Publié le 27/05/2013
Le jeu de l’investissement a été inventé par le sociologue américain par Joyce Berg en 1995. Son principe est simple : un « investisseur » A et un « mandataire » B, qui ne se connaissent pas, ne se voient pas et ne se rencontreront pas après l’expérience, reçoivent chacun 10 euros de participation forfaitaire. A peut décider de garder son argent ou d’en donner tout ou partie à B (par exemple 5), sachant que la somme est alors triplée (les 5 deviennent 15) et que B peut, à son tour, renvoyer de l’argent à A (par exemple 7 sur les 15 reçus).
Si
les individus sont des homo
economicus froids et rationnels, B n’a aucun intérêt à rendre de l’argent
et de ce fait A n’a aucun intérêt à lui en envoyer et chacun part avec ses 10 dollars
de départ, soit un gain collectif de 20 euros. Comme d’habitude la réalité est
un peu différente. Dans l’expérience réalisée par Berg seuls 2 « investisseurs »
A sur 32 n’ont rien donné et un tiers des B a donné nettement plus que ce qui
avait été reçu de A et un tiers n’a rendu qu’un euro ou moins. Pour une moyenne
de 5 euros donnés, chaque A a reçu 7 euros. Au bilan, les A font très largement
confiance aux B et ceux-ci honorent cette confiance par un acte réciproque. Chaque
paire repart avec un gain moyen exact de 30,3 euros (ref). S’il aboutit parfois à des
échecs individuels, le principe de confiance est collectivement nettement plus
performant que le principe de précaution.
Cette
expérience de l’investissement a été modulée ensuite en fonction de différents
paramètres. On a ainsi démontré que les hommes A prenaient assez nettement plus
de risques avec des inconnus que les femmes A mais qu’en revanche les femmes B
étaient plus généreuses que les hommes B. Les paires hommes « investisseurs »
et femmes « mandataires » se sont avérés nettement plus performantes
que les paires inverses et surtout plus que les groupes unisexes. Une autre
expérience a montré qu’en faisant respirer de l’ocytocine aux A on faisait
augmenter de 17 % le niveau moyen d’investissement (ref). La confiance est donc aussi une
donnée chimique.
C’est
aussi une donnée culturelle puisqu’on constate des différences assez nettes
entre les pays. En France, si le nombre de A qui font confiance est aussi
important qu’aux Etats-Unis le montant moyen accordé à B y est inférieur (4,66 euros)
et la proportion de retour du même niveau. Le gain moyen des paires n’est plus
que de 28,47. En Allemagne, en revanche, les A donnent en moyenne 6,6 euros et les
retours sont supérieurs. Le gain moyen est de 33,27 euros. D’une manière
générale, les pays du nord de l’Europe font plus confiance que ceux du sud. On
retrouve logiquement cette tendance dans leur capacité à mettre en place des
organisations horizontales importantes réunissant des inconnus comme les corporations,
les syndicats ou les partis politiques et dans la capacité à se réguler par le
dialogue, là où les pays du sud fonctionnent sur l’association souvent
conflictuelle de petites cellules de confiance (la famille, les bandes, etc.) et
de structures très hiérarchisées. Ces différences se retrouvent dans les performances
économiques comme dans la consommation d’anxiolytiques.
L’absence
de confiance dans l’avenir mais aussi et surtout les uns dans les autres est le
poison qui tue lentement une société et de ce point de vue la France actuelle ne
se porte pas très bien. Pour autant, la mort n’est pas irrémédiable. On a vu
des retournements spectaculaires. La France des trente glorieuses n’était plus
celle des années trente et le Royaume-Uni de la Brit pop était autrement plus dynamique que celui des années Clash. Une nouvelle « aventure française »
est non seulement obligatoire, elle est même possible à condition d’avoir
confiance dans la confiance.
Faire confiance est prendre un risque.
RépondreSupprimerZéro risque, ou zéro risque non-conscient?
0 ou 1? Les deux, nous propose le numérique...
Très bon article (comme toujours). Particulièrement le dernier paragraphe, à mettre en lien avec le très récent sondage pour Marianne : http://www.harrisinteractive.fr/news/2013/27052013.asp
RépondreSupprimerJe me permet une auto-citation en lien avec cet article : http://certaines-idees.blogspot.fr/2013/03/un-projet-pour-france.html
Il faut utiliser l'ocytocine pour les interrogatoires, pour avoir des aveux plus rapide!
