Billet invité
Conçu comme un « sport collectif de combat », le rugby constitue sans doute
l’activité sportive qui se rapproche le plus – par ses dimensions physiques,
mentales, tactiques et stratégiques – de l’activité guerrière en tant que
telle.
Toutefois, la notion de combat au rugby doit être
nuancée. D’abord, elle ne renvoie pas seulement à l’affrontement physique de
l'adversaire à grands coups d’épaule (l’équivalent du « choc » ou du « feu » dans un engagement
militaire), mais aussi à l’évitement, par des gestes techniques individuels ou
des mouvements collectifs visant à fixer la défense pour mieux la contourner.
Cette seconde dimension du combat rugbystique correspond grosso modo à ce qu’est la « manœuvre » dans les armées. L’autre limitation inhérente à la
notion de combat au rugby réside dans le fait que son niveau de violence n’a
rien à voir avec le combat guerrier. L’essence du métier des armes, c’est de
pouvoir donner la mort, dans un cadre qui rend cet acte légitime et légal. Rien
de tel évidemment au rugby. Version ritualisée, voire ludique, de la confrontation
physique entre deux groupes, le rugby n’en reste pas moins le sport collectif
dans lequel l’aptitude à mettre physiquement à mal l’adversaire, au point de
remettre en cause son intégrité physique, est la plus largement tolérée. De ce
point de vue, il appelle non seulement des qualités physiques, mais aussi des
vertus morales et des compétences tactiques qui ne sont pas étrangères à celles
du combattant.
Si le risque encouru est généralement faible, la très
grande majorité des blessures subies au rugby étant bégnines, certains
traumatismes peuvent être sévères. Parfois même, la mort est au rendez-vous :
l’année 2018 a ainsi défrayé la chronique en France, avec la mort de trois
joueurs à la suite de blessures graves. Il serait toutefois erroné de croire
qu’il s’agit là d’une tendance récente. Bien au contraire. En 1895, la
fédération anglaise enregistrait un total de 26 morts pour les matchs disputés
au cours des deux années précédentes. Le cousin américain du rugby, le football
américain, n’est pas en reste, puisqu’il accusait 19 morts pour la seule année
1905. Pour autant, il ne saurait être question de placer sur un même plan
l’affrontement sportif et la confrontation guerrière. La bulle de violence dans
laquelle s’engage le soldat qui monte au feu reste une expérience unique, dont
le caractère extrême va bien au-delà des sensations éprouvées lors des plus
âpres rencontres de rugby. Les mécanismes psychologiques et physiologiques à
l'œuvre relèvent cependant de la même logique, à savoir la gestion de la peur,
et c’est en ce sens qu’une analyse comparative des deux phénomènes peut être
menée.
Tant le soldat que le joueur de rugby doivent relever
un double défi, commun à toutes les formes d’affrontement physique. En effet,
ils font face tous deux à : 1) l’appréhension de ce qu’ils ne connaissent pas
ou ce qu’ils ne peuvent pas prévoir et 2) la nécessité de maîtriser leurs
émotions afin de se montrer à la hauteur et d’être efficace dans l'action. Au
rugby, le déclenchement de certains mécanismes générateurs d’angoisse répond
donc aux mêmes stimuli que lors d’actions de guerre.
Comme au combat, la mise en alerte de l’organisme se
fait nettement en amont de la rencontre elle-même. C’est la phase la plus
délicate à gérer, car elle conditionne l’efficacité ultérieure. L’avant-match
est comme l’attente de l’assaut, un moment d’incertitude où l'individu est
laissé seul face à lui-même. C’est durant cette phase que le joueur sera le
plus sensible à certaines formes de « guerre
psychologique », et ce d’autant plus qu’il sera inexpérimenté ou d’un
naturel émotif. Quand on est au vestiaire, à quelques minutes du coup d’envoi
d’un match à l’extérieur, et que les mille deux cents spectateurs en tribune se
mettent à taper des pieds en cadence, sur le rythme de « We Will Rock You » de Queen, les
vibrations qu’on ressent jusque dans les tréfonds du stade mettent en branle
quelque chose qui nous fait comprendre qu’il y a là dehors un truc pas tout à
fait normal et guère avenant, et qu’il va finalement falloir l’affronter. Ce
truc qui se met en branle, c'est l’amygdale cérébrale, alertée par les
informations sensorielles que lui transmet le cerveau. Augmentation du rythme
cardiaque et de la pression artérielle, dilatation des bronches et des pupilles
sont alors la première réponse de l’organisme.
