Je suis passionné d’Histoire depuis toujours et malgré mon ennui
profond durant ma scolarité en Corniche militaire j’y obtenais une
équivalence de DEUG d’Histoire (et une autre de Lettres modernes, qui ne m’a
hélas pas servi à grand-chose).
Quelques années plus tard, alors à l’Ecole militaire interarmes
(EMIA), cette équivalence de DEUG m'a permis, ainsi qu’à quelques camarades,
de m’inscrire en Licence d’Histoire. Il fallut certes forcer un peu la main du
commandement qui n’avait d’yeux que pour le diplôme de l’école, un DEUG après validation.
Dix ans plus tard grâce à cette Licence (étrangement ce diplôme
universitaire était une condition nécessaire pour passer un concours
militaire), je me présentais au concours de l’Enseignement militaire supérieure
scientifique et technique (EMSST). A l’issue, j’ai réussi à obtenir une scolarité en
Maîtrise/DEA d’Histoire contemporaine à Paris IV. C'était en 2001.
Il me fallait alors trouver un objet d’étude. Un de mes sujets de
prédilection est la manière dont les armées évoluent. Je décidais de
m’intéresser au cas de l’armée française pendant la Première Guerre mondiale.
Les sources étaient accessibles et en langue française. Surtout, il y a avait là
un exemple extraordinaire de transformation. La comparaison entre les photos de poilus au combat en 1918 et celle des Pantalons rouges de 1914 donnait
l’impression de guerres dans deux siècles différents, alors qu’il ne s’était
écoulé que quatre ans.
A l’issue de ma scolarité à l’EMSST, je décidais de m’inscrire en
Doctorat et de poursuivre mes recherches sur Le processus d’évolution
tactique de l’armée française avant et pendant la Première Guerre mondiale,
1871-1918, titre de mon mémoire de Maîtrise. Quelques mois plus tard, et
alors que j’avais intégré l’Ecole de guerre (alors Collège interarmées de
défense), j’ai eu l’honneur de voir ce mémoire être récompensé du prix du
Centre d’étude d’Histoire de la défense (CEHD). Ce travail récompensé attira
l’attention des Editions Tallandier (merci à Laurent Henninger alors à la fois directeur
de collection et membre du CEHD). Le
regretté général André Bach avait déjà écrit le remarquable Fusillés pour l’exemple, on me proposa
d’écrire ce qui allait devenir La chair
et l’acier.
La chair et
l’acier sortait donc à la fin de l’année 2004, pour les 90 ans de la guerre. C’était mon premier livre
et j’en étais évidemment très fier malgré ses insuffisances. J’y décrivais donc
les moteurs et les freins internes de l’évolution de l’armée française de la
fin d’une guerre à la fin d’une autre. Au passage, si j’y parlais beaucoup d’innovations,
j’y parlais moins de technique que de sociologie des organisations ou de culture, voire de
psychologie. C’était apparemment trop original pour certains qui s'obstinaient à le décrire comme un ouvrage sur l'industrie de guerre. Le slogan de l’éditeur en 4e
de couverture était d’ailleurs « De la baïonnette au char d’assaut ».
Pour la petite histoire, un critique littéraire qui n’avait lu que cette 4e
de couverture (où le titre La char et
l’acier n’était pas rappelé) avait écrit qu’il avait trouvé De la
baïonnette au char d’assaut très bien et qu’il fallait le lire.
La chair et
l’acier a finalement plutôt plu puisque l’ouvrage a été réédité plusieurs
fois et notamment dans la collection Texto sous un nouveau titre : L’invention de la guerre moderne. Il
sera même publié fin octobre en langue anglaise (Flesh and Steel) par Pen & Sword Military. Pour autant, il me
laissait un goût d’inachevé. Contrairement aux usages, j’avais publié mon
travail de thèse… avant de l’avoir soutenue. En réalité, je ne soutenais ma
thèse qu’en 2008, quatre ans après la publication de La chair et l’acier. Durant ces quatre années, et même si j’étais
quand même un peu pris par ailleurs, j’ai évidemment enrichi mon propos. Je me
retrouvais ainsi avec la frustration d’avoir appris des choses et accumulé
beaucoup de matériau historique sans pouvoir les présenter autrement qu’à mon
jury de thèse.
