Fiche au chef d'état-major des armées, juin 2008
En
1945, les Etats-Unis disposent de la plus puissante armée du monde, bénéficiant
du monopole atomique et du soutien d’une économie qui représente 50 % du PIB
mondial. Pourtant, à peine cinq ans plus tard, cette hyperpuissance première
version est sérieusement mise en difficulté en Corée par la petite et néophyte
armée nord-coréenne, puis par des paysans chinois. Cet échec, parfait exemple
de surprise stratégique, témoigne du risque que l’on prend à accepter des
impasses majeures dans son outil de défense quand simultanément on prétend à
des responsabilités internationales.
La pause stratégique
américaine
En
1945, les Américains sont persuadés qu’avec l’arme atomique et avec les plus
puissantes flottes navales et aériennes du monde, ils sont à l’abri de toute
agression directe. Ils peuvent donc se permettre de faire passer les effectifs
militaires de 12 millions en 1945 à 1,5 million en 1947, et de réduire l’effort
de défense de 40 % du PIB à 4,3 %, en sacrifiant délibérément les forces
terrestres. On
estime alors que si un conflit survient à nouveau, il sera forcément mondial et
que, comme en 1942, il sera toujours possible de reconstituer des forces
d’intervention à partir d’une Army et d’un Corps des marines réduits en
attendant à des structures de mobilisation.
Avec la montée des tensions, les Américains comprennent toutefois rapidement qu’ils ne peuvent rester indifférents au sort du monde, comme pendant l’entre deux guerres, mais comme l’exprime la doctrine Truman (1947), on espère contenir les visés expansionnistes communistes en faisant l’économie d’un affrontement direct. Le containment n’est d’abord conçu que par le soutien aux pays alliés menacés et, au maximum, en engageant des moyens aériens ou navals. En 1949, le traité de l’Atlantique oblige les Américains à aller beaucoup plus loin et à s’engager, dès le temps de paix, en Europe. La reconstitution du corps de bataille nécessaire est cependant un processus de plusieurs années, ce qui laisse une fenêtre d’opportunité aux Soviétiques.
Surprises en
Corée
Le
25 juin 1950, à la surprise générale, l’armée
nord-coréenne, entraînée et équipée par l’Union soviétique, franchit le 38e
parallèle et envahit une Corée du Sud pourtant sous « protectorat »
américain (mais que le secrétaire d’Etat Dean Acheson a omis, dans un discours,
d’inclure parmi les zones d’intérêts majeures des Etats-Unis). L’arme atomique
n’a donc pas dissuadé un petit pays de défier ouvertement la détermination
américaine.
Les
Etats-Unis, qui n’ont aucune troupe sur place, sont obligés d’intervenir en
catastrophe depuis leurs bases au Japon. La surprise stratégique se double
alors d’une surprise tactique lorsque les premiers engagements des forces
terrestres américaines mettent en évidence leur état d’« impréparation
honteuse », selon les mots du général Ridgway. Beaucoup de munitions ne
fonctionnent pas, des équipements de base comme les chaussures ou les piles
font défaut, les moyens antichars sont inefficaces contre les chars T-34.
Surtout, on s’aperçoit que l’infanterie américaine manque singulièrement de
mordant et de rusticité.
Alors
qu’ils font face à une armée sans expérience opérationnelle, Américains et
Sud-Coréens sont refoulés jusque dans la région de Pusan, au sud-est du pays,
où ils parviennent, dans une improvisation totale à concentrer plusieurs
divisions pour former la VIIIe armée. L’armée nordiste, en
permanence sous le feu aérien américain, est stoppée puis complètement détruite
à la fin du mois de septembre grâce au débarquement américain sur le port
d’Inchon qui coupe sa logistique.
Début
octobre, la décision de poursuivre l’offensive des Nations Unies jusqu’au
fleuve Yalu séparant la Corée de la Mandchourie est l’occasion de nouvelles surprises.
La première est, encore une fois, stratégique, puisque malgré les nombreux
signaux envoyés par Pékin, les Américains sont persuadés que les Chinois
n’oseront pas affronter sinon le feu atomique, qui n’a pas été déclenché jusque
là, du moins l’écrasante puissance de feu conventionnelle des Nations Unies.
Cette
première erreur se double d’une erreur d’appréciation de nouveau opératif
lorsque les Chinois parviennent à faire pénétrer près de 300 000 hommes en
Corée à l’insu de l’aviation et des moyens de renseignement américains. Même
lorsque les renseignements se font plus précis et que des accrochages ont lieu
à la fin du mois d’octobre, le Pentagone et Mac Arthur restent persuadés qu’il
ne s’agit que de quelques démonstrations de force très limitées.
