Il est impossible de faire la paix avec l’Etat islamique en Irak
et au Levant (Daech) mais il est très difficile de le vaincre par les armes. Daech a
conservé la motivation fanatique de l’ancienne Al-Qaïda en Irak et y ajouté le
nombre et l’argent. L'organisation disposerait de 10 000 combattants en Irak, soit
à peu près trois fois le volume des forces que nous avons affronté au Mali. L’équipement
est léger et peu sophistiqué mais Daech est capable de mener, en
parallèle de pures actions de terreur, des actions de combat sophistiquées qu’il
s’agisse d’infiltrations comme à Ramadi en janvier ou des raids offensifs
mobiles. Son offensive de juin de Mossoul jusqu’aux portes de Bagdad a été ainsi plus
rapide que celle des Américains en mars-avril 2003. Daech est à ce jour l’organisation
armée non-étatique arabe sunnite la plus puissante au monde.
L'EIIL peut compter aussi sur peut-être autant de combattants
alliés issus des milices tribales, des organisations urbaines saddamistes ou simplement
payés pour la circonstance, moins mobiles. Cet ensemble combattant ne pourrait cependant fonctionner sans un réseau beaucoup plus
vaste de sympathisants, donateurs, cacheurs, agents de transmissions, recrues
potentielles, tout un ensemble civil qui cache et fournit les ressources. L’efficacité
militaire de Daech dépend donc de la complicité d’une part importante de la
communauté sunnite. Al-Qaïda en Irak et ses alliés de l’Etat islamique l'avaient oublié et ils ont été rejetés par cette communauté à la fin de 2006. L’EIIL a appris
des erreurs de son ancêtre, l’organisation est beaucoup plus irakisée et elle s’efforce
de respecter la population.
Ce système politico-militaire a déjà tenu tête à 15 à 20 brigades
de l’US Army et du Corps des marines pendant toute la guerre américano-sunnite
de 2003 à 2006. A la fin de 2006, la tendance majoritaire aux Etats-Unis était
au retrait, immédiat (la position du sénateur Obama) ou progressif (la majorité
démocrate et en partie républicaine), ce qui aurait constitué un incontestable aveu
d’échec malgré l’immensité des efforts engagés. Il a fallu la décision inverse
du renforcement (Surge) et surtout le changement d’alliance des tribus d’Anbar
et groupes nationalistes, pour rétablir in extremis la situation en 2007, face
aux djihadistes, et 2008, face aux chiites mahdistes.
Cette « armée sunnite » est particulièrement résistante
mais elle n’est pas sans faiblesses. Elle est inefficace hors des provinces
sunnites et sa capacité de manœuvre opérative, c’est-à-dire dépassant la simple
guérilla locale ou les attentats, dépend toujours d’une entente collective. C’est
ainsi qu’on put être organisées quelques actions spectaculaire comme l’ « offensive
du Ramadan » d’octobre 2003 et, déjà, la prise de Mossoul en novembre 2004
ou souterraines comme le contrôle de Falloujah au printemps 2004 et l’infiltration
dans les quartiers ouest de Bagdad en 2006, toute opérations offensives qui ont fini
par échouer. Surtout il n’y a pour l’instant aucune vision politique commune, hormis
l’hostilité au gouvernement de Bagdad.
Face à un ensemble de ce type, profondément ancré dans un
ressentiment populaire, une campagne de raids et de frappes aériennes serait,
effectuée seule, d’une efficacité marginale sinon contre-productive. Une
opération de reconquête des villes du Tigre et de l’Euphrate nécessiterait des
moyens considérables, hors de portée de l’actuelle armée irakienne et encore
plus des milices chiites. L’aide indirecte américaine, selon la doctrine Obama,
pourrait faciliter les choses mais sans augmenter beaucoup les chances de
succès. Il en serait de même de l’intervention de soldats fantômes iraniens. Même
s’il était possible de reprendre les villes, encore faudrait-il les tenir, et c’est
encore plus hors de portée.
