samedi 14 décembre 2024

Le miroir aux Alaouites – Une brève histoire militaire de la guerre en Syrie

Si l’on faisait défiler la carte de la guerre civile en Syrie depuis le 15 mars 2011, semaine après semaine, on verrait 681 images montrant des taches de couleur changeantes, puis un fort ralentissement à partir de la 400e, pour finalement ne pratiquement plus bouger jusqu’à la 682e. À ce moment précis, en une seule image, la couleur du camp assadiste serait remplacée par celle de la rébellion arabe sunnite.

Les effondrements rapides sont assez courants dans l’histoire des guerres, mais un effondrement aussi soudain survenant après des années de conflit lent ou même figé est très surprenant. Comme pour toutes les surprises stratégiques, cela mérite qu’on s’y intéresse en revenant loin en arrière.

Le problème des trois camps et Assad sauvé une première fois

Rappelons tout d’abord que le conflit syrien n’est pas un problème stratégique classique à deux camps, où l’action réciproque se fait à somme nulle et où une partie finit par imposer sa volonté à l’autre pour aboutir à une paix plus favorable. Le conflit syrien est un cas assez exceptionnel de conflit mosaïque, où plusieurs camps s’affrontent simultanément avec des configurations changeantes d’alliances et de rapports de force, d’autant plus complexes que plusieurs acteurs extérieurs sont intervenus. C’est une des raisons principales de la longue durée de ce conflit : la possible défaite définitive d’un des camps suscite des réactions étrangères mais aussi internes, finissant souvent par le sauver.

La guerre en Syrie a commencé par l’opposition de deux camps : le camp loyaliste au régime, s’appuyant surtout sur la minorité alaouite et la majorité de la bourgeoisie de toute origine, et disposant de la majorité des organes de force — que l’on appellera l’AAS (Armée arabe syrienne) pour simplifier —, contre ce que l’on va appeler par commodité la rébellion arabe sunnite (RAS), en réalité une multitude de groupes armés plus ou moins bien équipés. Les deux camps sont imbriqués géographiquement : l’AAS contrôle fermement la zone côtière alaouite, tandis que la RAS domine l’est du pays, à l’exception de quelques poches comme Deir-er-Zor. Mais les choses les plus importantes se passent sur l’axe de l’autoroute M5 ou à proximité, avec son chapelet de grandes villes — Alep, Idlib, Hama, Homs, Damas, Deraa — que se disputent loyalistes et rebelles. C’est sur cette bande nord-sud de 500 km de long sur 100 de large que se situeront la très grande majorité des combats de la guerre.

Un troisième camp se forme très rapidement avec le Parti de l’union démocratique (PYD) kurde, qui, contrairement à la RAS, est un mouvement unifié. Le PYD prend le contrôle des provinces frontalières de la Turquie jusqu’à l’Irak. Affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de Turquie, il se tient à l’écart des combats entre loyalistes et Arabes sunnites.

La RAS, initialement très disparate, finit par former des fédérations de groupes comme l’Armée syrienne libre (ASL), plutôt nationaliste baasiste, le Front islamique pour la libération de la Syrie (FILS), à dominante Frères musulmans, ou le Front islamique syrien (FIS), salafiste. Ces formations reçoivent une aide importante des monarchies du Golfe et de la Turquie selon leur obédience salafiste ou frériste, et plus timidement des pays occidentaux qui tâtonnent. Le printemps 2012 voit également la création du « Front pour la victoire » (Jabhat al-Nosra, JAN), sous la direction d’Abou Mohammed al-Joulani, venu des rangs de l’État islamique en Irak (alors branche d’Al-Qaïda), rejoint par des djihadistes syriens souvent libérés par le régime l’année précédente. Tous ces ensembles sont rivaux dans l’allocation des ressources, mais coopèrent contre le régime.

Ce combat imbriqué entre forces hétérogènes n’est pas fait de grandes manœuvres, mais d’une multitude de petits combats qui, au tournant de l’année 2013, donnent de plus en plus l’avantage à la rébellion arabe sunnite. L’Euphrate, les provinces d’Idlib et de Deraa (avec la participation des Druzes) passent presque entièrement sous le contrôle des rebelles, qui prennent également de plus en plus le dessus dans les villes du centre. Le régime est sauvé une première fois par l’intervention de l’Iran, via le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique-Force Qods, qui regroupe les gangs chabiha, les milices d’autodéfense locales et importées au sein des Forces de défense nationale, et surtout engage le Hezbollah et les Pasdarans de la division Sabin dans une contre-offensive.

L’intervention iranienne en Syrie suscite également celle d’Israël, qui n’hésite plus désormais à frapper sur le territoire syrien, en particulier près du Golan. En revanche, le refus américain de s’engager fin août 2013, après l’emploi d’armes chimiques sur le quartier rebelle de la Ghouta, discrédite les pays occidentaux auprès de la rébellion, qui recule et se reconfigure sous l’égide de nouvelles fédérations plus radicales.

