14 juin 2009
Le monde du XXIe siècle renoue avec une complexité stratégique inconnue des Français depuis les
subtilités de l’époque des Lumières. Mais à l’époque la France se suffisait à
elle-même, désormais elle survit grâce à un réseau qui s’étend à travers un
maillage menaçant où les rivaux, les organisations armées et les moyens de nous
porter de coups n’ont jamais été aussi nombreux. Nous voici dans le temps le
plus fâcheux pour un Etat, selon Machiavel, celui où il ne peut ni goûter la
paix, ni soutenir ouvertement la guerre.
Guerre nulle
part, insécurité partout
Selon un rapport de l’Human Security Center en
date d’octobre 2005, le nombre de conflits armés aurait diminué de 40 % depuis
la fin de la Guerre froide jusqu’en 2003 accréditant l’idée qu’un monde enfin
unifié, au moins économiquement sur le modèle libéral-capitaliste mais aussi de
plus en plus politiquement, tendrait vers la paix. Il semble malheureusement
qu’il n’en soit rien et ce qui apparaissait comme une décrue dans les années
1990 n’était sans doute que la première phase, descendante, d’un cycle en forme
de U. Après un point bas aux alentours de 1998, qui correspond au début d’une
une série de crises économiques, nous abordons désormais la montée de la deuxième
barre, synonyme de montée des violences. Après quelques années de
stabilisation, les dépenses militaires mondiales remontent et avec
accélération.
Ce n’est pas un phénomène nouveau. Lors de la première mondialisation, conséquence de la révolution industrielle du début du XIXe siècle, le nombre de conflits inter-étatiques avait également commencé par diminuer drastiquement depuis la fin du Premier Empire et on pouvait imaginer sérieusement, après la guerre de 1870, que le droit international, presque confondu alors avec le Concert européen, la communauté de culture entre les puissances puis leur imbrication économique empêcherait toute crise majeure. L’hypothèse d’une paix entre les nations « civilisées » paraît alors légitime, les expéditions coloniales ne méritant que rarement le titre de guerre.
Ce n’est pas un phénomène nouveau. Lors de la première mondialisation, conséquence de la révolution industrielle du début du XIXe siècle, le nombre de conflits inter-étatiques avait également commencé par diminuer drastiquement depuis la fin du Premier Empire et on pouvait imaginer sérieusement, après la guerre de 1870, que le droit international, presque confondu alors avec le Concert européen, la communauté de culture entre les puissances puis leur imbrication économique empêcherait toute crise majeure. L’hypothèse d’une paix entre les nations « civilisées » paraît alors légitime, les expéditions coloniales ne méritant que rarement le titre de guerre.
Un indice aurait pu
éveiller des soupçons : alors qu’au début du XIXe siècle, il
n’y avait guère de différence entre le costume traditionnel de la bretonne et
celui de l’Alsacienne, au début du suivant, ils étaient radicalement
différents. Loin d’uniformiser les esprits, les nouveaux moyens de transport et
de communications avaient exacerbé les identités régionales. De la même façon,
la première mondialisation loin d’uniformiser les esprits a suscité les théories
culturalistes les plus délirantes et les nationalismes les plus exacerbés, avec
le résultat que l’on sait.
Avec la fin de l’URSS
en 1991, la menace d’un affrontement mondial généralisé s’est éloigné et on a
pu croire que les incendies qui s’allumaient ici ou là, et notamment en
ex-Yougoslavie, n’étaient finalement que des embrassements de quelques feux
étouffés jusque là par la bipolarité. On a pu croire à nouveau, qu’une fois ces
feux éteints, le « nouvel ordre mondial » permettrait de réguler la
violence internationale sous un seuil « acceptable ». Les armées
occidentales, profondément réduites et transformées, reprenaient leur rôle de
police internationale.