A cet égard, il est intéressant de noter que la mise
en alerte de l’amygdale, qui conditionne la sensation de peur, peut atteindre
une forte intensité dans une situation qui n’est pourtant pas annonciatrice
d’un risque existentiel. C’est qu’il n’y a pas de corrélation exacte entre le
niveau réel du risque encouru – monter sur un terrain de rugby ou monter à
l’assaut de l’ennemi – et l’intensité de la réponse physiologique. C’est
important à savoir, dans la mesure où les méthodes permettant d’atténuer le
stress et de surmonter les limitations de la performance peuvent être
transférées – dans une certaine mesure – du rugby vers le combat armé, et
inversement.
Afin d’assurer l’efficacité individuelle et
collective, il importe donc de court-circuiter les effets déclenchés par
l'amygdale ou, à tout le moins, de les neutraliser. Si ces effets sont en soi
préparatoires d’un effort sportif ou d’un acte de survie, ils peuvent aussi
entraver celui-ci. En cas d’emballement, la coordination gestuelle devient
alors moins précise (compliquant des actes élémentaires tels que le tir ou la
passe), l’amplitude articulaire se réduit (synonyme de perte de puissance), les
muscles se raidissent (d’où la sensation de jambes de plomb), la vision
périphérique diminue (engendrant une « vision tunnel ») et les
capacités analytiques et décisionnelles ralentissent (du fait de l’augmentation
du rythme cardiaque). Au rugby, les troubles ressentis s’arrêtent généralement
là. Ils sont les éléments précurseurs de la défaite. Dans le combat armé, ils
peuvent aller beaucoup plus loin, jusqu’à la crise de tétanie et la paralysie
motrice et cognitive du combattant.
Pour faire face à l’objet de leur appréhension, le
soldat et le joueur de rugby disposent de moyens étonnamment proches. Ces
moyens sont faits de rituels et de gestes mécaniques qui visent en quelque
sorte à s’anesthésier l’esprit, afin de ne pas flancher quand la pression
monte. On vérifie son armement à de multiples reprises, on fait et on refait
les lacets de ses crampons. Pour surmonter le stress de l’attente, différentes
techniques de conditionnement psychologiques sont également mises à
contribution, de façon intuitive ou construite : visualisation positive
(« je vais faire ceci, puis cela »),
mémorisation (« je suis déjà passé
par là »), dissociation (« je
commande à mon corps, mais je ne l’habite pas »). Au sein d’une même
cellule tactique, on peut chercher à « se sécuriser » par quelques paroles rassurantes. Enfin,
l’auto-conditionnement par la mobilisation de la fibre patriotique et du sens
de l’honneur (« je le fais pour le
pays», « pour les miens »),
de même que la prière, font aussi partie de ces techniques, même au rugby.
La parole du chef est un autre outil traditionnel de
ralliement et de motivation des troupes. Au rugby, c’est le « discours du capitaine »,
généralement prononcé dans les vestiaires, avant de monter sur le terrain, qui
remplit cette fonction. Les ingrédients en sont souvent les mêmes que les
discours des grands chefs de guerre : il faut à la fois rassurer la troupe
et mobiliser ses ressources, afin de lui insuffler confiance et la désinhiber.
