vendredi 27 octobre 2023

Prodromes d'acier

Modifié le 29-10-2023
Quelques considérations sommaires sur une opération terrestre.

Modelage de la force

On parle beaucoup de la mobilisation des réservistes, inédite depuis 1973, mais ce ne sont pas eux, à l’exception des renforts individuels des brigades d’active, qui porteront l’assaut sur Gaza. Les brigades de réserve servent surtout à tenir les autres fronts, tout en contribuant à dissuader d’autres adversaires potentiels. Certaines brigades interviendront sans doute à Gaza, peut-être en 2e échelon des brigades d’active afin de tenir le terrain conquis ou lorsqu’il s’agira de contrôler la zone, une fois la conquête terminée.

L’attaque sera donc portée à Gaza, comme en 2006, 2008, 2009 et 2014, par les brigades d’active, qui, faut-il le rappeler, ne sont pas professionnelles en Israël. Elles sont armées par des hommes (pas de femmes dans les unités de combat) qui effectuent 32 mois de service et plus pour certains cadres et spécialistes. C’est suffisant pour apprendre un métier, mais insuffisant pour acquérir de l’expérience. La moyenne d’âge d’un bataillon d’infanterie israélien doit être aux alentours de 21 ans, celle d’un régiment d’infanterie en France est peut-être de 30 ans, sinon plus. Cela fait une énorme différence. Un officier israélien me disait : « Ce que l’on vous envie, ce sont vos vieux caporaux-chefs et sergents. Ils ne vont pas forcément défourailler tous azimuts s’ils prennent des cailloux sur la tronche, alors que chez nous cela arrive ». C’est une des raisons pour laquelle les Israéliens préfèrent souvent utiliser les réservistes, plus pondérés, dans les missions de contrôle en Cisjordanie. Cela a pour inconvénient de « désentrainer » les unités de réserve, par ailleurs moins bien équipées que l’active, des missions de combat à grande échelle et haute-intensité (GE-HI) mais permet en revanche aux brigades d’active de s’y consacrer. Cela est par ailleurs nécessaire car cette armée de très jeunes a de l’énergie mais pas de mémoire. Les derniers combats GE-HI datent de 2014, à Gaza justement, et il n’y a plus aucun soldat et cadres subalternes qui y a participé, au contraire de nombreux combattants du Hamas. D’où la nécessité de s’entraîner et se réentraîner y compris dans les jours qui précèdent une opération offensive.

Tsahal peut compter sur 4 brigades blindées (BB) en comptant la 460e brigade « école » et 5 brigades d’infanterie blindée (BI). Ce sont plutôt des brigades de petites dimensions (guère plus de 2000 hommes) et monochromes avec seulement des bataillons (3 parfois 4) d’infanterie ou de chars de bataille. A la mobilisation, ces brigades sont complétées de quelques réservistes (compter 2 jours), puis déplacées sur la zone d’action, ce qui compte tenu du poids moyen énorme des véhicules de combat israéliens impose l’emploi de rares porte-chars et donc là aussi quelques délais même si le pays est petit.

Une fois réunies dans la zone d’action, les brigades se reconfigurent en sous-groupements tactiques interarmes, en jargon militaire français. En clair, elles forment des groupements tactiques (GT) de la taille d’une compagnie avec 100 à 200 hommes sur environ une vingtaine de véhicules blindés, avec un savant dosage de génie pour l’ouverture d’itinéraire et le déminage, de chars de bataille Merkava IV pour le tir au canon et d’infanterie blindée, autant que possible sur véhicules lourds Namer et Achzarit, ou sinon sur les plus vulnérables M113. En fonction des missions, ces GT peuvent recevoir le renfort d’équipes de guidage de tirs (artillerie, hélicoptères, drones et chasseurs-bombardiers), d’équipes de génie spécial Yahalom et du bataillon cynophile Oketz, notamment pour le combat souterrain. Ils peuvent recevoir aussi le renfort de sections de la 89e brigade commando qui réunit les bataillons Duvdevan (popularisé par la série Fauda), Maglan et Egoz, qui peuvent agir aussi en autonome, comme les unités « stratégiques » Matkal (Terre), 13 (Marine), 669 et Shaldag (Air), avec cette difficulté de la pénétration isolée dans l’espace urbain hostile de Gaza.