RépondreSupprimerTout à fait d'accord avec vous.La situation n'est pas irrémédiable.
RépondreSupprimerMais en France, c'est souvent passé par un projet, un homme providentiel, une équipe dévouée (L'épopée Napoléonienne, Jeanne d'Arc, la France Libre...)Pas gagné en l'état actuel...
Et puis la force des médias est telle...Comment donner confiance quand toute la journée on répète le contraire...? Faut trouver le moyen...
L'opposition Nord Sud est intéressante. Mais il y a des choses à prendre sur les rivages de la méditérannée...La solidarité entre les membres, la force des symboles, le caractère du chef, la certitude que la fin justifie (presque tous..) les moyens.
Vous regardez la série Mafiosa ? C'est plein de choses stratégiques et tactiques, plein de formes de confiance, de méfiance, de trahisons et de fidélité...et finalement de courage...
Cordialement
Bonjour Grenadier de la garde,
RépondreSupprimerCette dépendance à un chef providentiel est une faiblesse car:
- Il peut très bien ne pas apparaitre.
- Il peut ne pas être à la hauteur et pas être capable d'entrainer la nation.
- A sa disparition, on retombe dans notre médiocrité.
Exemple très précis : le fameux général Boulanger !
Supprimer"attendre" un homme providentiel n'est pas une disposiion d'esprit très offensive...
RépondreSupprimerIl ne s'agit pas que de l'attendre, il s'agit surtout de le devenir.
RépondreSupprimerLe dernier "homme providentiel" français à bien dit que la gloire se donne seulement à ceux qui l'ont toujours rêvée.
"La confiance est donc une donnée chimique"
RépondreSupprimerPas qu'elle semble-t-il. Ruwen Ogien a écrit un bouquin là-dessus:
"L'influence de l'odeur des croissants chauds sur la bonté humaine"
(l'ouvrage ne traite cependant pas vraiment des logiques collaboratives mais de la façon dont on organise nos choix moraux)
(si vous ne l'avez pas lu, je vous le conseille)
"L'Homme providentiel" relevait d'abord de la constatation. Effectivement, c'est une faiblesse pour toutes les raisons invoquées par les différents interlocuteurs.
RépondreSupprimerMais force est de constater que ce fut souvent le cas en France.
Cela dit, d'autres pays en fait l'usage si j'ose dire, comme la GB avec Winston Churchill.
Même l'Espagne a eu de la chance d'avoir Juan carlos pour rétablir la démocratie dans le calme...
Peut-il encore ré apparaître ? Difficile de le dire car ce sont d'abord les circonstances qui font les Hommes. Même si ensuite, des caractères se révèlent...
Bref, c'est compliqué...d'autant plus que les sociétés modernes post héroïques ne semblent pas acceuillantes à l'Homme providentiel. L'effet de zapping, le manque de repères, le matérialisme, la méfiance vis-à-vis des pseudo-élites, etc....
Mais rien n'est jamais acquis...
A suivre
"La France des trente glorieuses n’était plus celle des années trente et le Royaume-Uni de la brit pop était autrement plus dynamique que celui des années Clash."
RépondreSupprimerIl y a cependant des traits de caractères qui persistent à travers les âges :
http://www.cairn.info/revue-annales-2003-5-p-953.htm
Il semble en tout cas que l'on ne peut pas juste parler de pays du Nord : on ne peut pas mettre dans une même case les pays scandinaves, très égalitaires, avec l'Angleterre elle aussi pays du Nord mais qui accepte beaucoup plus d'inégalités que partout ailleurs en Europe.
Le changement qui a bénéficié à l'Angleterre, c'est peut-être avant tout le retour à une forme d'organisation plus adaptée à la mentalité de ses habitants que celle mise en place après la deuxième guerre mondiale.(*)
Dans ce cas, le malaise actuel de la France vient peut-être du fait que la construction européenne conduit à y mettre en place des réformes qui ne nous sont pas adaptées, alors qu'on aurait pu faire autrement.
Je pense en particulier à la privatisation des entreprises publiques (France Telecom, EDF, voire SNCF) qui fonctionnaient bien dans notre pays.
