : la honte d’un acte passé, une faiblesse actuelle par rapport à l’ennemi, un futur horrible si on échoue ou au contraire génial si on réussit. Ce qui rassure : les victoires passées, les points forts actuels, et une certitude raisonnable de réussite. Dans les deux cas, on peut jouer sur l’affectif (le très vintage « honneur » par exemple) ou la raison et des éléments objectifs (« On a un dragon et pas eux »). On peut employer tous les temps, mais l’impératif est intéressant pour donner un cadre.

Reprenons les exemples précédents. Tyrion fait un discours rapide en PSPP en interpellant, en décrivant une solution (une autre sortie et les moyens de les prendre à revers), une situation future fort déplaisante en cas d’échec, une petite valorisation de l’ennemi (des « hommes courageux ») et termine par un ordre. Notons le « Allons » qui induit que contrairement au Roi, il en sera. De son côté Bonaparte, fait un PSSP classique, mais efficace. Il commence par un point de situation négatif, reconnait le courage et la patience admirables (point sécurisation), enchaîne ensuite une promesse de richesse et de gloire (« vous y trouverez », nouvelle sécurisation presque autant que stimulation) et appel final à l’honneur (notons le courage qui passe de « stoïcien » au début à « homérique » à la fin).

Une fois que l’on a compris ces quelques principes, c’est assez simple. On peut faire un petit PSSP à la manière du maître Yoda en une minute : « Fort est Vador, mais la haine en lui je vois, le vaincre tu peux donc, et surtout le vaincre tu dois ». Ajoutez une voix un peu rapide pour la stimulation, plus lente pour la sécurisation et surtout claire et forte, je n’ose dire grave (Dieu dans Les dix commandements) pour ne pas passer pour sexiste, mais écoutez bien quand même la teneur et le débit des voix dans les publicités ou les reportages en vous demandant quel est l’effet recherché à chaque fois. Parlez naturellement (personne ne lit un papier devant les troupes dans GoT) et donc apprenez par cœur le texte ou au moins entraînez-vous à combiner les ingrédients.

Vous voilà prêts à vous faire suivre jusqu’à la mort. Dans GoT et tous les films américains, un discours se termine par un hourra spontané et des épées en l’air (sauf l’épisode où Theon Greyjoy prend un coup de masse juste après un beau discours). En réalité, c’est vous qui devrez provoquer ce hourra mobilisateur. Maintenant, si vous constatez simplement que tout le monde vous écoute et vous regarde avec attention sans jeter un coup d’œil à son smartphone, vous aurez déjà gagné.
Hourra !

Petit travail pratique : saurez-vous trouver la forme et les ingrédients utilisés dans cette autre proclamation de Bonaparte (26 avril 1796) ?

Soldats, vous avez en quinze jours remporté la victoire, pris 21 drapeaux, 55 pièces de canon, plusieurs places fortes, conquis la partie la plus riche du Piémont; vous avez fait 15000 prisonniers, tué ou blessé près de 10000 hommes.
Vous vous étiez jusqu'ici battus pour des rochers stériles. Dénués de tout vous avez supplée à tout. Vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans pont, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et souvent sans pain. Les phalanges républicaines, les soldats de la liberté étaient seuls capables de souffrir ce que vous avez souffert.
Mais soldats, vous n'avez rien fait, puisqu'il vous reste encore à faire. Ni Turin, ni Milan ne sont à vous. La patrie a droit d'attendre de vous de grandes choses : justifierez-vous son attente ? Vous avez encore des combats à livrer, des villes à prendre, des rivières à passer. Tous brûlent de porter au loin la gloire du peuple français; tous veulent dicter une paix glorieuse, tous veulent, en rentrant dans leurs villages, pouvoir dire avec fierté: « J'étais de l'armée conquérante d'Italie!».

16 commentaires:

  1. Jockin fabrice30 mai 2019 à 19:04

    1er paragraphe : Mobiliser (rappel du passé glorieux), 2ème Rassurer/ Sécuriser (Pour vous tout est possible), 3ème Mobiliser encore (tracer des perspectives victorieuses et de récompenses).

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  2. On pourra lire avec intérêt lire l'exposé de Touhari Ouardia, Harangue de chef avant la bataille : comparaison entre Tite-Live (Histoire Romaine, livre XXVII) et Silius Italicus (Punica,XV,320-823) publié dans Vita Latina, n° 171, 2004. pages 121 à 129 sur le portail Persée. On découvrira que la guerre punique entre Hannibal le Carthaginois et Scipion l'Africain a été animée par de nombreuses harangues, cohortationes en latin, de part et d'autre. Bon week-end.

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  3. Henry V, acte IV, scène III. De la pure propagande, mais de Shakespeare !

    https://www.youtube.com/watch?v=NvNZulpXxHk

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  4. Très instructif et fort bien écrit. Comme toujours un plaisir de vous lire.
    Par contre l'acronyme PSSP ou PSPP, ça signifie quoi s'il vous plaît ? P pour persuasion S pour sécurisation ?
    Julien

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  5. Puisque nous sommes dans le discours et la fiction, un peu de warhammer 40 000 ?
    https://youtu.be/a8_MjeU8MLM

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  6. Nous sommes loin des discours guerriers de notre actuel chef des armées ... :p

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  7. [daniel]
    Ah! tout ce qu'un bon soldat peut faire en matière de courage et d'héroïsme avec quelques paroles bien tournées...

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  8. Comment analyser le discours de la Reine d'angleterre, récemment, et aussi pendant le Blitz ?

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  9. Bonjour
    j'aime bien Churchill « Je n'ai rien d'autre à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ».
    C'est le discours qu'un prétendant au trône de France pourrait tenir s'il veut être réaliste.
    Mais serait-il élu? Manque la "sécurisation" mais c'est la contrepartie quand on atteint le fond.
    Salutations

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  10. Il y aura certaine ment quelquechose à tirer de Zelensky...
    Sur son discours en Russe on a cité au contraire un discours d'humanisation conseillé aux otages...
    Sinon son comportement me rappelle la remarque de ma femme, que les leaders d'oppositions qui s'exilent n'emportent pas les coeurs... (contre exemple, De Gaulle?)

    On verra.

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  11. Je me permets d’ajouter cet extrait de discours que je trouve très beau et qui illustre vos propos (désolé c’est n’est pas français ;-)) :

    Toute la fureur, toute la puissance de l'ennemi va bientôt se déchaîner contre nous. Hitler sait qu'il devra nous briser sur cette île ou qu'il perdra la guerre. Si nous parvenons à lui résister, toute l'Europe pourra être libre, et la vie du monde progresser vers de hautes et vastes terres baignées de soleil. Mais si nous échouons, alors le monde entier, y compris les États-Unis, y compris tout ce que nous avons connu et aimé, sombrera dans les abîmes d'un nouvel âge des ténèbres rendu encore plus sinistre, et peut-être plus durable, par les lumières d'une science pervertie. Aussi, préparons nous à accomplir notre devoir et à nous conduire de telle sorte que, si l'Empire britannique et son Commonwealth durent mille ans, les hommes diront encore: "Ce fut leur plus belle heure."

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  13. toujours un plaisir de vous lire , Colonel. n'oublions pas la harangue d'Attila à ses troupes, lors des champs catalauniques, une chaude affaire où celle du César Julien, à la bataille de Strasbourg contre les Alamans .
    Des chefs légendaires

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