Je gardais donc dans ma tête l’idée d’écrire un nouveau livre sur
l’armée française pendant la Grande guerre en me concentrant plutôt sur l’année
1918, l’année de la victoire, en grande partie parce que c’était sur cette
période que j’avais le plus travaillé après 2004. J’avais intégré notamment
tous les aspects de la « petite guerre » parallèle aux grandes
batailles, très peu décrite, et beaucoup mieux compris les tactiques employées
dans les derniers mois de la guerre.
Le centenaire de la Première Guerre mondiale était l’occasion qui
convaincrait un éditeur. J’échangeais un contrat que je ne pouvais plus assurer
contre cette description des combats de 1918 qui sortirait bien évidemment… en
2018.
Bien évidemment aussi je procrastinais. Ecrire un essai est un tel
effort et il y a tant de choses également intéressantes et urgentes à faire ailleurs.
A la fin de l’été 2017, l’apparition d’une échéance claire, la fin du mois de
février 2018, m’obligeait à repartir aux combat, où plutôt aux combats de la
Grande guerre.
Je décidais, comme prévu, de concentrer mon propos sur l’armée française et l’art
de la guerre en 1918. L’art de la guerre est un des grands oubliés de
l’historiographie française de la Grande guerre, sinon de tous les conflits. Le
poilu a été décrit abondement dans sa vie quotidienne dans les tranchées ou à
l’arrière, dans son rapport à la violence, à l’art, au sexe ou toutes autres choses
relevant souvent de la sociologie ou plus encore de l’anthropologie. Cet effort
a été indispensable et généralement intéressant mais il tendait à occulter un élément
essentiel : les soldats n’étaient pas là par hasard et juste pour
souffrir. Ils étaient aussi des participants conscients et actifs d’une action
politique visant à imposer sa volonté à un ennemi et cette action se décline en
stratégie, art opératif et tactique, termes qui désignent à la fois les
échelons de la force et les manières dont on l'emploie.
J’ai eu mon grand-père comme source primaire et étrangement c’était l’angle qu’il choisissait aussi pour parler de sa guerre, soixante ans après les faits. Loin des Sentiers de la gloire, cet ancien sous-officier de la coloniale ne parlait pas de la vie dans les tranchées, il parlait de ses combats contre les Allemands et surtout de ses victoires. C’est à cet effort de recherche de la victoire, cette
discipline à tous les sens du terme, que je m’intéressais exclusivement. On me le reprochera sans doute.
L’année 1918 est aussi un peu une oubliée de la Grande guerre. En
1983, j’avais adoré La Grande guerre
de Pierre Miquel, une première tentative de décrire à nouveau le conflit dans
sa totalité et sa globalité. J’y étais surpris par la part finalement réduite
qu’il accordait aux combats de 1918, moins de pages que pour ceux des premiers
mois de guerre en 1914 et deux fois moins de pages que pour les évènements de
1917. Je retrouvais ce décalage dans plusieurs autres récits y compris sur
d’autres conflits, comme s’il y a un destin des guerres a été plus rapidement
brossées à leur fin qu’à leur début.
Il est vrai aussi que les opérations militaires sont souvent plus
larges, plus grandes, et plus difficiles à décrire après des années de
mobilisation des forces et de complexification de leur emploi. C’est
typiquement ce qui se passe en 1918. En France, si on demande de citer des
batailles de la Première Guerre mondiale, on entendra La Marne et surtout
Verdun, éventuellement la Somme ou « Le chemin des Dames ». Pour
1918, c’est souvent le trou noir. Or des batailles où intervient au moins une
armée française, comme à Verdun ou sur la Somme, il y en a douze sur le front Nord-Ouest
et une dans les Balkans, sans parler de participations dans d’autres fronts.