Le problème à quatre camps et Assad sauvé une deuxième fois

La période voit également l’apparition en Syrie de l’État islamique. En sommeil depuis ses défaites de 2007, l’État islamique en Irak renaît soudainement à l’occasion du mouvement de révolte sunnite en Irak, durement réprimé et dont il se nourrit. Fin 2013, l’État islamique en Irak, devenu un temps aussi « au Levant », rompt avec JAN et avec Al-Qaïda. Le nouvel État islamique devient alors l’ennemi de tout le monde, mais il obtient des succès rapides, s’emparant de presque tout l’Euphrate syrien et irakien, approchant Alep d’un côté et tenant Falloujah de l’autre, ainsi que le désert syrien et Mossoul en Irak. Le régime de Damas, mais également la Turquie, ne sont pas mécontents de voir ce nouvel acteur affronter la rébellion arabe sunnite à l’arrière puis les Kurdes.

Ces victoires fulgurantes de l’EI et la création du califat ont au moins pour effet de faire réagir les États-Unis, qui organisent en 2014 une coalition pour lutter contre lui en Irak et en Syrie. Les États-Unis réussissent à former les Forces démocratiques syriennes (FDS), associant l’armée kurde (PYG) avec certains groupes arabes et assyriens, et installent la base d’al-Tanf au point de jonction des frontières de la Syrie, de la Jordanie et de l’Irak. La coalition américaine, avec une participation française, appuie les FDS et l’armée irakienne dans la lente reconquête des villes tenues par l’EI. En Irak, elle se retrouve alliée de fait avec la Force Qods, qui chapeaute les Unités de mobilisation populaires (Hachd al-Chaabi) chiites irakiennes. Les deux capitales de l’EI, Raqqa et Mossoul, sont reprises en 2017, et le califat est définitivement détruit fin 2018.

Pendant ce temps, l’association d’al-Nosra et d’Ahrar al-Sham, les deux mouvements rebelles syriens les plus puissants, ainsi que plusieurs autres factions au sein de l’Armée de la conquête (Jaish al-Fatah), change la donne au nord du front M5 avec l’aide de la Turquie et de l’Arabie Saoudite. L’AAS subit une défaite humiliante dans sa tentative de dégager Alep, tandis que la contre-attaque de l’Armée de la conquête permet aux rebelles de s’emparer de la province et de la ville d’Idlib et de menacer le port de Lattaquié. Très affaiblie, l’AAS est repoussée de Palmyre par l’EI, qui s’approche d’Homs. L’anticipation est une nouvelle fois à la défaite, et l’AAS commence à se désagréger tandis que le régime se déchire à Damas.

Cette fois, c’est la Russie qui sauve Assad en déployant, en septembre 2015, une puissante force anti-aérienne afin de protéger le régime de toute velléité américaine de campagne aérienne, et surtout une très puissante escadre de 70 aéronefs, chasseurs-bombardiers et hélicoptères d’attaque pour l’essentiel, sur la base de Hmeimim, ainsi que l’appui de l’escadre navale installée à Tartous et l’intervention de bombardiers depuis la Russie. La Russie déploie aussi quelques forces terrestres en soutien et appui à ses opérations, dont la société Wagner. Elle prend également un rôle très important dans la conduite des opérations, allant jusqu’à prendre directement le commandement des groupes du 5e corps d’armée de l’AAS. Forte de ce soudain soutien, l’AAS renforcée se dégage et entreprend le long siège d’Alep. Le siège est également l’occasion de la première intervention directe de la Turquie, qui s’empare, avec l’Armée nationale syrienne (ANS), dont Ahrar al-Sham, de la zone kurde au nord d’Alep entre le deuxième semestre 2016 et le printemps 2017, avant de s’attaquer à la province kurde d’Afrin au début de 2018.

La prise d’Alep en décembre 2016 est un point de bascule. L’anticipation générale se modifie, cette fois en faveur du régime, dont on ne voit plus comment il pourrait être vaincu avec le soutien russe. L’effort militaire se porte sur l’est du pays dans une course de vitesse avec les FDS et les Américains, tandis qu’un accord entre la coalition pro-Assad et la Turquie aboutit en mai 2017 à la formation de « zones de désescalade » — Idlib, Rastane entre Homs et Hama, Ghouta orientale (près de Damas) et Deraa — où l’on estime au moins possible de faire cesser les combats. Les rebelles sont désormais incapables de mener des opérations offensives autonomes d’une grande ampleur.

