Bismarck-Roon-Moltke |
Par analogie avec les miracles économiques on peut parler de miracle militaire
lorsqu’une armée obtient soudain des résultats étonnants au regard de ses
performances passées ou des moyens limités dont elle dispose. On peut ranger
dans ces catégories l’armée suédoise de Gustave-Adolphe, l’armée de la Révolution française et
de l’Empire, l’armée prussienne au XIXe siècle, l’armée paraguayenne
dans la guerre du Chaco, l’armée israélienne des années 1950-1960, l’armée
égyptienne de 1967 à 1973 et quelques autres. Il y a dans ces exemples
certainement de quoi alimenter la réflexion sur la transformation des armées
françaises. Prenons le cas de l’armée prussienne, la plus modeste parmi les grandes nations
européennes en 1815 et première puissance militaire mondiale cinquante ans plus
tard.
Le
maître-mot de ce miracle est la confiance.
Confiance, un peu forcée et
encadrée mais réelle, dans le peuple, dont la Révolution
française a montré qu’il pouvait combattre courageusement. Puissance européenne
la plus pauvre et la moins peuplée (10 millions d’habitants contre 29 en France),
la Prusse ne
peut se permettre l’entretien d’une armée professionnelle et seule
parmi les nations européennes, elle maintient la conscription et le système de
la réserve (Landwehr). Avant la théorisation par Clausewitz, la Prusse a bien compris que la force d’une nation vient du peuple, qu’il s’agit donc d’associer autant que
possible aux affaires militaires.
Confiance
ensuite dans les officiers d’état-major. Ces techniciens sont d’abord formés pour être
les planificateurs de cet exercice complexe de regroupement, de transport et
d’équipement au plus vite de centaines de milliers d’hommes et de chevaux. Le
grand état-major devient le précurseur de la technostructure des grandes
sociétés. C’est La Main visible d’Alfred Chandler et le premier
moyen de réduire la friction clausewitzienne. Directement connectés à la
société, ces hommes comprennent très vite que dans le contexte de la Révolution
industrielle, les paramètres démographiques, sociologiques, économiques et
techniques évoluent sans cesse. Leur fonction s’élargit donc à la préparation
de la guerre dans un contexte de changement permanent. Pour cela et alors
qu’ils ne font pas la guerre ils
adoptent un processus d’apprentissage et d’innovation inspiré des sciences
expérimentales en plein développement. Les officiers d’état-major utilisent
un front virtuel et permanent fait d’exercices de simulation (jeux de guerre,
grandes manœuvres), de retour d’expérience des conflits du moment et d’analyse
de l’histoire pour tester et intégrer les innovations en tout genre (chemins de
fer, télégraphe, fusil à âme rayé, combat de tirailleur sur une ligne, etc.)
dans un système cohérent de mobilisation et d’emploi des forces. Comme des
scientifiques, ces officiers de tout
grade ont le devoir de proposer des idées nouvelles et de les confronter au
débat et à l’expérimentation.
Confiance
enfin dans les cadres de contact. Après le scientisme des officiers d’état-major,
l’autre manière de s’adapter à la friction de ces campagnes géantes et de faire
confiance aux officiers sur le terrain. Ceux-ci ont une grande liberté d’action pour accomplir la mission reçue, dans
le cadre d’une formation commune très poussée qui fait que chacun peut
anticiper ce que va faire le voisin. L’audace
et l’opportunisme sont des valeurs premières.
Le miracle
militaire prussien est avant tout une « révolution dans les affaires
humaines ». L’implication massive du peuple dans la chose militaire, la
liberté d’expression et de réflexion des officiers, la confiance dans le sens
du devoir et l’intelligence de tous sont les trois forces qui vont donner à
l’armée prussienne une supériorité écrasante sur toutes les armées de son
temps.
En considérant cet exemple comme toujours
pertinent, que faisons-nous pour replacer
la nation dans l’armée, pour produire
des idées neuves et instaurer la confiance et l’audace à tous les échelons ?