Force est de constater aujourd’hui que le monde n’est pas aussi « plat » [1]
que le souhaiterait certains et que des « saillants » apparaissent un
peu partout, à l’intérieur même de ces Etats affaiblis et qui ne se font plus
que rarement la guerre. Si on peut désormais se rendre dans n’importe quel
pays, on ne peut que rarement s’y déplacer partout en toute sécurité tant les
zones de non-droit se sont multipliées dans les banlieues, bidonvilles géants,
ghettos ethniques, territoires occupés ou zones tribales. Dans la majeure
partie de l’ancien Tiers-Monde, des Etats ne contrôlent plus qu’une partie de leur
territoire, le reste formant le côté obscur de la
mondialisation, celui des oubliés du développement mais aussi souvent celui du
particularisme et de la tradition. Ces « espaces gris » prospèrent
dans les nations affaiblies, à la fois par la désétatisation de l’économie mais
aussi par un processus de démocratisation qui leur a fait perdre la stabilité
autoritaire sans leur donner le jeu des contre-pouvoirs des régimes
démocratiques solides. Loin des foyers révolutionnaires des années 1960, ces « poches
de colère » sont plutôt d’essence réactionnaire et traditionaliste, sans
volonté de conquête, au moins pour l’instant, mais avec une forte volonté de
nuire [2].
Les nouvelles
ONG
De nouvelles
organisations y sont apparues relevant tout à la fois des bandes criminelles,
des mafias, des groupes terroristes ou des groupes de mercenaires. Fortement
inspirés de leurs cultures locales mais bénéficiant des réseaux et flux de la
mondialisation, ces groupes ont dépassé le cadre d’action local ou régional
pour être capable d’agir dans l’ensemble du monde. La mouvance Al-Qaïda, a
logiquement trouvé une base dans un Afghanistan instable depuis vingt ans avant
de s’implanter dans des « pays porteurs » comme la Somalie, le
Soudan ou le Yémen poussant même des ramifications économiques jusqu’au Congo
(trafic de pierres précieuses). Après l’échec de la secte Aum en 1995 qui
aurait pu tuer au gaz plusieurs centaines de personnes si son opération avait
été mieux préparée, Al-Qaïda est la première ONG à frapper « massivement »
une puissance occidentale, significativement au World Trade Center, symbole de
la mondialisation, puis l’Espagne et le Royaume-Uni. De même coup, la France,
chez qui le terrorisme islamiste avait commencé par sévir de manière plus
artisanale, découvrait qu’elle n’avait été une île stratégique que quelques
années seulement.
Après ce terrorisme mondialisé, la deuxième mauvaise surprise des Occidentaux à été la découverte d’organisations armées capables de leur résister, eux qui se croyaient invincibles depuis la première guerre du Golfe en 1991. Les Talibans et leurs alliés, premiers à recevoir la foudre américaine après le 11 septembre 2001, sont six ans plus tard toujours solidement implantés dans le sud de l’Afghanistan. Les guérillas sunnites irakiennes, sans base à l’étranger et sans aide matérielle ont tenu tête aux Américains depuis 2003 à partir d’une structure en réseaux tellement souple que l’on peut parler à leur égard d’organisations invertébrées. Mais sur le même territoire, on a trouvé aussi l’armée du Mahdi de l’ayatollah Moqtada al-Sadr, qui fonctionnait de manière radicalement différente, en accord avec une culture chiite qui associe une vision politique, une structure hiérarchique, l’étroite combinaison dans l’action des composantes politiques, économiques, militaires ou psycho-médiatiques et l’exacerbation de la notion de sacrifice. Incrustée dans le labyrinthe géant de Sadr-City au Nord de Bagdad, l’armée du Mahdi peut compter sur un potentiel de plusieurs centaines de milliers d’hommes prêts à mourir. Par trois fois, elle a contraint l’armée américaine à la négociation et Moqtada al-Sadr, un des hommes qui a fait tuer le plus de soldats occidentaux est un homme libre de ses mouvements. Au Sud-Liban, le Hezbollah est structuré sur ce même modèle et, bien mieux équipé que les Mahdistes, il a réussi la performance unique au Moyen-Orient de tenir en échec l’armée israélienne durant l’été 2006. Ces nouvelles organisations comblent ainsi le vide entre les groupes purement terroristes et les armées étatiques, empruntant à ces deux pôles pour constituer des structures hybrides adaptées à la menace des forces d’intervention occidentales qui elles, n’ont guère varié depuis dix ou quinze ans.