En 2018, après un violent combat entre Wagner et les forces américaines, les limites se figent à l’est du pays entre les FDS et l’AAS. Elles se figent également au nord-est, fin octobre 2019, après l’annonce d’un retrait partiel américain, suivi immédiatement d’une nouvelle offensive turque anti-kurde dans la zone de Tell Abyad à Ras al-Aïn. La moitié ou presque du Rojava, cette longue bande de 50 km de large occupée par les Kurdes le long de la frontière turco-syrienne, est entre les mains des Turcs et de leurs mercenaires arabes. Des forces américaines restent dès lors dans l’est du pays et sur la base d’al-Tanf pour continuer la lutte contre ce qui reste de l’EI et peser sur la route de l’« axe de la résistance » de Téhéran à Beyrouth via la Syrie. L’année est aussi marquée par une campagne de frappes israéliennes au printemps 2018 contre les Gardiens de la Révolution ou lors de l’attaque américano-franco-britannique en avril, après un nouvel emploi d’armes chimiques par l’AAS.

Au grand dam de leurs alliés, les Russes laissent faire. Ces interventions étrangères n’empêchent pas l’AAS, avec le Hezbollah en fer de lance et l’appui de l’armée russe, de s’emparer des « zones de désescalade » : la Ghouta en avril 2018, Rastane en mai et Deraa en juin, où le Front du Sud reste néanmoins présent en échange de la remise de ses armes lourdes sous l’égide russe (et non iranienne, à la demande d’Israël) et de l’acceptation de l’administration de Damas.

Reste la poche d’Idlib. Celle-ci, qui a accueilli beaucoup de réfugiés et de combattants rebelles arabes sunnites en échange des redditions des villes, est beaucoup plus résistante que les autres, d’autant plus qu’elle est limitrophe de la Turquie. Au deuxième semestre 2018, il y a au moins 50 000 combattants rebelles dans la poche : Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ex-JAN, ex-Fatah al-Cham, et le Front national de libération, pro-turc, forment les organisations les plus puissantes.

L’offensive de l’AAS, lancée en septembre 2018, s’achève en mai 2019 sans résultat. L’AAS reprend l’offensive plus violemment en décembre 2019, provoquant la fuite d’un million de réfugiés en Turquie et, en retour, une intervention de l’armée turque, qui s’accroche avec les forces russes et inflige, début mars 2020, une sévère défaite à l’AAS. Le 5 mars 2020, la Russie et la Turquie signent un accord qui gèle la situation dans la région.

De la drôle de paix à la guerre éclair

Commence alors une « drôle de paix », où les positions ne bougent plus entre les différents camps, mais sont régulièrement frappées par des attaques aériennes d’avions ou de drones turcs contre les positions kurdes ou entre HTC depuis Idlib (dont l’attaque de l’Académie militaire d’Homs en octobre 2023) avec la réponse de l’AAS. La vraie bataille est alors celle de l’administration, et là, HTC s’impose clairement à Idlib. Sous la direction pragmatique d’al-Joulani, HTC parvient à prendre le contrôle du territoire, à imposer son autorité aux autres groupes, et à gérer, avec les ONG et les conseils locaux, l’administration d’une population qui a pu atteindre quatre millions sur l’équivalent d’un département français, notamment face aux crises du COVID-19 et du tremblement de terre de février 2023.

À l’inverse de la violence d’Al-Qaïda en Irak/EII envers les « déviants » musulmans et les minorités, qui avait provoqué un rejet général, y compris de l’opinion arabe sunnite, al-Joulani renouvelle une forme de statut de dhimmis aux Druzes et aux chrétiens, en les autorisant à pratiquer leur culte sous conditions (un statut bien supérieur à celui des chrétiens en Arabie saoudite, par exemple). Contrairement à Al-Qaïda, avec qui il a rompu en 2016, ou à l’EI, Mohammed al-Joulani ne prône plus le jihad international, jugé contre-productif. Par analogie au communisme soviétique, on pourrait parler de « salafisme dans un seul pays », en attendant la suite. Toujours est-il que cela réussit à Idlib, et que le contraste avec la gestion misérable, corrompue, inefficace et sous l’égide de la peur de l’administration du régime d’Assad est frappant. L’économie syrienne s’enfonce, hormis celle du captagon, et jamais le décalage entre la misère du peuple et le luxe des élites n’a été aussi grand.

Outre cet avantage comparatif incontestable lorsqu’il s’agit de conquérir les cœurs et les esprits, la « zone libérée » d’Idlib, là encore par comparaison avec les guérillas marxistes, est aussi le point de départ d’une montée en puissance militaire. Là où l’AAS, corrompue, tombe graduellement en déliquescence, HTC et les groupes alliés montent en puissance, s’entraînent et préparent une future offensive.

