Profondément modifié le 25/09/2016 à 16h00
Que dirait-on si l’avion de transport A400M Atlas ne pouvait transporter qu’une seule tonne de charge utile, soit 1,4 % de sa masse à vide ? On trouverait cela sans doute relativement peu rentable (en réalité, l’Atlas peut porter 30 tonnes de charge). C’est pourtant ce que l’on demande aux armées puisque pour l’année 2015, 450 millions d’euros avaient été prévus pour financer les opérations militaires extérieures alors que parallèlement le budget de la défense était de 31,4 milliards d’euros (ce ne sont pas les mêmes budgets). Les dépenses furent, comme toujours, supérieures à ce qui était financé au départ, représentant finalement 3,5% du budget de la défense et non 1,4 % , ce qui correspond à la moyenne se situant en 2 et 4% depuis la fin de la guerre froide. Voici donc le rendement général actuel de l’emploi de nos armées.
Le problème ne vient pas des particulièrement des armées. Les soldats doivent être soldés, ils doivent s’entraîner, renouveler leur équipement, le maintenir en état et assurer enfin des missions permanentes de sécurité (surveillance du ciel et des approches maritimes, protection des enceintes stratégiques). Le budget de la défense actuel est déjà insuffisant pour assurer même tout cela dans des conditions acceptables.
Le problème vient surtout de l'employeur politique qui refuse, essentiellement par économie, d'aller au-delà d'une « charge opérationnelle utile » de 4 %. Par comparaison, le maintien de notre capacité de dissuasion nucléaire représente 10% du budget de la défense. Pourrait-on aller cependant beaucoup plus loin en l'état actuel des forces ? En tenant des capacités réelles de déploiement (quantité et disponibilité des hommes et des équipements majeurs) et le contrat opérationnel (l'effort maximum demandé aux forces armées) décrit dans le Livre blanc, il est probable que non. Peut-être pourrait-on aller, très empiriquement, jusqu'à 8 %.
Les deux budgets, défense et opérations, sont séparés mais ils sont en effet corrélés. En maintenant simplement jusqu'à aujourd'hui un effort de défense (mesuré en % de PIB) équivalent à celui des années 1980 (il n'était pas considéré comme écrasant à l'époque), on disposerait de capacités d'opérationnelles très supérieures à ce qu'elles sont aujourd'hui. Il est probable que l'on pourrait déployer trois à quatre fois plus de moyens qu'aujourd'hui (soit le contrat opérationnel du début des années 1990) pour une qualité moyenne supérieure des équipements. Les effets des réductions d'effort ne sont pas linéaires. Comme il existe des coûts fixes incompressibles (les moyens de la dissuasion nucléaire, la maintenance des équipements, l'entraînement, ou simplement et surtout les contrats industriels à honorer), la réduction de l'effort s'est exercée plus que proportionnellement sur les quantités.
En diminuant l'effort de défense par deux depuis vingt-cinq ans, on a en fait divisé la capacité de déploiement par quatre. Inversement, un léger renversement de tendance (disons jusqu'aux fameux 2 % qui apparaissent comme un totem de campagne électorale) permettrait d'un seul coup de remonter largement les capacités d'intervention et donc aussi la « charge utile maximale », peut-être jusqu'à 12-15 %, soit quatre à six milliards d'euros. Cela changerait déjà considérablement les choses.
Concentrons-nous maintenant plus précisément sur l’emploi des forces armées dans
la guerre contre les organisations djihadistes. Outre la posture permanente de
sécurité, déjà évoquée, trois opérations spécifiques y sont consacrées : Chammal au Levant, Barkhane au Sahel et Sentinelle
(opération intérieure) sur le territoire métropolitain. L’emploi des forces
armées dans la guerre en cours nous aura coûté 900 millions d’euros en 2015,
soit l’équivalent de 3 % du budget de la défense ou encore 0,041 % du Produit
intérieur brut. Depuis un an, le Président de la République et le gouvernement
parlent de la guerre dans de grands discours, répétant que « tout est fait » pour
détruire « l’armée des fanatiques ». Ce « tout » représente
donc, en ce qui concerne les armées, 0,041 % de ce que produit la France chaque
année. A titre de comparaison, les simples subventions à la SNCF représentent
11 fois ce que nous consacrons à la guerre contre les organisations
djihadistes. On est loin de la mobilisation générale.