Après ce terrorisme mondialisé, la deuxième mauvaise surprise des Occidentaux à été la découverte d’organisations armées capables de leur résister, eux qui se croyaient invincibles depuis la première guerre du Golfe en 1991. Les Talibans et leurs alliés, premiers à recevoir la foudre américaine après le 11 septembre 2001, sont six ans plus tard toujours solidement implantés dans le sud de l’Afghanistan. Les guérillas sunnites irakiennes, sans base à l’étranger et sans aide matérielle ont tenu tête aux Américains depuis 2003 à partir d’une structure en réseaux tellement souple que l’on peut parler à leur égard d’organisations invertébrées. Mais sur le même territoire, on a trouvé aussi l’armée du Mahdi de l’ayatollah Moqtada al-Sadr, qui fonctionnait de manière radicalement différente, en accord avec une culture chiite qui associe une vision politique, une structure hiérarchique, l’étroite combinaison dans l’action des composantes politiques, économiques, militaires ou psycho-médiatiques et l’exacerbation de la notion de sacrifice. Incrustée dans le labyrinthe géant de Sadr-City au Nord de Bagdad, l’armée du Mahdi peut compter sur un potentiel de plusieurs centaines de milliers d’hommes prêts à mourir. Par trois fois, elle a contraint l’armée américaine à la négociation et Moqtada al-Sadr, un des hommes qui a fait tuer le plus de soldats occidentaux est un homme libre de ses mouvements. Au Sud-Liban, le Hezbollah est structuré sur ce même modèle et, bien mieux équipé que les Mahdistes, il a réussi la performance unique au Moyen-Orient de tenir en échec l’armée israélienne durant l’été 2006. Ces nouvelles organisations comblent ainsi le vide entre les groupes purement terroristes et les armées étatiques, empruntant à ces deux pôles pour constituer des structures hybrides adaptées à la menace des forces d’intervention occidentales qui elles, n’ont guère varié depuis dix ou quinze ans.
La fin annoncée
de la suprématie militaire occidentale
La troisième étape est
celle du renforcement militaire d’Etats non occidentaux. Il s’agit d’abord de
quelques puissances régionales comme l’Iran, dont la capacité de résistance est
bien supérieure à celle de l’Irak de Saddam Hussein. Outre une armée qui, grâce
à des industries de défense non-occidentales en plein développement, se
modernise rapidement, l’Iran peut aussi utiliser des organisations alliées
comme le Hezbollah ou l’armée du Mahdi pour frapper indirectement les
Occidentaux, au Moyen-Orient ou sur leur territoire nationaux. Elle peut
organiser sur son sol une défense populaire qui engluerait tout envahisseur et
est sans doute tentée de compléter son dispositif par des armes nucléaires. La
possibilité de résister aux Etats-Unis, presque inconcevable il y a quelques
années, est désormais établie et l’exemple iranien pourrait en inspirer
d’autres.
Le dernier élément qui
commence à se profiler est celui de la reconstitution dans l’Ancien monde d’une
géopolitique proche du XVe siècle, avec, outre la Perse, le retour
au premier plan de l’Inde, de la Russie et de la Chine reprenant son rôle de
pendant oriental d’une Europe divisée politiquement mais culturellement unie.
Après une éclipse plus ou moins longue, ces puissances émergentes, auxquelles
il faudra ajouter le Brésil et dans une moindre mesure la Turquie, l’Afrique du Sud, le
Mexique, le Vietnam et quelques autres, n’ont certainement pas l’intention de
se contenter d’un statut de « nouveau riche », à l’instar du Japon.
