« J'ai vu tant de choses que vous ne pourriez pas croire.
Tous ces moments se perdront dans
l'oubli
comme les larmes dans la pluie »
Roy Batty dans Blade Runner.
Voici quarante témoignages de soldats français
de tous grades et de toutes fonctions suivis de celui de la veuve de l’un d’entre
eux. C’est un nombre infime parmi les dizaines de milliers d’expériences vécues
au cours de trente-deux années d’opérations. C’est un nombre suffisant pourtant
pour décrire tous les aspects de cette vie près de la mort reçue et donnée. Atome
au cœur de réactions en chaîne, les soldats en opération voient peu de choses mais
ils les voient bien et ces moments qui concentrent les émotions de toute une vie, ils ne les oublient pas. Ils sont tous là, ceux pour qui les nuits
sont devenues aussi laides que les jours passés à enterrer des cadavres par milliers ;
ceux qui ont survécu par miracle à l’explosion du bâtiment qui a tué tous leurs
camarades et les a condamné à revivre éternellement cette apocalypse sur un
hectare ; ceux qui ont cru mener un combat noble avant de comprendre que
la seule noblesse de l’affaire était leur innocence ou leur naïveté ; ceux
qui ont assisté et continuent à assister, plus ou moins impuissants, au
déploiement du plus vil de l’âme humaine ; ceux qui ont connu l’emprisonnement ;
ceux qui ont vu leur corps mutilé ; ceux qui ont vu leur âme se briser ;
ceux qui ont perdu leurs amis, leur mari…mais aussi ceux, souvent les mêmes,
qui racontent aussi la puissance et parfois la beauté de ce qu’ils ont vu, les
rencontres incroyables, la force de l’amitié, l’humour comme antidote, le
sentiment de vivre vite et fort, l'excitation du combat. Tous ces
yeux ont vu, depuis le ciel ou au ras du sol, des choses incroyables.
Dans les années 1970, une série télévision américaine
racontait les voyages toujours surprenants de deux héros passés malencontreusement
à l’intérieur d’une machine à remonter le temps. Ces dizaines d’images accolées par Antoine Sabbagh et Hubert le Roux font aussi une série, qui mériterait d’être télévisée. Cette série-là décrit de cette
guerre mondiale en puzzle que nous vivons en réalité depuis plus de cinquante
ans avec, il est vrai, une accélération forte depuis que nous avons décidé de
toucher les « dividendes de la paix ». Expérimentateurs de la mondialisation,
nos héros à nous voyagent aussi. Du
Liban à partir de 1978 à, peut-être à nouveau, la Libye, les théâtres d’opérations
surprenants se succèdent d’épisode en épisode. Ces parcelles de gloire et de
misère décrivent aussi en creux la manière dont nos soldats sont engagés et employés
en tant qu’instruments politiques. Le bilan est pour le moins mitigé. S’il faut
se féliciter que les gouvernants de la France n’hésitent pas à engager la force
armée, tous ces témoignages, regroupés par « saisons » parfaitement
expliquées, montrent aussi combien la manière dont cette fore est engagée par
le haut peut avoir des conséquences désastreuses tout en bas.
Les premières expériences décrites, celles du
« soldat de la paix », rassurantes pour les gouvernants sont finalement
les plus terribles. C’est l’engagement au Liban où selon les mots de François Mitterrand
« la France n’a aucun ennemi » mais où pourtant, et mystérieusement
donc, sont tombés le plus de soldats français. C’est l’engagement en Bosnie où
les humiliations ne les disputaient qu’à l’ignominie des situations, ceux qui
ont eu pour mission d’empêcher des gens de fuir Sarajevo assiégée tout en étant
censés les défendre…et en les combattant parfois, comprendront. C’est l’engagement
neutre au Rwanda, deux ans après s’y être engagé au combat, comme si le statut humanitaire pouvait faire oublier à nos ennemis d’il y a peu que nous venions de les combattre. L’intention était noble et, il faut rappeler sans cesse le
nombre de vies que nous avons sauvé, mais quelle naïveté ! Les soldats
français sont désormais rarement battus sur le champ de bataille, mais ils
peuvent l’être dans nos propres médias par l’action de plus habiles que nous en
mensonges, parfois aidés par quelques idiots utiles. Les accusations ignobles,
même stupides, sont toujours plus collantes que les reconnaissances. Elles
constituent, avec les attaques-suicides, les armes les plus efficaces contre
nos soldats. Malgré tout, nous avons persisté dans cette indécision en Côte d’Ivoire,
expérience très peu évoquée dans ces témoignages de même que le Kosovo ou la
Bosnie d’après 1995 mais sur lesquelles il y aurait aussi beaucoup à dire.