L’exercice ne nécessite pas forcément une maîtrise sans faille des arts
oratoires, mais il convient de respecter certains principes : d’abord, pour
convaincre, il faut être soi-même convaincu, ou feindre de l’être. Ensuite, il
faut évidemment parler le même langage que son auditoire, dans tous les sens du
terme. Enfin, il faut être sensible à la dimension culturelle de l’exercice,
car on ne s’adresse pas de la même manière à un combattant/joueur de rugby
français qu’à un britannique ou un sud-africain.
Dans sa Proclamation à l’armée d’Italie de mars 1796,
Napoléon fait par exemple un discours « à l’affectif », en venant titiller ses hommes sur le plan de
la fierté : « Soldats
d'Italie manqueriez-vous de courage ou de constance ? ». Ce
type discours, en l’espèce un copier-coller de celui qu’avait prononcé Hannibal
devant les troupes carthaginoises réunies au sommet d’un col alpin en -218 av
JC, est particulièrement prisé dans le rugby français. Sans doute joue-t-il sur
un registre auquel notre tempérament latin répond davantage. Il convient
cependant de ne pas en abuser : si la motivation par l’émotion donne
souvent des résultats immédiats probants, elle peut aussi démobiliser ou
épuiser le groupe lorsqu’on en abuse. D’une manière générale, ce genre de
discours est réservé aux grandes occasions (bataille décisive ou finale de
championnat).
L’autre marotte
française, en matière rugbystique du moins, c’est le discours « à la testostérone ». Dans le
domaine militaire, il est plutôt le propre des causes désespérées, lorsqu’on
est dos au mur et qu’on n’a plus rien à perdre. Il ne s’agit pas tant de
mobiliser ses hommes que de les transcender, afin de faire éventuellement
basculer un rapport de force franchement défavorable. Au rugby, on appelle ça
« se monter le bourrichon »
et c’est l’occasion d'employer toutes sortes d’expressions martiales: « ça va être la guerre », « on va mettre les barbelés », « on leur marchera sur la gueule »,
etc. Ce discours peut être très court, mais il doit être percutant et susciter
l’adhésion immédiate et sans faille du groupe. A la différence du « discours du capitaine », il peut
aussi être le fait d’un joueur expérimenté, sorte de vieux grognard qui en a vu
d’autres. Le « Haka »
néo-zélandais en est une expression.
A travers la
libération de testostérone dans l’organisme, ce discours de motivation va
réduire momentanément la sensation de douleur, accroître l'agressivité et décupler
l’énergie. Son danger en revanche, c’est qu’il réduit d’autant la lucidité des
joueurs et qu’il n’a qu’un effet limité dans le temps. Lorsque le XV de France
affronte les All Blacks à Nantes en 1986, c’est ce supplément d’agressivité qui
fait basculer le match, les Néo-Zélandais se montrant incapables de soutenir
l'intensité physique déployée par les avants français en combat rapproché. A
l’inverse, lors du France-Angleterre de 1991, les Français surjouent de ce
qu’ils considèrent comme une force. Face à des Anglais imperturbables, ils
finissent par craquer mentalement, héritent de deux cartons rouges et sont
piteusement défaits. Par certains aspects, la motivation « à la testostérone » s’apparente à
un dopage naturel et légal. Ses avantages et ses inconvénients sont proches,
toutes propositions gardées, de ce qui a pu être observé avec les amphétamines
utilisées lors de conflits armés: on pense par exemple au cas de la 24e
brigade blindée britannique engagée en 1942 à El Alamein, et qui fit preuve
d’une agressivité hors du commun pendant plusieurs jours, avant d’être
totalement annihilée dans les combats.