Le
24 novembre 1950, Mac Arthur lance son opération « Noël à la maison »
destinée à terminer la guerre par l’occupation totale de la Corée du Nord. Le
lendemain, 30 divisions chinoises que personne n’a vu venir s’élancent à leur
tour dans une gigantesque contre-offensive. Les Américains, stupéfaits, sont
complètement débordés par des troupes à pied très mobiles qui profitent du
terrain pour s’infiltrer sur les arrières de leurs lourdes colonnes motorisées.
La puissance de feu américaine est impuissante face à des troupes qui
exploitent à fond les possibilités du terrain, de la météo hivernale et de la
nuit pour échapper aux vues. Les troupes américaines, sud-coréennes et des
Nations Unies, pourtant supérieures en nombre, sont bousculées. Trois divisions
américaines sont prises dans de gigantesques embuscades et subissent de fortes
pertes. La VIIIe armée évacue en catastrophe la Corée du Nord après
avoir subi la plus lourde défaite de l’histoire militaire américaine. Séoul est
reperdue en janvier 1951 puis reconquise quelques mois plus tard. Les combats
s’arrêtent progressivement à partir de novembre 1951 lorsque les belligérants
s’entendent sur une ligne de démarcation aux alentours du 38e
parallèle.
Enseignements
Ce
cas est riche d’enseignements sur la manière dont les principes de dissuasion
peuvent faillir lorsque des cultures très différentes sont en confrontation.
Les Américains se sont trompés sur leur capacité à dissuader la Corée du Nord
puis la Chine par l’arme atomique ou leur puissance conventionnelle.
Inversement, les Soviétiques se sont aussi gravement trompés sur les
Américains, persuadés que ceux-ci n’engageraient pas leurs forces terrestres
dans un théâtre secondaire au moment même de la montée en puissance de l’OTAN.
Les Soviétiques n’ont pas cru non plus que les Chinois interviendraient et ont
tout fait pour les en dissuader. Les Chinois, de leur côté, ont été incapables
de faire comprendre aux Américains qu’ils interviendraient à coup sûr si
ceux-ci allaient trop loin. Chacun de ces trois acteurs a en fait prêté aux
autres le raisonnement qui aurait été le sien et toutes ces erreurs cumulées
stratégiques, opératives ou tactiques, ont abouti une guerre inutile, terminée
là où elle avait commencé, après plusieurs centaines de milliers de morts.
D’un
point de vue militaire, le déséquilibre qui avait été imposé à leurs forces
armées a non seulement placé les Américains dans une situation délicate mais a
même réduit leur capacité de dissuasion face à des armées continentales qui
raisonnaient surtout en termes de guerre terrestre. L’idée d’une armée cadre
que l’on regonflerait par la mobilisation, à l’instar de l’armée française de
l’entre deux guerres, s’est avérée une nouvelle fois désastreuse. Des unités
squelettiques, disposant de peu de moyens et absorbées par la gestion
administrative du quotidien, sont en effet souvent incapables de maintenir les
savoir-faire individuels et collectifs à un niveau suffisant.
La
situation a été sauvée par les Américains par quatre éléments qui avaient été
préservés :
- Une
forte capacité de projection de puissance grâce à l’USAF et la Navy.
L’écrasante supériorité aérienne a cependant été incapable d’avoir seule un
effet décisif sur les opérations.
- Une
force d’intervention réduite mais solide fournie par le corps des Marines, qui
avait réussi à maintenir ses petites unités à un haut niveau
d’entraînement.
- Des
états-majors bien organisés et armés par un personnel ayant l’expérience de la
guerre. Le débarquement d’Inchon qui engage 70 000 hommes et 230 navires dans
une zone très difficile est organisé en un mois. La constitution sous le feu et
à plusieurs milliers de kilomètres des Etats-Unis de la VIIIe armée
et la réorganisation simultanée de l’armée sud-coréenne sont également des
succès remarquables.
- Des
stocks d’équipements importants et une industrie de défense qui, à cinq ans
seulement de la Seconde Guerre mondiale, n’a eu aucune difficulté à remonter
ses chaînes de montage.
Il
faut noter que les Etats-Unis se seraient évités bien des pertes et des ennuis,
s’ils avaient pris la peine, de 1945 à 1950, d’aider à la constitution d’une
solide armée sud-coréenne à l’instar de ce qu’on fait les Soviétiques au Nord
et qui eux n’ont pas eu besoin de s’engager.
