Après
vingt jours de combats l’opération israélienne Bordure protectrice arrive à un tournant qui autorise une
première analyse militaire.
A voir et à venger
Bordure protectrice est après Pluie d’été (2006), Plomb durci (2008-2009), Pilier
de défense (2012), la quatrième opération de même type contre le Hamas,
avec sensiblement les mêmes objectifs énoncés (« punir » et faire
cesser la menace contre la population israélienne) et les mêmes modes d’action.
Le Hamas a de son côté répondu par une habituelle campagne de frappes à
distance mais aussi et, c’est plus nouveau, par des raids ou des tirs directs en
territoire Israélien.
La
campagne de frappes par missiles et roquettes, malgré l’apparition de
projectiles comme les missiles M-302 à longue portée (160 km et donc capables
de frapper Tel Aviv et Jérusalem) et à grande puissance (charge de 140 kg d’explosif),
est toujours aussi peu létale pour les civils israéliens puisque « seulement »
deux en ont été victimes. Sachant que la mortalité moyenne de la population
israélienne sur vingt jours est d’environ 2 300 personnes, on peut même
considérer qu’en perturbant la vie courante (en réduisant par exemple la
circulation automobile) le nombre de décès a peut-être même diminué durant la
même période. Ce résultat, comparable à celui des trois autres opérations (respectivement
2, 3 et 4 pertes civiles) est à attribuer en partie à l’efficacité du système d’interception
« Dôme de fer », le plus sophistiqué du monde en la matière, mais surtout
au système d’alerte et de protection de la défense civile.
Les
brigades Al-Qassam, branche armée du Hamas, et leurs alliés, persistent
cependant dans cette voie apparemment stérile car c’est un témoignage
visible, de la persistance de leur volonté de combattre et, vis-à-vis de la
population palestinienne, de ne pas subir sans riposter. Le deuxième résultat
est la perturbation de la vie économique, et même de la vie tout court,
israélienne placée sous une épée de Damoclès. Plus qu’une augmentation des
pertes, le résultat de l’emploi de projectiles à plus grande portée (en fait
plus facilement repérables et destructibles que les petites roquettes) est une
augmentation de la surface de danger et donc de désorganisation. Combinée au
coût d’emploi du système Dôme de fer, très supérieur à celui de l’artillerie à
longue portée du Hamas, et de la mobilisation de presque 70 000 réservistes,
cette perturbation rend économiquement très rentable l’emploi de celle-ci dans
le cadre d’une guerre d’usure. Quant à la faible mortalité des projectiles, c’est
finalement un avantage non-voulu dans la mesure où la disproportion systématique
avec les pertes civiles palestiniennes finit toujours par éroder, au moins au
niveau international, les justifications de l’opération israélienne de
représailles. Cette image internationale, mais peut-être pas l’image du Hamas
en interne, serait cependant encore favorisée si ces frappes palestiniennes,
qui ne peuvent frapper que des civils et justifient ainsi l’accusation de
terrorisme, n’existaient pas et que les pertes civiles étaient à sens unique.
Du
côté israélien, le largage des centaines de projectiles dans un espace où la
densité dépasse 4 700 habitants par km2 et alors
que l’ennemi n’est pas une armée régulière mais une milice ne peut, malgré la
précision des armes, les précautions et avertissements, manquer de frapper
massivement la population. Pour la quatrième fois donc, Israël s’est donc engagée
dans une campagne dont on savait qu’elle ferait des centaines de victimes
civiles, en s’appuyant sur l’excuse, faible, du bouclier humain et l’espoir
inavoué, mais toujours déçu, que la population palestinienne finira par se
retourner contre le Hamas, responsable de telles calamités. Il s’agit surtout,
comme l’expliquait Samy Cohen dans Tsahal
contre le terrorisme, d’un transfert aux Palestiniens du principe de
riposte disproportionnée, appliquée jusque-là aux Etats arabes et à leurs armées,
en négligeant le fait que les cibles ne peuvent être les mêmes et en oubliant
que cette recherche de l’écrasement n’a trouvé de fin que lorsque l’armée égyptienne
y a échappé au début de la guerre du Kippour, permettant, par l’honneur sauvé,
d’envisager enfin la paix. Cette nouvelle campagne va donc éliminer à nouveau quelques
centaines de combattants du Hamas (sur des dizaines de milliers), quelques
personnalités du mouvement (vite remplacés, parfois par plus compétent ou
intransigeant) et quelques infrastructures (vite reconstruites). On ne sait
donc pas vraiment, en tout cas pas visiblement, si le Hamas va s’en trouver
affaibli.