L’invasion russe en Ukraine, en février 2022, est le premier domino dont la chute va, des années plus tard, provoquer celle d’Assad, en absorbant progressivement toutes les forces russes présentes en Syrie, réduites à une dizaine d’appareils en 2024 et à des capacités d’intervention limitées. L’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas en Israël est le deuxième domino agissant depuis un autre axe. Dès le 7 octobre, l’Iran apporte son soutien au Hamas, et le Hezbollah commence à lancer des roquettes sur le nord d’Israël dès le lendemain. Ce soutien reste timide, car l’Iran ne veut pas d’une guerre à grande échelle contre Israël ou les États-Unis, mais il est suffisant pour donner un prétexte à Israël pour frapper sans retenue en Syrie.

Depuis le 8 octobre, l’artillerie ou surtout l’aviation israélienne frappe presque quotidiennement en Syrie contre les infrastructures ou les personnalités de la Force Qods, dont le chef au Levant est tué, ou contre tout ce qui appartient ou peut aider le Hezbollah. Avec l’offensive israélienne à partir de septembre 2024, le Hezbollah subit des coups très violents, perdant ses chefs, plus de 4 000 de ses combattants et une grande partie de son infrastructure. L’organisation n’est plus en mesure d’aider l’AAS, alors que l’Iran ne veut plus non plus le faire, sous peine de subir des dégâts irrémédiables.

En novembre 2024, le roi Assad est nu, mais il ne le perçoit visiblement pas, tout à son intransigeance, malgré les signes de bonne volonté de la Ligue arabe et de la Turquie. Excédé, Erdogan, qui sait forcément ce qui se prépare à Idlib et pourrait sans doute l’empêcher, ferme les yeux, et al-Joulani saisit l’opportunité de ce clignement très bref.

Si on savait le régime stratégiquement très faible, il fallait attendre le révélateur des combats pour connaître le niveau tactique réel des unités. Le nombre ne compte pas vraiment dans les points de contact : on ne s’y trouve que très rarement au-delà du 1 contre 2, et finalement le matériel compte assez peu. Ce qui importe vraiment – la valeur de la structure de commandement, la motivation et la compétence – est souvent peu tangible, d’où la nécessité d’un combat réel pour l’évaluer. À cet égard, l’attaque de la coalition menée par HTC vers Alep ne laisse aucun doute sur l’écart désormais immense entre les unités légères rebelles et les bataillons de l’AAS, un écart qui n’a jamais été aussi grand depuis le début de la guerre.

Avec la conquête très rapide d’Alep le 30 novembre 2024, tout le monde anticipe soudain la victoire possible des rebelles, et c’est là que l’effet d’avalanche commence. Le Front Sud, dominé par l’ASL, se réactive et se lance à l’assaut de Deraa puis de Damas. Ceux qui veulent participer à la victoire viennent grossir les rangs des deux coalitions, nord et sud. Au niveau tactique, à quoi bon combattre dans l’AAS quand on sait que l’on va forcément perdre ? Autant utiliser le numéro de téléphone de ralliement largué par les drones rebelles en avant de leur attaque.

Ne sachant pas encore qu’Assad a déjà prévu de les abandonner lâchement, les unités les plus fidèles, recrutées surtout parmi les Alaouites comme la 4e division blindée de Maher al-Assad, tentent de résister un peu du côté de Hama, mais elles sont rapidement dépassées. La route vers Damas est ouverte. La capitale est prise dans la nuit du 7 au 8 décembre. Le camp loyaliste dans son ensemble a disparu en même temps que son leader.

La rébellion arabe sunnite unie – au moins HTC, l’ASL et tous les groupes affiliés – l’a donc emporté et contrôle désormais tout l’axe M5 et les provinces de la côte, avec une inconnue sur le sort des bases russes. Qu’en sera-t-il maintenant de l’attaque préventive israélienne, détruisant autant que possible tous les instruments de frappe en profondeur de l’AAS et la défense anti-aérienne, mais occupant aussi une zone tampon au-delà du Golan annexé ? Qu’en sera-t-il des zones frontalières occupées cette fois par les Turcs avec l’ANS ? Qu’en sera-t-il surtout de tout le territoire occupé par les FDS ? Les groupes arabes sunnites vont-ils rester subordonnés aux Turcs ou aux Kurdes ou rallier le nouveau pouvoir à Damas ? Le danger est surtout grand pour les Kurdes qui, s’ils perdent la protection américaine – et cela est parfaitement possible avec la nouvelle administration Trump –, seront immédiatement attaqués par les Turcs et peut-être par les Arabes sunnites.

