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Le 29 septembre 1918, à l’annonce de l’armistice
bulgare, Ludendorff déclare au gouvernement qu’il faut demander un armistice
mais aux Etats-Unis seulement. On espère qu’ils autoriseront d’abord le retour
de l’armée allemande intacte et, en fondant le processus de paix sur les
Quatorze Points proclamés par le président Wilson le 8 janvier 1918, que la
paix sera plus clémente pour l’Allemagne que dans les projets du Royaume-Uni et
surtout de la France. Wilson ayant déclaré qu’il ne s’adresserait qu’à un réel
régime démocratique, l’initiation de ce processus doit être précédée de
changements institutionnels. Il faut nommer un nouveau chancelier et rendre
celui-ci uniquement dépendant de la confiance du Reichstag. C’est ce nouveau
gouvernement qui gérera le processus de paix, déchargeant ainsi le commandement
militaire de la responsabilité de la défaite.
Le 3 octobre, le prince Max de Bade, connu pour son
libéralisme, devient chancelier et forme un gouvernement de majorité.
Ludendorff lui décrit une situation stratégique catastrophique dont est exclue
toute responsabilité de l’armée. Par l’intermédiaire de la Suisse, le nouveau
chancelier envoie un message au Président Wilson dans la nuit du 4 au 5
octobre. L’accusé de réception arrive le 9, Wilson n’exige alors que
l’évacuation des territoires occupés comme préalable à un armistice. Ludendorff
fait alors un exposé beaucoup plus rassurant au gouvernement. L’ennemi n’a pas
réalisé de percée et piétine désormais, gêné par ses problèmes logistiques.
Même si la Roumanie rompait le traité de paix, ce qui couperait l’Allemagne de
sa principale ressource en hydrocarbures naturels, l’armée pourrait résister
encore deux ou trois mois. Le 12, le gouvernement allemand répond qu’il est
prêt à l’évacuation de France et de la Belgique mais demande au préalable la
cessation des hostilités.
…
Pendant toute cette période, les Alliés européens
se sont inclus dans le processus de négociation en cours entre les Etats-Unis
et l’Allemagne. Furieux de ne pas avoir été consultés, ni même informés par le
Président Wilson, ils lui adressent un message lui demandant de tenir compte de
l’avis technique des commandants en chef avant d’entamer toute négociation.
Wilson accepte. Dans le même temps, contre toute logique diplomatique, la
marine allemande poursuit sa campagne sous-marine. Le 4 octobre déjà, le navire
japonais Hirano Maru a été coulé au
sud de l’Irlande provoquant la mort de 292 personnes. Le 10, c’est au tour du Leinster, avec 771 personnes à bord,
d’être coulé par un sous-marin qui est accusé par ailleurs d’avoir tiré aussi
sur les canots de sauvetage. L’indignation est énorme et contribue à durcir la
nouvelle réponse de Wilson, le 14 octobre. Le Président des Etats-Unis condamne
la guerre sous-marine et les destructions dans les territoires occupés. Il
exige cette fois des garanties sur le maintien de la suprématie militaire des
Alliés et la suppression de tout « pouvoir arbitraire ».
La note de Wilson provoque l’indignation allemande
mais les militaires sont à nouveau optimistes lorsque le ministre de la guerre,
von Scheuch, déclare, hors de toute réalité, qu’il est possible de mobiliser
encore 600 000 hommes. Ludendorff déclare ne plus craindre de percée et
espère tenir jusqu’à l’hiver. Malgré les évènements récents et la perte des bases
des Flandres, l’amiral Von Scheer se refuse de son côté à interrompre la guerre
sous-marine. Le 20 octobre, le gouvernement allemand, à qui la réalité
stratégique aura toujours été cachée, répond à Wilson qu’il ne saurait être
question de négocier autre chose que l’évacuation des territoires envahis et
tout au plus consent il à limiter la guerre sous-marine. Cela suffit à mettre
en colère l’Amirauté contre ce gouvernement bourgeois et démocrate qu’elle
déteste.
