samedi 24 septembre 2011

Une autre manière de combattre

Dans les conflits au milieu des populations, il est important de bien analyser son ennemi. En 1964, lorsqu’il prend le commandement des forces américaines au Sud-Vietnam, le général Westmoreland, considère le Viêt-cong (VC) comme un simple auxiliaire de l’armée nord-vietnamienne (ANV), à la manière des partisans soviétiques combattants en liaison avec l’Armée rouge. Il engage donc les forces américaines dans la recherche et la destruction de ces bandes armées sans se préoccuper du sort de la population sud-vietnamienne. De son côté, le Corps des Marines, qui prend en charge le nord du pays, analyse plutôt le Viêt-cong comme un mouvement politique national qu’il faut couper de son soutien local. 

L’idée des Combined action platoons (CAP) naît ensuite du décalage entre les effectifs des bataillons de Marines déployés et la dimension de leurs zones de responsabilité. En s’inspirant surtout des méthodes utilisées par les Marines au Nicaragua de 1925 à 1933, le chef du 3e bataillon du 4e régiment propose d’injecter un groupe de combat (14 Marines et 1 infirmier de la Navy) dans chaque section des forces populaires (FP, milices villageoises sud-vietnamiennes de 15 à 35 hommes) de son secteur. Cette première expérience permet de mettre en évidence les difficultés d’une telle «  greffe » (langue, adéquation culturelle, décalage de combativité avec les FP) mais aussi des grandes potentialités de l’association des capacités tactiques américaines et de la connaissance du milieu des Vietnamiens.

Au début de 1966, le succès de ces premières CAP est tel qu’il est décidé d’en former une nouvelle chaque semaine avec des volontaires américains acceptant de passer au moins six mois dans un village vietnamien, quite à prolonger leur tour de service au Vietnam (60 % des Marines qui ont participé à l’expérience ont demandé une prolongation de séjour). Un premier bilan réalisé à la fin de l’année montre que la « zone CAP » est deux fois plus sécurisée que celle où les Américains ne pratiquent que du « search and destroy ». Le Viêt-cong n’y recrute pratiquement plus et ne peut plus y percevoir de taxes et de riz alors que l’administration du gouvernement peut s’y exercer normalement. Le taux de désertion des FP y est resté pratiquement nul (contre plus de 15 %  pour le reste du Sud-Vietnam) et pour 6 Marines et 5 FP tués, 266 VC-ANV ont été éliminés.

L’année 1969 est celle de la plus grande activité. Le nombre de CAP atteint la centaine répartie avec plus de 2 200 soldats américains et près du double de Vietnamiens. Chacune d’entre elles effectue dans l’année environ 1 500 patrouilles-embuscades pour éliminer en moyenne 24 ennemis, tués ou capturés, au prix d’un mort américain et d’un mort FP. Un Américain inséré dans une CAP élimine donc deux fois plus d’ennemis (et pour un coût financier au moins trois fois inférieur) qu’un Américain agissant au sein d’une unité de combat purement nationale, tout en aidant la population et en instruisant les forces locales.

Grâce à la protection invisible de la connaissance du milieu et de la population, les pertes par mines et pièges sont marginales alors qu’elles représentent 30 % des pertes totales américaines. Les CAP ont l’initiative des combats dans plus de 70 % des cas, ce qui suffit généralement à l’emporter, alors que la proportion est inverse avec les opérations de « va et vient » depuis les bases, ce que les bataillons américains sont obligés de compenser par une débauche de feux.

Malgré leur efficacité les CAP ne connaissent pourtant qu’une extension limitée, car cette manière de faire heurte à la fois le commandement militaire sud-vietnamien qui n’aime pas voir une partie de ses forces lui échapper, l’ambassadeur américain Robert Komer qui estime avoir le monopole de tout ce qui relève de la pacification et le haut-commandement militaire américain au Vietnam qui refuse d’admettre la conclusion implicite du succès du CAP qui est que les ressources immenses dont il dispose en équipement et technologie sont inadaptées à ce type de guerre.

Résumé d'une fiche au chef d'état-major des armées, publiée in extenso dans Res Militaris.

9 commentaires:

  1. Je suis tombé sur votre blog par hasard n’étant pas militaire en lisant cet article je pensais au reportage que j'avais vu sur l’Afghanistan ou je m’étais dit que l'on ne pratiquait pas la bonne guerre je voyais de jeunes soldats Écossais ou français ressemblant à des tortues(casque gilet sac poids 30kg?) servir de cible à des talibans mobiles et invisibles puis un autre reportage sur le Félin un officier dont l'unité était chargée de le valider qui disait qu'à l'entrainement la précision du Famas était doublé et d'autre reportage ou des soldats Français disaient qu'il ne voyaient jamais les talibans comment atteindre même avec le meilleur viseur du monde une cible que l'on ne voit pas.conclusion si la technologie a une importance dans la guerre je pense plutôt que c'est la doctrine d'emplois des hommes et du matériels qui est le plus important surtout pour la France qui a des moyens limités.

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  2. Mon oncle a fait la guerre d'indochine dans les mêmes conditions que les CAP; embuscade, opium, et petites pépées étaient son quotidien, avec des indochinois qui se battaient pour leur liberté aidés par quelques français (conseillers militaires, appuis santé, équipement et armement)

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  3. Il serait intéressant de se pencher sur ce qui a été fait avec les soldats autochtones en Indochine, en Algérie ou ailleurs (Malaisie pour les britanniques par exemple). Il devrait être possible d'en tirer quelques leçons sur les stratégies de contre insurrection...

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  4. Lire sur le sujet "The Village " de Bing West ... qui est sur la liste de lecture de l'USMC
    Louis-alain

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  5. Vous évoquez la réédition prochaine de votre livre Res Militaris avec de nouvelles fiches. Pouvez-vous communiquer une date probable de parution? Merci.

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  6. Cher Anonyme,
    Je ne suis pas le colonel Goya, mais la seconde édition de "Res militaris" est disponible depuis déjà presque 3 semaines.

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  7. Bonjour,
    la nouvelle édition de RM devait sortir en septembre mais je n'ai pas de nouvelles d'Economica.

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  8. Je l'ai vu dans les rayonnages d'une grande librairie parisienne en début de semaine, et il peut être commandé sur des "librairies en ligne" depuis la première quinzaine de septembre.
    (Je suis l'anonyme de 16:53)

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  9. Bonjour,

    Il semble donc que l'histoire militaire -pour autant que le passé soit vraiment révolu ce dont je doute à la lecture de cet article- donne des exemples de réussites en matière de contre-insurrection.

    Aujourd'hui ce n'est un secret pour personne, engager des troupes coûte très cher. Or cet exemple des CAP montre qu'il est possible de réduire ces coûts (trois fois moins?). J'ai donc du mal à comprendre la logique actuelle: quelle victoire cherche-t-on? Stratégique, mais cela semble hypocrite à l'heure où l'on parle du retrait d'Afghanistan. Tactique, dont le deuil est fait visiblement. Economique, mais il y a alors un soucis de conception des forces armées. Ou encore politique?

    Le questionnement sous-jacent étant: la contre-insurrection comme moyen d'atteindre un but est-elle une doctrine théorique (reprise à un niveau politique, comme un jargon synonyme de victoire), un ensemble de pratiques militaires réelles (ou à contrario un discours 'marketing' sur les capacités des forces engagées) ou simplement un discours miroir face à ce que des insurgés sont capables de faire?

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