mercredi 19 mai 2021

Une brève histoire des snipers-3e partie : Tueurs fantômes et anges gardiens

Dans les conflits d’après-guerre, les guerres entre États deviennent rares et les combats y sont généralement brefs et mobiles. Les tireurs y ont donc un rôle mineur. Lorsque les combats se figent parfois, on les voit revenir, en Corée à partir de 1951, les tireurs d’élite refont leur apparition. Avec 214 victoires revendiquées, c’est pour la première fois un soldat chinois, Zhang Taofang, qui s’avère le meilleur tireur du conflit.

Les conflits de contre-insurrection de la décolonisation ou de la période d’après changent la donne. Ces combats, longs, fragmentés et où l’infanterie a le premier rôle redonnent de l’importance aux snipers. Si les groupes armés non étatiques disposent encore rarement d’armes modernes, les armées occidentales, et notamment l’armée française, se dotent enfin de manière permanente de tireurs d’élite. L’armée française qui ne pratique toujours pas le combat autonome des tireurs d’élite, en place dans chaque section d’infanterie, et même un temps dans chaque groupe de combat d’une dizaine d’hommes.

Ces tireurs sont d’abord équipés d’une version du fusil réglementaire MAS 49/56 avec lunette, puis, à partir de 1966, du FR-F1, avec lunette de visée et bipied, lui-même modifié en calibre 7,62 en 1989 (FR-F2) qui va être conservé pendant trente ans. Pour la première fois, l’armée française se dote massivement d’une arme de précision de grande qualité utilisée aussi par les forces d’intervention de la police et de la gendarmerie qui se mettent en place pour faire face à des situations à la fois violentes et délicates. Le 4 février 1976, à Loyada à Djibouti, encore territoire français, une équipe de tireurs d’élite du GIGN abat simultanément à 180 mètres cinq des sept hommes qui avaient pris en otage un bus scolaire rempli d’enfants, le tir est suivi d’un assaut victorieux du GIGN et du 2e REP qui fait 22 morts au total chez les ravisseurs et les soldats somaliens qui les soutiennent.

Les Américains font le même constat durant la guerre du Vietnam où ils renouent aussi avec l’emploi des tireurs-chasseurs. On y fait le constat que face à un adversaire comme la guérilla Viet-Vong ou l’infanterie légère nord-vietnamienne, il faut en moyenne 10000 cartouches pour abattre un homme, là où 3,5 suffisent en moyenne à des snipers. Plusieurs As s’y distinguent comme Charles Mawhinney, un chasseur de l’Oregon devenu Marine, avec 103 victoires officielles et surtout le sergent Carlos Hathcock, policier militaire rattaché ensuite à la section de snipers de la 1ère division de Marines également, crédités de 93 victoires (mais de 300 probables) et longtemps détenteur du record de distance, avec un coup au but à 2250 m en utilisant une mitrailleuse de 12,7 mm tirant au coup par coup. Hathcok fait beaucoup par la suite pour maintenir ce savoir-faire au sein du Corps des Marines après la guerre. Contrairement aux conflits précédents et à l’image des autres armées occidentales, l’US Army et le Corps des Marines, maintiennent les tireurs de précision, en les conservant cependant dans des unités autonomes. 

Les Soviétiques adoptent en 1963 le fusil de précision SVD (Snaïperskaïa Vintovka Dragounova) Dragunov, produit à des centaines de milliers d’exemplaires pour équiper d’abord les tireurs des sections d’infanterie puis, à l’instar du fusil d’assaut AK-47 et du lance-roquettes RPG-7, armer de nombreux mouvements de guérilla dans le monde. À la fois, rustique, simple d’emploi et efficace, le SVD Dragunov, avec ses variantes et copies, est le premier fusil de précision moderne de masse. Il contribue à changer le visage des conflits à partir des années 1970 en se diffusant dans les groupes armés non-étatiques.

Au cœur des guerres civiles et au sein de forces souvent légères, le partisan-sniper devient une figure importante surtout dans un contexte urbain. Outre son rôle traditionnel dans les combats, le tireur d’élite est aussi de plus en plus un instrument de terreur en prenant la population civile ennemie pour cible. C’est déjà le cas dans la guerre civile libanaise qui débute en 1975, en particulier à Beyrouth. C’est surtout, le cas lors de la guerre en Bosnie et en particulier durant le siège de Sarajevo de 1992 à 1996 où l’artère centrale de la ville, sous le feu des tireurs d’un quartier occupé par les Bosno-Serbes, est baptisée officieusement «avenue des snipers». Environ 1300 civils y sont ainsi touchés par ces tireurs. Le sniper permet ainsi de tuer massivement, mais de manière suffisamment fragmentée pour conserver la pression sur la population sans provoquer pour autant les mêmes réactions internationales que lors d’un massacre soudain. Pour les mêmes raisons, le tireur d’élite se révèle aussi un excellent instrument de pression contre les forces extérieures, surtout depuis que les opinions publiques sont devenues beaucoup plus sensibles aux pertes. Dans un contexte favorable, essentiellement urbain, un seul sniper comme Vassili Zaïtsev et son équipe pourrait vaincre un contingent de Casques bleus. Très discret, le sniper maintient l’ambiguïté sur l’origine de la menace et rend difficile toute riposte, surtout si les règles d’engagement sont restrictives.

