dimanche 10 juin 2012

BH-Le régiment interarmes vu par un marin, par François Narolles


Je ne peux m'empêcher de comparer la logique de régiment interarmes avec la situation existant dans ma boutique :

Imaginons une marine où nous aurions un "régiment" de mécaniciens navals à Brest, un à Toulon, chacun comportant des "compagnies" de "pompiers marins", de mécaniciens, d'électriciens et d'experts logistiques. Dans ces deux mêmes ports, nous aurions les mêmes structures pour les spécialistes des opérations, avec des compagnies de commandement, des batteries d'artilleurs, de détecteurs, de détecteurs anti-sous-marins, de navigateurs timoniers, etc. A quai, l'industriel qui aurait gagné le contrat d'entretien du bâtiment garderait les bateaux prêts à partir selon un contrat de disponibilité négocié.

Nous aurions alors une structure proche de l'état actuel de l'armée de terre. Lors d'une opération ou d'un exercice, un ensemble humain comprenant toutes les spécialités serait créé en puisant dans les structures organiques, affecté sur un bâtiment, et envoyé s'entraîner avant d'être déployé.

Cette présentation pourrait sembler totalement inepte pour un marin. Sauf que si on y regarde à deux fois, on se rend compte que la marine nationale n'est pas si éloignée de ce mode de fonctionnement. Nous avons effectivement ces dernières années externalisé le maintien en condition opérationnelle de nos bâtiments, selon plusieurs niveaux techniques d'intervention, en panachant l'intervention interne, "l'externalisation interne" et les industriels, nous utilisons déjà des "pools" de spécialistes dans de nombreuses spécialités (santé, météo, moniteurs de sport, mais aussi aéronavale, fusiliers et commandos, etc), avec des spécialistes qui embarquent avec ou sans leur matériel pour telle ou telle mission, et nous avons organisé nos cycles opérationnels en phases de permission, puis de formation, puis entrainement d'abord individuel puis collectif, avant projection.

Néanmoins nous avons toujours souhaité utiliser un vocabulaire bizarre. Adapté, en fait. Ce groupe d'êtres humains, noyau multispécialiste permanent qui dort, mange, vit, pense et bosse 365 jours par an sur le même bateau, on appelle ça un équipage. Et ce n'est pas un noyau précurseur, c'est le principal élément du groupe qui partira réellement en mission. Sans statistique en la matière (qui serait d'ailleurs intéressante), je pense qu'on peut parler de 90% de l'équipage d'une mission qui fait partie de façon permanente de l'équipage de l'unité.

Pourquoi ?

Parce que s'il est difficile de savoir parfaitement utiliser un char de 50 tonnes, un canon de 155mm ou un système Félin, c'est un tout autre challenge de manœuvrer un char flottant de 6000 tonnes, dans un environnement naturellement hostile, coupé de tout soutien terrestre. Donc il faut s'y préparer en permanence, en connaissant parfaitement son outil de travail. Notre bateau, c'est notre famas. On dort avec, on mange avec, on tire avec. A titre d’exemple, tous ceux qui ont une expérience embarquée pourront se rendre compte de l'importance des exercices sécurité : chaque marin est avant tout pompier, et notre ennemi, c'est le feu. En conséquence, chaque marin doit, au bout de quelques semaines, connaître son rôle, les matériaux dangereux stockés dans chacune des pièces du bateau, la position de tous les extincteurs, des bouches, manches et lances incendie, des vannes, pompes, et collecteurs, etc.  Ce niveau de compétence demande un entrainement permanent, sur l’unité avec laquelle il sera réellement déployé.

Il faut ajouter que dans la marine, les affectations de tout le personnel sont courtes, les changements de port fréquents, et les changements de type de bâtiment (et donc de taille, d’organisation, de doctrine) permanents au cours d’une carrière. L’adaptabilité n’est pas une incantation, et nous n’avons pas « d’enfants du 3 », de caporaux-chefs « nés à la compagnie », ni autres abonnés à tel ou tel bâtiment, hors spécialités exotiques pour lesquels nous n’avons qu’un seul bâtiment. De plus, nos régiments à nous sont de toute façon ferraillés après entre 30 et 50 ans d’existence, cela intervenant donc régulièrement dans nos carrières.

Ainsi donc nous avons nos structures spécialisées, nos « pooling and sharing », et nos GTIA préformés. La question n’est pas de savoir si l’armée de terre ou la marine doivent ou non être totalement regroupés par fonction ou totalement prêts au combat, puisque ni un extrême ni l’autre n’est aujourd’hui envisageable. L’un est trop coûteux, l’autre est trop inefficace. Tout est donc question de curseur, d’ajustement et de dosage. Mais en la matière, les marges de manœuvres sont grandes dans l’armée de terre, à budget constant. Et si on passait la scolarité à l’école de guerre à un an et demi, en ajoutant un stage de six mois dans une unité opérationnelle de la boutique d’en face, non pas pour en faire des officiers interarmée (surtout pas), mais pour faire germer en eux le goût de la différence, de la pensée hors du cadre, bref faire d’eux des être s’étonnant ? La première expérience de l’étonnement que pourrait avoir nos officiers terriens en embarquant, c’est de se rendre compte que tout le monde porte le même uniforme, et que le commandant d’un bâtiment de surface peut être un surfacier, un sous-marinier, un aéro ou un commando. De quoi expédier en une ligne la question des commandements de régiment, non ?

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