lundi 28 juillet 2014

Sisyphe à Gaza

Après vingt jours de combats l’opération israélienne Bordure protectrice arrive à un tournant qui autorise une première analyse militaire.

A voir et à venger

Bordure protectrice est après Pluie d’été (2006), Plomb durci (2008-2009), Pilier de défense (2012), la quatrième opération de même type contre le Hamas, avec sensiblement les mêmes objectifs énoncés (« punir » et faire cesser la menace contre la population israélienne) et les mêmes modes d’action. Le Hamas a de son côté répondu par une habituelle campagne de frappes à distance mais aussi et, c’est plus nouveau, par des raids ou des tirs directs en territoire Israélien.

La campagne de frappes par missiles et roquettes, malgré l’apparition de projectiles comme les missiles M-302 à longue portée (160 km et donc capables de frapper Tel Aviv et Jérusalem) et à grande puissance (charge de 140 kg d’explosif), est toujours aussi peu létale pour les civils israéliens puisque « seulement » deux en ont été victimes. Sachant que la mortalité moyenne de la population israélienne sur vingt jours est d’environ 2 300 personnes, on peut même considérer qu’en perturbant la vie courante (en réduisant par exemple la circulation automobile) le nombre de décès a peut-être même diminué durant la même période. Ce résultat, comparable à celui des trois autres opérations (respectivement 2, 3 et 4 pertes civiles) est à attribuer en partie à l’efficacité du système d’interception « Dôme de fer », le plus sophistiqué du monde en la matière, mais surtout au système d’alerte et de protection de la défense civile.

Les brigades Al-Qassam, branche armée du Hamas, et leurs alliés, persistent cependant dans cette voie apparemment stérile car c’est un témoignage visible, de la persistance de leur volonté de combattre et, vis-à-vis de la population palestinienne, de ne pas subir sans riposter. Le deuxième résultat est la perturbation de la vie économique, et même de la vie tout court, israélienne placée sous une épée de Damoclès. Plus qu’une augmentation des pertes, le résultat de l’emploi de projectiles à plus grande portée (en fait plus facilement repérables et destructibles que les petites roquettes) est une augmentation de la surface de danger et donc de désorganisation. Combinée au coût d’emploi du système Dôme de fer, très supérieur à celui de l’artillerie à longue portée du Hamas, et de la mobilisation de presque 70 000 réservistes, cette perturbation rend économiquement très rentable l’emploi de celle-ci dans le cadre d’une guerre d’usure. Quant à la faible mortalité des projectiles, c’est finalement un avantage non-voulu dans la mesure où la disproportion systématique avec les pertes civiles palestiniennes finit toujours par éroder, au moins au niveau international, les justifications de l’opération israélienne de représailles. Cette image internationale, mais peut-être pas l’image du Hamas en interne, serait cependant encore favorisée si ces frappes palestiniennes, qui ne peuvent frapper que des civils et justifient ainsi l’accusation de terrorisme, n’existaient pas et que les pertes civiles étaient à sens unique.

Du côté israélien, le largage des centaines de projectiles dans un espace où la densité dépasse 4 700 habitants par km et alors que l’ennemi n’est pas une armée régulière mais une milice ne peut, malgré la précision des armes, les précautions et avertissements, manquer de frapper massivement la population. Pour la quatrième fois donc, Israël s’est donc engagée dans une campagne dont on savait qu’elle ferait des centaines de victimes civiles, en s’appuyant sur l’excuse, faible, du bouclier humain et l’espoir inavoué, mais toujours déçu, que la population palestinienne finira par se retourner contre le Hamas, responsable de telles calamités. Il s’agit surtout, comme l’expliquait Samy Cohen dans Tsahal contre le terrorisme, d’un transfert aux Palestiniens du principe de riposte disproportionnée, appliquée jusque-là aux Etats arabes et à leurs armées, en négligeant le fait que les cibles ne peuvent être les mêmes et en oubliant que cette recherche de l’écrasement n’a trouvé de fin que lorsque l’armée égyptienne y a échappé au début de la guerre du Kippour, permettant, par l’honneur sauvé, d’envisager enfin la paix. Cette nouvelle campagne va donc éliminer à nouveau quelques centaines de combattants du Hamas (sur des dizaines de milliers), quelques personnalités du mouvement (vite remplacés, parfois par plus compétent ou intransigeant) et quelques infrastructures (vite reconstruites). On ne sait donc pas vraiment, en tout cas pas visiblement, si le Hamas va s’en trouver affaibli.

