Faire siens les avantages
de l’adversaire, l’engager sur son propre terrain
Pouvoir
agir dans l’intégralité des zones de combat et au milieu de la population ne
constitue pas en soi un défi tactique insurmontable, sur le court terme.
L’enjeu est tout autre. Il consiste à conserver l’initiative acquise lors de la
phase de conquête et renoncer à abandonner le terrain conquis jusqu’à la
prochaine opération. Cette approche, audacieuse de prime abord, produira des
effets sur, d’une part, l’insurrection et d’autre part la population. Dans
ces deux cas, le contrôle permanent et mobile du milieu permet d’accroître
notre connaissance du champ de
bataille – et d’en maîtriser les avantages qu’en tirent les insurgés- et de la
population, imposer une permanence
de notre présence et gagner en réactivité
tant à l’intérieur de la zone qu’au profit d’une unité qui souhaiterait
l’aborder. En somme, il s’agit de devenir imprévisible et de faire peser une
incertitude permanente sur l’insurrection.
1. Connaissance : maîtriser
le milieu, renouer le contact avec la population.
Le
déploiement permanent d’une unité en zone verte permet d’accroître la maîtrise
de l’espace physique et humain. En évoluant pendant des cycles de deux semaines
au cœur de la zone bâtie, chacune d’entre elle est capable d’en maîtriser les
moindres cheminements, itinéraires d’infiltration et compound. Cette nomadisation, toujours effectuée en ambiance
tactique, accroît la capacité des troupes au sol à manœuvrer sur un ennemi
engageant le combat à courte distance : les déploiements et débordements
sont facilités, les demandes d’appui sont plus précises. Par ailleurs,
l’occupation longue durée oblige, après avoir asséché les réseaux logistiques
par des opérations de fouille systématique, l’adversaire à se déplacer avec de
l’armement. Ceci facilite et autorise son traitement par le feu alors que
jusque là, il se déplaçait impunément d’une cache d’armes à l’autre.
Au-delà
de l’approche tactique, cette présence
agit indirectement sur la population. Dans un pays où le courage et
l’honneur sont des valeurs socialement et culturellement structurantes, il est
certain que renoncer à se protéger derrière des FOB et à prendre l’adversaire
sur son propre terrain constituent un signe fort lancé en direction de la population. C ’est
affirmer et afficher que la zone verte a perdu son caractère de citadelle
imprenable, zone d’impunité dont seule l’insurrection possède la maîtrise. Plus
directement, le maillage effectué sous forme de patrouilles aléatoires,
différentes d’un jour à l’autre, permet de se familiariser avec les habitants
et ce, au grès de rencontres fortuites, qu’elles aient lieu au sein d’un compound ou sur un marché où les
sections allaient s’approvisionner.
Plus
directement, une occupation longue durée de la zone produit des effets positifs
en termes d’influence su la population. Mise en perspective dans le cadre de
l’approche globale, elle permet au commandement d’accroître sa connaissance des mœurs locaux, des
réseaux ethniques et sociaux et des luttes d’influence : la connaissance
du système humain s’en trouve grandement facilitée. C’est de cette manière, par
exemple, que l’on a découvert que les nombreux mouvements nocturnes d’hommes
portant des pelles correspondait aux travaux d’irrigation et non pas à la pose
d’IED.
Par
effet miroir, les contacts permanents entre troupes occidentales et population
permettent à cette dernière de se faire une autre idée que celle véhiculée par
la propagande insurgée. Il s’agit donc d’une dynamique d’échange qui produit
des effets directs et indirects favorisant l’acceptation de la force et la
légitimité de l’action
2. Permanence :
protection des forces et soutien logistique.
Pour
être efficace et produire des effets sur le long terme, à la fois sur la
population et l’insurrection, cette occupation doit être permanente. Ce besoin
de permanence impose de prendre en
compte deux aspects essentiels : la protection de la force et l’empreinte
logistique. Cette capacité à se maintenir dans la zone est en effet un choix
quasiment sans retour. Il est en effet certain que les insurgés profiteraient
du vide à nouveau créé pour exploiter matériellement et symboliquement un
éventuel repli.