Beaucoup d’inconnues donc, en dehors même de la forme politique que prendra la Syrie centrale. Il est probable, au regard des premiers signaux donnés, que la coalition au pouvoir à Damas veuille passer d’abord par une nouvelle « drôle de paix », afin de consolider sa conquête et d’établir un État « salafiste à visage humain », avant de reprendre le combat au moins pour réunifier le pays.

dimanche 1 décembre 2024

Les problèmes stratégiques à trois corps : L'exemple du Tchad (1978-1980)

En 1972, une force expéditionnaire française d'environ 2 000 hommes quittait le Tchad après trois ans de combat contre le Front de libération nationale du Tchad (Frolinat). La situation n’était pas parfaite, mais elle était bien meilleure qu'au début de l'intervention lorsque les rebelles menaçaient la capitale. À ce moment-là, le Frolinat était cantonné à l’extrême nord du Tchad, tandis que le reste du pays était sécurisé et que l'État et son armée s'étaient renforcés. Les soldats français pouvaient ainsi partir en ayant le sentiment d’avoir accompli leur mission. Pourtant, à peine huit ans plus tard, une autre force française de même ampleur se repliait du Tchad, cette fois avec un sentiment de frustration et d’impuissance face aux événements. Ce retrait discret était perçu comme un échec, le premier depuis la fin de la guerre d'Algérie.

Quelle différence entre ces deux situations ? Dans le premier cas, le problème stratégique opposait deux camps, comme dans la plupart des conflits ; dans le second, il était passé à trois camps, voire plus, avec l’apparition de nouveaux acteurs politiques indépendants. Or, comme tout physicien le sait, le calcul des trajectoires dans un système à plusieurs corps devient vite imprévisible. De « compliquée », la situation stratégique au Tchad était devenue « chaotique » et incontrôlable. Retrouver un sentiment de victoire aurait nécessité un changement de stratégie, mais cela demandait trop d’effort. On a préféré échouer.

Dans la matrice

Une opération militaire « simple » – ce qui ne signifie pas sans danger – est une action dont le succès est probable, bien qu'il ne soit jamais garanti. Les relations de cause à effet sont connues, et une fois le problème identifié, il suffit d'appliquer la procédure adéquate pour, normalement, le résoudre. Au début des années 1960, le dispositif militaire français en Afrique se concentrait sur la prévention des coups d'État. Un déploiement rapide d'une compagnie française suffisait à stabiliser le pouvoir en place. Pour le président de la République, la seule vraie contrainte était l’impopularité de telles actions, perçues comme néocoloniales. C’est souvent cette considération qui influençait la décision d’intervenir ou non.

Les opérations vraiment simples sont vraiment rares car elles se déroulent toujours face à des intelligences humaines, et pour peu que ces ennemis disposent de plusieurs manières de s’opposer à nous et la situation devient dès lors plus compliquée.

De fait, la grande majorité des opérations militaires sont « compliquées ». Dans ces situations, les paramètres – notamment l’ennemi – sont connus, mais leurs interactions sont difficiles à anticiper. Quand les objectifs et les moyens des deux camps sont connus, il faut en passer par une matrice à deux entrées où on confronte les différents choix possibles pour atteindre de part et d’autre cet objectif. On choisit alors le mode d’action qui semble le mieux adapté.

L'architecture de sécurité entre la France et certaines de ses anciennes colonies africaines reposait sur l'idée qu’on n’y conduirait que des opérations simples ou peu compliquées, limitées dans le temps et l’espace, avec quelques centaines de soldats professionnels sur place ou venus en urgence de France. Quelques années après la guerre d’Algérie, il était hors de question de s’impliquer dans un conflit long et meurtrier en Afrique. Impliqués comme nous l’étions et toujours soucieux de notre rang et de notre crédibilité, on refusait de voir qu’il serait pourtant nécessaire de le faire.

Le dilemme se pose pourtant rapidement au Tchad lorsque le régime sectaire et autoritaire du président Tombalbaye provoque une révolte au centre et au nord du pays. Une première intervention simple dans le nord du pays en 1968, avec le déploiement dissuasif d’une compagnie d’infanterie et le survol d’avions de chasse, calme la situation la plus critique au nord mais une menace beaucoup plus grave surgit l’année suivante : les factions rebelles du Frolinat menacent de prendre la capitale, et l’armée nationale tchadienne (ANT), majoritairement composée de l'ethnie Sara du président, sont incapable de réagir. Tombalbaye fait donc appel à nouveau la France mais pour faire la guerre cette fois. Le général de Gaulle, dont ce fut une des dernières décisions comme président de la République, ordonne alors de « faire quelque chose pour Tombalbaye ».

Les moyens militaires français, limités aux troupes professionnelles, permettent d'envoyer entre 2 000 et 2 500 soldats, jugés suffisants pour résoudre ce premier « problème compliqué » post-colonial. Les acteurs politico-militaires sont peu nombreux, regroupés en deux camps, permettant une matrice à deux dimensions, avec un nombre réduit de scénarios. Un plan d’opération en deux axes est établi : destruction des groupes armés du Frolinat et renforcement de l'administration tchadienne. On imagine simplement que le Frolinat va s’y opposer en s’efforçant de contrôler autant de terrain et de population que possible.

