Le changement
de dénomination du ministère redevenu, celui « des armées »,
c’est-à-dire celui de l’outil mais plus celui de l’emploi fut un indice plus
sérieux. Trois types de personnalités ont occupé traditionnellement ce poste :
les ambitieux frustrés, les fortes personnalités sans ambition présidentielle et
les purs techniciens. Avec le remplacement de Jean Yves Le Drian par Sylvie Goulard et
surtout Florence Parly, on glissait de la seconde à la troisième catégorie sans
le poids politique du premier mais sans non plus l’appétence et la connaissance
de la chose militaire qu’avait pu avoir un André Giraud dans les années 1980.
Surtout, la capacité de résistance de ministère se trouvait volontairement affaiblie.
S’il ne faut
pas négliger le chef d’état-major particulier ou le délégué général de
l’armement (DGA), qui vient de quitter ses fonctions sans avoir encore été
remplacé, le troisième personnage important du triangle plus ou moins amoureux
de la politique de défense est le chef d’état-major des armées (CEMA). Là
encore, on a connu plusieurs personnalités sur le poste : les
techniciens sans grands pouvoirs sous de Gaulle ou les opérationnels
aux pouvoirs successivement élargis par six décrets. Avec celui de 2009, le
CEMA, outre le commandement des opérations militaires, conseillait le
gouvernement, assurait les relations internationales militaires, définissait les
besoins des armées et en contrôlait la satisfaction. Il conduisait également les
travaux de planification et de programmation. Tant de pouvoirs effraya sans doute. Nicolas
Sarkozy contourna le problème d’un CEMA trop fort en nommant l’amiral Guillaud.
Avec François Hollande et au nom du « recentrage sur le cœur de métier »,
on dépouilla le CEMA de la plupart de ses prérogatives
qui furent confiées au ministre, un ami qui ne pouvait constituer un danger politique. Dans
ce cadre restreint, on pouvait donc nommer un homme de personnalité, ce qui fut
le cas avec le général Pierre de Villiers en 2014. Tant que la direction civile du ministère fut
forte (et écoutée du Président de la République), cela a permis au moins, dans
une alliance entre le CEMA et le ministre, de résister aux assauts réguliers de
Bercy. Rappelons l’épisode, qui paraît désormais si lointain, de mai 2014 lorsque
le ministre (oui, c'est incroyable), le CEMA et les trois chefs d’état-major d’armées menacèrent
ensemble de démissionner.
Le problème de
cette configuration est qu’elle dépendait trop de la personnalité de Le Drian
et de son chef de cabinet Cedric Lewandowski, ce dernier aussi peu apprécié des militaires que de Bercy. Lorsque
ceux-ci ont été écartés et remplacés par un poids plume politique, le CEMA s’est
retrouvé seul en ligne et avec des pouvoirs réduits. L’occasion était trop
belle alors que Bercy prédominait jusqu’au secrétariat-général de l’Elysée,
occupé par Alexis Kohler, ex-directeur de cabinet du ministère de l'économie et
ex-vaincu des affrontements précédents. L’assaut fut mené très vite, plaçant le
Président de la République, qui venait juste de reconduire le général de
Villiers pour un an en lui donnant des assurances, devant le choix de trahir le CEMA ou d’arbitrer en sa faveur. Il
a choisi de trahir sa parole et, c'est le plus surprenant, en ne
comprenant visiblement pas ce qui allait suivre.
Le général de
Villiers s’est toujours légitimement préoccupé des moyens qui lui étaient
accordés pour exécuter les missions dont il avait la responsabilité. Comme il
en a le droit (faut-il rappeler une nouvelle fois que l’autorisation préalable
à l’expression publique des militaires a été supprimée il y a douze ans ?)
et même parfois le devoir puisque le Code de discipline générale impose aux
militaires de « rendre compte immédiatement » lorsqu’ils constatent
que l’on n’a pas les moyens d’accomplir une mission, le général de Villiers s’est
exprimé plusieurs fois pour expliquer la situation déplorable dans laquelle se
trouvent les armées. Comme nous sommes au XXIe siècle et qu’il sait
qu'un rapport de forces est le meilleur moyen de faire pencher
un pouvoir politique, il a également utilisé les instruments d’influence à sa
disposition et qui ne se trouvent que dans l’espace du débat public.
Ajoutons par ailleurs que le général de Villiers a toujours clairement expliqué qu’il ne voulait pas être considéré comme le « fossoyeur des armées » et que, n’attendant rien au-delà de ce poste, on ne pouvait le tenir de cette façon. Il est toujours dangereux de trahir et d'humilier des gens qui n'ont rien à perdre.