Ainsi, et alors que les budgets militaires des pays occidentaux stagnent, ceux
de ces nouvelles puissances augmentent à grande vitesse (les budgets russes et
chinois évoluent actuellement au rythme d’un doublement tous les cinq ans), ce
qui leur permet pour les plus importants d’entre eux, non seulement de
reconstituer leur puissance militaire nationale mais aussi de développer une
industrie de défense. Le monopole occidental en matière de technologie de
défense, qui lui assurait une suprématie incontestée sur les armées régionales,
est donc destiné à s’effriter inexorablement comme en ont témoigné déjà les
chars israéliens détruits, en juillet 2006, par les très modernes missiles
antichars d’origine russe dont disposait le Hezbollah. Ces industries
alternatives vont immanquablement irriguer les organisations et puissances
régionales citées plus haut, les rendant encore plus résistantes. Que l’on
songe simplement aux difficultés tactiques qui se poseraient aux armées
occidentales si l’industrie russe développait et exportait à nouveau des missiles anti-aériens efficaces.
Un nouveau
paysage stratégique pour la France
Le
paysage stratégique change autour de la France et le temps des
« dividendes de la paix » est désormais bien loin. Puissance de plus
en plus moyenne au sein d’un ensemble occidental qui n’a plus « le
monopole de l’Histoire », selon l’expression d’Hubert Védrine et
dont le poids relatif économique, démographique et militaire décline
inexorablement, la France entre dans une période de vulnérabilité croissante.
Outre les miettes de France (DOM-TOM, ressortissants) éparpillés dans le monde,
la France, dont le commerce extérieur français atteint 20 % du produit
intérieur brut et qui ne dispose que peu de ressources naturelles, est
« connectée » par ses réseaux d’énergie, de communications, de transport
humain ou physique sur un monde de plus en plus dangereux. Pour la première
fois sans doute de son histoire, l’ennemi n’est plus aux frontières de la
France mais, selon la formule consacrée, il n’y a plus de frontières aux
menaces. Dans une situation malthusienne où le pétrole (80 % de l’accroissement
de la demande énergétique est le fait des pays émergents), en attendant les
autres ressources fossiles, se raréfie à grande vitesse et où des problèmes
écologiques majeurs s’imposent au monde, non seulement les poches de colère ne
vont pas diminuer, menaçant à elles seules la stabilité du monde, mais vont s’y
ajouter superposer des zones d’affrontement économiques et politiques.
La France devra faire face à des
rivaux qu’elle n’affrontera probablement pas visiblement (plutôt que
directement car des formes invisibles comme les cyber-attaques sont possibles),
par le simple jeu de la dissuasion nucléaire réciproque, mais indirectement
dans ces espaces plus ou moins flous entre les blocs et au sein desquels sont
branchés nos réseaux stratégiques. Un
nouveau « grand jeu » est en train de se mettre en place dans lequel,
l’action militaire ne sera qu’une arme parmi d’autres mais qui aura toute sa
place pour défendre nos intérêts (et la stabilité du monde est le premier
d’entre eux) jusque dans les « poches de colère » les plus reculées.
Nos adversaires y seront principalement des organisations armées, autonomes ou manipulées, à
forte capacité de résistance locale et capables de frapper ponctuellement sur
notre propre territoire.
Pour cette nouvelle guerre de
trente ans, il faudra certes disposer d’un bouclier sécuritaire mais il serait
un peu court de se limiter à cela. On peut toujours se demander ce que nous
aurions fait si Al Qaïda, soutenue par les Talibans, avait choisi en 2001 de
frapper Paris plutôt que New York et Washington. Aurions nous été capables de
mettre à bas le régime taliban et de traquer Ben Laden ? Aurions nous pu
former une coalition pour nous aider dans cette entreprise ? Si le
bouclier est pour l’instant efficace comme en témoignent les projets d’attaques
terroristes qui ont pu être déjoués, l’épée est bien courte et faire appel à
celle des Américains est de moins en moins sûr sinon souhaitable. Il paraîtrait
donc pour le moins inconséquent de baisser la garde.
Michel Goya
[1] Thomas Friedman, The
World is Flat : A Brief History of the Twenty-First Century, 2007.
[2] Arjun Appaduri, Géographie
de la colère, Payot, 2007.
Mon colonel votre article passionnant et fort pertinent, il ne date hélas pas. Je pense que si vous deviez écrire sur le même sujet aujourd'hui, vous ne changeriez que quelques rares mots . Daesh au lieu de l'armée du Mahdi, mais cela n'est qu'un détail au regard des enjeux stratégiques que vous décrivez et aviez très bien anticipé.