Ces expériences urbaines ont poussé les armées occidentales à se doter de nouvelles armes pour faire face à cette menace. En 1986, le Corps des Marines adopte le Barrett M82, version militaire d’un fusil en calibre 12,7 mm utilisé pour le tir sportif à grande distance, alors en vogue aux États-Unis. Les Marines en font un usage intensif lors de la première guerre du Golfe en 1991 pour détruire à distance des engins explosifs ou, à la manière des SAS dans le désert libyen en 1942, des matériels irakiens. L’arme est même employée dans la traque des missiles Scud. Ce type d’arme, qui permet de tirer au plus du double des armes en 7,62 mm avec une capacité de perforation et même d’explosion, se répand ensuite très vite. La France les utilise pour la première fois à Sarajevo à partir de 1992 pour lutter contre les snipers. Une nouvelle spécialité de snipers, dits «lourds», apparaît alors. En France, ils ont seuls le titre de tireurs d’élite.

Ces nouvelles armes sont utilisées par les forces de la coalition combattant en Afghanistan, en jouant surtout cette fois de leur capacité à tirer loin dans de grands espaces, dans une nouvelle course quasi-sportive au record. Quatre tireurs, deux Canadiens, un Britannique et un Australien, y ont réussi des tirs au-delà de 2300 m. Le record, détenu par un Australien anonyme (l’Australie, comme la France ne met pas avant ses tireurs) est de 2815 m. Les Français de la brigade La Fayette et des Forces spéciales en font un grand usage. A grande distance, une balle a une durée de vol de plusieurs secondes et s’élève de plusieurs mètres avant de descendre sur sa cible. La technicité est telle, connaissance du vent, des mouvements de la cible, estimation des distances, etc. qu’il s’agit d’un travail d’équipe où les calculs sont aussi importants que l’habileté au tir. Les groupes armés, comme le Hezbollah ou le Hamas, ont cherché à leur tour à se doter de telles capacités. Le Hamas aurait ainsi utilisé des fusils Steyr de calibre 12,7 mm pour tirer au-delà des défenses israéliennes autour de la bande de Gaza.

Pour l’instant, ces fusils lourds qui ne sont pas efficaces en deçà de 500 m n’ont pas supplanté les tireurs d’élite classiques. Ceux-ci n’ont jamais été en fait autant employés dans les opérations modernes, au milieu de populations qu’il faut préserver autant que possible. Lors de l’engagement d’un détachement français au cœur de Mogadiscio le 17 juin 1993, la grande majorité des pertes ennemies, estimées à une cinquantaine, est le fait de la dizaine de tireurs d’élite présents ce jour-là parmi 200 soldats français engagés. Les forces américaines engagées en Irak en ont fait également un grand emploi de 2003 à 2007. De septembre 2005 à janvier 2006, une section de dix tireurs américains de la 3e division d’infanterie a pris sous ses feux sur une partie de la ville de Ramadi, à partir d’un bâtiment central, tuant plus de 200 combattants rebelles. Le Navy Seal Chris Kyle, qui a également combattu à Ramadi, est crédité de 40 victoires pour la seule bataille de Falloujah en novembre-décembre 2004, soit le quart de ces victoires totales.

L’Irak est aussi le théâtre où apparaissent les premiers As rebelles. Les plus célèbres sont Mohammed, tué finalement par Chris Kyle en combat rapproché au cours d’une embuscade, ou Juba, le «sniper de Bagdad», sans doute le premier sniper (ou sans doute, groupe de snipers) à avoir fait l’objet d’un accompagnement médiatique sur les réseaux sociaux. Les duels ont cependant été rares entre eux, le plus spectaculaire a cependant eu lieu le 27 septembre 2005 lorsque le sergent américain Jim Gilliland a tué à 1250 m, avec un fusil en 7,62 mm, un sniper rebelle posté dans un bâtiment de Ramadi.

Toutes ces opérations face à des groupes armés ont fait aussi apparaître aussi un nouveau besoin à l’autre bout du spectre du sniper lourd : celui de discriminer à courte distance au cœur de la population entre les combattants ennemis et les civils. Dans ce contexte, les fusils à lunettes à fort grossissement, destinés au tir lointain sont plutôt désavantagés puisque jusqu’à 200 m environ, un homme qui se déplace sort très vite du champ de vision d’une lunette de tir. On utilise donc plutôt dans ces cas-là des fusils d’assaut munis de système de visée à courte distance, comme un faisceau ou un point laser. Les Anglo-saxons ont repris le vieux terme de Sharpshooter pour cette nouvelle fonction.