Retour à la terre

La nouveauté de cette opération est la réapparition du combat terrestre et d’un combat terrestre meurtrier pour Tsahal, puisqu’avec, à ce jour (28 juillet), il déplore 43 soldats tués, soit bien plus que lors des trois opérations précédentes (avec respectivement 5, 10 et 2 morts) ou même que lors de l’opération Rempart lorsque, du 29 mars au 3 mai 2002, l’armée israélienne avait réoccupé et nettoyé les six villes palestiniennes autonomes de Cisjordanie et perdu 30 hommes. On reste évidemment très loin des 3 000 morts israéliens de la guerre du Kippour et même des 657 de l’opération Paix en Galilée en 1982 au Liban, mais dans le cadre d’un affrontement avec un rapport de forces très asymétrique, ces pertes constituent un évènement saillant. Il est en effet rare lorsqu’on dispose de tels moyens d’aboutir à un ratio de pertes de seulement 8 combattants du Hamas tués pour un israélien. Lors de l’opération Plomb durci, ce rapport avait été, selon les sources, de 60-70 pour 1.

Cette évolution est d’abord le résultat d’innovations tactiques de la part d’Al-Qassam qui a su doubler l’action de l’artillerie à longue portée d’une nouvelle capacité d’action sur les bords de la limite entre Israël et la bande de Gaza malgré la présence de la barrière de sécurité. Pour contourner cette barrière par le bas, les combattants palestiniens ont, comme dans toute guerre de siège, développé un réseau de tunnels d’attaque (« tunnels terroristes » selon le Premier ministre israélien) permettant de surgir à l’intérieur même du territoire israélien. Ils ont également tourné la barrière par le haut par l’emploi de drones mais surtout depuis les hauteurs d’armes de tir direct à la fois précise et à longue portée comme les missiles antichars Kornet (5 000 mètres de portée, voire 8 000 pour les versions les plus sophistiquées) ou les fusils de tireurs d’élite comme le Steyr HS .50 capable d’envoyer un projectile de 12,7 mm à 1500 m. Rien d'étonnant dans tout cela et rien qui n'existait déjà depuis des années attendant d'être développé. 

Cette menace sur les bordures impose de doubler la barrière d’une présence militaire, ce qui offre déjà des cibles militaires aux Palestiniens, et, pour tenter d’y mettre fin, de pénétrer plusieurs kilomètres à l’intérieur du territoire de Gaza. Il ne s’agit plus, comme en 2008, d’envoyer des colonnes blindées très protégées dans la zone la moins dense de Gaza dans un engagement plus symbolique que réellement efficace, mais de pénétrer dans des zones urbanisées et densément peuplées. On se retrouve ainsi plus dans la configuration des combats de Jénine en 2002 où, dans ce contexte de petits nombres, il suffit d’une seule embuscade réussie de la part des Palestiniens, de la destruction d’un seul transporteur de troupes (hélicoptère ou transport terrestre) ou simplement de la capture d’un seul homme pour obtenir un « événement » et donc une victoire, cela quelles que soient ses propres pertes. Les miliciens du Hamas, mieux équipés malgré le blocus (c’est de l’armement léger facilement dissimulable) et sans doute mieux entraînés qu’avant, ont réussi ainsi apparemment quelques coups qui ont suffi à faire monter très vite le chiffre des pertes militaires israéliennes.