RépondreSupprimerA l'auteur, beau descriptif macro stratégique, mais pensez-vous que notre classe dirigeante, notre société, nos paradigmes culturels sont en capacité de faire face. Témoin anonyme de l'évolution de notre pays, je pense qu'il y a une quasi certitude concernant l'effondrement quasi-total de notre pays d'ici à 30 ans. Plus d'argent pour l'intérêt collectif, des projets gouvernementaux en trompe l'oeil histoire d'animer la vie médiatique, pas de vision stratégique sur le plan Européen et Mondial sur 50 à 100 ans. A-t-on les ressources humaines pour relever tous ces défis?
RépondreSupprimer@Anonyme: Je suis toujours surpris par ce défaitisme, la France a plus de mille ans d'histoire avec des hauts et des bas. Notre pays a connu des périodes bien plus sombre qu'aujourd'hui. Je suis peut-être un indécrottable optimiste mais je pense au contraire que cette période est pour notre pays une occasion de sortir encore plus grand et plus fort.
SupprimerCordialement,
PE
Cher PE, il ne s'agit pas de défaitisme. Je pose une interrogation réelle, face à la situation générale du pays.
SupprimerLoin des quartiers centraux de nos bonnes villes où s'ébattent gaiement nos chers dirigeants et leurs progénitures au destin bien sécurisé, il existe une autre réalité. Mille ans d'histoire ne sont en rien une garantie. Aujourd'hui, nous traversons une période d'enjeux majeurs, mais qui échappent à nos décideurs car il est question de stratégie indirecte pour redistribuer les cartes à l'échelle du monde. Celui-ci avancera avec ou sans notre pays, pour certains sans se serait mieux sans. D'où ma question. Du coup PE il ne suffit pas de dire qu'on a été grand pour le rester...c'est comme dire que nous vaincrons parce que nous sommes les plus fort...on est dans l'effet de style.
Cdlt,
xyz
Lumineux et prédictif. Mon colonel, votre profondeur d'analyse mérite le détour et plus ample divulgation; je m'y emploie, modestement, dans le métier qui est le mien.
RépondreSupprimer"Anonyme 3 décembre 2015 20:07"
RépondreSupprimerJe partage totalement votre appréciation sur cet article du colonel Michel Goya - et sur bien d'autres qu'il a publié - mais le problème que vous soulevez : hormis des militaires ou ex combien le lisent ? Notamment parmi nos gouvernants, élus et politiques, au mieux quelques uns : J-P Chevènement, Hubert Védrines, voire de Villepin.... donc des hommes qui sont pas en position de pouvoir. Comme vous je m'efforce, à mon modeste niveau, de le faire connaitre mais sans beaucoup d'illusion ....
Une guerre inédite à l'appellation non encore définie par Marc Pierre
RépondreSupprimerCe qui me vient d'abord à l'esprit, c'est que les événements tragiques récents survenus dans notre pays viennent bousculer notre conception traditionnelle de la guerre qui a été codifiée au fil du temps comme un affrontement entre deux ou plusieurs organisations étatiques. Ainsi, nous serions revenus à une conception primaire ou primale de la guerre, quand des groupes humains s'en prennent à d'autres pour le motif « struggle for my life », littéralement la lutte pour ma vie, ce qui implique au détriment de ceux dont le mode de vie nous importune pour des motifs ethniques, philosophiques, politiques, religieux ou … alimentaires.
Ma seconde réflexion concerne le titre de nouvelle guerre de trente ans. A mon modeste niveau de simple citoyen, je n'arrive pas encore à me rendre compte si nous sommes réellement entrés en guerre et, si tel était le cas, comment entrevoir la fin de l'épisode violent dans lequel nous sommes engagés. Ce que je vois, c'est un désordre mondial qui va croissant avec la généralisation des conflits asymétriques, les guerres privées des uns contre les autres ou des uns contre tous.