En proportion du nombre de combattants actuels, les tireurs d’élite n’ont jamais été aussi nombreux, car jamais aussi utiles. Paradoxalement, cette priorité et les recherches en cours qui en découlent risquent d’en ôter le caractère élitiste. Le développement de l’optronique et de l’aide à la visée, permettront d’intégrer sous peu en une seule lunette des éléments qui nécessitaient jusque-là une appréhension intuitive après un long entraînement. Un programme américain expérimente maintenant des munitions de gros calibre dotées de guidages internes en temps réel, utilisant des capteurs optiques pour déterminer les mouvements de la cible et déployant ensuite des ailettes pour se diriger vers elle. Le temps n’est pas loin sans doute non plus où des systèmes de contrôle de tir permettront de tirer à la place du tireur, une fois tous les paramètres conformes. Dans la mesure, où il suffira de faire l’acquisition de l’objectif, les dernières qualités demandées au tireur seront le camouflage et l’absence de remords à tuer.  

mardi 18 mai 2021

Une brève histoire des snipers-2e partie : Les chasseurs industriels.

Lorsque la Grande Guerre commence, seuls les Allemands qui bénéficient de leur industrie optique et d’un budget d’équipement important, partent avec plusieurs milliers d’armes réquisitionnées de «grande chasse» avec lunette de visée. Ces armes qui sont données en «surdotation» dans les unités d’infanterie ont un rôle modeste durant la guerre de mouvement où leur effet se noie dans la puissance de feu déployée. On remarque pourtant du côté allié que les officiers sont particulièrement visés et on découvre ensuite des carnets allemands spécialisés décrivant des méthodes d’identification des officiers. Ni les Français ni les Britanniques, qui ne pratiquent par la chasse au gros gibier et considèrent le tir à la lunette comme peu loyal, ne font de même.

Les choses changent avec l’apparition des lignes de tranchées à la fin de 1914. Le premier tireur d’élite français connu est sans doute l’adjudant Lovichi, qui prend l’habitude de se poster dans le no man’s land entre les lignes et d’y attendre pendant des heures pour abattre un Allemand puis ceux qui tentent de le secourir. Tireur de compétition avant-guerre, il est parti avec son arme de concours sur la crosse de laquelle il prend l’habitude de marquer des encoches à chaque victoire. Comme le commandement lui demande de prouver celles-ci, il doit, en plus, organiser des raids pour aller chercher les cadavres de ses victimes. Il est tué au bout de quelques mois, mais il suscite beaucoup d’émules. Le commandement français, qui n’aime pas ces combattants isolés et incontrôlés, encadre et limite vite ce qu’on appelle alors le «service d’embuscade».

Les Allemands lui donnent au contraire une grande extension. Ils recrutent même discrètement 2000 Finlandais pour effectuer cette mission face à l’armée russe et par grand froid. C’est néanmoins surtout sur le front ouest, où ils sont plutôt sur la défensive, qu’ils développent ce type de combat. A partir de 1916, ils remplacent les armes de chasse, assez fragiles dans un environnement de guerre et n’utilisant pas le calibre standard, par des fusils en dotation Gewehr 98 auxquels ils ajoutent différents modèles de lunettes grossissantes (de 2,5 à 3 fois). On crée aussi pour eux un environnement spécifique, plaques de blindage avec meurtrières, abris factices, faux arbres ou faux cadavres de chevaux placés dans le no man’s land. Plus que les pertes ennemies, le but principal recherché est de maintenir une pression constante sur des unités adverses, qui jugent souvent cela à la fois déloyal et d’une violence inutile hors des batailles. Le sniping provoque donc presque toujours de fortes réactions, comme des tirs d’artillerie de représailles.

Par imitation et parce que les snipers peuvent faire de bons anti-snipers, les Alliés, à l’exception des Russes, finissent quand même par développer aussi leurs propres spécialistes, avec des fortunes diverses.

Le premier problème est technique, les Allemands étant les seuls à pouvoir s’appuyer sur une industrie optique de grande qualité. Après plusieurs essais infructueux, les Français copient finalement une lunette allemande qu’ils installent sur des fusils réglementaires Lebel 1886-93 ou Berhiet 1907-15. On équipe aussi quelques fusils automatiques (le réarmement se fait par l’action des gaz et non plus à la main) comme le FA 17, ce qui assure une cadence de tir supérieure. Plus de 5000 fusils à lunettes sont ainsi distribués aux «bons tireurs» des compagnies d’infanterie, qui les utilisent comme elles le souhaitent. On forme aussi ponctuellement des petites unités de tireurs pour une mission particulière, comme à Verdun en 1916 pour faire face à la menace des lance-flammes, mais il n’y a ni doctrine d’emploi, ni centre de formation.

La politique d’emploi des Britanniques, qui équipent de lunettes 10000 fusils Lee Enfield SMLE III, est initialement assez proche des Français avant par l’arrivée des unités du Commonwealth qui, au contraire, utilisent beaucoup leurs anciens chasseurs. Les Canadiens arrivent sur le front avec un excellent fusil de précision, le Ross Martin Mk III doté d’une lunette de fabrication américaine, et d’excellents chasseurs souvent d’origine indienne. Huit des douze meilleurs snipers de la guerre sont d’ailleurs canadiens et six d’entre eux sont indiens ou métis comme le caporal Francis Pagahmagabow, le plus meurtrier de tous avec 376 victoires. Les Australiens sont également parmi les premiers alliés à utiliser des fusils de précision, armes de chasse amenées souvent clandestinement, notamment à Gallipoli où ils affrontent les tireurs turcs. L’un d’entre eux, Billy Sing, un Australien d’origine chinoise, s’y illustre particulièrement en abattant officiellement 150 soldats turcs (mais peut-être le double en réalité) dont Abdul «le terrible», le meilleur sniper ottoman, ce qui constitue peut-être le premier grand duel de tireurs d'élite. De leur côté, les tireurs sud-africains sont le plus souvent issus d’une unité privée fondée par le millionnaire Sir Abe Bailey : les Bailey’s South African Sharpshooters. Les 23 hommes qui y ont été formés revendiquent à eux seuls la mort de 3000 Allemands, de 1916 à la fin de la guerre.