Ajoutons par ailleurs que le général de Villiers a toujours clairement expliqué qu’il ne voulait pas être considéré comme le « fossoyeur des armées » et que, n’attendant rien au-delà de ce poste, on ne pouvait le tenir de cette façon. Il est toujours dangereux de trahir et d'humilier des gens qui n'ont rien à perdre.
Tout cela
était bien connu. On reste donc sidéré par la maladresse de la séquence qui a suivi.
La perspective
de la démission était donc évidente (et même sans doute annoncée) du moment que, contre toute promesse et
attente, on décidait d’accentuer encore la crise des armées. Elle le fut encore
plus lorsque l’humiliation s’est ajoutée à la trahison de la parole donnée. Difficile
de faire plus maladroit à l’égard des militaires que le discours d’Emmanuel
Macron le 13 juillet, démontrant qu’il ne suffit pas d’endosser une tenue
militaire pour comprendre ce que cela signifie concrètement. Entre l’affirmation
inutile d’autorité, l’humiliation du premier des soldats...devant des soldats et
l’ordre de fermer sa gueule tout manquait de classe et d'intelligence de situation. Ce n’est pas ensuite
l’affirmation des promesses sur le budget de l’an prochain qui a vraiment
arrangé les choses, en exposant à la fois qu’il n’y aurait pas d’augmentation
significative par rapport à celle prévue par la loi de programmation (encore
heureux que l’on applique la loi), que le prochain budget des opérations serait
à nouveau largement sous-provisionné (avec donc à la clé au milieu de 2018 le même psychodrame) et, qui plus est, que ce budget serait désormais
adossé à celui des armées, en contradiction donc avec le programme du candidat
Macron. Après la diminution du budget en cours, c’était donc un nouveau coup porté aux pieds des promesses de réinvestissement.
Dès lors, la
démission du général de Villiers était inévitable et les militaires ont
spontanément fait en sorte qu’elle soit le plus spectaculaire possible dans les médias. La
contre-offensive habituelle est venue, mélange un peu kitsch d’antimilitarisme,
d’évocation (si, si !) du putsch de 1961 et des « armes qui cèdent à
la toge » (comme si cela avait été la question à un seul moment), jouant
même la carte de « cause de la fachosphère » ou des « fonctionnaires
empêchant la France de se réformer ». Tout cela restait manquait quand même
de force et de cohérence, sinon évidemment d’intelligence. Cela a surtout suscité un
malaise parmi certains parlementaires (vous savez, ceux qui depuis l’origine
votent les budgets, et qui, pour cela, de temps en temps, auditionnent qui ils
veulent en leur demandant de parler librement), plus largement chez tous ceux
qui s’intéressent un minimum à notre armée et à sa situation y compris dans les
rangs de la majorité, et plus largement encore parmi tous ceux qui ne
comprendront décidément jamais pourquoi dans un monde plus dangereux il faut
absolument réduire les moyens des ministères qui assurent la sécurité des
Français.
Le discours du
Président à Istres, est resté finalement le même que celui du 13 juillet,
promesses inclues, l’hommage au général de Villiers remplaçant l’insulte à
peine voilée, mais avec l’ajout de la non acceptation des « discours de
défaite » (dont on ne sait pas très bien de quoi il s’agit). Malgré une
nouvelle parade en tenue et surtout la nomination d’un nouveau CEMA aux
brillants états de service, la confiance était clairement rompue et il faudra
beaucoup de temps et surtout d’actes concrets pour la renouer. Il faudra
d’autant plus de temps qu’une nouvelle charge, probablement la plus stupide de
toutes, est venue dès le lendemain avec l’interview de Christophe Castaner dans
Le Figaro, cherchant peut-être à transformer un fiasco en démonstration ratée d’autorité et en menace pour les éventuels haut-fonctionnaires rétifs. Les derniers sondages de popularité ne semblent pas montrer en tout cas que cela n'a pas été perçu comme tel.
Au bilan, une
séquence d’une incroyable maladresse et qui, au lieu de modernité cool, paraît
ramener les rapports entre le politique et les militaires des dizaines d’années
en arrière. Si, pour reprendre les propos d’Emmanuel Macron, c’est le « sens de
la réserve qui a tenu nos armées où elles sont aujourd'hui » (phrase un peu
étrange quand même), on voit effectivement où cela mène lorsqu’on ferme sa
gueule. A bientôt donc pour de nouveaux « discours de défaite ».