L’Afghanistan occupe
une place à part et c’est logique dans ces Paroles
de soldats. Il s’agit de l’expérience commune la plus importante pour la
génération actuelle des soldats français, encore vivante dans leurs esprits
mais qui, il est vrai peu rappelée par ceux qui l’ont provoqué, s’estompe déjà dans
celui des autres Français. C’est surtout le moment où on renoue véritablement
avec la guerre, c’est-à-dire l’affrontement politique violent, après l’expérience
étrange de la guerre du Golfe et surtout celle des opérations africaines des années
1970. Cela ne va pas sans susciter encore des réticences politiques, au bout du
compte étouffantes pour nos soldats, mais l’époque change. La dernière partie
du livre est ainsi pleine de descriptions de combats, de la Kapisa-Surobi, au
Mali en passant par la Libye, de plus en en plus politiquement assumés et cela se ressent. La
frustration, l’incompréhension, la colère font de plus en plus place, malgré la
violence, à la fierté. Cette fierté, il n’est malheureusement pas évident qu’elle
perdure devant le retour à certains errements antérieurs, en Centrafrique
notamment, et le sentiment de trahison intérieure (alors que ce n’est souvent
que de courte vue bureaucratique et comptable) sous couvert d’économies
budgétaires.
Nos soldats, même tous professionnels, ne
sont pas des « réplicants » de citoyens « normaux », juste
utiles pour effectuer les missions grises de la nation. Ils ont une âme, la
voici ouverte dans ce livre indispensable à ceux qui veulent savoir ce qu’est
la vie près de la mort, indispensable à ceux qui veulent la vivre.
Antoine Sabbagh, Hubert le Roux, Paroles de soldats, les Français en guerre : 1983-2015, Tallandier, 2015.
Les droits d’auteur de ce livre vont à la belle
association Terre fraternité
C'est l'attractivité du métier de soldat de voir (et de vivre ) des situations hors normes et surtout hors de la ''Cité''. Devons nous remercier nos PdR - chef des Armées-, d'avoir engagé l'Armée française aux quatre coins de la planète (même parfois sous des prétextes + ou - fallacieux) ? Réponse: " Affirmatif chef "...
RépondreSupprimerVGE pour le Liban sud, Mauritanie, Kolwezi, Tchad
Mitterrand pour le Tchad, Liban Beyrouth, Guerre du Golfe, Ex-Yougoslavie, Rwanda
Chirac pour la RCA, RCI, Liban & le Tchad
Sarkozy: Afghanistan & Libye
Hollande: Mali, Niger, RCA, Irak
Je plains les militaires qui n'ont fait aucune opex durant ces périodes là.
L'engagement des troupes françaises en Afghanistan s'est fait sous Chirac.
SupprimerMa petite réponse @anonyme: Vous avez partiellement raison le tandem Chirac (et Jospin Ier Ministre) a engagé les forces spéciales et un support aérien.
SupprimerMais l'engagement important d'unité de l'Armée de Terre, c'est sous le président Sarkozy.
Parmi ceux qui n'ont fait "aucune opex dans cette période-là" il y en a beaucoup qui en auraient rêvé, et dont l'honneur est d'avoir toujours été prêts à partir, mais qui n'ont jamais été appelés, ou envoyés ailleurs...
RépondreSupprimercette génération "sacrifiée" ou peu "chanceuse" à passer le flambeau et c'est le plus important , transmettre l'esprit et les savoirs faire
SupprimerEt comme disait Napoléon: "Jamais devant les canons,
RépondreSupprimerJamais derrière les chevaux,
Toujours prés des chefs..."
C'est un livre très interessant, qui a parfois des ratés dans la forme. Le témoignage de la veuve de soldat est le plus poignant de tous mais on sent bien la colère aussi, Avec deux causes principales : les ordres peu clairs, conséquence de l'engagement sous casque bleu, et la prise en charge par la Nation au retour de mission, clairement déficiente dans de nombreux cas. Si le retour des blessés du Drakkar peut être excusable (l'époque, le fait d'être un para et donc de ne pas demander d'aide etc), les cas bien plus récents que l'on peut retrouver dans ce livre montrent qu'il reste beaucoup de travail à effectuer. La pérennisation récente du "sas retour" est de ce point de vue une bonne chose, comme le démontre le témoignage d'un psy dans ce même livre. Les survivants du Drakkar souffrent encore aujourd'hui !
RépondreSupprimer