Le 23, la réponse est cinglante. Wilson laisse aux
conseillers militaires le soin de proposer des conditions d’armistice « rendant impossible la reprise des
hostilités par l’Allemagne » et suggère que le kaiser doit abdiquer. La
proposition soulève un tel tollé que le haut commandement allemand lance le 24
octobre un ordre de jour appelant « à
combattre jusqu’au bout » et songe à une dictature militaire imposant
la guerre totale. Max de Bade exige alors le départ d’Hindenburg et de
Ludendorff. Le 26, Guillaume II accepte que ce dernier soit remplacé par le
général Wilhelm Grœner. Le 27, le gouvernement
allemand déclare à Wilson qu’il accepte ses conditions de négociation.
Le 26 octobre, après
avoir consulté les commandants en chef, Foch a terminé de rédiger le projet de
conditions d’armistice. Toute la difficulté était de définir ce qui pourrait
être acceptable par l’Allemagne tout en interdisant à celle-ci de reprendre
éventuellement les opérations en cas de désaccord sur les négociations de paix.
Le texte prévoit l’évacuation, sans destruction, des zones occupées et de
l’Alsace-Lorraine dans les 15 jours qui suivront la signature. Il prévoit
également deux garanties : la livraison d’une grande partie de l’arsenal
(150 sous-marins, 5 000 canons, 30 000 mitrailleuses, 3 000
mortiers de tranchées, 1 700 avions) et des moyens de transport (500
locomotives, 15 000 wagons et 5 000 camions) ; la
démilitarisation de toute la rive gauche et d’une bande de 40 km sur la rive
droite du Rhin. Les Alliés doivent également occuper militairement la région
ainsi que trois têtes de pont d’un rayon de 30 km doivent être occupées par les
Alliés à Mayence, Coblence et Cologne.
Le projet est ensuite
discuté par les différents gouvernements. Il est durci par les Britanniques qui
exigent de plus de livrer des navires de surface. Le texte définitif est établi
le 4 novembre et envoyé à Wilson. A aucun moment, il n’est demandé de
capitulation militaire et la crainte est plutôt que face à des demandes aussi
dures, les Allemands ne refusent. Les jours
qui suivent agissent comme un grand révélateur de la faiblesse de l’Allemagne, mais on ne modifie par le projet.
Le 5 novembre, le
général Grœner ordonne le repli général sur la position Anvers-Meuse mais son
armée n’en peut plus. L’infanterie allemande a perdu un quart de son effectif
en un seul mois. Le
général Hély d’Oissel note alors dans son carnet, qu’il n’y a plus en face de
lui de résistance organisée : « nous
n’avons plus devant nous qu’un troupeau de fuyards privés de cadres et
incapable de la moindre résistance ».
Les estimations du nombre de réfractaires et
déserteurs allemands varient de 750 000 à 1,5 million, déserteurs que
l’administration militaire renonce à traquer et même à comptabiliser. Il existe
des poches entières de « manquants », y compris en Allemagne comme à
Cologne ou à Brême où une « division volante » pille la région.
Lorsque les Britanniques arrivent à Maubeuge le 9 novembre, ils ont la surprise
d’y trouver 40 000 déserteurs. Cinq jours plus tard, plusieurs camps de
soldats allemands en Belgique se mutinent et plus d’une centaine d’officiers
sont tués.
L’effondrement est aussi matériel. Du 15 juillet au
15 novembre, les Alliés ont pris plus de 6 000 canons et 40 000
mitrailleuses, le nombre d’avions en ligne a été divisé par deux et le
carburant manque désespérément pour les mettre en œuvre. La production de
guerre s’est effondrée. Plus 3 000 canons avaient été produits en mars
1918, moins de 750 en octobre.
La progression des Alliés n’a plus de limites sinon
celle des destructions des territoires évacués, qui freinent l’avancée de la
logistique et de tous les moyens lourds, et de la grippe espagnole qui fait
alors des ravages, en particulier chez les Américains et à la 4e
armée française. Depuis le 11 octobre, le 8e corps d’armée français
perdait plus de 1 000 tués et blessés chaque semaine mais il n’en perd que
sept dans la dernière semaine de guerre alors qu’il avance de dix kilomètres
par jour. Le 8 novembre, le corps apprend le début des négociations d’armistice
et reçoit l’ordre de contourner et de simplement bombarder les résistances
rencontrées. Le 9 novembre, la ville de Hirson est prise sans combat. Le 11
novembre, la 1e armée française est à 20 km à l’intérieur de la
Belgique après avoir parcouru 150 km depuis le 8 août. Parallèlement, la 5e
armée atteint Charleville le 9 novembre, alors que la 4e est enfin à
Mézières et à Sedan. Le dernier combat intervient lors du franchissement de la
rivière à Vrigne-Meuse qui coûte 96 morts et 198 blessés en trois jours au 163e
RI dans la plus parfaite inutilité des deux côtés.