Ces formes de conflit inédites ont une double toile de fond. La première est la sortie paraissant inexorable de l'Europe, quand ce n'est pas l'Occident en tant que modèle de civilisation, de l'histoire considérée comme le récit de l'humanité. Vieillies, sans cesse sollicitées au portefeuille, nos populations sont invitées à profiter des supposés « dividendes de la paix », autrement dit de l'argent que nous n'investissons plus dans notre assurance-survie, les affaires de défense et de sécurité. La seconde est la banalisation de « l'Etat de droit-peau de chagrin », concomitamment au développement des « poches de colère » partout dans le monde, comme l'a si bien expliqué Michel Goya. Ces zones de non-droit ou de non respect du droit paraissent suivre le rythme de l'explosion démographique en cours, le sujet-tabou de la COP 21, principalement dans les pays dits en développement et accessoirement dans les pays dits développés par l'effet du jeu des vases communicants observable à l'occasion des mouvements migratoires qui vont en s'amplifiant.
Pour conclure, à mon humble avis, j'ai le sentiment que nous sommes dans une situation inconfortable et désagréable d'entre-deux : ni guerre, car elle est officiellement interdite, ni paix, parce qu'elle est officieusement impossible.
Salutations à tous
"La première est la sortie paraissant inexorable de l'Europe, quand ce n'est pas l'Occident en tant que modèle de civilisation" Je ne suis pas sûr de comprendre cette phrase, si vous écrivez que la civilisation occidentale ne sera plus seule comme référence dans le monde, je suis d'accord avec vous. Si vous écrivez que la civilisation occidentale est vouée à disparaître, je ne pense pas, elle devra évoluer (c'est le propre de toute civilisation) mais elle restera une des références dans le monde.
SupprimerJe suis d'accord avec vous pour la situation "d'entre-deux".
Cordialement,
PE
Réponse de Marc Pierre aux remarques de PE du 4 décembre 2015
SupprimerBonjour,
Quand j'ai évoqué la sortie de l'Occident en tant que modèle civilisation, j'avais à l'esprit la disparition progressive de l'Empire romain entre les IIe et Ve siècle de notre ère, du fait de l'installation continue des Barbares, lire non-Romains, sur les territoires sous l'égide de la puissance romaine. Nos Barbares à nous, si l'on ne me fait pas un procès pour offense à la bien-pensance ambiante, ce sont nos immigrés et nos migrants d'origine extra-européenne. Effectivement, vous avez raison d'affirmer que l'Europe va s'adapter par la force des choses aux vagues migratoires actuelles, comme jadis l'Empire romain a su le faire. La sortie de l'histoire de l'Europe, lire la construction européenne, dont il s'agirait pourrait correspondre, en ayant l'histoire romaine à l'esprit, à une poussée migratoire sans précédent, brusque et considérable de populations entendant d'emblée ne pas se soumettre aux lois des pays hôtes et vivre selon leurs traditions, comme cela été le cas des Francs chez nous au cours du Ve siècle.
Salutations à tous
@ Marc Pierre,
SupprimerComme vous dites, c'est en ayant l'histoire romaine à l'esprit.
On peut se demander pourquoi le modèle intellectuel de la chute de l'empire romain, ou son affaissement progressif, nous revient constamment à l'esprit dès qu'on parle de l'histoire de France. Sans doute parce que les invasions barbares font analogie avec les migrations du temps présent, mais c'est un peu court tout de même.
Notre façon de penser à la mode crépusculaire laisse assez étrangement dans l'ombre de l'histoire la guerre des Gaules. Pour nous, César n'a pas été un barbare ou un exterminateur. Au contraire, on dit qu'il a fait naître la civilisation européenne. Pourtant, on pense que 2 millions de Gaulois, sur les 7 qui peuplaient la Gaule d'alors, ont été exterminés ou déportés. Astérix et Obélix devaient probablement classer les Romains dans la catégorie des fous furieux briseurs de civilisation.
Si l'invasion romaine a provoqué la transformation radicale de la société gauloise, donc d'une certaine façon sa fin, comment se fait-il qu'on en garde un aussi bon souvenir?
Plus étrange encore: comment se fait-il que les invasions barbares soient négativement perçues, alors que les Français d'aujourd'hui sont les lointains descendants des Francs, peuplade germanique, barbare, qui a franchi les limes de l'empire romain pour peupler ce qui allait devenir la France?