Ces missions françaises se déroulent finalement avec plus ou moins de succès sur trois ans toujours au sein de cette matrice. Les opérations de recherche et destruction permettent de neutraliser la 1ère armée du Frolinat dans le centre-est, mais échouent dans les provinces du BET (Borkou-Ennedi-Tibesti). Par ailleurs, l’ANT et les organes de sécurité locaux se renforcent, mais on ne parvînt pas à instaurer une administration tchadienne efficace.

À l'été 1972, le président Pompidou estime que le bilan – la sécurisation de 90 % de la population et le renforcement de l'ANT – est satisfaisant, au prix de 39 soldats français tués. Il décide donc de mettre fin à l’opération, sous la pression des autorités tchadiennes qui, désormais sauvées, trouvaient la présence française encombrante. D’un commun accord, un bataillon français fut néanmoins maintenu à la capitale et l’armée de l’air tchadienne resta en grande partie franco-tchadienne.

Cette période refermée, la France, sous le président Valéry Giscard d'Estaing, cherche à revenir à des opérations simples. En 1977, l'opération Lamantin est lancée en Mauritanie pour stopper les attaques du Polisario contre les trains miniers. La méthode est simple et directe : dès qu'une attaque est détectée depuis l'Algérie, un raid aérien français doit partir de Dakar pour la contrer. De décembre 1977 à juillet 1978, trois grands raids d’avions Jaguar brisent ainsi autant de colonnes du Polisario et les attaques cessent. Presque au même moment, en mai 1978, un bataillon de parachutistes est envoyé à Kolwezi, au Zaïre, pour libérer la ville occupée par 3 000 combattants du Front national de libération du Congo. L'opération, bien que risquée, réussit brillamment. Pendant ce temps, de nouvelles difficultés sont survenues au Tchad.

Dans la mosaïque tchadienne

En 1975, un groupe d’officiers renverse et assassine le président Tombalbaye, devenu totalement despotique et incohérent.  Alors peu interventionniste, le président Giscard d'Estaing ne fait pas intervenir le bataillon français de N’Djamena. Le Conseil militaire suprême qui prend la direction du pays avec le général Malloum à sa tête doit toujours faire face à une coalition du Frolinat qu’il ne peut réduire, surtout dans le BET. Cependant, le FROLINAT est, lui aussi, trop faible pour lancer des offensives contre l’ANT, renforcée par les Français.

Deux éléments vont bouleverser cet équilibre. Tout d'abord, le général Malloum exige le départ des militaires français et signe en 1976 un nouvel accord de coopération militaire qui exclut l'implication directe de la France dans les combats au Tchad. Il se prive ainsi de son principal soutien militaire. Pendant ce temps, de son côté, le colonel Kadhafi, qui nourrit des ambitions au Tchad, décide de soutenir massivement les Forces armées populaires (FAP) de Goukouni Oueddei dans le BET. En quelques mois, ce qui n’était qu’un groupe de combattants toubous se transforme en une véritable armée mobile équipée de pick-up et d'armes modernes : fusils d’assaut, missiles antiaériens portables, lance-roquettes antichars, lance-roquettes multiples et mitrailleuses lourdes. Mieux équipées que les autres forces en présence ou même que les fantassins français, les FAP deviennent capables de lancer des offensives.

Cette montée en puissance soudaine d’une faction du FROLINAT suscite des réactions fortes. L’ingérence libyenne, qui va jusqu’à l’envoi de conseillers militaires et de troupes dans la bande d’Aouzou, irrite les autres acteurs. En octobre 1976, Hissène Habré se dissocie de Goukouni Oueddei et crée les Forces armées du Nord (FAN), qui recrutent aussi parmi les guerriers toubous. Il se replie au centre du pays, près du Soudan, pour obtenir de l'aide, tout en organisant la prise en otage d'anthropologues européens, dont la Française Françoise Claustre. Cela lui rapporte une rançon et l’occasion d’humilier la France, allant même jusqu'à assassiner l'officier français envoyé pour négocier. Le Soudan accepte de le soutenir, tout comme il appuie des factions comme le Front populaire de libération (FPL) ou l’armée Volcan.

L'équilibre est rompu avec la première offensive des FAP en juillet 1977, qui s’emparent des postes de Bardai et Zouar dans le BET, puis surtout de Faya en février 1978. L’ANT est sévèrement affaiblie, et son aviation, dépassée, est impuissante face aux nouvelles armes antiaériennes des rebelles. Après avoir exigé le retrait des forces françaises, le général Malloum les appelle désormais au secours. Giscard d'Estaing hésite.