Ces pratiques dispersées sont finalement rationalisées grâce aux efforts du major Hesketh Hesketh-Prichard qui décrira son expérience en 1920 dans Sniping in France, premier récit du genre. Hesketh-Prichard fait de ce qui est donc désormais nommé officiellement "sniping" une discipline militaire à part entière qu’il enseigne dans une école de tir improvisée en 1915 puis imitée dans chaque armée britannique. On y apprend, non seulement à tirer avec précision, mais à le faire dans un environnement tactique organisé. Hesketh-Prichard innove ainsi en imposant le travail par équipes de deux avec un tireur et un observateur utilisant un télescope. Avec cette capacité de surveillance accrue, les équipes de snipers s’avèrent aussi d’excellents observateurs.

Les Américains arrivent au combat en 1918 avec ce paradoxe de ne pas disposer d’armes performantes alors qu’ils sont largement à l’origine de l’emploi militaire des snipers et qu’ils conservent encore la culture du tir au fusil, là où l'importance relative de cette arme a beaucoup décliné dans les armées européennes. C’est donc avec un rustique M1917 Enfield sans lunette que le 8 octobre 1918, le sergent Alvin York détruit à lui seul plusieurs nids de mitrailleuses, tue 25 soldats allemands et en capture 132 autres. Deux jours plus tard, Herman Davis équipé du Springfield M1903 se distingue en abattant quatre mitrailleurs allemands près de Verdun. À ce moment-là, la guerre entre dans une nouvelle phase à la fois mobile et intense, où l’importance relative des snipers décline.

L’après-guerre voit, une fois encore, la disparition rapide des snipers dans la plupart des armées. Leurs savoir-faire sont difficiles à maintenir et ils sont associés à l’idée d’une guerre statique que l’on rejette. Seule la nouvelle armée soviétique, qui cultive le mythe des héros issus du peuple, fait une grande place aux bons tireurs. En 1932, le «mouvement des tireurs de précision» est organisé et six ans plus tard, l’armée rouge peut se vanter de disposer de 6 millions de porteurs du badge de «tireurs Vorochilov». De 1931 à 1938, l’URSS se dote de plus de 50000 fusils Mosin-Nagant M1891 à lunettes. Elle en produira 250000 pendant la Grande Guerre patriotique, avec aussi le SVT-40 Tokarev semi-automatique.

C’est pourtant contre les Soviétiques que s’illustre le plus grand sniper de l’histoire. Une autre armée a misé sur les tireurs d’élite dans la cadre cette fois d’une défense très décentralisée où les petites cellules d’infanterie ont le premier rôle pour harceler et freiner les colonnes ennemies. Durant la «guerre d’hiver», de novembre 1939 à mars 1940, les sections de tireurs-skieurs, invisibles dans leur tenue blanche, font des ravages dans les rangs soviétiques. Dans un froid glacial lors de la bataille dite de «killer hill» dans la région de Kollaa, une section de 32 tireurs finlandais tient tête à 4000 Soviétiques. Parmi eux, le caporal Simo Haya, crédité en moins de cent jours de combat de la mort de 505 ennemis avec un fusil M28 Pystykorva sans lunette et peut-être de 200 autres au pistolet-mitrailleur.

L’exemple finlandais ne suscite cependant pas tout de suite des émules pendant la Seconde Guerre mondiale. Le sniper est plutôt une arme défensive et de front statique. L’armée allemande ne ressent pas le besoin d’en utiliser lors des combats très mobiles du front Ouest ou en Afrique du Nord, et parmi les armées qui sont sur la défensive seuls les Soviétiques en font un grand emploi, en particulier dans les zones boisées ou urbaines. En septembre 1941, le 465e Régiment d’infanterie perd une centaine d’hommes en quelques heures harcelés par quelques tireurs dans une forêt de Biélorussie. Une autre unité de chars, alors au repos, subit les tirs d’un sniper pendant cinq jours avant de s’apercevoir que l’homme est au milieu des cadavres dans un char soviétique détruit.

Dans la violence de l’affrontement, les snipers soviétiques sont présentés comme des héros, au culte très organisé. Si Vasily Zaytsev est le plus connu, en grande partie pour son rôle dans la bataille de Stalingrad où il est crédité de 255 victoires, ce n’est pourtant pas le plus meurtrier de tous. Le premier rang, selon les statistiques soviétiques à prendre avec prudence, revient à Ivan Sidorenko avec 500 victoires et ils sont dix à dépasser les 400 victimes. Les cent meilleurs totaliseraient 12000 victimes, dont beaucoup de cadres ou de spécialistes des armes de l’Axe. A cette échelle, l’impact de ces quelques individus devient donc stratégique. Les Soviétiques sont même les premiers à employer des femmes dans ce rôle et à les mettre en avant. Lyudmila Pavlichenko est ainsi créditée de 309 victoires jusqu’en juin 1942 seulement, date à laquelle elle est blessée et retirée du front, la fonction d’héroïne à montrer se retrouvant alors en contradiction avec celle de combattante.