Ces batailles s’enchaînent cependant à un tel rythme et une telle échelle
qu’elles sont difficiles à distinguer.
L’analyse, la plus claire possible, de ces combats constituait
le cœur de mon livre. Avant cela, il fallait présenter la situation générale. Je
consacrais donc logiquement mon premier chapitre à cette présentation
stratégique. Trois grandes armées étaient alors en mouvement pour l’affrontement
final : celle des Allemands venant du front oriental finissant, celle des
Américains qui ne pourra vraiment avoir une influence sur le front qu’à la fin
de l’été 1918 et enfin l’armée des machines à moteur qui vient renforcer massivement
l’armée française. Il restait à déterminer comment les nations comptaient
gagner la guerre avec elles.
Après cette description stratégique, je m’efforçais dans un autre
chapitre de descendre au niveau de l’emploi des forces terrestres, en décrivant
l’évolution des doctrines et des méthodes. Au début de 1918, on perçoit qu’avec
le déséquilibre momentané des forces et les moyens nouveaux dont on dispose, il
sera enfin possible de sortir du blocage des tranchées. On diverge cependant
dans les deux camps pour déterminer ce qu’on va faire ensuite et surtout ce que
va donner cette confrontation de nouvelles idées.
Dans le chapitre suivant, je m’appliquais à faire la même chose
pour les opérations dans les espaces où l’homme ne vit pas, traditionnellement
la mer et depuis la Première Guerre mondiale, également l’air. Je consacrais
plus spécifiquement ce chapitre à la manière dont on essayait encore en 1918 d’utiliser ces espaces pour surmonter le blocage des fronts
terrestres et l’emporter directement en affectant les sociétés, par le blocus
ou la peur des bombardements.
Je profitais de ce troisième chapitre pour décrire l’évolution de
la marine française. Dans le suivant et en entier, je décrivais cette fois l’armée
française qui se préparait pour l’affrontement final, une armée qui avait beaucoup
changé depuis la bataille de Verdun deux ans plus tôt et qui était alors la plus moderne du monde.
Ces préliminaires effectués, je consacrais neuf chapitres aux
différentes campagnes de 1918, deux pour celle contre la British Expeditionary Force (la BEF et
non « le » BEF comme je l’ai écrit dans tout le livre), avec les
batailles de Picardie puis de Flandres, première grande confrontation entre la nouvelle
capacité des Allemands à percer les fronts et celle des Français à les
renforcer. La campagne s’achevant par la prédominance des seconds, Ludendorff s’acharne
alors jusqu’à l’irrationalité stratégique, contre cette réserve mobile
française qui l’empêche de vaincre les Britanniques. Le désastre français sur
l’Aisne, peut-être le plus important après la bataille des frontières en août
1914, constitue à cet égard un succès tactique mais aussi un piège opératif. Trois
chapitres ont été consacrés à cette obstination de plus en plus stérile. Dans
la dernière tentative, les Français ne se contentent pas de résister. A la
stupéfaction des Allemands, ils contre-attaquent le 18 juillet, première étape vers la victoire finale.
Les trois chapitres suivants ont été consacrés aux
offensives alliées sur le front Nord-Ouest. Le découpage s’imposait facilement. Le premier chapitre décrirait les opérations de dégagement des zones conquises. Le second serait
consacré à la bataille sur ce que les Alliés appelaient la ligne Hindenburg. Cette formidable barrière
défensive avait permis aux Allemands de résister pendant toute l’année 1917.