Partant
du constat que c’est sans doute notre prédictibilité qui est notre principal
ennemi, il devient essentiel de maintenir l’adversaire dans une incertitude
constante, à gêner ses mouvements, à bouleverser ses habitudes. Devenir
imprévisible devient un impératif et contribue indirectement à la protection
des unités. C’est donc la mobilité et le renouvellement constant des
itinéraires de patrouille qui constituent la meilleure réponse aux risques
d’embuscade ou d’attaque IED. Il est ainsi convenu que les unités déployées ne
créent aucun point de stationnement fixe à l’intérieur de la zone (compound durci ou COP). Créer une telle
zone d’installation reviendrait à reproduire les contraintes du système
évoquées supra. Cela permettrait, de plus, à l’adversaire de se concentrer sur
un point clairement identifié et ce à l’intérieur d’une zone qu’il maîtrise. Ce
sont les raisons pour lesquelles les unités du Battle Group Richelieu
déployées de février à juin 2011 en zone verte, s’installaient en fin de
journée dans des compounds habités et
différents d’un jour à l’autre. L’occupation des compounds a été facilitées par
l’action des unités spécialisées en opérations d’influence. A cela s’ajoutait
la tradition d’hospitalité afghane et un dédommagement financier. Au final, les
patrouilles n’ont quasiment pas été exposées au risque IED, les insurgés ne
polluant pas de dispositifs explosifs les zones habitées, et le nombre
d’attaques directes et indirectes n’a pas non plus augmenté.
D’un
point de vue logistique, il est certain que ce choix présente des contraintes
nécessitant des missions de ravitaillement régulières et surtout une réappropriation
individuelle et collective de savoir-faire de vie en campagne. Le
ravitaillement est assuré par le TC1 de l’unité qui agit à partir d’une FOB
avoisinante. Le convoi est recueilli en limite de zone habitée sur un point
tenu et reconnu. Le risque d’attaques indirectes ou IED s’en trouve
considérablement réduit. D’un point de vue sanitaire, le maintien pendant près
de deux semaines d’une unité en zone verte, n’est pas sans conséquences. La
maîtrise des savoir-faire de vie en campagne est rapidement apparue comme
devenant une priorité dimensionnante. Le risque de pathologies gastriques ou
dermatologiques liées à une hygiène aléatoire doit être considéré avec la plus
grande attention lors de la préparation individuelle et collective de la mission. L ’accès à
l’eau devient à ce titre primordial. Outre l’eau fournie lors des phases de
ravitaillement, les unités peuvent s’appuyer sur les nombreux puits présents
dans les compounds. Après un premier
cycle de présence difficile, les compagnies, fortes de leur expérience, ont
ainsi considérablement réduit ces risques.
3. Réactivité :
retrouver l’initiative.
Etre
présent dans la zone permet également de disposer d’un élément réactif capable
d’intervenir sur des insurgés détectés à l’intérieur et de fournir un appui à
des éléments extérieurs.
La
zone est surveillée en permanence par une superposition de capteurs aux
capacités diverses et situés pour totalité sur les emprises. Si nous sommes en
mesure de pouvoir observer, nous restons cependant extrêmement contraints en termes
de capacité d’intervention dans des délais brefs. Compte tenu du caractère
fugace et opportuniste, il est illusoire de penser qu’une unité déployée sur
une FOB ou un COP puisse intervenir de manière quasi immédiate sur un objectif
repéré. Disposer d’un élément mobile prépositionné permet incontestablement de
gagner en réactivité et en exploitation d’opportunité. Le BG Richelieu est ainsi parvenu à intercepter un groupe de poseurs
d’IED repéré alors qu’il posait un IED.
Cette
réactivité peut également être utilisée au profit d’une unité extérieure. Dans
la cadre d’opération s’engageant la totalité du bataillon, la phase d’abordage
et de pénétration est très largement facilitée par une troupe chargée de
l’appui couverture ou de la conduite d’une manœuvre de déception. Alors que la
couverture végétale constituait le meilleur rempart de l’adversaire, lui
permettant de gêner, voire fixer, toute tentative d’infiltration, celui-ci perd
de son intérêt tactique dès lors qu’il est tenu et contrôlé en avance de l’opération.