La décomposition
intérieure allemande est accélérée par les décisions de l’Amirauté, toujours
aussi peu inspirée en cette fin de guerre. Le 28 octobre, sans même prévenir le
gouvernement, l’amiral von Scheer donne l’ordre à la flotte de Wilhelmshaven de
partir au combat. Il espère attirer la flotte britannique dans un traquenard de
mines et de sous-marins pour l’attaquer ensuite avec ses navires de ligne et
obtenir au mieux une victoire, au pire un baroud d’honneur. Le 29 octobre, les
équipages n’acceptent de n’aller qu’à Kiel. Les drapeaux rouges sont hissés sur
les navires. La mutinerie se rend maîtresse de la ville, puis des détachements
de marins parcourent le pays. Des bandes de pillards s’attaquent aux dépôts de
l’armée. Les émeutiers occupent les gares.
Le 28 octobre, les
socialistes demandent l’abdication du Kaiser pour faciliter la paix. Guillaume
II se rend à Spa où il envisage un temps avec Hindenburg la possibilité de
rétablir l’ordre par la force de l’armée. Guillaume II abdique finalement et se
réfugie le 10 novembre aux Pays-Bas.
Le 5 novembre, Groener
explique au gouvernement que la résistance de l’armée ne peut plus être que de
très courte durée et il invoque les mauvaises influences de l’intérieur propres
à « précipiter l’armée dans l’abîme ». Le 6, Max de Bade envoie la
délégation de négociation des conditions de l’armistice. Le
7, les plénipotentiaires allemands pour signer l’armistice se présentent à la
Capelle devant la 1ère armée française.
La délégation allemande
est présidée par le ministre d’Etat Matthias Erzberger. Il est accompagné par
le comte Oberndorff représentant le ministère des affaires étrangères, le
général von Winterfledt ancien attaché militaire à Paris et le capitaine de
vaisseau Vanselow, mais c’est bien le civil Erzberger qui porte la
responsabilité de la convention d’armistice. Il le paiera de sa vie en 1921.
Les conditions
d’armistice sont présentées le 8. Le 10, le Kaiser abdique et se rend aux
Pays-Bas. Le 11 à 5h du matin, le texte de la convention d’armistice est signé.
La seule modification concerne la réduction de 5 000 du nombre de
mitrailleuses à fournir, afin d’armer les forces de l’ordre en Allemagne. A
11h, le soldat Delaluque du 415e RI sonne le cessez-le-feu.
L’armistice est conclu pour 30 jours. Le 7 décembre, ce seront les mêmes mais
avec quelques officiers supplémentaires qui iront à Trèves pour le
renouvellement de l’armistice. Mais Foch ne veut recevoir que les quatre
plénipotentiaires du 8 novembre. Le haut commandement allemand n’apparait donc toujours
pas. La débâcle militaire allemande est réelle mais le commandement parvient à
la cacher en faisant rentrer les unités en apparent bon ordre, oubliant des
poches entières de déserteurs en Belgique. Ces troupes sont saluées par le
chancelier Ebert comme n’ayant « jamais
été surpassées par quiconque ». L’idée du « coup de poignard dans
le dos » de l’armée allemande comme responsable de la défaite est déjà là
et fera plus tard la fortune de la propagande nationaliste et nazie. Dans
l’immédiat ce n’est pas la préoccupation première des Alliés qui sont déjà
satisfaits que l’armée allemande, dont ils surestimaient eux aussi la force, ne
puisse pas reprendre le combat.
Les discussions préalables au traité de paix avec l’Allemagne sont beaucoup plus difficiles et longues que prévu, les Alliés ayant des visions divergentes. Elles n’aboutissent qu’en mai 1919. Il faut encore plus d’un mois pour faire accepter le traité à l’Allemagne, traité qui n’entre en vigueur que 10 janvier 1920. En droit, la guerre avec l’Allemagne ne s’arrête qu’à ce moment-là.