En réalité, désormais tout ce qui peut exacerber le ressentiment
ou le nationalisme des Sunnites ne fera que renforcer les groupes armés et
Daech. La seule possibilité réside dans l’affaiblissement de ce ressentiment et
la dissociation politique de cet ensemble hétérogène. On n’imagine pas cependant
ni le Premier ministre actuel, ni la classe politique irakienne, ni les
institutions mises en place en 2005 le permettre.
C'est une très bonne analyse de l'EIIL que l'on peut voir, certes. Il serait également intéressant de connaître plus en profondeur les composantes de cette armée sunnite notamment les affiliés aux parti Baas ainsi que les Nashqabandis (Sufis, assez éloignés idéologiquement des salafistes/wahhabites du Da'ech), et potentiellement leur attitude une fois le territoire sunnite "stabilisé".
RépondreSupprimerMon opinion s'oriente vers une confrontation avec Da'ech qui a des visées différentes des nombreuses organisations non salafistes faisant partie de cette armée sunnite. Et dans cette optique, Da'ech pourrait profiter de l'apport financier et logistique issus des conquêtes récentes pour lancer son dévolu sur un autre pays de la région, notamment la Jordanie, qui a été ouvertement menacée par Da'ech.
La Jordanie constitue une cible potentielle car:
- Son économie est faible et très exposée aux crises, pour preuve, l'aide massive américaine et séoudienne pour maintenir tant bien que mal le pays.
- Une situation politique délétère, avec des tribus en froid avec le Roi, sans compter la montée puissance des salafistes. Ces derniers dépassent même les Frères Musulmans, l'Opposition historique dans le pays, en popularité. Et pour couronner le tout, une défiance populaire dans certaines villes du pays, notamment à Ma'an, ou le gouverment à quasiment perdu le contrôle de la ville et ou les drapeaux noirs du Jihad peuple les manifestations.
- Un trafic d'armes de plus en plus important au sein même du pays, l'intervention récente de l'armée de l'air Jordanienne contre un convoi constituant un symptôme de ce mal.
Cela laisse une impression de gâchis et de politique incohérente (Syrie, départ d'Irak).
RépondreSupprimerPar ailleurs, l'Arabie Saoudite demande aux anglo-saxons de ne pas s'en mêler :
http://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/saudiarabia/10911281/Iraq-crisis-Britain-and-US-must-not-meddle-in-Iraq-warns-Saudi-Arabia.html
et la Chine devrait devenir cette année le premier pays en terme de poids économique :
http://www.franceculture.fr/emission-le-monde-selon-hubert-vedrine-faut-il-s-inquieter-de-la-puissance-economique-chinoise-2014-
Le tout sur fond de chacun pour soi grandissant en Occident et en particulier en Europe, la génération du baby-boom ne voulant manifestement renoncer ni à son idéologie libérale-libertaire ni à ses retraites.
Tout ceci s'annonce rock'n roll...
En résumé, comme toujours il y a cet invariant des guerres de contre-insurrection, intégré par Petraeus mais méprisé par le PM chiite Al Maliki : on ne fait pas une guerre de contre-insurrection contre un peuple (arabe sunnite en l'espèce), mais pour un peuple et avec un peuple.
RépondreSupprimerLa priorité, une fois les zones de front stabilisées, est de semer la zizanie en territoire sunnite et de retourner les tribus sunnites en leur donnant enfin une part acceptable du pouvoir politique, militaire ... et financier (rente pétrolière, investissements, etc.)
Tout cela n'annonce rien de bon pour nous : il n'y aura pas de vainqueur dans cette histoire. On a parlé de "chaos" , d'équilibre des impuissances": tout cela est probablement très exact et ne cherchons pas à trouver un ordre là où il n'y en a probablement pas. Par contre, il faudra bien trouver une explication pour répondre à la colère des ces populations malmenées par tous les camps. Ne nous y trompons pas, nous ferons encore d'excellents boucs émissaires, plus faciles à frapper qu'Israël qui connait la musique et qui réplique de la manière que l'on sait. Les "fous d'Allah" vont encore chercher à passer leurs nerfs sur nous.
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