En résumé, Tsahal a réuni un échelon d’assaut environ 80-100 groupements tactiques de compositions diverses. Notons qu’alors que l’on décrit le rapport de forces Israel-Hamas de manière globale, avec notamment plus de 600 000 hommes et femmes côté Tsahal, cela ne fait au maximum que 20 000 soldats en premier échelon à l’assaut, soit à peu près autant que le nombre de combattants ennemis en face, une situation en fait habituelle dans le combat moderne. Le 3 hommes contre 1 décrit comme absolument nécessaire pour attaquer à un niveau tactique, disons jusqu'au niveau de la brigade, est un mythe. Ce qui est important n’est pas le nombre de soldats mais la masse et la précision de la puissance de feu en tir direct disponible ainsi que le niveau de compétence pour l'utiliser intelligemment. Plus le niveau tactique des unités de contact est élevé et plus le rapport de pertes est favorable et moins les civils sont touchés, ne serait-ce que parce que l'on ressent moins le besoin de compenser par l'appel à des appuis extérieurs destructeurs. Les pertes civiles ont commencé à monter en flèche lors de la bataille de Mossoul (2016-2017) lorsque l'excellente Division dorée irakienne, usée par les combats, a été remplacée par des unités de moindre niveau tactique et qui ont fait massivement appel aux frappes aériennes et à l'artillerie.  

Bien entendu, cet échelon d’assaut est appuyé par un puissant échelon d’artillerie, avec pour les seules trois brigades d’active deux fois plus de pièces que l’armée française avec une mention spéciale pour les mortiers, les plus utiles en combat urbain. Il y a également un échelon d’appui volant drones et d’hélicoptères, qui avec la portée de leurs armes n’ont même pas besoin de survoler Gaza pour prendre tout le territoire sous leur feu. Cet échelon aérien à surtout pour fonction d’interdire les toits, les hauteurs des bâtiments les plus élevés et parfois les grands axes à coups de missiles. Outre les missions autonomes sur des cibles d’opportunité dans la profondeur, obusiers et frappes aériennes servent à encager les zones 100 à 200 mètres au moins devant les troupes d’assaut. C’est une arme puissante mais à manier avec précaution, une seule erreur de frappe pouvant provoquer une catastrophe sur un groupement tactique en tir  fratricide mais aussi bien sûr sur la population.

Bien entendu également, en arrière des brigades d’assaut et d’artillerie, on trouve les « montagnes de fer » de la logistique avec tout ce qu’il faut pour alimenter la bataille pendant des semaines, avec cette difficulté de l’acheminement ou du repli, des blessés en particulier, en zone très hostile. Petit aparté : l’armée israélienne s’était organisée en bases de soutien zonales en 2006, ce qui c’était avéré catastrophique dans la guerre contre le Hezbollah, plus personne ne sachant qui soutenait qui dès lors que l’opération avait pris une certaine ampleur. Ils se sont réorganisés depuis de manière plus classique, c’est-à-dire organiquement, et plus intelligente.  

Phalanges et essaims

Un petit mot de la défense. On parle donc de 30 000 combattants pour le Hamas et les groupes alliés. On peut logiquement estimer à 20-25 000 le nombre de réels fantassins dans le lot, dont au moins 7 000 professionnels (beaucoup ont été perdus dans l’attaque du 7 octobre) et environ 15 000 « réservistes » miliciens. Ils sont plutôt bien équipés sur le modèle classique léger AK-RPG (7 et 29), avec un nombre inconnu de pièces collectives modernes : fusils de snipers lourds à grande portée, postes de tir de missiles et, surtout, mitrailleuses lourdes et canons-mitrailleurs de 23 mm.