N'est-ce pas le monde à l'envers? Nous chérissons Rome, qui a pourtant massacré nos "ancêtres les Gaulois" et nous maudissons les invasions barbares, alors que nous en sommes les enfants.
L'empire romain s'est cassé la figure il y a quoi? plus de 1500 ans, et nous nous comportons toujours comme de fidèles colonisés. Nous entretenons loyalement la nostalgie de l'empire en bons gallo-romains que nous croyons encore être. Mais c'est une supercherie! C'est même de la foutaise.
Ouvrons-nous le crane au burin et enlevons-nous ce modèle intellectuel de la tête. Penser notre monde d'aujourd'hui en fonction de la chute de cet empire défunt est un anachronisme et plus encore, une faute de goût.
Curmudgeon
SupprimerCe n'est pas parce que le nom de notre pays vient du germanique que nous sommes spécialement les descendants des Germains. Ce n'est pas non plus parce que notre langue vient du latin que nous serions spécialement les descendants de Romains.
Curmundgeon, vous mettez le doigt sur le "french paradoxe".
SupprimerLa France n'obéit effectivement à aucun principe d'affectation spéciale (elle n'est pas, au moment où on la constate dans son existence, le résultat spécial d'un enchainement de causes unique).
Ce que je dis est verbeux, mais voyons une application: la France est-elle une puissance continentale ou maritime, par exemple? Un peu des deux et beaucoup d'autres choses.
Résultat militaire: la France est le pays ou l'un des pays où sont nés l'arme blindée mécanisée, l'artillerie, l'avion, le sous-marin, le porte-avions; Et aussi le satellite spatial. Et c'est aussi une puissance financière et commerciale insoupçonnée et l'un des pays où est né l'Etat Nation, puis l'Etat Providence.
C'est foutrac: trop diversifié pour tirer une règle générale.
Mais, contre toute attente, et c'est l'autre branche du paradoxe, c'est un pays "mono": d'une façon générale, les Français sont des adeptes de la pensée moniste (un seul Dieu, une seule langue, une seule capitale, une seule Vérité, un seul chef, une seule doctrine, etc).
Premier degré de complexité: pays foutrac, mais à pensée mono.
Sauf que tout cela n'empêche nullement par ailleurs les Français d'être aussi, par tradition, mais plus minoritairement, des grands praticiens de la pensée dualiste (un Français n'est pas forcément un être totalement bouché, c'est aussi un dialecticien dans l'âme: une homme ou une femme habile dans la pratique du dialogue des arguments contraires) ou encore de la pensée pluraliste (il ne s'agit plus d'opposer un + ou un -, un pour ou un contre, mais de s'initier à une pensée complexe née des systèmes de systèmes dans lesquels l'impulsion initiale a moins d'importance que les interactions entre éléments du système).
On parle de l'Orient compliqué, mais franchement mon propre pays et son peuple (mes contemporains tout de même) n'ont pas grand chose à envier dans ce domaine aux zones de l'Orient qui sont les plus bordéliques.
Face à ces progrès de la pensée (moniste, dualiste puis pluraliste et complexe), qui sont palpables, notre histoire nous met constamment en porte à faux: rebelle, elle ne correspond jamais totalement à ce qu'on veut lui faire dire, en fonction des circonstances.
Elle est donc une précieuse aide.
Je repose ainsi ma question de départ: pourquoi l'enfermer dans un modèle unique - eschatologique ou apocalyptique (donc lié à la Révélation) - alors que cela ne tient pas la route trois secondes d’affilée?
J'ose une réponse: on est dans la construction mentale d'un modèle intellectuel, et sa consolidation, alors qu'il est vieux, daté, non-opérationnel, limitant, castrateur, nostalgique, bref, très Radio Courtoisie.
Querelle des Anciens et des Modernes, quoi.