Est-ce par ailleurs efficient ? Autrement dit les moyens alloués sont-ils utiliser au maximum de leur efficacité ? Le 21 janvier 2016, le ministre de la défense déclarait qu'un millier de combattants de l’Etat
islamique avait été mis hors de combat par l’opération Chammal tandis qu’on estime que Barkhane,
lancée le 1er août 2014 a permis, de manière plus précise, d’éliminer 200 combattants ennemis au Sahel en deux ans. Rapportés à la seule année 2015,
on peut estimer que la France a tué ou capturé environ 900 combattants
djihadistes. Sentinelle (170 millions
d’euros en 2015) de son côté, n’a éliminé personne, hormis les agressions individuelles
et directes sur ses soldats, soit une seule personne en 2015 à Nice (et une
autre en 2016). Le calcul est donc vite fait, dans cette guerre où « tout
est fait » pour détruire l’ennemi, il en coûte un million d’euros par
combattant ennemi éliminé.
Il ne s'agit là que d'un indice. Le combat ne se limite évidemment pas à la simple élimination des combattants adverses. Se focaliser sur cela (le « body count ») est une réduction stratégique et généralement une source de déconvenues. Mais pour autant, il ne faut pas tomber dans l'excès inverse. Combattre signifie obtenir la soumission de l'adversaire et la destruction de son armée (ce qui n'est pas synonyme de l'élimination physique de tous ses membres) constitue quand même une étape majeure vers cet objectif. Il faut juste constater qu'alors que nous sommes en guerre depuis deux ans contre l'Etat islamique, pour ne considérer que cet ennemi, nous n'avons que très faiblement entamé son potentiel.
Ce rapport d'un million d'euros par combattant éliminé, montre d'abord que non seulement nous consacrons très peu de moyens à la guerre mais que parmi ces moyens rares nous en consacrons aussi très peu à combattre vraiment l’ennemi. On s'efforce de rassurer les Français en gesticulant avec Sentinelle et on instruit des combattants alliés en Irak ou en Afrique (peut-être l’équivalent, au grand maximum, de deux brigades au comportement incertain). Les frappes aériennes, par nature, ne visent pas non plus forcément les petites unités de combat mais aussi, et surtout, des infrastructures diverses. On surveille et on cherche aussi beaucoup, ce qui est évidemment indispensable.
Au bout du compte quand enfin, nous combattons, cela est aussi très cher. Entendons-nous bien, faire la guerre coûte toujours très cher. Reste à connaître, là-aussi, les seuils qui font que ces coûts élevés deviennent rédhibitoires. En octobre 1917, les Français obtiennent une belle victoire sur le plateau de la Malmaison, en grande partie grâce à une préparation d'artillerie monstrueuse (elle ne sera dépassée qu'en juillet 1943 lors de la bataille d'Orel). Le coût en était tel que ce fut la dernière. La grande offensive française suivante, le 18 juillet 1918, fut réalisée quasiment sans préparation d'artillerie, en utilisant des chars.
Le coût d'emploi des forces peut-être tel qu'il permettre tous les succès tactiques tout en réduisant les capacités d'action globales et donc obérer la victoire stratégique. Notre outil militaire est peut-être excellent face aux concurrents commerciaux mais il est aussi tellement coûteux à l'emploi, que nous ne pouvons actuellement (et encore une fois avec les ressources allouées) déployer finalement que quelques dizaines de nos machines de guerre les plus sophistiquées, comme les avions Rafale ou les hélicoptères Tigre, ce qui limite grandement nos possibilités, encore une fois non pas locales mais globales. Avec le million d’euros que nous dépensons pour mettre hors de combat un seul combattant, l’ennemi peut, de son côté, former, équipe (véhicules compris) et payer une section d’une trentaine d’hommes. On se dit quand même qu'avec un million d'euros, on pourrait peut-être lui faire un peu plus de mal.
Il ne s'agit pas là d'un raisonnement comptable mais stratégique. En comptabilité bercyenne, il faut éliminer tout ce qui paraît inutile pour réaliser des économies. En stratégie il faut au contraire de l'apparemment inutile (une force de réserve, des moyens diversifiés et redondants) pour faire face à l'incertitude. C'est l'attitude comptable qui nous a mis dans une telle situation de faiblesse globale et même de vulnérabilité (y compris en interne avec Louvois). Non pas qu'il ne faille pas faire attention aux ressources allouées mais là où un contrôleur estimera toujours qu'on peut faire la même chose pour moins cher jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible de faire plus, un stratège se demandera plutôt comment atteindre ses objectifs avec ce dont il dispose ou, si ce n'est pas suffisant, comment disposer des moyens nécessaires.