Avec 43 hommes tombés au combat, on est déjà entré dans une zone de doute et celui-ci est d’autant plus fort que l’on perçoit que cette nouvelle opération ne sera pas plus décisive que les précédentes. Certaines familles commencent à mettre en cause le pourquoi du sacrifice de leur fils si c’est pour recommencer dans deux ans comme cela semble être désormais la norme, et ces familles sont suffisamment nombreuses pour atteindre le seuil critique qui affecte l’opinion.

En recommençant la même opération pour la quatrième fois, les Israéliens ont renoncé de fait à toute surprise tactique et se sont rendus vulnérables aux adaptations de l’adversaire. Pour le gouvernement israélien, le bilan, visible au moins, de l’opération Bordure protectrice est pour l’instant très inférieur à celui de Plomb durci et de Pilier de défense. Il ne reste alors que deux voies possibles, celle de l’arrêt immédiat en acceptant, comme lors des opérations précédentes, une offre de trêve du Hamas et en se contentant de l’arrêt des tirs et de l’élimination de quelques centaines de combattants pour proclamer la victoire ou celle de la poursuite de l’engagement, au risque d’une fuite en avant à l’issue incertaine, afin obtenir des résultats plus en proportion des pertes subies. Dans tous les cas, il est très possible que cette opération soit la dernière du genre et en attendant la paix, fort improbable tant que perdurera l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie, il est impératif que Tsahal retrouve l’imagination qui faisait sa force.  

mardi 22 juillet 2014

Armées françaises : des capacités à la hauteur des ambitions ? Débat sur France 24


En débat avec la sénatrice Hélène Conway-Mouret, ancienne ministre et membre de la commission de défense et des affaires étrangères sur l'évolution des capacités de nos forces armées.

A voir Ici

lundi 21 juillet 2014

La guerre à distance


Extrait de Retour sur la guerre de 2006-DSI HS n°9 janvier 2009


Déjà publié sur ce blog en mars 2012

Les difficultés de Tsahal ont commencé lorsque les Israéliens ont fait glisser l’emploi de la force armée de la guerre vers l’action de police contre les organisations palestiniennes. Quand on refuse à son adversaire la légitimité politique et donc le statut d’ennemi, celui-ci ne peut être qu’un délinquant. Ce faisant, le combat contre ces organisations est à la fois perpétuel, car on ne fait pas la paix avec des délinquants, et encadré par de fortes contraintes légales et psychologiques. Dans ce contexte, la mort donnée et reçue peut devenir une anomalie d’autant plus scandaleuse que le rapport des forces semble toujours permettre de réduire les risques par un surcroît de moyens matériels. Placée hors de cette zone d’exception qu’est la guerre, l’erreur tactique devient justifiable d’une enquête sinon d’un tribunal. On en arrive ainsi à inciter les militaires à agir à coup sûr, à rechercher les victoires « à 1-0 » plutôt qu’à « 3-1 » selon une expression israélienne, mais aussi « à coûts sûrs » car le risque s’échange au bout du compte contre l’argent. Cette prudence a aussi pour effet d’allonger les conflits et, malgré les efforts de protection, les pertes finissent aussi par devenir significatives avec le temps. Près de 1 000 soldats et policiers israéliens ont ainsi perdu la vie pendant l’occupation du Sud-Liban et les deux Intifada palestiniennes.

Dans les années 2000, avec le développement considérable des armes de précision et à longue portée et l’édification de la barrière de sécurité, les Israéliens croient avoir trouvé la solution à leur problème tactique. Ces nouveaux moyens leur permettent en effet une nouvelle prise de distance avec le risque, en évacuant les zones occupées au Liban ou à Gaza tout en les gardant à portée de frappe aérienne ou de raids de forces spéciales. Cet éloignement physique s’accompagne ensuite rapidement d’un éloignement moral puisqu’on ne voit même plus les chairs que l’on découpe. La vision de la mort et de la souffrance déserte le champ de vision des militaires tandis que ceux qui vivent au-delà de la barrière deviennent de plus en plus des étrangers (tout en leur refusant ce statut). De leur côté, le Hamas et le Hezbollah ont occupé le vide politique pour créer des proto-Etats, contrôlant d’autant plus facilement la population que celle-ci éprouve du ressentiment contre les Israéliens. Ces organisations incrustées dans le milieu physique et humain local ne laissent cependant guère de saillants susceptibles de constituer des objectifs militaires.