Le miracle prussien est à mon avis à mettre en relation avec la révolution industrielle prussienne.
RépondreSupprimerLà où certaines armées ont permis à l'économie de se développer (on pense bien sûr ici à l'Armée d'Italie de Bonaparte), la révolution industrielle a pû donner les moyens à l'armée prussienne de devenir un outil efficace.
Comme vous l'avez souligné, il existait un lien important entre les ingénieurs, scientifiques, industriels,...et l'armée.
Quels sont les conditions d'une telle efficacité dans cette coopération?
Je pense que l'on peut établir plusieurs points communs entre l'exemple prussien et les brigades Stryker évoquées précédemment:
-une politique d'armement efficace (production nationale, acquisition à l'étranger, ou hybride).
-une réelle réflexion sur l'intégration dans un système global des différents armements (ce qui implique un réel dialogue entre les militaires et leurs besoins et les industriels et leurs possibilités).
-une volonté forte de mener à bien la création de l'outil militaire souhaité.
Qu'en est-il en France?
@cher mr Goya
RépondreSupprimernous serions tres heureux d'un bon post concernant ,la theorie des cinq
cercles du colonel John A WARDEN III ,certainement le plus grand stratège de la guerre aerienne moderne,bien sur cette theorie renvoie
Clausewitz,Doolittle ,Lemay et Harris bomber au carnaval de Rio,mais
l'execution de cette theorie permet le limiter les pertes induite de l'element terrestre
Hello,
RépondreSupprimerMerci pour cet article. Je te rejoins dans l'idée de "révolution dans les affaires humaines" mais en prolongeant la boucle historique plus loin. Pour moi on ne peut expliquer l'armée prussienne de la fin du XIXe sans le choc incroyablement violent que fut pour ce pays la défaite de 1806. C'est en mettant la Prusse (et son armée) en "zone de mort" que Napoléon a paradoxalement créé les conditions de l'émergence de la puissance prussienne des années 1850-1870. La désagrégation d'une armée d'ancien régime trop sûre d'elle, se reposant exclusivement sur les conceptions frédériciennes de la guerre, avec un corps d'officiers supérieurs sans formation intellectuelle va ouvrir la voie (et surtout l'espace politique) nécessaire aux réformes pour en faire une machine de guerre plus qu’impressionnante (d'abord avec le couple Scharnhorst-Gneisenau puis avec Moltke-Roon). Bref ce n'est qu'en sortant (de la manière la plus brutale possible) de ses certitudes que l'armée prussienne est devenue une machine évolutive.
Belle analyse.
RépondreSupprimerOutre les facteurs "qualitatifs" pertinents évoqués ci-dessus je me permets de souligner l'importance de la dimension strictement démographique soutenant la logique des gros bataillons avec laquelle la Prusse est la première à renouer au milieu du siècle.
Certes la Prusse "historique" de 1815 n'est, vous le rappelez, qu'une puissance modeste ne comptant qu'une dizaine de millions d'âmes. Mais elle en comprend déjà à elle seule le double au moment de la guerre des Duchés et en 1870, si l'on prend l'ensemble des états allemands de la CAN (Saxe, Hesse...) ou des alliés du Sud (Bavière, Bade, Wurtemberg) dont l'intégration militaire est, si ce n'est totale, au moins très avancée, les populations sont "globalement comparables"; surtout, le dynamisme démographique - donc les jeunes classes - est déjà à l'avantage de l'Allemagne.
On assiste donc à cet égard tout au long du XIX à un renversement progressif des équilibres démographique qui sous-tend la montée en puissance du militarisme prussien, facteur certes insuffisant mais nécessaire pour expliquer le "miracle" qui ne prendra paradoxalement toute sa dimension qu'en 1914.
A titre indicatif et pour alimenter la réflexion, quelques chiffres : http://www.tacitus.nu/historical-atlas/population/germany.htm