Car la modernisation des télécoms, pour répondre aux objections habituelles des privatisateurs, a eu lieu dans le cadre du monopole, ainsi que la création de la norme GSM au niveau des différents opérateurs publics (à l'époque) européens, bel exemple de coopération européenne.
Pour EDF, il y a l'ouverture à la concurrence qui fait monter les prix : (point de vue de deux ex PDG)
http://www.mines-energie.org/Dossiers/Ouverture2011_17.pdf
http://www.sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/pv_sign/Delaporte_ca_decoiffe.pdf
et complique la gestion technique : (exemple des barrages)
http://www.sauvonsleclimat.org/debats-publicshtml/delacoux-concessions/35-fparticles/1403-delacoux-concessions.html
(*) il y a eu aussi la montée en puissance des gisements de gaz de la Mer du Nord, ne l'oublions pas, que ce soit pour Angleterre, Pays-Bas, Norvège ou Danemark.
Comme toujours mon colonel vous publiez un excellent article,
RépondreSupprimerPour faire court une société basée sur la confiance et non la défiance (avec ses corollaires : agrégats de petite bandes et pouvoir très hiérarchiser) , elle est notamment dans le moyen et long terme plus efficace et apaisé. On l'observe pas seulement en politique, mais aussi dans les entreprises capables de se perpétuer pendant des décennies.
Quel effroyable gloubi-boulga ! N'avez-vous rien de mieux à faire que de vous aligner sur le battage médiatique contemporain autour des "investisseurs" ?
RépondreSupprimerD'autant que ces petites expériences de psychologie sociale existent depuis bien longtemps, et n'ont été présentées en ces termes pseudo-économiques que récemment.
La France des Trente glorieuses n'était certainement pas aussi obsédée par ce thème, et par la destruction de ses atouts qui en résulte en pratique, que la France actuelle. Elle était organisée autour de l'Etat, comme la France l'a toujours été, mais sans l'auto-dénigrement actuel qui vient en partie de tous les illuminés qui veulent nous forcer à favoriser les "investisseurs".
En pratique, lâcher les manettes du contrôle de nos grands groupes par l'Etat aboutit à une prise de contrôle par l'étranger et à une stratégie de ces grands groupes au détriment du reste du pays. Vu les résultats, il faut quand même être gratiné pour s'associer à ça...
Suggestion de lectures par Marc Pierre
RépondreSupprimerBonjour
Sur le thème de la confiance, de la méfiance et de la défiance, outre Francis Fukuyama, nous pouvons citer les auteurs suivants.
Diego Gambetta, Peut-on se fier à la confiance ? 1988 (Can we trust trust ?), Université d'Oxford, Departement de sociologie, chapitre 13, pages 213 à 237. L'auteur transalpin distingue la confiance limitée, la confiance généralisée et la confiance dans les institutions et pose une question inhabituelle, mais non anodine : peut-on mesurer la confiance ? En fait, la confiance généralisée est mesurée à l'aide de l'outil statistique General Social Survey (GSS), panorama social général, aux Etats-Unis depuis les années 1950, tandis qu'elle l'est au niveau mondial à l'aide de l'outil World Values Survey (WVS), panorama des valeurs universelles, depuis les années 1980.
Alain Peyrefitte, La société de confiance, Paris, Odile Jacob, 1995. Et si les mentalités et les comportements des individus en société constituaient le principal facteur du développement et, a contrario, du sous-développement ? En revisitant l'histoire de la chrétienté occidentale, l'académicien français s'efforce de montrer que le développement en Europe trouve une explication dans ce qu’il appelle un « éthos (ensembles des caractères communs à un groupe d'individus appartenant à une même société) de confiance » qui a bousculé des blocages et interdits traditionnels et favorisé l’innovation, la mobilité, la compétition, l’initiative rationnelle et responsable.
Yann Algan et Pierre Cahuc, La société de défiance : comment le modèle social français s’autodétruit, Paris, Ecole Normale Supérieure d’Ulm, 2007. Selon ces auteurs, la société française contemporaine est rongée par le corporatisme et l'étatisme. Le premier, confortant des rentes de situation au profit de certains groupes et individus, engendre des inégalités, tandis que le deuxième, affaiblissant la société civile, est à l'origine de formes diverses de détournement de biens en se jouant cyniquement des règles établies. Ces deux phénomènes combinés nourrissent un climat général de défiance qui, simultanément, altère la production de richesses, entretient le chômage de masse et accroît la demande d'intervention de l'Etat que l'on dénonce pourtant pour être générateur de passe-droits.