Refusant de revenir au combat rapproché et donc d’occuper à nouveau le terrain, les Israéliens ne peuvent dès lors que frapper la population pour avoir une chance d’atteindre leurs adversaires. Ils se retrouvent finalement dans la même position que les organisations palestiniennes qui se sont crues obligées de frapper la population civile faute de pouvoir affronter Tsahal avec quelques chances de succès. Les premiers justifient cette dérive par l’idée que les populations locales sont solidaires des « terroristes » qu’ils ont amenés, ou simplement acceptés, à leur tête, les seconds considèrent que la population israélienne et ses très nombreux réservistes est toute entière militarisée. Les adversaires en sont venus ainsi à se ressembler par la croyance que l’autre ne cède qu’à la force, l’évitement du combat, les procédés terroristes et les accusations mutuelles de lâcheté. 

dimanche 6 juillet 2014

Quand la politique fait sa guerre... par Marc-Antoine Brillant




Après plusieurs mois d’abstinence médiatique, l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy a décidé de sortir de son silence, afin de « riposter aux attaques » dont il se dit « victime ». Choisissant le terrain de la prestation audiovisuelle, il a mené ce que certains observateurs ont appelé une « contre-attaque »[1]. Or, s’il n’a échappé à personne que le vocabulaire militaire irrigue aujourd’hui les discours des responsables politiques et des journalistes, les hors-sujets sont malheureusement fréquents. Et pas seulement lors des campagnes électorales. En matière de guerre, les mots ont un sens car ils traduisent une action précise, une référence à laquelle se rattacher. Ainsi, cette idée de contre-attaque est-elle valable pour l’arène politique ?

Le sens des mots.
Si l’on s’en tient à la terminologie militaire, une contre-attaque est une forme d’opération offensive durant laquelle une attaque par tout ou partie d’une force défensive est conduite contre une force assaillante ennemie, ayant pour but soit de reprendre du terrain perdu, soit d’isoler ou de détruire les unités de tête ennemies, avec pour objectif général de reprendre l’initiative et d’interdire à l’ennemi attaquant la réalisation de son but ou de ses intentions.

Certes quelque peu indigeste pour le néophyte, cette définition a au moins le mérite d’expliciter l’objectif final d’une contre-attaque : reprendre l’initiative. En d’autres termes ne plus subir les coups de l’ennemi. Et l’empêcher de mener à bien ce qu’il avait planifié. La contre-attaque est donc une action en réaction, qui implique une connaissance précise de l’attitude de l’ennemi, une évaluation de son intention et l’acceptation d’une certaine prise de risque. En aucun cas, elle ne doit être pensée sous le coup de l’émotion, au risque de précipiter une issue malheureuse.