Cette capacité d’appui et d’intervention est également envisageable pour agir
sur les arrières d’un groupe d’insurgés engageant un élément ami en approche ou
déjà déployé dans la zone.
Enfin,
occuper en permanence le terrain contraint l’adverse dans la mise en œuvre de
ses modes d’action. Conscient de son rapport de dépendance à la population,
celui-ci, contraint à engager le contact au plus près, dans des combats
d’imbrication doit prendre en compte la présence des habitants de la zone
verte. Il est également nécessaire pour l’insurrection de ménager la population
et de préserver leur image et leur perception en évitant des pertes civiles.
C’est donc, en développant notre capacité à maintenir l’adversaire dans l’incertitude
en développant notre imprévisibilité, que nous retournerons contre lui ce qui
constituait initialement sa force, la population.
Au
final, cette réactivité, certes acquise au prix de certaines contraintes,
permet de gagner en initiative et d’imposer à l’insurrection son rythme en lui
présentant en permanence un élément générateur de frictions et d’incertitude.
Si
ce mode d’action peut sembler pour certains évident et pour d’autres insensé,
il n’en demeure pas moins qu’il a le mérite de proposer un renouvellement de
nos schéma tactiques parfaitement connus de l’insurrection. C’est avant tout
l’audace qui a conduit le Battle group
Richelieu à adopter ce dispositif
pendant près de quatre mois. Refusant d’agir uniquement dans un schéma cyclique
réaction-contre-réaction, le bataillon a pu constater pendant toute cette
période que la présence permanente d’unités, a planté une épine dans le
dispositif insurgé. Ce choix a été fait au prix d’une acceptation d’un risque significatif et d’un investissement
physique et moral éprouvant pour les troupes déployées. Mais c’est sans doute
la volonté de changer les mentalités, bousculer les logiques qui donne à ce
mode d’action toute son originalité et son efficacité ; surprendre,
demeurer tenace, agir, en fait, avec le même mode d’action de l’insurgé.
Produire
des effets sur le long terme nécessite que ce choix perdure par-delà les
relèves entre bataillons et surtout, que les forces afghanes se l’approprient
afin de densifier les volumes déployés. A la fin du mandat du BG Richelieu,
les unités des deux kandaks déployés dans la zone d’action du GTIA commencent à
patrouiller régulièrement sur le terrain.
Finalement,
l’acceptation de la prise de risque et des pertes éventuelles a payé puisque le
GTIA n’aura pas eu de pertes par tir direct et aura durablement repoussé
l’insurrection dans les fonds de vallée.
Chef de bataillon Jean-François Calvez
Merci pour la richesses et le partage de vos expériences!
RépondreSupprimerLe progrés dit technique est utile s'il permet des avancées tactiques, appropriables et adaptées.
Vous nous montrez la prégnance, la prépondérance du "tactico-humain".
Parce que tant que les machines n'auront pas de volonté...
Mon colonel,
RépondreSupprimerSi la nécessité de tenir le terrain et votre propos sont séduisants,la réalité est bien différente cependant. Les insurgés n'ont jamais été acculés en fond de vallée et notre présence n'a jamais été plus qu'intermittente. Les effectifs disponibles, le refus politique des pertes, la lourdeur des chaines décisionnaires et de nos combattants, l'absence de postes seuls à même de menacer l'ennemi en permanence, rendaient à mon sens illusoire toute tenue du terrain dans la durée. Quant aux patrouilles des kandaks, elles ont été à l'image de nos opérations limitées dans tous les sens du terme.
Il ne s'agit pas là pour moi de critiquer le travail accompli, seulement de souligner l'écart souvent abyssal qui a séparé (pour nous comme pour les autres nations,et pour de nombreuses et diverses raisons) les théories de leur mise en oeuvre.
Finalement peut-être le côté local hypertrophié des insurgés aurait-il du conduire à ne pas aller les chercher dans des vallées à l'intérêt tactique et stratégique limité... Bien peu en seraient sortis, ce qui s'est vérifié cette année.