Leur surprise est alors immense lorsque ce bouclier est conquis en deux
semaines. C’est le tournant de la guerre sur ce front. Au-delà, c’est l’objet
du troisième chapitre, l’armée allemande se désagrège progressivement jusqu’à ne
plus constituer une organisation structurée. Contrairement à la scène initiale du
beau film Au revoir là-haut, on ne se
bat plus dans les tranchés dans les derniers jours de la guerre, on ne se bat
plus vraiment beaucoup en fait.
Il fallait évidemment évoquer l’offensive alliée dans les Balkans,
celle qui a abattu la Bulgarie et ôté définitivement tout espoir aux empires
ottomans et austro-hongrois. Je ne savais pas comment l’inclure dans l’ensemble
des grandes offensives alliées. Je décidais de lui consacrer un chapitre
complet, cela méritait au moins cela, où j’incluais les contingents oubliés
français, minuscule en Palestine, conséquent et au rôle important en Italie.
Les deux derniers chapitres étaient consacrés à l’armistice et son
après, fictif avec la question de l’ « offensive qui n’a jamais eu
lieu » en Lorraine et réel avec la continuation des opérations. Car
l’armistice du 11 novembre n’est pas l’arrêt de la guerre. On l’ignore mais il
y a encore en moyenne un millier de morts par mois dans l’armée française…
après le 11 novembre 1918. Tout en démobilisant progressivement, les combats
continuent dans les Balkans et surtout en périphérie de la Russie. Les
mouvements continuent aussi jusqu’à l’occupation de la Rhénanie jusqu’au traité
de paix et son entrée en vigueur le 10 janvier 1920, fin officielle de la
guerre contre l’Allemagne.
Le dernier chapitre m’a posé problème. Je comptais initialement
faire une simple conclusion-ouverture sur l’avenir immédiat de la situation
stratégique. Mon éditeur a insisté cependant pour que je prolonge mon propos jusqu’en
1939. J’estimais que cela devait plutôt faire l’objet d’un autre livre, rejoignant
d’ailleurs une littérature abondante sur la question, mais je m’exécutais. Au
lecteur de juger.
Le premier manuscrit était remis en février 2018. Le dernier,
après avoir allégé mon propos de la moitié de ses chiffres (j’aime les
chiffres) et de ses éléments les plus techniques, plusieurs mois plus tard. En
parallèle, j’effectuais tout le travail périphérique des index, abréviations, cartographie
(essentielle), chronologie et enfin des choix bibliographiques, un exercice qui
relève autant de la diplomatie (ne fâcher personne) que de la science
historique. Je fournissais aussi la 4e de couverture et les éléments de langage (arguments de vente). Ce n’est pas la partie du travail que je préfère ni celle que je
fais le mieux mais elle est indispensable.
Je recevais le projet de couverture au printemps, il me plaisait beaucoup. Le titre variait encore un peu. J’avais proposé Les vainqueurs, qui fut accepté. Le sous-titre m’échappait en revanche. J’avais pensé à L’armée française et les combats de 1918, ce qui correspondait le plus à mon projet. Cela est devenu Comment la France a gagné la Grande guerre et sans la mention 1918, ce qui à mon sens peut prêter à confusion mais est sans doute plus accrocheur et donc plus vendeur.
Je recevais le projet de couverture au printemps, il me plaisait beaucoup. Le titre variait encore un peu. J’avais proposé Les vainqueurs, qui fut accepté. Le sous-titre m’échappait en revanche. J’avais pensé à L’armée française et les combats de 1918, ce qui correspondait le plus à mon projet. Cela est devenu Comment la France a gagné la Grande guerre et sans la mention 1918, ce qui à mon sens peut prêter à confusion mais est sans doute plus accrocheur et donc plus vendeur.
Il était décidé de le publier le 30 août, un peu avant la rentrée
littéraire et surtout deux mois avant le dernier 11 novembre centenaire de la
Grande guerre. Je suis maintenant dans la position de celui qui a intensément travaillé et qui attend avec angoisse de voir comment l'aboutissement d'un projet de 17 ans est perçu.