vendredi 9 novembre 2012

Entretien avec un vampire

Il y a deux ans, une brillante fonctionnaire civile du ministère de la Défense m’expliquait qu’il existait encore beaucoup de réserve de productivité dans les armées. Etonné, je lui demandais à quoi elle pensait : A de nouvelles méthodes d’entraînement ? Au partage de retex par internet ? A un système Félin 2 susceptible de révolutionner le combat d’infanterie ?

J’avais oublié que le militaire n’était pas la langue officielle du ministère. Elle me répondait, un peu affligée, que la productivité d’un service public se mesurait au rapport entre le budget et le nombre de personnels le mettant en œuvre.  Elle ajoutait, à titre d’exemple et en me regardant comme le loup affamé de Tex Avery, qu’un colonel représentait une bonne réserve de productivité.

Je lui rétorquais qu’elle me faisait penser à ces animaux vampires qui, lorsqu’ils sont blessés, finissent par se suicider à force de boire leur propre sang (en fait je ne savais pas si cela existait mais l’image me plaisait). Son rêve serait donc d’être l’ultime personnel du ministère de la Défense assurant ainsi à celui-ci une productivité phénoménale pour une efficacité nulle. J’ajoutais que dans une pulsion ultime, elle finirait même par démissionner afin de réaliser la productivité infinie : un budget sans personne pour le dépenser. Comme dans une scène de L’œuf du serpent, elle s’observerait même avec jouissance en se suicidant (professionnellement).

Elle me répondait que puisque j’aimais le cinéma, la situation lui faisait penser au Pont de la rivière Kwaï car la décision de s’amputer d’un sixième des effectifs venait quand même largement du contrôle général et qu’on avait trouvé depuis assez de colonels Nicholson pour se féliciter de dissoudre des régiments et des bases encore plus vite que prévu. C’est aussi l’Armée des ombres, ajoutait-elle, la Résistance en moins. Pourquoi s’arrêter là ?

17 commentaires:

  1. La violence du propos de cette fonctionnaire est certaine, mais l'échange dans son entier, qui touche de d'authentiques questions, permet de souligner la nécessité de pouvoir s'appuyer sur des cadres supérieurs (de conception comme on dit dans la fonction publique) dotés d'une vaste culture pour envisager des problèmes qu'on limiterait trop vite à des aspects techniques ou quantitatifs.
    (une remarque pour ajouter à la nécessité d'une formation supérieure très poussée et très vaste pour la fonction publique civile et militaire).

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  2. Une illustration parabolique de l'idéologie de la rationalisation (dont l'efficacité est effectivement nulle) et de ceux qui la mènent et de son impasse. Bravo mon colonel. Il faudrait vous cloner pour que les choses bougent enfin dans le bon sens.

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  3. Mario Draghi, Président de la Banque Centrale Européenne (et ancien de Goldman Sachs) vient de le dire avec clarté : « Plusieurs gouvernements n’ont pas encore compris qu’ils ont perdu leur souveraineté nationale il y a longtemps. Parce qu’ils sont lourdement endettés, ils sont maintenant dépendants du bon vouloir des marché financiers ».
    http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20121028trib000727565/draghi-les-pays-devront-transferer-une-partie-de-leur-souverainete.html
    Il suffit donc de pousser le raisonnement de cet intéressant personnage jusqu’au bout : « Puisque vous n’avez plus de souveraineté, vous n’avez plus besoin d’armées ».
    Le trait est trop grossier ?

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  4. "La guerre des clones" alors, pour rester dans l'univers cinématographique?

    Ou, après la tendance vers l'avion unique -dont nous pouvons percevoir à la fois toute l'efficacité et la baisse des budgets consommés...-, le soldat unique?

    "A un certain niveau, la quantité est une qualité en soi"...

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  5. La définition retenue de la productivité est fort contestable ; il faut déjà savoir ce qu'on met derrière les chiffres ...

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  6. @RB

    Rappelons que la France a engagé 159 milliards d'euros de garanties dans le Fonds européen de solidarité, soit cinq fois le budget de Défense annuel de la France. Sur ce volume de garanties, 30 milliards ont déjà été brûlés à pure perte dans la dette grecque (puisque l'UE a accepté un défaut de paiement partiel de 100 milliards de la part de l'Etat grec tenu par Goldman Sachs et cie). A votre avis, les 40 milliards de perte de la LPM que nous a annoncé notre CEMA sur la période 2014-2020 sont destinés à quoi sinon à compenser ce que nous avons versés aux Grecs ? Les partis d'Etat préfereront tuer le peuple français et leur outil militaire plutôt que de mettre fin à leur prébende et à l'utopie européiste. Pendant ce temps des dizaines de milliers de nos militaires ne sont plus payés. Question finale : jusqu'à quand cette incurie peut-elle durer ? Jusqu'à quand pouvons-nous l'accepter ?