Les Soviétiques innovent aussi, en imitant sans doute les Finlandais, en utilisant les snipers dans un rôle anti-véhicules ou anti-abris. Ils emploient pour cela des munitions spéciales, incendiaires et perforantes pour leurs Mosin-Nagant, et surtout, des fusils antichars PTRS-41. Impuissantes contre les chars lourds, ces armes capables d’envoyer une balle de 14,5 mm à 800 m s’avèrent très précieuses contre les cibles moins protégées. Ils innovent aussi en déployant aussi des tireurs de précision dans toutes les sections d’infanterie. L’idée n’est pas alors de mener un combat de harcèlement par de petites équipes spécialisées comme celles de Zaytsev ou Sidorenko, mais de combiner les effets des armes de combat rapproché comme les nombreux pistolets mitrailleurs avec ceux d’armes à plus longue portée et plus précises.

Innovatrice en la matière durant la Première Guerre mondiale, l’armée allemande a tendance cette fois à suivre et imiter les Soviétiques. Significativement, comme pour ces derniers, c’est dans la défensive que les tireurs de précision, équipés pour la très grande majorité de Mauser K98K équipés de diverses lunettes, mais aussi de fusils soviétiques récupérés, prennent de l’importance. On trouve donc là aussi, à partir de 1943, des héros-tireurs mis en avant comme Matthaus Hetzenauer (345 victoires, selon des statistiques qu’il faut, là aussi, prendre avec prudence) ou Josef Allerberger (257 victoires) et une foule de tireurs qui se répartissent dans les sections d’infanterie. Les «suicide boys», comme les surnomment les Américains, sont utilisés en Italie, à l’Est ou en Normandie dans des missions de freinage dans les espaces coupés. L’un d’entre eux, Karl Krauss, s'y vantait de pouvoir arrêter n’importe quelle colonne américaine en Italie avec seulement cinq cartouches. Les Allemands sont alors sans doute les premiers à utiliser, marginalement, des armes équipées d’optiques infrarouges pour le tir de nuit.

Dans le Pacifique, le Japon fait un usage intensif aussi des snipers «en enfants perdus», pouvant compter sur la motivation sans faille de ses combattants. Ces tireurs perdus servent à retarder l’ennemi dans les zones de jungle, et plus rarement, dans les zones urbaines comme à Manille en 1945. Ils utilisent pour cela le fusil réglementaire Type 97 avec une munition de petit calibre, 6,5 mm, qui présente l’avantage de faire peu de fumée et de bruit. La portée utile est en revanche assez faible, mais la plupart des combats se font dans des espaces coupés et à relative faible portée.

Américains et Britanniques développent à leur tour leurs snipers à partir de 1942, avec des versions améliorées de leurs fusils de la Première Guerre mondiale, Lee Enfield n° 4 Mk1 T, pour les Britanniques, Springfield 1903 pour les Américains (avec l’excellente lunette Unertl pour les marines) et, à partir de 1944, Garand M1C. Les Alliés disposent de nombreux tireurs de précision, placés eux aussi dans les sections d’infanterie, mais plus rarement en missions isolées et, dans ce cas, toujours en binômes avec un observateur. Les tireurs américains et britanniques sont cependant trop rapidement formés, en neuf jours pour les premiers, pour rivaliser avec leurs adversaires sur ce terrain.

Ces armées motorisées et tournées vers l’offensive ne ressentent pas le besoin de développer de cellules de snipers-chasseurs à l’exception dans les unités de commandos. Le Special Air Service se distingue en utilisant les fusils antichars Boys pour détruire à distance des avions de l’Axe sur les pistes de Libye avant, comme les Américains, d’utiliser les mitrailleuses de 12,7 mm pour le tir précis à grande distance.

La guerre terminée, tout recommence.

lundi 17 mai 2021

Une brève histoire des snipers-1ère partie : Les mal aimés

Lors de la Seconde Guerre mondiale, les tireurs d’élite américains étaient surnommés les « Ten cent killers », le prix de la cartouche du fusil Springfield 1903 qu’ils utilisaient. Durant la guerre du Vietnam, avec l’évolution des coûts sans doute, ils étaient devenus les « Thirteen cent killers » ou la « Murder Inc. ». Ils sont aujourd’hui, à l’image de Chris Kyle, des héros aussi spontanément célébrés aux Etats-Unis qu’ils ont pu l’être de manière organisé par l’Etat soviétique pendant la Grande guerre patriotique. Pendant ce temps, nul nom de tireur de précision, d’élite ou « sniper » ne se détache vraiment de l’histoire des armées britanniques et françaises plutôt mal à l’aise avec ces combattants particuliers, qui apparaissent comme un expédient nécessaire mais dont a un peu honte et qui disparait avec le besoin, la guerre de position qui l’a vu naître. Entre tueur en série et protecteur, lâche et héros, individualiste et rouage essentiel d’un ensemble, le sniper est une figure à part dont l’image a beaucoup fluctué en fonction des contextes dans lesquels il est apparu et a été utilisé.