Avec 25 000 fantassins pour défendre une frontière de 65 km, on a une densité de 300 à 400 hommes par km2 de frontière, ce qui est assez peu. La défense est donc zonale. Le secteur est découpé en six secteurs de brigade et eux-mêmes en quartiers de défense. Normalement un quartier de défense bien organisé est découpé en quatre espaces : les zones piégées et vides, les grands axes bourrés d’obstacles et de mines et dans l’axe de tirs d’armes à longue portée et de mortiers de 60 mm, des espaces de tir individuel dans les hauteurs –tireurs RPG pour tirer sur les toits des véhicules en haut, snipers un peu plus bas pour des tirs plus rasants et enfin des espaces de manœuvre. Ces espaces de manœuvre sont occupés par des sections de 10 à 30 hommes qui vont s’efforcer d’harceler autant qu’ils peuvent les Israéliens avant leur abordage des zones urbanisées avec des tirs lointains s’ils en ont les moyens, puis à l’intérieur des blocs en trois dimensions avec des caches, des passages à travers les murs ou les tunnels. On peut même des combattants-kamikazes isolés et cachés qui attendront, peut-être pendant des jours, de pouvoir attaquer des soldats israéliens. Tout cela, c’est un peu l’organisation optimale, à la manière de ce que faisaient les rebelles à Falloujah en Irak ou novembre 2003 (moins bien équipés que le Hamas) ou le Hezbollah à Bint Jbeil en juillet 2006, sans parler des combats de l’État islamique dans les villes d’Irak et de Syrie.

Point particulier : avoir quelques centaines de combattants par km2 dans des espaces d’une densité de plusieurs milliers d’habitants (9000 à Gaza-Ville) implique que, même si une grande partie des habitants ont fui, la plupart des gens que les soldats israéliens vont rencontrer dans leur espace de combat seront des civils totalement innocents ou sympathisants du Hamas ou encore des combattants masqués. C’est après les murs, le deuxième bouclier des combattants du Hamas, peut-être encore plus contraignant pour les Israéliens que le premier. À cet égard, si les choses sont bien faites, Tsahal devrait avoir prévu dans ses plans la manière dont elle va gérer, en fait aider, immédiatement cette population dans les zones conquises.

Le combat qui s’annonce sera donc, comme dans les expériences précédentes à Gaza et à plus grande échelle, ou dans les combats similaires à Nadjaf et Falloujah en Irak en 2004, un combat de phalanges contre des essaims. Seule l’expérience du siège de Sadr-City à Bagdad en 2008 pourrait constituer un autre modèle, à condition pour les Israéliens de vouloir in fine négocier et accepter la survie du Hamas, ce qui semble peu probable.

Pour l’instant Tsahal utilise ses groupements tactiques pour mener des raids aux abords. Le but est d’abord de tester l’ennemi, évaluer ses défenses et provoquer des tirs afin de détruire leurs auteurs, notamment les équipes de tir de missiles antichars. Secondairement, on prépare des itinéraires pour des engagements ultérieurs et on continue à poursuivre l’entraînement des troupes. On peut continuer ainsi un certain temps. Si les Israéliens ne font que cela, on sera effectivement sur le mode Sadr City ou même celui de la « tonte de gazon » des guerres précédentes contre le Hamas. Il n’est évidemment pas possible de casser le Hamas de cette façon, ce qui est le but stratégique affiché. Deuxième difficulté, Israël ne peut être en situation de mobilisation totale très longtemps car le pays est paralysé pendant ce temps. Le créneau GE-HI maximum est dont d’environ deux mois. Après il faudra passer à moyenne ou faible ampleur et faible intensité, au moins au sol, pour pouvoir durer à la manière de la guerre d’usure contre l’Égypte en 1969-1970, en espérant que cela ne débouche pas sur une extension du conflit (la guerre d’usure s’est terminée par une petite guerre entre Israël et l’URSS).

À un moment donné, peut-être après avoir eu la certitude qu’il n’y aura pas d’extension du conflit et peut-être épuisé toutes les possibilités de libération rapides d’otages, il faudra sans aucun doute lancer les 80 phalanges à l’assaut. Dans les guerres 1956 et 1967, les conquêtes de Gaza n’avaient pris qu’une journée face aux forces égyptiennes et à la division palestinienne. Cette fois, il faudra des jours et des semaines, mais sauf énorme surprise comme en juillet-août 2006 face au Hezbollah, les phalanges atteindront la mer. Ce sera néanmoins coûteux. Les combats similaires en 2014, limités à 3 kilomètres de la bordure et à une durée de trois semaines, avaient fait 66 morts parmi les soldats de Tsahal. Le « devis du sang » qui a dû être présenté par l’état-major à l’exécutif politique pour cette nouvelle opération doit être beaucoup plus élevé.