Une fois le coup d’envoi donné, le joueur de rugby ne
vit plus que dans « dans l’arène »,
un peu comme le soldat qui entre la « bulle
de violence » qu’est la bataille ou l’accrochage. On est physiquement
« au contact » de
l’adversaire. Si on se limite au seul combat d’infanterie, les gestes visant à
la mobilité sont sensiblement les mêmes dans ces deux espaces (marche,
course de soutien, sprint, poussée, chocs, saut et – parfois – lutte). A cela
s’ajoutent évidemment des gestes et des modes d’action spécifiques, qui
diffèrent sensiblement. Néanmoins, dans les deux cas, l’individu va vivre deux
phénomènes similaires : d’une part, une dilatation de la zone de danger
et, d’autre part, une contraction de la notion d’espace-temps. En fait, il
s’agit du même phénomène, perçu de deux points de vue différents. Ainsi, au
rugby, le porteur du ballon aura tendance à considérer un défenseur comme plus
menaçant qu’à l’entraînement, à distance pourtant égale. Il en va de même du
soldat, pour qui une route prise sous un feu nourri paraîtra soudainement
beaucoup plus large que quelques secondes auparavant. A cette dilatation de la
zone de danger répondra, dans l’esprit du joueur/soldat, une sensation de
contraction de l’espace/temps disponible pour décider et agir. La conjonction
de ces deux phénomènes est source de stress supplémentaire et va altérer
l’activité mentale (capacité d’analyse et de décision), la prise d’informations
(essentiellement la vision et l’ouïe), le fonctionnement kinesthétique
(activité corporelle) et la perceptivité (lucidité).
Dans les deux contextes, sportif et guerrier, les
modes d’adaptation et de réponse à ces problèmes sont encore une fois très
proches : conditionnement physique, expérience et compétences des acteurs,
cohésion du groupe et capacité de coordination constituent le socle de
l’efficacité tactique. L’acquisition de ces éléments nécessite – tant dans les
armées qu’en rugby – une période de formation et d’entraînement plus ou moins
longue, selon le niveau d’expertise recherché. C’est de leur mise en équation
que naît la performance, toujours en rapport avec un adversaire particulier et
dans un environnement spécifique : les mêmes acteurs d’exception ne brilleront
pas forcément autant, selon qu’ils affronteront les All Blacks ou les
Springboks à Auckland ou Johannesburg, ou qu’ils évolueront face à une unité
d’infanterie légère dans la jungle ou sous le feu roulant de l’artillerie.
Sur le plan analytique, la courbe de performance des
joueurs de rugby ne ressemble pas exactement à une courbe de Gauss, mais elle
reste cependant assez éloignée de la loi de puissance caractérisant
l’efficacité tactique des individus au combat : la montée aux extrêmes
qu’induit le risque de mort imminente ou de mutilation grave creuse évidemment
les écarts de comportement. En revanche, on rencontre le même type de profils
dans les deux cas, du simple figurant (le « touriste » ou « satellite »
en jargon rugbystique), jusqu’au héros (« homme du match »). L’efficacité collective ne repose
d’ailleurs pas tant sur les exploits de quelques super-combattants que sur
l'action cohérente et déterminée de plusieurs hommes clés (les « cadres » de l’équipe) : leur
efficacité n’est certes pas suffisante pour vaincre, mais elle est
indispensable, car elle conditionne la mise en action des autres membres de
l’équipe. On pense par exemple aux joueurs qui constituent « l’épine dorsale » (2-8-9-10-15),
regroupant des postes à forte spécialisation ou à larges compétences
décisionnelles. Ces cinq postes représentant le tiers de l’effectif de départ,
ce qui correspond à la proportion théorique des « cadres » au sein d’une section d’infanterie (13/39). Ces
joueurs sont généralement des « leaders
de jeu », c’est-à-dire qu’en plus de leurs tâches individuelles, ils
sont responsables d’une cellule tactique de 2-3 joueurs ayant une mission
particulière (l’équivalent d’une équipe anti-char ou d’un trinôme « tir de précision », par exemple).
En outre, les « cadres
» ou « leaders de jeu » se
distinguent aussi par leur rôle de catalyseur de la force et mentale du groupe.
Ils rassurent par leur expérience et tirent vers le haut la performance de
l’ensemble du groupe. Ce sont eux, souvent, qui vont permettre à l’équipe de
faire face à un imprévu et de s’y adapter, en analysant le problème, en
convenant d’une solution et en communiquant celle-ci à l’ensemble du collectif.
