Je ne peux m'empêcher de comparer la logique de
régiment interarmes avec la situation existant dans ma boutique :
Imaginons une marine où nous aurions un
"régiment" de mécaniciens navals à Brest, un à Toulon, chacun
comportant des "compagnies" de "pompiers marins", de
mécaniciens, d'électriciens et d'experts logistiques. Dans ces deux mêmes
ports, nous aurions les mêmes structures pour les spécialistes des opérations,
avec des compagnies de commandement, des batteries d'artilleurs, de détecteurs,
de détecteurs anti-sous-marins, de navigateurs timoniers, etc. A quai,
l'industriel qui aurait gagné le contrat d'entretien du bâtiment garderait les
bateaux prêts à partir selon un contrat de disponibilité négocié.
Nous aurions alors une structure proche de
l'état actuel de l'armée de terre. Lors d'une opération ou d'un exercice, un
ensemble humain comprenant toutes les spécialités serait créé en puisant dans
les structures organiques, affecté sur un bâtiment, et envoyé s'entraîner avant
d'être déployé.
Cette présentation pourrait sembler totalement
inepte pour un marin. Sauf que si on y regarde à deux fois, on se rend compte
que la marine nationale n'est pas si éloignée de ce mode de fonctionnement.
Nous avons effectivement ces dernières années externalisé le maintien en
condition opérationnelle de nos bâtiments, selon plusieurs niveaux techniques
d'intervention, en panachant l'intervention interne, "l'externalisation
interne" et les industriels, nous utilisons déjà des "pools" de
spécialistes dans de nombreuses spécialités (santé, météo, moniteurs de sport,
mais aussi aéronavale, fusiliers et commandos, etc), avec des spécialistes qui
embarquent avec ou sans leur matériel pour telle ou telle mission, et nous
avons organisé nos cycles opérationnels en phases de permission, puis de
formation, puis entrainement d'abord individuel puis collectif, avant
projection.
Néanmoins nous avons toujours souhaité utiliser
un vocabulaire bizarre. Adapté, en fait. Ce groupe d'êtres humains, noyau
multispécialiste permanent qui dort, mange, vit, pense et bosse 365 jours par
an sur le même bateau, on appelle ça un équipage. Et ce n'est pas un noyau
précurseur, c'est le principal élément du groupe qui partira réellement en
mission. Sans statistique en la matière (qui serait d'ailleurs intéressante),
je pense qu'on peut parler de 90% de l'équipage d'une mission qui fait partie
de façon permanente de l'équipage de l'unité.
Pourquoi ?
Parce que s'il est difficile de savoir
parfaitement utiliser un char de 50 tonnes, un canon de 155mm ou un système
Félin, c'est un tout autre challenge de manœuvrer un char flottant de 6000
tonnes, dans un environnement naturellement hostile, coupé de tout soutien
terrestre. Donc il faut s'y préparer en permanence, en connaissant parfaitement
son outil de travail. Notre bateau, c'est notre famas. On dort avec, on mange
avec, on tire avec. A titre d’exemple, tous ceux qui ont une expérience
embarquée pourront se rendre compte de l'importance des exercices sécurité :
chaque marin est avant tout pompier, et notre ennemi, c'est le feu. En
conséquence, chaque marin doit, au bout de quelques semaines, connaître son
rôle, les matériaux dangereux stockés dans chacune des pièces du bateau, la
position de tous les extincteurs, des bouches, manches et lances incendie, des
vannes, pompes, et collecteurs, etc. Ce
niveau de compétence demande un entrainement permanent, sur l’unité avec
laquelle il sera réellement déployé.
Il faut ajouter que dans la marine, les
affectations de tout le personnel sont courtes, les changements de port
fréquents, et les changements de type de bâtiment (et donc de taille,
d’organisation, de doctrine) permanents au cours d’une carrière. L’adaptabilité
n’est pas une incantation, et nous n’avons pas « d’enfants du 3 », de
caporaux-chefs « nés à la compagnie », ni autres abonnés à tel ou tel bâtiment,
hors spécialités exotiques pour lesquels nous n’avons qu’un seul bâtiment. De
plus, nos régiments à nous sont de toute façon ferraillés après entre 30 et 50
ans d’existence, cela intervenant donc régulièrement dans nos carrières.
Ainsi donc nous avons nos structures
spécialisées, nos « pooling and sharing », et nos GTIA préformés. La question
n’est pas de savoir si l’armée de terre ou la marine doivent ou non être
totalement regroupés par fonction ou totalement prêts au combat, puisque ni un
extrême ni l’autre n’est aujourd’hui envisageable. L’un est trop coûteux,
l’autre est trop inefficace. Tout est donc question de curseur, d’ajustement et
de dosage. Mais en la matière, les marges de manœuvres sont grandes dans
l’armée de terre, à budget constant. Et si on passait la scolarité à l’école de
guerre à un an et demi, en ajoutant un stage de six mois dans une unité
opérationnelle de la boutique d’en face, non pas pour en faire des officiers
interarmée (surtout pas), mais pour faire germer en eux le goût de la
différence, de la pensée hors du cadre, bref faire d’eux des être s’étonnant ?
La première expérience de l’étonnement que pourrait avoir nos officiers
terriens en embarquant, c’est de se rendre compte que tout le monde porte le
même uniforme, et que le commandant d’un bâtiment de surface peut être un
surfacier, un sous-marinier, un aéro ou un commando. De quoi expédier en une
ligne la question des commandements de régiment, non ?
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