Il ne s'agit là que d'un indice. Le combat ne se limite évidemment pas à la simple élimination des combattants adverses. Se focaliser sur cela (le « body count ») est une réduction stratégique et généralement une source de déconvenues. Mais pour autant, il ne faut pas tomber dans l'excès inverse. Combattre signifie obtenir la soumission de l'adversaire et la destruction de son armée (ce qui n'est pas synonyme de l'élimination physique de tous ses membres) constitue quand même une étape majeure vers cet objectif. Il faut juste constater qu'alors que nous sommes en guerre depuis deux ans contre l'Etat islamique, pour ne considérer que cet ennemi, nous n'avons que très faiblement entamé son potentiel.
Ce rapport d'un million d'euros par combattant éliminé, montre d'abord que non seulement nous consacrons très peu de moyens à la guerre mais que parmi ces moyens rares nous en consacrons aussi très peu à combattre vraiment l’ennemi. On s'efforce de rassurer les Français en gesticulant avec Sentinelle et on instruit des combattants alliés en Irak ou en Afrique (peut-être l’équivalent, au grand maximum, de deux brigades au comportement incertain). Les frappes aériennes, par nature, ne visent pas non plus forcément les petites unités de combat mais aussi, et surtout, des infrastructures diverses. On surveille et on cherche aussi beaucoup, ce qui est évidemment indispensable.
Au bout du compte quand enfin, nous combattons, cela est aussi très cher. Entendons-nous bien, faire la guerre coûte toujours très cher. Reste à connaître, là-aussi, les seuils qui font que ces coûts élevés deviennent rédhibitoires. En octobre 1917, les Français obtiennent une belle victoire sur le plateau de la Malmaison, en grande partie grâce à une préparation d'artillerie monstrueuse (elle ne sera dépassée qu'en juillet 1943 lors de la bataille d'Orel). Le coût en était tel que ce fut la dernière. La grande offensive française suivante, le 18 juillet 1918, fut réalisée quasiment sans préparation d'artillerie, en utilisant des chars.
Le coût d'emploi des forces peut-être tel qu'il permettre tous les succès tactiques tout en réduisant les capacités d'action globales et donc obérer la victoire stratégique. Notre outil militaire est peut-être excellent face aux concurrents commerciaux mais il est aussi tellement coûteux à l'emploi, que nous ne pouvons actuellement (et encore une fois avec les ressources allouées) déployer finalement que quelques dizaines de nos machines de guerre les plus sophistiquées, comme les avions Rafale ou les hélicoptères Tigre, ce qui limite grandement nos possibilités, encore une fois non pas locales mais globales. Avec le million d’euros que nous dépensons pour mettre hors de combat un seul combattant, l’ennemi peut, de son côté, former, équipe (véhicules compris) et payer une section d’une trentaine d’hommes. On se dit quand même qu'avec un million d'euros, on pourrait peut-être lui faire un peu plus de mal.
Il ne s'agit pas là d'un raisonnement comptable mais stratégique. En comptabilité bercyenne, il faut éliminer tout ce qui paraît inutile pour réaliser des économies. En stratégie il faut au contraire de l'apparemment inutile (une force de réserve, des moyens diversifiés et redondants) pour faire face à l'incertitude. C'est l'attitude comptable qui nous a mis dans une telle situation de faiblesse globale et même de vulnérabilité (y compris en interne avec Louvois). Non pas qu'il ne faille pas faire attention aux ressources allouées mais là où un contrôleur estimera toujours qu'on peut faire la même chose pour moins cher jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible de faire plus, un stratège se demandera plutôt comment atteindre ses objectifs avec ce dont il dispose ou, si ce n'est pas suffisant, comment disposer des moyens nécessaires.
En 2013, l’opération Serval a permis d’éliminer 3 000 combattants du
territoire malien (mais pour combien de pertes définitives ?) pour 640 millions d’euros, soit un peu plus de 200 000 euros par ennemi, avec par ailleurs de vrais effets opérationnels (la destruction des bases et implantations dans le nord du pays) sinon stratégiques. Cela a été aussi efficace (et efficient) parce que nous avons su remarquablement conjuguer combat rapproché et appui indirect. Ces 200 000 euros par ennemi constituent sans doute un ordre de grandeur du minimum à consentir si on veut être efficace dans une opération moderne au loin.
Depuis Serval nous avons réduit au maximum les combats rapprochés pour privilégier les frappes à distance, surtout au Levant. C'est finalement à la fois plus coûteux et moins efficace. On peut donc arguer que cela permet de sauver des vies françaises (militaires mais pas civiles). On pourra rétorquer aussi que cette acceptation du risque est justement ce qui fait la différence entre la guerre totale que mène nos adversaires et notre guerre timide. C'est cette différence qui fait que cette dernière soit aussi si peu efficace, donc longue…et donc coûteuse y compris en vies humaines.