Les conseillers militaires du président, le général Vambremeersch, son chef d’état-major particulier, et le général Méry, chef d’état-major des armées, redoutent de s’engager dans un conflit prolongé comme en 1969 et sont réticents à intervenir. Cependant, le ministre des Affaires étrangères, Louis de Guiringaud, rappelle les obligations de la France en Afrique et l'importance de ne pas abandonner le régime de N’Djamena. Plusieurs chefs d'État africains appellent discrètement à intervenir contre les rebelles soutenus par la Libye de Kadhafi. Enfin, la proximité des élections législatives françaises de mars 1978 incite Giscard d'Estaing, que François Mitterrand qualifiera bientôt de « pompier pyromane en Afrique », à éviter une intervention risquée.

Finalement, Giscard d'Estaing opte pour une solution intermédiaire : une opération d’assistance limitée, baptisée Citronnelle, avec une petite force en réserve. Le 1er avril, 300 soldats français sont déployés au Tchad. En avril, les FAP reprennent l'offensive et capturent Salal, près de Moussoro, aux portes de N’Djamena. À la suite des élections législatives, Giscard d'Estaing, plus confiant, ordonne d'accompagner discrètement les forces tchadiennes dans une tentative de reconquête de Salal. Le 16 avril, les Français, un simple escadron de blindés légers, se retrouvent de nouveau au combat au Tchad, face à un ennemi mieux armé que par le passé. Les 400 hommes du FAP, bien équipés et courageux, repoussent les forces franco-tchadiennes et infligent aux Français leurs premières pertes. Cette première surprise militaire augure de la réelle connaissance que l’on a à Paris des évolutions qui sont survenues sur le théâtre d’opérations.

Après cet échec, les forces françaises s’adaptent. Un groupement tactique interarmes (GTIA) est formé à Moussoro, composé de marsouins, légionnaires et artilleurs parachutistes, avec deux escadrons de blindés légers, une compagnie d'infanterie portée sur camions et une section de mortiers. C’est la première fois que l’on forme une unité aussi composite provenant d’autant de régiments différents.

Le 25 avril, le GTIA attaque Salal et parvient à reprendre le poste, infligeant de lourdes pertes aux FAP. Le gouvernement français, embarrassé, nie l’existence de ce combat tout en envoyant des renforts pour constituer deux GTIA supplémentaires entre mai et septembre. Des fusils d’assaut SIG 542 sont achetés en urgence en Suisse pour remplacer les fusils et pistolets mitrailleurs français de la guerre d’Algérie face aux AK-47 Kalashnikov des rebelles. Après quelques hésitations, une force aérienne est déployée, comprenant une vingtaine d’hélicoptères et dix chasseurs Jaguar. En septembre 1978, 2 000 soldats français sont présents au Tchad, un effectif qui atteint 2 300 début 1979 avec un quatrième GTIA. On retrouve ainsi le volume et la structure de l’intervention de 1969, mais avec un matériel plus moderne et une puissance de feu accrue, face à un ennemi lui aussi mieux équipé. L’armée de l’air peut désormais mener des raids en profondeur, selon les renseignements. Les moyens sont enfin là ; il reste à définir une stratégie.

Chaos debout

Avec le gouvernement tchadien d’un côté, allié aux FAN d’Hissène Habré, et les FAP de l’autre, toujours associés à la 1ère armée et à Volcan au sein du Frolinat depuis le congrès de Faya en avril, le conflit au Tchad reste un affrontement entre deux grands camps. Le général Bredèche, nouvellement nommé à la tête de l’opération Tacaud, reçoit pour mission de rétablir la confiance du gouvernement tchadien et de ses forces armées en stoppant l’élan victorieux du Frolinat. Pour cela, il décide de reprendre le contrôle des villes du centre du pays afin de protéger le « Tchad utile » des attaques venant du nord.

En mai, les forces françaises s’emparent d’Ati, un point stratégique au centre-sud du pays, après trois violents affrontements. Avec l’engagement plus médiatisé à Kolwezi, ce mois est marqué par les combats les plus intenses auxquels les forces françaises ont participé depuis 1962 et jusqu’à aujourd’hui.

Les FAP en sortent très affaiblies et, avec la reprise des villes du centre, un ligne de défense est mise en place protégeant le sud et la capitale. Les FAP se retranchent alors dans le nord, tandis que Malloum et Habré s’unissent en août 1978 pour former un gouvernement avec le soutien de la France. On espère alors que ce gouvernement saura s’imposer, permettant ainsi à la France de retirer ses troupes.

Cet espoir se révèle vain, car personne n’est réellement prêt à partager le pouvoir. Les deux alliés finissent par s’affronter, et de violents combats éclatent à N’Djamena en février 1979. Goukouni Oueddei, qui vient de s’éloigner de la Libye, s’allie à Habré et envoie des troupes à N’Djamena contre les partisans de Malloum. Le conflit se complexifie et passe de deux à trois camps principaux, voire davantage, avec la possibilité que d’autres factions, comme la 1ère ou Volcan, interviennent à tout moment. Face à l’effondrement du gouvernement, de nouvelles organisations d’autodéfense émergent dans les ethnies du sud, et en mars, on compte onze groupes armés différents dans le pays, sans parler de la présence libyenne dans le nord extrême et de l’intérêt des pays voisins.