Une offensive.
Ce terme traduit tant la nature d’une action (par exemple attaquer) que l’état d’esprit dans lequel elle doit être exécutée (« faire mal »). Au mieux, l’adversaire est détruit. Au moins, il est neutralisé. On commence par désorganiser son système de défense en l’empêchant de se coordonner, puis on réalise une manœuvre rapide afin de pénétrer dans la profondeur de son dispositif pour lui infliger un maximum de destructions.
Sur le champ de bataille, cela peut se traduire par une campagne de frappes aériennes sur les points sensibles de l’ennemi (défense anti-aérienne, infrastructures militaires et économiques vitales, etc…), avant de lancer une opération terrestre de conquête vers les villes clés d’un pays. La campagne militaire américaine contre l’Irak en 2003 illustre assez bien ce schéma. Simple à comprendre pour un militaire, le principe de l’offensive devient nettement plus complexe dans un contexte politico-judiciaire.
En effet, lors d’une campagne électorale, ce n’est pas la destruction physique de son adversaire qui est recherchée[2] mais sa décrédibilisation. C’est-à-dire casser sa légitimité auprès du plus grand nombre. On s’attaque ainsi aux idées. Mais aussi et surtout aux aptitudes des hommes et femmes qui les portent. Rien n’est plus douloureux qu’une fracture de crédibilité et plus indélébile à court terme sur l’opinion publique qu’une stature entachée.  
Mais avant d’arriver à un tel résultat, il y a un certain nombre de questions qu’il ne faut pas laisser sans réponse.

« Contre qui je me bats ? » ou la définition de l’adversaire.
La désignation de l’adversaire est essentielle pour déterminer l’objectif de l’action que l’on souhaite mener. Pendant la guerre froide, c’était relativement simple : doctrine d’emploi, matériels et organigrammes des protagonistes étaient connus. A notre époque, c’est un peu complexe. De nombreux paramètres s’entremêlent (fait religieux, facteur ethnique, asymétrie des méthodes et des adversaires, vulnérabilité des opinions publiques, etc…). Confrontée à ce nouvel environnement, l’armée américaine a développé une grille de lecture originale, issue des travaux de quatre professeurs de Harvard : la méthode SWOT. Analysant l’ennemi au travers de ses forces et faiblesses, des opportunités et menaces qu’il pourrait présenter, les militaires essaient de le disséquer en cibles matérielles et immatérielles à frapper. On ne s’attaque donc pas seulement aux chars ou aux petits soldats. On vise aussi ses idées, sa communication, ses ressources, son financement. En somme toutes les fonctions dont la perte serait très préjudiciable. L’objectif est de produire sur lui un effet durable qui le paralyse, l’incite à changer de comportement, l’inhibe, ou le pousse à la faute.      
Si dans une campagne militaire ou électorale cela peut paraître assez clair, dans une situation comme celle qu’affronte l’ex-Président, c’est nettement plus compliqué. En effet, « détruire » une juge d’instruction ou un membre du gouvernement demande de l’imagination…et d’accepter un passage de longue durée par la case prison. Pas forcément très « rentable », surtout pour un « potentiel » candidat…
C’est pour cette raison que l’argumentaire de ceux qui se placent en victimes tourne souvent autour du thème du complot avec plus de « suggéré » que de « désigné ». C’est aussi pour cette raison que les « incriminés » s’attaquent à la légitimité de ceux chargés d’instruire puis de juger leurs cas. Le principal avantage de contre-attaquer en visant la légitimité réside avant tout dans la « modification de la perception ». En prenant à témoin l’opinion publique sur ce qu’est censée être la Justice et ceux chargés de la servir, on va instiller le doute. Celui-là même qui crée une érosion lente mais profonde. Mais c’est un jeu dangereux, car en défendant sa cause on va agir sur la perception de l’ensemble du système et pas seulement sur ceux que l’on vise…

Le choix du moment.
C’est certainement l’un des éléments les plus déterminants quand on souhaite contre-attaquer. C’est le garant de l’effet de surprise sur l’adversaire. L’atout de la prise de l’ascendant moral sur l’ennemi. En planification militaire, on l’appelle le moment-clé.
Mais rien n’est plus difficile que de le choisir, car un danger rôde : celui de la précipitation ou de l’emballement. C’est-à-dire d’être poussé, ou plutôt incité, par l’adversaire lui-même à choisir le moment où l’on va réagir. Résister à cette pression n’est pas chose aisée. Mais cette faculté de résilience est la condition du succès.
Ainsi, rapporté à notre cas d’espèce, le choix du moment aurait dû encourager à ne pas réagir quelques heures à peine après la sortie de la garde à vue. C’est davantage la marque d’une réaction passionnée que d’une posture réfléchie au sens de calculée. Avec en butoir, le risque de se discréditer davantage. Comme un boxeur acculé dans les cordes, qui choisit de frapper alors que son adversaire s’est remis à distance. Il ne faut pas oublier que l’action judiciaire s’inscrit dans un temps long, peu ou pas compatible avec le concept de la contre-attaque médiatique. Peut-être qu’une interview le dimanche en direct sur le plateau de 20h de TF1 aurait permis non seulement de mieux « armer » le discours, mais aussi de toucher une portion plus large de l’opinion publique.