Les impératifs de jeu moderne ont d’ailleurs contraint les équipes à renforcer
encore davantage les niveaux de spécialisation, par la création non plus de
cellules génériques (comme les trois joueurs de première ligne ou la paire de
centres), mais de cellules ad hoc, qui se constituent en vue d’un mode d’action
spécifique, dicté par les conditions momentanées du combat : on y trouve
ainsi la « cellule de franchissement »
(leurre + franchiseur + accélérateur) ou la « cellule défensive » (bloqueur + plaqueur + gratteur).
Ce phénomène de spécialisation croissante n’est en rien
étranger à l’évolution observée dans les armées, où l’accélération de
l’innovation et l’évolution des doctrines de combat ont contraint les
états-majors à densifier et à diversifier les rôles dans les unités tactiques
de base. Le meilleur exemple est en la mutation qu’a subie la structure de la
section d’infanterie entre 1914 et 1918 : partie de ce que la terminologie
rugbystique qualifierait de « polyvalence/suppléance »
(les combattants sont armés de façon identique et réalisent les mêmes tâches),
elle s’est muée en un groupe d’hyper-spécialistes, composé de plusieurs groupes
de combat, ayant leurs « leaders »
propres, et au sein desquels chaque homme ou presque a un armement et une
mission spécifique.
Si l’on passe au crible de cette grille les performances
récentes du XV de France, on se rend compte très vite que l’efficacité tactique
des joueurs français n’est pas au rendez-vous. Or, a priori, il n’y a aucune
raison de penser que le rugby français produirait des joueurs plus couards ou
moins intelligents que le rugby anglais ou néo-zélandais. A la différence des
deux autres cependant, le rugby français a failli dans deux secteurs qui font
aussi la force et la capacité d'adaptation des armées : il a fait
l’impasse sur plusieurs innovations majeures et il s’est fossilisé dans sa
doctrine de jeu. Nous y viendrons dans un prochain billet.
Patrick
Juste pour le plaisir : la photo d'illustration représente Jean-Pierre Rives, capitaine du XV de France, lors d'un match contre la Roumanie au Parc des princes dans les années 70. Le match n'a sans doute rien laissé d'autre dans les mémoires que cette blessure de Rives, à l'arcade sourcillère me semblait-t-il (mais la photo semble plus évoquer le cuir chevelu). Après la pose d'un bandeau, qui n'a pas bien tenu, le médecin de l'équipe a encouragé JP Rives à sortir du terrain, allant jusqu'à le tirer par le bras. Rives s'est dégagé, a arraché le bandeau et regagné le centre du terrain en petites foulées. Ma mémoire d'enfant a conservé le rugissement de fierté qui a parcouru le stade. Cela a sans doute constitué un "encouragement testostérone" pour l'équipe de France ?
RépondreSupprimeril me semble que la blessure à l'arcade sourcillière était à un match France-Nouvelle Zélande à Aucland au début des années 80 : victoire de la France également !