Bonne semaine à tous
La confiance ? Quand vous avez en face de vous des politiques et des élites proclamées vous demandant de faire ce qu'ils disent en parole tout en ce dédouanant eux mêmes de le faire à titre d'exemple n'avez vous pas l'impression d'être pris pour un con ??
RépondreSupprimerIl manque dans ce rapport entre investisseur et mandataire un paramètre de poids, c'est celui de "réputation", qui à lui seul impose le panorama d'un contexte réel, sans lequel, ce type de rapport n'existerait pas vraiment. Eliot Mess
RépondreSupprimerPour en revenir aux trente glorieuses, j'ai retenu une chose plutôt surprenante, c'est que 3 chefs d'entreprises sur 5 qui ont participé à la reconstruction de la France de l'après-guerre, n'étaient pas diplômé. Cela qui signifie que malgré un déficit de "réputation" initial chez ces patrons, la France a donné sa confiance à des entrepreneurs autodidactes, ce qui a permit une mutualisation des efforts général, et ceci sans fioriture d'apparat, ou sans petit caïd de l'ENA bouchant l'horizon prospectif...
RépondreSupprimerLe problème de ce jeu ingénieux :
RépondreSupprimerLes individus savent qu’il s’agit d’un test. Ils devinent qu’on cherche à estimer quelque chose. Ils peuvent comprendre que ce quelque chose est l’aptitude à la coopération, à la confiance. Ils peuvent comprendre qu’ils seront bien vus des testeurs s’ils ont les comportements coopératifs. Ils peuvent vouloir être bien vus.
Ces compréhensions et cette disposition à être bien vu peuvent induire des comportements très éloignés de ceux de la vie réelle.
Le sociologue qui croit en la valeur de son test répond à cet argument que c’est vrai mais que les différences observées selon les conditions de l’expérience sont significatives.
C’est à voir :
. Les différences entre les cultures peuvent tenir au fait que, par exemple, en Allemagne, on se conforme davantage à l’autorité (ici, du sociologue) et à sa consigne (implicite). Ou à des choses moins grandioses comme à une plus grande familiarité à ce genre de tests (on sait que la hausse régulière du QI sur un siècle (effet Flynn) reçoit des explications variées mais qu’est souvent avancée la diffusion des tests et donc la familiarité avec ceux-ci) : la connaissance de l’existence de la psychologie expérimentale est inégalement diffusée selon les sociétés (et selon les catégories sociales : on soupçonne que les étudiants en psychologie feraient montre d’attitudes extrêmement coopératives).
. La différence entre les comportements selon que les testés sont des hommes ou des femmes peut tenir à une propension à la séduction, à la courtoisie, bref, à des choses qu’il est assez réducteur d’appeler « la confiance ».
. La différence constatée après avoir fait consommer une certaine substance est très intéressante, mais on aurait aimé savoir s’il en est de même quand la substance est remplacée par un placebo.
Si l’on sert des petits biscuits aux testés, peut-être vont-ils se sentir dans une situation mondaine et avoir donc des comportements plus courtois.
En effet, le contexte précis obéit à de nombreux facteurs d'influence et de comportement, qui dès le départ du test, ne sont plus aussi authentique qu'en condition réel. Peut-être même que les résultats du test soient le contraire à certain égard. C'est un peu le problème de la science en général, où d'un résultat théoriquement attendu, on concentre la recherche pour obtenir ce résultat, sans être sûr qu'on est sur la bonne voie. Pour découvrir le boson (les) de Higgs on a même construit le plus grand accélérateur de particules du monde, pour un résultat dont on se contente, mais qui laisse plutôt sceptique.
Supprimerbonjour Mon Colonel,
RépondreSupprimerun des premiers jeux à reposer sur la rationalité prêtée à ses acteurs est la conduite automobile : on accorde sa confiance de facto, on (croit) connaît(re) son capital propre, et on mise sur une rationalité réciproque... avec plus ou moins de fortune dans les résultats successifs... cf les chiffres de l'insécurité routière à travers le monde.
Bien respectueusement,
Colin./.