Et j'ajouterais que de ce côté-là (le style de pensée Radio Courtoisie) je vois de vieux pervers prétentieux et loufoques qui n'entendent pas grand-chose à ce qui se passe sous leurs yeux, qu'ils croient grands ouverts, alors qu'ils sont bigleux comme des taupes, peu cérébraux, car il ne faut pas non plus leur demander d'avoir une pensée complexe, et pour tout vous dire un peu bourrin.
J'aimerais donc, cher Curmudgeon, vous qui tranchez dans la complexité de la religion musulmane avec la main sûre du type qui a tout compris et la hache du tueur en série, ce qu'on peut encore faire de cette nom de Dieu de bordel de merde de chute de l'empire romain en plein XXIème siècle, alors que nos problèmes n'ont plus rien à voir.
Sauf votre respect.
texte assez extraordinaire, surtout quand on sait de quand il date.
RépondreSupprimerA croiser avec l'analyse de Bernard Wicht qui observes que les états sont "mangés" par le haut via le mondialisme et par le bas, via les nouvelles formes de terrorisme, guérilla, guerres asymétriques, mafias, et autres.
Il se peut que nous soyons en train d'assister à la fin de l'ordre Westphalien !
A Anonyme - 5 décembre 2015 11:37
RépondreSupprimerMais la grande différence avec l'installation - invasion des Barbares dans l'Empire romain, notamment lors des "grandes invasions germaniques" au tournant du V° siècle, c'est leur nombre et surtout leur %. Pour ne prendre que la Gaule qui comptait alors environ 8 millions d'habitants, l'implantation en son sein n'est au plus que 500 000 personnes dont environ 100 000 guerriers car une partie ne firent que la traversée : cas des Vandales qui y iront peuplés l'AFN dont la Kabylie. Cela ne représentait qu'un apport de l'ordre de 5 à 7 %, ces Barbares adoptèrent en partie les coutumes-moeurs-lois gallo romaine et ne firent que les enrichir minoritairement des leurs.
Je ne crois quant à moi absolument pas à une quelconque "fin" de la nation française dans un avenir prévisible, ni par effondrement sécuritaire ou démographique, ni par effacement au profit d'institutions et de puissances transnationales ou de féodalités, communautés et pouvoirs mettant en place des loyautés et légitimités parallèles.
RépondreSupprimerSans doute, la crise migratoire brutalement accélérée en 2015 est une tendance de fond, sans doute la sécurité face à une menace de "retournement" de certains Français contre leur pays doit être repensée, sans doute la puissance et l'indépendance de l'Etat ont déjà été très fortement remises en cause par transfert des responsabilités en matière budgétaire, monétaire, commerciale ou législative à des superstructures hors du contrôle national comme démocratique, l'Union européenne principalement, en attendant d'autres échelons comme par exemple le TTIP nous y engagerait.
Mais comment ne pas voir que nous arrivons de ce point de vue à la fin d'un cycle ? Que ce soit la tendance à voir positivement le transfert des pouvoirs souverains au-delà et en dehors de la démocratie nationale, à supposer d'avance que toute immigration est une chance négligeant les conditions nécessaires à une assimilation effective, ou à poser comme principe que toute mondialisation est heureuse et toute libéralisation du commerce à applaudir... la force de toutes ces tendances est épuisée, un reflux se prépare, la période historique qui commence sera celle d'une reconstruction de la capacité pour la nation à prendre son destin en main - avec toutes ses promesses, et aussi tous ses risques.
Dans un discours à l'ESM Saint-Cyr en 1956, De Gaulle pouvait citer trois raisons d'espérer que la France puisse se relever de ses troubles et de son affaiblissement de l'époque : la démographie française à nouveau positive, l'énergie nucléaire permettant à un pays dépourvu de charbon et de pétrole de se donner les moyens de son développement, enfin le fait que les nombreux problèmes de l'heure étaient du moins reconnus, première condition pour les résoudre.
En vérité, un parallèle peut être trouvé assez facilement avec notre époque : il est vrai que la démographie française n'est du moins pas dégradée, que l'énergie de l'avenir nucléaire ou renouvelable est à notre portée du point de vue techno-scientifique... et que nos différents problèmes sont de plus en plus reconnus, première condition pour les résoudre.
Cordialement,
AT