SupprimerJe rentre en raisonnance avec vos propos. Ancien joueur de rugby, capitaine puis entraineur fédéral mais d'un autre côté ancien commando ayant connu l'épreuve du feu et maintenant en ESPT, j'éprouve à la lecture de votre article l'envie d'y associer mon expérience. Un combat comme un match, sont des environnements d'incertitudes voir de mort. Comme vous le dites, ils sont sujet à stress. Ce stress peut atteindre un haut niveau avant et pendant l'action et peut agir sur la motivation voir provoquer un état de sidération pour le joueur comme pour le combattant et donc nuire à l'action. Après une prise de conscience, j'ai intégré à la pratique du rugby des techniques d'optimisation du potentiel (TOP), version militaire. Ces techniques créaient un recentrage sur soi et une prise de distance par rapport à la situation stressante, qui autorisent lors de situations négatives à fortes émotions, à retrouver un relatif calme intérieur dont les effets revigorant sont porteurs d'effets positifs dans l'action. L'important, avec humilité, est de bien se connaitre individuellement pour pouvoir s'identifier en état de stress et collectivement savoir apprécier une situation porteuse de stress. Individuellement, s'identifier en état de stress permet de mettre en pratique des méthodes d'apaisement et donc s'assurer un gain de lucidité. Collectivement la confiance pour l'autre, associée à un "bon projet de jeu", qui laisse une part à l'initiative afin d'autoriser l'individu à poursuivre le mouvement et donc à conserver l'avantage, permet en état de stress identifié et maitrisé, de préserver les connexions neuronales et donc humaines. Le collectif s'en trouve ménagé. Les conditions sont donc plus optimales pour favoriser la prise de décision et potentiellement s'assurer le gain du "match". Dans une situation de combat, j'ai connu la sidération. Après l'avoir rapidement identifié et mis en œuvre une bonne respiration abdominale, j'ai pu retrouver mes esprits et revenir dans l'action. Les idées reçus et les jugements à l'emporte pièce doivent être évités car eux même génèrent du stress. Ce stress n'épargne personne, c'est une réaction physique normale en réponse à des évènements et le savoir renforce le côté "humain" du pratiquant comme de l'entraineur (chef). Mon ESPT m'aide dans cette analyse mais ne m'autorise plus à participer à l'action
RépondreSupprimerComme d’habitude sur ce site, cet article met en œuvre une grande culture et est très intéressant. Par ailleurs il est parfaitement écrit (au contraire des articles de Michel Goya, dont la lecture m’est de ce fait quelquefois un peu douloureuse malgré l’intérêt qu’à elle je prends).
RépondreSupprimerJ’écris ce qui suit pour vérifier que je comprends ce que je découvre grâce à vous.
En course à pied, les performances des individus sont en courbe de Gauss.
En résistance à une forme assez extrême de torture, les performances des individus seraient en loi de puissance : l’immense majorité a une résistance presque nulle (les différences entre ces individus qui seraient sensibles lors dans le cadre d’un simple interrogatoire un peu musclé sont écrasées par la violence : tous les individus de cette immense majorité cèdent tout de suite ou au bout de quelques secondes), mais quelques individus ont une résistance très supérieure à celle de l’immense majorité (ils résistent pendant des heures ou des jours). Il en serait de même à la guerre si l’entraînement était purement individuel et si le combat était une somme d’actions individuelles.
Mais, dans une section de combat ou au rugby, il n’y a pas des individus mais un groupe, et même un groupe formé de sous-groupes (les cellules tactiques) encadrés par les individus les plus capables. Si bien que les individus, dans un groupe qui fonctionne bien, ont des performances sensiblement égales
À condition, bien entendu, qu’ils aient les prérequis physiques : mettez un jeune homme moyen dans l’équipe de France de rugby, quelque entraînement auquel il se soumette il aura des performances sensiblement nulles : de même, mettez-le dans un commando devant accomplir des exploits physiques ; mais la capacité à accomplir les tâches en situation très éprouvante, elle, est égalisée au sein de la cellule tactique par l’entraînement (puis par le combat). En d’autres termes, alors que la bravoure est distribuée non pas même en courbe de Gauss mais en loi de puissance, dans une section d’infanterie, chacun est sensiblement aussi brave que tout le monde – et tout le monde est brave. La différence de bravoure entre les individus se retrouvant si l’épreuve devient exceptionnelle et/ou si les cellules tactiques sont détruites par le combat : auquel cas on devrait retrouver une distribution en loi de puissance.
Je reviens sur cette notion de loi de puissance, que j’ai découverte dans le texte ci-dessus…
RépondreSupprimerImaginons des élèves notés de 0 à 20, et que ce soit distribué en courbe de Gauss.
Imaginons maintenant qu’à ces notes on applique une loi de puissance :
y = a x (x puissance k).
Avec k = 2 et a = 1/20...
Note de l’élève auparavant noté 20 : 1/20 x (20 x 20) = 20.