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    1. Vous avez parfaitement raison. Peut-être est-il temps de remplacer notre bon vieux coq gaulois par la chouette des anciens athéniens ? Que verrions-nous alors au travers de ses yeux perçants ?
      Que la prétendue « science » économique est tout le contraire d’une science : qu’elle participe d’un projet d’hégémonie, recourant à l’endoctrinement, fondé sur le principe qu’une fiction deviendra réalité si l’on peut faire qu’un nombre suffisant de personnes y croient. Qu’il s’agit en réalité d’une IDÉOLOGIE ayant pour finalité de concentrer les richesses entre quelques mains, entraînant par là-même une augmentation croissante des inégalités ainsi que la dissolution de la souveraineté des peuples. Le tout au profit d’une nouvelle aristocratie, arc-boutée sur ses privilèges. Cette situation inédite pose crûment la question de la légitimité des partis dits « de gouvernement ».
      Ces évidences posées, reste la fameuse question : à qui profite le crime ?
      À un Dieu-Marché désincarné ?
      Plutôt à des hommes de chair et de sang. Ne serait-se pas, au hasard, à ceux qui avec l’économie la plus endettée de la planète ont quand-même les moyens de maintenir deux groupes aéronavales en mer de Chine ou de développer des programmes d’armement démesurément coûteux ? (quoique que dans le cas du F-35, se sont les alliés eux-mêmes qui prennent en charge une partie des coûts de développement, au détriment de leurs balances commerciales et de leurs industriels).
      Alors que faire, tout est-il déjà joué ?
      Ironiquement, se sont les banques qui nous donnent l’exemple. Elles, qui lorsqu’elles explosent en vol se retournent en pleurant vers ce pelé, ce galeux, vers l’État-Nation. Et oui, un État c’est du réel, c’est de la vraie richesse, c’est des hommes et du territoire, ça ne se volatilise pas comme une bulle financière. Comme voudrait nous le faire croire les idéologues.
      La situation de notre pays est très sérieuse, alors que nous allons bientôt commémorer le centenaire du début de la Grande Guerre, les peuples européens se trouvent à nouveau lancés dans une démarche suicidaire.
      Et peut importe si Goldman Sachs a remplacé le Kaiser, le résultat risque d’être aussi dévastateur…

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  7. Bon......certes.....les vampires nous en veulent.......mais la collaboration active provient quand même de nos rangs! .....Pourquoi se plaindre après?

    http://www.marianne.net/blogsecretdefense/Jerome-Cahuzac-saute-avec-le-REP_a827.html

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    1. "Sire, l’armée est paralysée. Un virus inconnu s’est introduit dans son cerveau et sabote les postes de commande."
      Le roi se meurt

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  8. Une petite histoire pour vous faire sourire, Colonel : Blanche Neige et les 4 nains.
    On la raconte dans les sociétés de Conseil en Stratégie et Management, à propos des gens de Ministères qui croient justement tout savoir, en gestion, en productivité, en RH, mais chut ....
    "Blanche Neige fait de l'autostop sur l'autoroute A4. Elle pleure. Un automobiliste s'arrête et lui demande : que s'est-t-il passé ? et où sont les 3 autres nains ? Blanche Neige répond : J'ai été virée de MickeyLand. nous avons eu un audit de productivité. Atchoum a été jugé en constant dysfonctionnement, Dormeur en sous-rentabilité chronique, et Grincheux toujours contre la politique du groupe. Donc ils ont été virés. On était devenu rentables par rapport à notre budget, mais quand on faisait le show, les enfants ne nous prenaient plus au sérieux, alors on a perdu toute raison d'être car on n'avait plus de clients."

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  9. En route pour 0,60% du PIB ! La classe politique actuelle croit que la paix en Europe est acquise, comme elle croyait que la croissance était acquise. Dans son esprit, l'armée doit se limiter à une petite troupe pour des coopérations ONU/USA. De toute façon le différentiel budgétaire avec nos principaux concurrents (Allemagne, Italie, Espagne, Suisse, Benelux...) est simplement intenable. Je prends le pari que d'ici 10 ans nous serons à 0,60% du PIB. Qui le tient ?

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    1. Si on continue à punir la gauche avec la droite et vice-versa aux élections, on y sera c'est une certitude, à condition qu'il y ait encore un Etat, un budget de Défense et une nation (ce qui n'est déjà plus le cas). Bienvenue dans la - vraie - fin de l'Histoire.

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  10. Bonjour,

    Juste une suggestion.Nous pourrions inviter les vampires à se rendre en première ligne avec un treillis bouffé aux mites, chaussés de rangers avec des semelles en bois et armés d'un pistolet à
    bouchons.Le régime alimentaire sera composé d'eau de la tranchée et de rat mort.Régime alimentaire qu'a subit mon arrière-grand-père lors de la 1ère guerre mondiale grâce à des gens pareils.

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    1. Ce qui ne l'a pas empêché de participer (même de façon posthume), au défilé de la victoire.

      Tandis qu'à l'armée de 1870, il ne manquait, effectivement, "pas un bouton de guêtre".

      On a rarement l'occasion de manger du rat mort quand on est battu en moins de six semaines.
      Les militaires, comme tous les autres fonctionnaires, se plaignent des insuffisances budgétaires.
      Ils sont moins nombreux à relever que le principal déficit qui les menaces, c'est celui de l'intelligence.



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    2. Il a vu la fin de la guerre ... Avec une jambe et un œil en moins, un peu de gaz dans les poumons.Et le moral dans les chaussettes.Nous avons déclaré la guerre trois fois de suite à nos voisins de Germanie et voyons le résultat.
      Les militaires n'ont rien à voir avec les fonctionnaires.
      D’ailleurs, c'est une erreur de considérer le ministère de la défense comme une administration.
      Pour finir, la guerre se prépare.Sa préparation consomme des ressources.Mais certainement pas autant si tu la perds ou la gagne à la Pyrrhus.
      Bonne année cher anonyme.

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  11. Et 10180 personnes du SGA pour administrer un EMA à 54000 hommes c'est efficient ? C'est un peu schématique, mais ça donne à réfléchir...

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