Ce mal aimé du combat a d’abord beaucoup souffert de combattre à distance. L’arme de jet et l’arme de choc sont d’origine commune, introduite presque simultanément pour la chasse. La première permet de réduire le risque par la mise à distance mais la seconde est souvent indispensable pour tuer. L’appréhension de l’agression de l’autre et surtout la peur de mourir ne s’y exercent pas avec la même intensité. Le combat par contact physique répugne et induit un stress maximal.

Les héros des légendes indo-européennes combattent à la lance, à la fois arme de jet très proche et de contact, ou à l’arc comme le dieu Krishna dans la Mahabharata indienne ou les héros de l’Illiade à partir d’un char ou après en être descendu. Si les peuples cavaliers continuent de privilégier ce combat à distance, associé à l’excellent arc composite, l’image du guerrier évolue en Europe et au Proche-Orient avec l’apparition et le développement des protections et surtout des épées de fer, à partir de 800 av JC. Le combat rapproché y devient prédominant et valorisé par rapport au tireur à distance qui apparaît ainsi de plus en plus, par contraste, comme un combattant, certes indispensable pour préparer ou accompagner le combat principal, mais moins courageux. Cette différenciation tactique s’accompagne d’une différenciation aussi sociale et culturelle. Après les citoyens-fantassins, hoplites grecs, légionnaires romains, guerriers germains, ce sont les aristocraties-cavalières, associées dans le terme de « chevalier », qui se développent en Occident qui prennent le monopole des vertus guerrières dans un combat conçu comme une série de duels entre égaux et d’écrasement des roturiers à pied.

Dans ce contexte, la mort à distance des chevaliers, par les arbalétriers ou les archers apparaît comme un crime social doublé de lâcheté, puisque avec ces armes perfides une personne « de peu » peut tuer sans  risque le plus vaillant des nobles. Lors du concile de Latran en 1139, le pape Pape Innocent II interdit « cet art meurtrier et haï de Dieu », sans grand effet il est vrai, tant ces armes sont quand même efficaces et peuvent même avoir une influence considérable sur les évènements comme lorsqu’un arbalétrier tue Richard 1er « Cœur de lion » lors du siège de Châlus-Chabrol en 1199. Toute l’ambiguïté est là, le tireur à distance déplaît mais il est nécessaire. On l’utilise donc mais on le licencie dès la fin des combats.

L’apparition de l’arme à feux accroit encore le malaise. Bayard, l’archétype du chevalier, considérait qu’il était honteux « qu’un homme de cœur soit exposé à périr par une misérable friquenelle dont il ne peut se défendre ». Car l’arme à feux, outre sa capacité de perforation, présente la particularité inédite de lancer un projectile invisible, phénomène non-naturel qui dépasse les capacités des sens et accroit encore l’impression de ne pas avoir de prise sur son environnement. Bayard ordonnait la pendaison de tout arquebusier capturé avant de périr lui-même d’un coup d’escopette dans le dos en 1524. Par contraste, l’arme de jet, qui permet de compenser la supériorité du chevalier apparaît aussi comme l’instrument de l’affranchissement politique et social. Les figures qui incarnent cette vision sont d’abord légendaires comme l’archer anglais Robin Hood ou l’arbalétrier suisse Guillaume Tell.

Au début du XVIIIe siècle, les fusils, qui remplacent les mousquets, permettent déjà de tirer avec une certaine précision. On se rend compte aussi que les fusiliers tirant de manière autonome sont en moyenne deux fois plus précis que ceux tirant groupés. Certains Etats allemands développent alors de petites unités pour renseigner et « tirailler » en avant des troupes. Incapables d’actions de choc du fait de leur dispersion, il s’agit alors surtout pour elles de préparer le combat principal mené par l’infanterie de ligne. Les hommes qui composent ces unités sont baptisés Jägers, ou Chasseurs, du nom de la catégorie de la population où ils sont, et seront toujours prioritairement, recrutés. Malgré la répugnance dans l’Europe aristocratique à laisser les combattants hors de tout contrôle étroit, le procédé des tirailleurs se répand lentement. Certains Chasseurs tyroliens et bavarois, sont même équipés d’une carabine Gandoni utilisant l’air comprimé.

Le premier véritable emploi moderne de tireurs de précision date de la guerre d’indépendance américaine. L’absence initiale d’armée régulière impose à la nouvelle république de faire appel aux hommes déjà aguerris, comme les chasseurs, coureurs des bois ou agriculteurs de la « frontière », pour qui le tir précis est une condition de survie. Ces coureurs des bois et chasseurs, arrivent avec leur propre fusil dont le canon, « l’âme », rayé fait tourner la balle et permet de tirer efficacement beaucoup plus loin que le Brown bess des « habits-rouges ». Certains de ses hommes, baptisés Rangers, avaient déjà été utilisés contre les Français et les Indiens dans les années 1750 sans que l’armée britannique, qui avait pourtant constaté leur efficacité, n’adopte définitivement ce savoir-faire. Ces amateurs ne savent pas combattre à la manière réglée des Européens mais ils font des ravages dans les rangs britanniques et particulièrement lors de la campagne de Saratoga, en 1777, où 500 Rangers sélectionnés par le général Morgan et équipés du long fusil Kentucky harcèlent dans la forêt une colonne britannique. En tuant, le général anglais Fraser de Balnain à presque 400 mètres près de Saratoga, Timothy Murphy apparaît comme le premier sniper héroïsé.