Le choix du terrain.
C’est l’autre élément essentiel de la contre-attaque. Sur quel terrain je souhaite porter mon action ? Dans l’armée, on se penche sur des cartes pour déterminer le lieu le plus défavorable à l’ennemi, donc le plus favorable pour soi. Cela peut-être une zone où les unités seront les plus vulnérables, soit parce qu’elles s’y concentrent, soit parce qu’elles auront du mal à s’y extirper. Cela peut aussi être le lieu précis où se trouve son centre de gravité, c’est-à-dire sa source de puissance. Mais attention, le terrain qui paraît le plus défavorable à celui qui va subir l’attaque peut l’être aussi pour celui qui va la réaliser.
En l’occurrence, le terrain est imposé à l’ex-Président : celui des tribunaux. Il a alors fait le choix de mener sa contre-attaque sur le terrain médiatico-politique pour des raisons qui lui sont propres. Il convient cependant de garder à l’esprit que le terrain médiatique fait « pschitt » très vite, l’opinion publique se lassant rapidement des feuilletons à répétition. Cela peut même s’avérer contre-productif dans la mesure où les média ne sont pas qu’un simple relais de l’information, mais un prisme au travers duquel celle-ci peut changer de sens. Les journalistes analysent le fait et la parole, les commentent et peuvent au final leur donner un objectif totalement contraire à celui qui était initialement recherché (les commentaires sur le discours du Président Hollande lors de l’affaire Léonarda par exemple).

Quelles leçons ?
L’histoire militaire est riche en exemples de contre-attaque réussie (l’attaque française du 18 juillet 1918 lors de la seconde bataille de la Marne) ou complètement ratée (les tentatives allemandes pour reprendre l’initiative en 1944 en Normandie). Quelle qu’en ait été l’issue, tous mettent en lumière deux points déterminants lorsqu’on prépare ce mode d’action si particulier : le choix du moment-clé et le choix de l’outil que l’on va utiliser pour passer à l’action. La contre-attaque doit servir à reprendre, si ce n’est du terrain, au moins l’ascendant moral sur son adversaire.
En politique, si le message est l’obus et le plateau de télé le mortier, il convient alors de choisir le meilleur moment pour être certain de toucher au premier coup.
De plus, bien qu’indispensable, la communication ne peut pas être l’ultima ratio. Elle doit être le moyen et non la fin. Elle doit porter des idées « force » qui produiront un effet sur l’adversaire ou son environnement (l’opinion publique). La parole est une arme mais son excès est contre-productif.      

Enfin, pour ceux qui douteraient du bien-fondé d’établir un parallèle entre guerre et politique, Michel Foucault évoquait déjà en 1976 la réalité du clivage de notre société en ces termes : « Nous sommes donc en guerre les uns contre les autres; un front de bataille traverse la société toute entière, continûment et en permanence, et c’est ce front de bataille qui place chacun de nous dans un camp ou dans un autre. Il n’y a pas de sujet neutre. On est forcément l’adversaire de quelqu’un ».
Quand la politique souhaite faire sa guerre, un peu de stratégie ne peut pas faire de mal…





[1] « La contre-attaque de Nicolas Sarkozy », Les Echos, 3 juillet 2014, www.lesechos.fr.
[2] Dans un pays civilisé et démocratique bien entendu…