Depuis Serval nous avons réduit au maximum les combats rapprochés pour privilégier les frappes à distance, surtout au Levant. C'est finalement à la fois plus coûteux et moins efficace. On peut donc arguer que cela permet de sauver des vies françaises (militaires mais pas civiles). On pourra rétorquer aussi que cette acceptation du risque est justement ce qui fait la différence entre la guerre totale que mène nos adversaires et notre guerre timide. C'est cette différence qui fait que cette dernière soit aussi si peu efficace, donc longue…et donc coûteuse y compris en vies humaines.
Depuis que nous nous sommes engagés dans
la guerre contre l’Etat islamique plus de 240 civils français ont été tués (dont
certains d'ailleurs revendiqués par AQPA, contre qui nous ne faisons pas grand-chose). Il
y en aura malheureusement certainement beaucoup d’autres encore avant que l’ennemi ne
soit vaincu. Le prix aurait peut-être été moins grand si, dans le cadre d’une
stratégie un peu plus cohérente, la France avait engagé une division mécanisée
dès la fin de 2014 en Irak (nous l'avons bien fait contre Saddam Hussein en 1990) et en coopération avec l'armée irakienne et l'appui américain, la ville de Mossoul serait déjà reprise depuis longtemps. A la manière de Serval cela n’aurait pas suffi à obtenir
la victoire définitive mais cela aurait été un grand pas dans cette direction, pour un coût humain sans doute au total finalement moindre. Si nous transférons simplement les surcoûts de Sentinelle et, disons, ceux de notre engagement tout aussi peu utile au Liban pour faire simplement en Irak et même en Syrie, ce que nous faisons actuellement au Sahel, c'est-à-dire prendre un peu plus de risques en élargissant le champ des moyens de raids (hélicoptères Tigre, blindés légers, etc.) nous serions déjà considérablement plus efficaces contre l'ennemi (nous pourrions même beaucoup plus facilement éliminer sur place les traîtres français qui l'ont rejoint). Le décalage entre l'audace de l'engagement au Mali en 2013 et la faiblesse de celui contre l'Etat islamique, ne cesse de surprendre.
Au passage, si on se soucie autant de la vie de nos soldats, et plus particulièrement des sapeurs et surtout des fantassins puisque ce sont eux qui tombent au combat, pourquoi avoir attendu 38 ans pour les doter d’un fusil d’assaut moderne (coût : 0,013% du PIB) ? Avoir toléré qu’ils tirent au combat des munitions importées de faible qualité ? Pourquoi ne pas les avoir dotés tout simplement d’équipements équivalents à ceux des forces spéciales ? Cela n’aurait représenté qu’un petit pourcentage des « dividendes de la paix » du Grand désarmement entamé il y a 25 ans et cela aurait évité des centaines de morts et de blessés parmi nos soldats. Cela permettrait d’être un peu plus audacieux et donc d’avoir un petit peu plus de chance de l’emporter.
Heureusement que nous sommes riches car pour l’instant nous sommes faibles. Le potentiel de la France est immense mais nous semblons incapables de l’utiliser pour lutter efficacement. Nous déclarons, au sens premier, la guerre mais sans la faire vraiment. Les coups que nous avons reçus ne sont visiblement pas encore assez forts pour avoir la volonté de vaincre et la force de se doter des moyens nécessaires et adaptés.
Au passage, si on se soucie autant de la vie de nos soldats, et plus particulièrement des sapeurs et surtout des fantassins puisque ce sont eux qui tombent au combat, pourquoi avoir attendu 38 ans pour les doter d’un fusil d’assaut moderne (coût : 0,013% du PIB) ? Avoir toléré qu’ils tirent au combat des munitions importées de faible qualité ? Pourquoi ne pas les avoir dotés tout simplement d’équipements équivalents à ceux des forces spéciales ? Cela n’aurait représenté qu’un petit pourcentage des « dividendes de la paix » du Grand désarmement entamé il y a 25 ans et cela aurait évité des centaines de morts et de blessés parmi nos soldats. Cela permettrait d’être un peu plus audacieux et donc d’avoir un petit peu plus de chance de l’emporter.
Heureusement que nous sommes riches car pour l’instant nous sommes faibles. Le potentiel de la France est immense mais nous semblons incapables de l’utiliser pour lutter efficacement. Nous déclarons, au sens premier, la guerre mais sans la faire vraiment. Les coups que nous avons reçus ne sont visiblement pas encore assez forts pour avoir la volonté de vaincre et la force de se doter des moyens nécessaires et adaptés.