Les Américains renouvellent l’expérience lors de la guerre de 1812.  Le 9 janvier, à la Nouvelle-Orléans, une ligne de tireurs d’élite mobilisés étrille une brigade britannique, en tuant d’abord ses officiers puis en frappant ses compagnies paralysées. Plus de 1 600 soldats de sa Majesté tombent en moins de 25 minutes pour moins de 60 Américains. Pour la première fois, quelques tireurs isolés et précis peuvent avoir une influence forte sur l’issue de chaque bataille. On les appelle déjà tireurs d’élite mais pas encore snipers, nom que l’on donne à partir des années 1820 aux excellents tireurs capables de toucher des snipes, des petites bécassines du nord de l’Angleterre.

L’expérience américaine porte en partie. A l’initiative du capitaine Ferguson, vétéran de la guerre d’indépendance et déjà inventeur d’un fusil s’armant par la culasse, les Britanniques se dotent d’une unité de tireurs de précision, le 95e régiment d’infanterie, dont les hommes sont, comme les Américains, équipés de tenues vertes et surtout, à partir de 1801, d’un fusil spécifique, le Baker. Le Baker possède une âme rayée qui donne à la balle une trajectoire droite jusqu’à presque 300 mètres, soit le double des fusils habituels à âme lisse. Cette précision accrue est cependant acquise au prix d’une cadence de tir plus faible, la balle devant être enfoncée avec un maillet puis une baguette rigide. Placées en tirailleurs en avant des troupes de ligne, les « sauterelles vertes », comme les surnomment les Français, font des ravages en Espagne, ciblant particulièrement les officiers. En 1809, le général Auguste de Colbert est tué de cette façon devant Villafranca. Paradoxalement, l’armée française, qui combat désormais surtout par la manœuvre, les feux d’artillerie et le choc de masse n’imite pas vraiment cette innovation. La Grande armée engagée en Russie n’emploie que cinq bataillons de Chasseurs dont quatre alliés et un corse. La marine française en revanche en fait un grand usage. A Trafalgar, en 1805, cela n’empêche pas le désastre, mais permet de toucher 50 membres d’équipage du navire amiral britannique, même si, contrairement à la légende, l'amiral Nelson est tué par une balle de canon lisse. 

L’armement d’infanterie connaît une évolution considérable tout au cours du XIXe siècle. Les fusils à âme rayée deviennent plus faciles d’emploi et ils s’arment par la culasse, ce qui augmente la cadence de tir et permet de tirer par tous les temps et dans toutes les positions. Avec les fusils Dreyse ou Chassepot qui apparaissent au milieu du siècle, n’importe quel fantassin peut déjà tirer plus loin, plus vite et plus précisément que les green jackets de Wellington. Avec l’apparition des poudres blanches à la fin du siècle, et la mise en service d’armes comme le Lebel ou le Mauser 98, il peut également tirer sans être décelé ou gêné par la fumée. Dans ces conditions, la distinction entre tirailleurs, qui combattent par le feu, et soldats de ligne, qui combattent plutôt par le choc, disparaît.

On oublie cependant que chaque fois que le combat s’est figé quelque part, devant la ville de Sébastopol en 1854-55 (où des Britanniques utilisent, sans doute pour la première fois, des lunettes de tir) ou lors de la guerre de Sécession, des tireurs isolés sont apparus spontanément. En 1861, le colonel unioniste Hiram Berdan regroupe ceux du Nord dans deux unités spécialisées, les 1er et 2e US Sharpshooters, équipés de fusils à lunettes et en tenue verte. De leur côté, les Confédérés les emploient de manière beaucoup plus dispersée. L’un d’entre eux, Jack Hinson, est peut-être responsable de la mort de cent soldats de l’Union le long des rivières Tennessee et Cumberland. Lors des combats de Spotsylvania, en 1864, le général de l’Union Sedgwick est abattu à 700 m juste quelques minutes après avoir déclaré qu’ « à une telle distance, les confédérés ne toucheraient même pas un éléphant ».

Ces manières de combattre, mal contrôlé, ne plaisent cependant guère et cette expérience de la guerre civile américaine est négligée par la suite. Avec la généralisation des fusils s’armant pas la culasse et l’apparition des poudres sans fumée ces manières plaisent encore moins. Les snipers peuvent désormais se cacher complètement ajoutant l’invisibilité du tireur à celle de la balle. Sous la menace de tels combattants, la mort devient totalement imprévisible et presque inévitable, ce qui induit un stress encore plus fort et réintroduit l’idée d’un combat inégal et lâche. La menace de snipers ennemis est toujours particulièrement détestée, impliquant souvent des rétorsions fortes qui déplaisent aussi souvent aux voisins de ces tueurs volontaires. Les grandes armées régulières n’aiment pas les tireurs isolés. Ce sont donc les amateurs qui leur rappelle à chaque fois leur efficacité. Lors de la guerre des Boers, de 1899 à 1902, des « commandos » de fermiers et chasseurs tiennent tête à l’armée britannique en la harcelant de tirs au fusil. A la fin de la guerre, on constate simplement que les Boers n’ont été capables de s’emparer  d’aucune position sérieusement tenue. Dans le combat géant, bref et très mobile que l’on envisage en Europe au début du XXe siècle, quelques tireurs de précision ne semblent guère avoir d’importance. C’est une erreur.