Il
est intéressant de voir aussi qu’après la guerre, beaucoup de responsables
militaires ont estimé que si le président Truman n’avait pas employé les armes
nucléaires c’était parce que l’arsenal était alors trop limité pour le
gaspiller dans un confit sans enjeu vital. Ils en conclurent qu’il fallait
multiplier le nombre d’ogives et en décentraliser l’usage jusqu’au niveau de
l’artillerie divisionnaire, de manière à pouvoir faire face à de nouvelles
vagues humaines comme celles des Chinois. Débute alors l’époque du « champ
de bataille atomique », pendant laquelle l’US Army crée des divisions
« pentomiques » et l’USAF propose de bombarder avec des armes nucléaires
les positions viet-minhs à Dien Bien Phu. Cette voie s’avère rapidement
irréaliste tant politiquement que tactiquement .
Au
début des années 1960, on revient à un « contrat opérationnel »
beaucoup plus classique dans le cadre de la « flexible response » juste avant d’être engagé dans une guerre
au Vietnam qui, à nouveau, surprend les Américains de multiples façons.
En
résumé, la parfaite corrélation entre une vision stratégique claire, un outil
de défense adapté à cette vision et la société qui en fournit les moyens, est
un objectif indispensable mais bien délicat à atteindre tant les interactions
sont importantes entre ces trois éléments. Dans le cas américain,
l’interventionnisme du gouvernement Truman s’accorde mal avec une nation
recherchant les dividendes de la paix ainsi qu’avec des forces armées dont
chaque service poursuit sa propre stratégie bureaucratique, et le tout face à
des adversaires de cultures très différentes. Ces discordances ont créé des
zones de faiblesse à différents niveaux que les ennemis des Etats-Unis
n’ont pas manqué d’exploiter.
Bien, comme nous nous approchons des fêtes de fin d’année, demandons au Petit Papa Noël que cette note inspire les rédacteurs du prochain Livre Blanc …
RépondreSupprimerLa France pour ne pas dire l’Europe rentre peut être dans une période de pause stratégique ?
RépondreSupprimerDes brigades avant tout administratives sans explosivité opérationnelle, des munitions en flux tendus, un équipement de combat stocké dans des centres logistiques sous gardiennage privé, des officiers sans pouvoir, une réserves insignifiantes et pas de possibilité dans armer un plus grand nombre, un numéro vert et une cellule psychologique.
La surprise viendra comment ?
Une invasion armée de 600 000 djihadistes avec femmes et enfants débarqués avec tous ce qui flotte, et une belle bataille comme on les aime dans la vallée du Rhône : « 10 000 hoplites Félins, appuyés par 8 000 Gendarmes et policiers (comme Peltas) avec 20 Leclerc sont écrasés dans un combat héroïcocorico » 20 ans plus tard la CEI libère l’Europe ou se qui en reste. Les USA connaît pas.
Ou un engagement de 10 000 hommes sur un théâtre extérieur pour des raisons politico-humanitaire, sans analyse stratégique et un nouveau Dien Bien Phu ! dans le Caucase par exemple ou une plaine d’Ukraine.
Résulta plus d’armée ! Plus de souci ! De la gloire et le chaos pour 20 ans.
Citoyen la pause est obligatoire.
L'art de la coupe budgétaire est une technique d'escrime délicate ...
RépondreSupprimerOn aimerait toutefois savoir quelle cathédrale militaire à dans le même temps été sécurisée et cajolée ?
On pense au parallèle de la très belle flotte de Georges Leygues dont les fonds auraient été mieux utilisé à contrer la menace bien évidente à nos frontières ...
Ou à défaut à développer le bon outil :
Le retard français dans le développement des portes avions était criant au regard de l'intense Brainstorming qui avait prévalu dans l'US Navy à partir des années 20 et qui a permis les succès de la guerre du pacifique ... Quand les cuirassés Français n'ont été qu'un objet déjà dépassés depuis la bataille du Jutland.
Pour rebondir sur la guerre de Corée, les porte-avions ont en partie sauver la mise des troupes au sol acculées dans la péninsule de Corée .
Comme disait mon ami Jean Charles Drouillot, un outil de défense , cela se développe 15 ans à l'avance.
Ainsi l'exercice du LB actuel est sans doute le plus délicat , car il faudra préserver les outils cruciaux pour le futur, quand l'on connaît la tendance à racler les fonds en terminant toute une série de petit programme qui ont pourtant une valeur comme multiplicateur de force... Toujours au profit de vision cathedralesques
Skcnireud exagére beaucoup mais on lit qu'il fallut trois jours pour préparer les premières frappes sur la Libye car les bombes étaient à x centaines de kms des bases aériennes, on peut se poser des questions...
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