Note de l’élève auparavant noté 15 : 1/20 x (15 x 15) = 11,25.
Note de l’élève auparavant noté 10 : 1/20 x (10 x 10) = 5.
Note de l’élève auparavant noté 5 : 1/20 x ( 5 x 5) = 1,25.
Note de l’élève auparavant noté 1 : 1/20 x ( 1 x 1) = 0,05.
On voit donc que tous les élèves ayant auparavant reçu moins de 20 voient leur note baisser. Et que la baisse est d’autant plus importante proportionnellement que la note de départ était basse. Maintenant la moitié des élèves ont de moins de 5.
En d’autres termes, on a « placé la barre très haut » : à 20. Et on a écrasé les notes d’autant plus qu’elles étaient plus éloignées de 20.
Eh bien, la situation extrêmement éprouvante est une situation qui « place la barre très haut ». Alors que la bravoure est distribuée en courbe de Gauss, la situation extrême écrase les performances d’autant plus qu’un sujet est plus éloigné d’être extrêmement brave.
Et l’entraînement en cellules tactiques vise à « placer la barre très bas », de sorte que tout le monde reçoit la même note. Son équivalent scolaire serait ceci : l’épreuve serait travaillée et retravaillée jusqu’à ce que tout le monde ait 20.
"Travaillée et retravaillée" jusqu'à la perfection d'ensemble.
SupprimerRessemble très fortement au drill, non?
Ou bien 'sueur vaut mieux que sang', ou bien '100 fois l'ouvrage sur le métier etc...'
Bref le drill ou l'entraînement individuel et collectif.
Les Romains le faisaient déjà -voir Suétone-, les Macédoniens aussi. Frédéric II l'a pratiqué à outrance.
Me semble que les Maths sont ici superflues...
« Me semble que les maths sont ici superflues. »
SupprimerEh bien, il me semble à moi qu’elles aident à voir ce qui se passe quand l’entraînement n’a pas abouti à « la perfection d’ensemble ».
Non pas : les performances des soldats sont variables et distribuées en courbe de Gauss, comme sont distribuées la plupart des choses en ce bas monde, et notamment, le courage.
Mais : elles tendent à être distribuées selon une loi de puissance.
Pourquoi l’entraînement compte beaucoup plus à l’armée qu’il ne compte, par exemple, au tennis ?
1° Une des meilleures façons d’apprendre, c’est de pratiquer. Donc on apprend beaucoup à jouer au tennis en jouant au tennis. Il en est évidemment de même à la guerre où une unité aguerrie tend à être très supérieure à une unité sans expérience.
Mais apprendre en pratiquant a en ce cas un coût particulièrement important…
2° Dans toute activité collective, l’entraînement (collectif) est d’un rendement particulièrement efficace. Un joueur de tennis qui depuis un an n’a pas joué et ne s’est pas entraîné peut être assez bon, tandis que des joueurs de rugby qui ensemble n’ont jamais joué et ne se sont jamais entraînés vont constituer une équipe faible. A fortiori une compagnie, un régiment, une division, une armée.
3° Jouer au tennis ou au rugby sont des activités assez naturelles. Exposer sa vie comme un soldat le fait à la guerre n’est pas naturel du tout, ce qui serait plutôt naturel, c’est fuir... Et c’est là que nous en venons à l’article de l’invité de Michel Goya… Que nous en venons à la loi de puissance, et à l’entraînement pour échapper à cette loi de puissance…
Encore faut-il avoir une volonté pour suivre son propre chemin.
RépondreSupprimerhttps://www.marianne.net/monde/michel-goya-nous-allons-partir-d-irak-la-queue-entre-les-jambes-cause-de-notre-suivisme-envers?utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1578480528
" Le rugby, c'est trente types qui courent après un sac de vent ". Antoine Blondin (1922-1991), écrivain et journaliste français passionné de rugby.
RépondreSupprimerBonne année 2020 à toutes et à tous !