(à suivre)

samedi 8 mai 2021

L'audace de servir-Guillaume Malkani

Quatrième de couverture

Juristes, enseignants, ingénieurs ou jeunes diplômés, ils sont nombreux à s'engager comme officiers au terme de leurs études. Ils sont réservistes portant l'uniforme durant leurs congés, officiers sous contrat délaissant une vie confortable pourtant bien établie et un emploi parfois mieux rémunéré, ou encore polytechniciens choisissant de vivre une expérience intense dans le cadre de leur scolarité. Ils deviennent ainsi cadres de l'armée de Terre, prenant des décisions et donnant des ordres à leurs hommes, à l'entraînement comme en opérations. Ce sont les officiers formés au Quatrième Bataillon de l'Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr - dit l'ESM4 - dont la formation de décideur et de chef militaire se déroule au coeur de la lande bretonne.

Depuis la fin du XIXe siècle et les prémices de la Grande Guerre, ils servent la Nation sans forcément être militaire de carrière. Du Chemin des Dames jusqu'à la campagne de France, puis des rizières indochinoises jusqu'au djebel algérien, ces officiers sont aujourd'hui les vétérans des Balkans et de l'Afghanistan, toujours déployés au Proche-Orient et dans la bande sahélo-saharienne.

En parallèle du bataillon qui les forme aujourd'hui, ils sont dépositaires d'un riche et glorieux passé, et s'inscrivent dans les pas d'illustres citoyens devenus officiers - par la force des choses et par volonté -, d'Apollinaire à Péguy et de Lartéguy à Genevoix. Ce sont les retours d'expériences de cette population que nous vous proposons de découvrir dans cet ouvrage, laissant ainsi libre cours à la parole d'une quarantaine d'entre eux. Ces témoignages exposent la singulière hétérogénéité de ces officiers néanmoins tous rassemblés autour d'une devise fédératrice : l'audace de servir.

Guillaume Malkani, L'audace de servir, Books on Demand, mars 2021, 294 pages.

dimanche 2 mai 2021

La Légion d’honneur pour le caporal-chef Liber


Publié le 11 janvier 2020

La France compte dans ses rangs une armée invisible de milliers de blessés dans leur chair et leur âme. Ils ont été mutilés en la servant, en nous servant tous. Le moindre des droits qu’ils ont sur nous, c’est la reconnaissance.
L’un d’entre eux s’appelle Loïc Liber, il est caporal-chef, et le 15 mars 2012, il a été abattu par un islamiste à Montauban avec deux de ses frères d’armes, le caporal-chef Abel Chenouf et le caporal Mohamed Legouad. Eux sont morts, lui a survécu tétraplégique et est cloué dans un fauteuil depuis huit ans. Son régiment désormais c’est sa chambre aux Invalides où il a affiché les paroles de la Marseillaise et posé son béret. Les seules opérations qu’il connaît désormais sont médicales et elles sont de plus en plus difficiles à supporter.
Ses camarades tombés ont été intégrés dans la Légion d’honneur, c’est bien mais c’est une légion de l’au-delà et il est à craindre qu’ils ne la portent pas sur eux. Surtout, pourquoi avoir séparé alors les frères d’armes dans la reconnaissance et accordé moins à celui qui a survécu. Combien d’années de souffrance faut-il pour équivaloir à la mort ?
Pour l’instant cela fait huit ans et il est hélas probable qu’il n’y en ait pas beaucoup d’autres. N’est-il pas temps avant qu’il ne soit trop tard de faire enfin un geste ? Le caporal-chef Liber a reçu la Médaille militaire, c'est très bien. Il aurait été officier, il aurait reçu la Légion d'honneur. N'aurait-ce pourtant pas été la même chair qui aurait été meurtrie ? Il est temps aussi de mettre fin aussi à cette distinction qui date de la Restauration. La Légion d'honneur est aussi un ordre censé regrouper les citoyens ayant fait preuve de mérites éminents. Les mérites sont-ils moins éminents lorsqu'ils sont le fait de militaires du rang ou de sous-officiers ? 
La demande d’attribution de la Légion d’honneur a été faite par la députée de Guadeloupe, cette demande est suivie « avec bienveillance » par madame la ministre des Outre-Mer…depuis un an. Mon grand-père, lui aussi blessé au service de la France en 1918 l’avait reçu quelques semaines plus tard, le temps de terminer les combats en cours. Notre Etat fonctionne-t-il plus mal qu’en 1918 ? Sommes-nous plus insensibles qu’à cette époque ? Il est temps d’être juste.

Pour en savoir plus et aider : Le canal de vie