Retour à la terre
La
nouveauté de cette opération est la réapparition du combat terrestre et d’un
combat terrestre meurtrier pour Tsahal, puisqu’avec, à ce jour (28 juillet), il
déplore 43 soldats tués, soit bien plus que lors des trois opérations
précédentes (avec respectivement 5, 10 et 2 morts) ou même que lors de l’opération
Rempart lorsque, du 29 mars au 3 mai
2002, l’armée israélienne avait réoccupé et nettoyé les six villes
palestiniennes autonomes de Cisjordanie et perdu 30 hommes. On reste évidemment
très loin des 3 000 morts israéliens de la guerre du Kippour et même des
657 de l’opération Paix en Galilée en
1982 au Liban, mais dans le cadre d’un affrontement avec un rapport de forces très
asymétrique, ces pertes constituent un évènement saillant. Il est en effet rare
lorsqu’on dispose de tels moyens d’aboutir à un ratio de pertes de seulement 8
combattants du Hamas tués pour un israélien. Lors de l’opération Plomb durci, ce rapport avait été, selon
les sources, de 60-70 pour 1.
Cette
évolution est d’abord le résultat d’innovations tactiques de la part d’Al-Qassam
qui a su doubler l’action de l’artillerie à longue portée d’une nouvelle
capacité d’action sur les bords de la limite entre Israël et la
bande de Gaza malgré la présence de la barrière de sécurité. Pour contourner
cette barrière par le bas, les combattants palestiniens ont, comme dans toute
guerre de siège, développé un réseau de tunnels d’attaque (« tunnels
terroristes » selon le Premier ministre israélien) permettant de surgir à
l’intérieur même du territoire israélien. Ils ont également tourné la barrière
par le haut par l’emploi de drones mais surtout depuis les hauteurs d’armes de tir direct à la fois
précise et à longue portée comme les missiles antichars Kornet (5 000 mètres
de portée, voire 8 000 pour les versions les plus sophistiquées) ou les fusils de
tireurs d’élite comme le Steyr HS .50 capable d’envoyer un projectile de 12,7 mm à 1500 m. Rien d'étonnant dans tout cela et rien qui n'existait déjà depuis des années attendant d'être développé.
Cette
menace sur les bordures impose de doubler la barrière d’une présence militaire,
ce qui offre déjà des cibles militaires aux Palestiniens, et, pour tenter d’y
mettre fin, de pénétrer plusieurs kilomètres à l’intérieur du territoire de
Gaza. Il ne s’agit plus, comme en 2008, d’envoyer des colonnes blindées très
protégées dans la zone la moins dense de Gaza dans un engagement plus
symbolique que réellement efficace, mais de pénétrer dans des zones urbanisées
et densément peuplées. On se retrouve ainsi plus dans la configuration des
combats de Jénine en 2002 où, dans ce contexte de petits nombres, il suffit d’une
seule embuscade réussie de la part des Palestiniens, de la destruction d’un seul transporteur de troupes (hélicoptère ou
transport terrestre) ou simplement de la capture d’un seul homme pour obtenir un
« événement » et donc une victoire, cela quelles que soient ses
propres pertes. Les miliciens du Hamas, mieux équipés malgré le blocus (c’est
de l’armement léger facilement dissimulable) et sans doute mieux entraînés qu’avant,
ont réussi ainsi apparemment quelques coups qui ont suffi à faire monter très
vite le chiffre des pertes militaires israéliennes.
Avec
43 hommes tombés au combat, on est déjà entré dans une zone de doute et
celui-ci est d’autant plus fort que l’on perçoit que cette nouvelle opération
ne sera pas plus décisive que les précédentes. Certaines familles commencent à
mettre en cause le pourquoi du sacrifice de leur fils si c’est pour recommencer
dans deux ans comme cela semble être désormais la norme, et ces familles sont
suffisamment nombreuses pour atteindre le seuil critique qui affecte l’opinion.
En
recommençant la même opération pour la quatrième fois, les Israéliens ont renoncé de fait à toute surprise tactique et se sont rendus vulnérables aux adaptations
de l’adversaire. Pour le gouvernement israélien, le bilan, visible au moins, de
l’opération Bordure protectrice est
pour l’instant très inférieur à celui de Plomb
durci et de Pilier de défense. Il
ne reste alors que deux voies possibles, celle de l’arrêt immédiat en
acceptant, comme lors des opérations précédentes, une offre de trêve du Hamas
et en se contentant de l’arrêt des tirs et de l’élimination de quelques
centaines de combattants pour proclamer la victoire
ou celle de la poursuite de l’engagement, au risque d’une fuite en avant à l’issue
incertaine, afin obtenir des résultats plus en proportion des pertes subies. Dans
tous les cas, il est très possible que cette opération soit la dernière du genre et
en attendant la paix, fort improbable tant que perdurera l’occupation de Gaza
et de la Cisjordanie, il est impératif que Tsahal retrouve l’imagination qui
faisait sa force.