Le gouvernement, autrefois seule autorité légitime à défendre, n’existe plus, et le contrôle de la capitale, centre de gravité politique du pays, peut basculer d’une coalition à une autre. Un camp qui devient trop puissant peut provoquer des changements d’alliance ou une intervention extérieure pour rétablir l’équilibre. Ce type de conflit s’éternise jusqu’ à ce qu’une faction n’atteigne enfin une masse critique lui permettant de dominer ou rallier toutes les autres.

La seule manière de sortir de ce dilemme aurait sans doute été de le résoudre par la force, à la manière d’Alexandre le Grand tranchant le nœud gordien. Cela aurait consisté à soutenir une faction – la plus puissante si possible – et à la renforcer pour lui donner cette masse critique nécessaire à une victoire décisive. Les Américains ont adopté cette stratégie en Irak en 2007, en soutenant fermement le gouvernement de Bagdad et en s’associant aux nationalistes sunnites, souvent leurs anciens ennemis, pour contrer l’État islamique en Irak, puis les milices mahdistes. Ce qui paraissait insoluble s’est stabilisé en un an. La Russie a suivi un schéma similaire en Syrie en 2015, en appuyant le régime chancelant de Bachar al-Assad jusqu’à sa victoire, provisoire, quelques années plus tard.

En 1979, avec seulement quelques milliers de soldats professionnels et quelques dizaines d’aéronefs, la France ne dispose pas des moyens américains en Irak, mais dans un contexte où les factions au Tchad alignent rarement plus de quelques milliers de combattants, cela pourrait suffire. Tactiquement, comme à Ati, les forces françaises peuvent vaincre n’importe quelle faction sur le terrain. Elles le prouvent encore le 5 mars, lorsque le Conseil démocratique révolutionnaire (CDR) d’Acyl Ahmat, nouvel allié de la Libye, tente de prendre Abéché. Avec 800 combattants bien équipés, le CDR constitue la force rebelle la plus puissante vue jusqu’alors au Tchad. Mais face aux troupes françaises, il est écrasé : environ 300 combattants rebelles sont tués, pour deux Français.

Malgré cette victoire, Valéry Giscard d’Estaing, critiqué en France et en Afrique, renonce à combattre au Tchad. La France adopte une posture de neutralité et, avec l’Organisation de l’unité africaine et en particulier le Nigeria, cherche à obtenir une « solution négociée ». Les soldats français, y compris ceux qui avaient pour mission de défendre Abéché à tout prix quelques jours plus tôt, sont rapatriés à N’Djamena. Le contingent est réduit à 1 200 hommes, chargés uniquement de protéger les ressortissants français et de fournir une aide humanitaire. En mars, le général Malloum s’exile, laissant place à un gouvernement dirigé par Habré et Oueddei, nommé Gouvernement d’Union nationale de transition (GUNT). Pendant que les négociations se poursuivent au Nigeria pour intégrer les différentes factions, une première force neutre d’interposition africaine est déployée à N’Djamena.

C’est le début des forces d’interposition et des « soldats de la paix », aux mains pures mais sans mains. Signe du changement de paradigme, Valéry Giscard d’Estaing, a déjà accepté en 1978 d’engager un bataillon français sous casques bleus dans le cadre de Force intérimaire des Nations-Unies au Liban qui vient d’être créée au Liban. Mais alors que le président est simultanément accusé d’ingérence et d’inaction en Afrique, ce sont également des forces françaises, décollant de N’Djamena en septembre 1979, qui renversent le régime de l’empereur Bokassa 1er.

Toutes les forces neutres à N’Djamena, et parce qu’elles sont neutres, n’empêchent pas la reprise des combats en mars 1980, entre Goukouni Oueddei et Hissène Habré cette fois. La deuxième bataille de N’Djamena, très violente, s’étend à l’ensemble du pays. Paralysée, la France retire ses troupes en avril 1980, abandonnant le Tchad à son chaos. En deux ans, le sacrifice de 28 soldats français n’aura produit aucun résultat stratégique. C’est la première fois depuis la guerre d’Algérie que la France fait face à une situation stratégique chaotique à plusieurs camps, et c’est un échec. Malheureusement, ce ne sera pas le dernier. 

Le processus de décision politico-stratégique français s'avère incapable de faire face au problèmes complexes, autant les éviter ou au moins s'en retirer dès que l'on perçoit que l'on est en train de passer d'un problème stratégique à plus de deux corps. 

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