5 commentaires:

  1. En novembre 2001, l'alliance du Nord afghane alliée aux américains dû faire face à une révolte des prisonniers talibans dans la forteresse de Qala-i-Jangi. Après s'être emparés d'armes, les talibans qui ne se sont pas échappés de suite se sont retranchés dans les sous-sols de la forteresse pour résister à leurs geoliers.

    Une fois que les hommes de l'alliance du Nord ont repris le contrôle de la surface, plutôt que de lancer un assaut dans les souterrains, ils ont mis un tuyau d'arrosage à couler dans l'escalier d'accès. Les talibans qui ne sont pas morts de froid ou noyés se sont rendus en 48h.

    Les israéliens ont sans doute les moyens de mettre en place des pompes et des manches à incendie (ou autres tuyaux, ou faire des tranchées) de la Méditerranée vers les souterrains qu'ils trouveront. Nul besoin de les inonder jusqu'au plafond. Cette méthode peut désamorcer certains pièges simples, éviter d'avoir besoin de s'y engager, condamne les communications entre tunnels si il y a une porte (étanche) ou des dénivelés dans le parcours, révèle les sorties par les traces de pas mouillés, détruit les installations les plus profondes, condamne les plus obstinés à la noyade, l'étouffement ou la mort de froid.

    Bien que les tuyaux soient fragiles et deviendraient une cible évidente, cela pourrait éviter bien des pertes à Tsahal et transformerait pour le Hamas l'avantage tactique du "métro de Gaza" en inconvénient.

    Les points négatifs :
    - Le Hamas tuera les otages en les laissant probablement dans les tunnels inondés,
    - Les civils cachés n'y auront pas un sort beaucoup plus enviable,
    - La salinité de la nappe phréatique de Gaza, qui est déjà marquée, empirera.
    Mais ce ne sont pas des points négatifs militaires, seulement pour les politiciens après guerre, quand il faudra rendre des comptes.

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  2. Merci mon Colonel, toujours aussi pertinent et lucide, cela fait plaisir de vous lire, prenez soin de vous

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  3. Parfois, l'amour se cache dans les silences réconfortants, dans les étreintes qui apaisent, dans les regards qui transmettent plus que des mots.
    C'est trouver un refuge dans une présence, où l'on se sent en sécurité, écouté et compris.
    Ces âmes rares deviennent des havres de paix, des refuges où nos cœurs se sentent chez eux, loin des tourments du monde extérieur.
    Ils sont ces étoiles discrètes qui illuminent nos nuits les plus sombres, répandant une chaleur qui guérit et apaise.
    Ces êtres précieux nous rappellent que l'amour n'est pas seulement un sentiment, mais un état de sécurité, de réconfort et de bienveillance où nos âmes se sentent chez elles.

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  4. Bonjour Colonel Goya, j'habite le Canada (ville de Montréal) et j'écoute régulièrement vos commentaires sur le plateau de LCI. Il y a quelques minutes, vous avez répondu au message de Jacques Attali sur la seconde guerre mondiale, les camps de la mort où il faisait remarquer ironiquement qu'il aurait peut-être fallu cesser la guerre et les laisser fonctionner en voulant protéger les populations civiles. Vous avez répondu que le cas du conflit Israël-Hamas était différent puisque Israël avait encouragé le Hamas à se développer. Ne pourrait-on pas dire que la politique d'"appeasement" face à Hitler, politique appuyée par l'Angleterre et la France, a permis à l'Allemagne nazie de mieux se préparer à la guerre qu'elle allait bientôt déclarer? Si mon commentaire est valable, la différence que vous souligniez entre le conflit Israël-Hamas et la seconde guerre mondiale est moindre qu'il n'y paraît. Ne voyez pas un manque de respect dans mon commentaire, mais simplement un élément (valable ou non) de discussion.

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    1. Bonjour, l'énorme différence est que le Hamas et le Jihad islamique avaient déjà attaqué très souvent Israël avec des dizaines et des dizaines d'actes terroristes, dont de nombreuses attaques -suicide qui ont tué des centaines d'Israéliens. Les différentes gouvernements israéliens ont donc laissé une organisation terroriste hostile prendre le contrôle de Gaza et monter en puissance.

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