« 1 350 000 morts en France. Parmi eux combien de généraux ? » se demandent Georges Duby et Philippe Ariès à la fin des années 1980 dans leur Histoire de la vie privée (p. 206). Loin d’être anodine, cette question porte en elle tous les éléments accusatoires lancés à l’encontre des généraux de la Grande Guerre dès la fin du conflit et qui les vit très régulièrement considérés comme des embusqués.
Or tout
comme la notion de pertes, le chiffre des généraux tués à la guerre est sujet à
discussion. À la fin de la guerre, le maréchal Foch fait réaliser une enquête afin d’établir la
liste des généraux « tués à l’ennemi » entre août 1914 et juillet
1918. Celle-ci fait ressortir le nom de 41 généraux (listés dans le Dictionnaire de la Grande Guerre 1914-1918
de François Cochet et Rémy Porte, p. 473 et ci-dessous). Dans un autre ouvrage
(Survivre au front), François Cochet propose le chiffre de 43 officiers généraux
« tués au feu durant la Grande
Guerre » quand le Dictionnaire
des généraux et amiraux de la Grande Guerre de Gérard Géhin et Jean-Pierre
Lucas évoque pour sa part une « bonne
centaine de maréchaux, généraux, amiraux et assimilés réputés morts pour la
France » précisant que « soixante-neuf
sont morts durant la guerre, trente-cinq décèdent dans les années qui suivent,
jusqu’en 1927 ».
Si les
chiffres ne sont pas totalement établis, c’est en raison d’un problème de
définition qui porte sur la nature et les modalités de la mort. Dans la
première analyse commanditée par Foch, on considère seulement
les brigadiers et divisionnaires « tués à l’ennemi », l’expression
incluant les hommes morts des suites de blessures obtenues au front. Mais cette
grille de lecture est discutable à plus d’un titre. Peslin suicidé en août 1914 ou Baratier mort au cours
d’une inspection de tranchée en 1917, par exemple, ne sont pas considérés comme
tués à l’ennemi car ils n’ont pas été tués par
l’ennemi. Baratier obtiendra pourtant la mention M.P.F.
(« mort pour la France ») de même que le malheureux Peslin.
L’attribution
de la mention M.P.F. résulte de la loi du 2 juillet 1915, avec effet rétroactif
au début de la guerre. Devant le nombre de morts, la loi instaurait un droit à
pension pour les militaires en vertu des articles L488 et L492 bis du Code des
pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Récompense morale à
l’origine, elle visait à honorer le sacrifice des victimes de la guerre. Elle
fut accordée à tout militaire tué à l'ennemi ou mort de blessures de guerre, ou
à tout militaire décédé de maladie ou lors d'un accident survenu en service.
Après la guerre, les familles des officiers morts après la guerre soit de
maladie, soit des suites de leurs blessures et qui n’avaient pas été pris en
compte dans la liste de Foch ont été particulièrement soucieuses d’obtenir la
mention M.P.F.
Si Rémy
Porte et François Cochet ont eu la sagesse de se fonder sur la liste établie
par Foch, le Dictionnaire des généraux et
amiraux a pourtant raison d’élargir le prisme de son analyse en intégrant
tous ceux qui ont pu bénéficier de cette mention, d’autant que c’est elle qui
est utilisée aujourd’hui pour comptabiliser les morts de la guerre, tous grades
confondus.
À l’aube du
centenaire, si l’on souhaite comparer ce qui est comparable, il convient de
reconnaître aux généraux ce que l’on a reconnu aux soldats. Dans ce cadre,
c’est bien la mention M. P. F. qui doit prévaloir et non la liste établie par
Foch. Il en résulte que, au lieu des 41 ou 43 généraux tués à la guerre, il
faut pratiquement doubler le chiffre pour le porter à 96 individus, à 102 si on
compte avec les amiraux et intendants assimilés.
Rapportés
au nombre de généraux en activité, ces chiffres montrent que les généraux de la
Grande Guerre n’ont pas été des
embusqués. Par ailleurs, allant à l’encontre des images et des textes connus
sur la propagande en temps de guerre, ces chiffres prouvent que Foch n’a pas
souhaité communiquer sur l’engagement des officiers généraux ou s’en servir
pour vanter l’héroïsme des généraux. Enfin, la notion de M. P. F. est
intéressante en ce qu’elle ne circonscrit pas la létalité à la période comprise
entre 1914 et 1918 mais sait prendre en compte le temps long de la guerre.
Le tableau ci-dessous indique année par année la liste des généraux tués à la guerre. Elle montre bien que, comme pour les hommes, l’année 1914 a été proportionnellement plus meurtrière que les autres années. La liste établie à la demande de Foch est en italique et gras (l’astérisque signale que l’on peut trouver la notice biographique dans le Dictionnaire de la Grande Guerre). La liste des généraux dits M.P.F. est en caractère normal.
Le tableau ci-dessous indique année par année la liste des généraux tués à la guerre. Elle montre bien que, comme pour les hommes, l’année 1914 a été proportionnellement plus meurtrière que les autres années. La liste établie à la demande de Foch est en italique et gras (l’astérisque signale que l’on peut trouver la notice biographique dans le Dictionnaire de la Grande Guerre). La liste des généraux dits M.P.F. est en caractère normal.
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1914
|
10 août 1914
|
PESLIN
|
suicide
|
22 août 1914
|
RAFFENEL *
|
Tué à l’ennemi
|
|
22 août 1914
|
RONDONY *
|
Tué à l’ennemi
|
|
23 août 1914
|
DIOU
|
Tué à l’ennemi
|
|
26 août 1914
|
DEFFONTAINES
|
Blessures de guerre (éclat d’obus)
|
|
27 août 1914
|
PLESSIER
|
Blessures de guerre
|
|
6 septembre 1914
|
ROQUES
|
Blessures de guerre – balle dans la tête.
|
|
8 septembre 1914
|
BATAILLE *
|
Tué à l’ennemi d’un éclat d’obus
|
|
9 septembre 1914
|
DUPUIS
|
Explosion d’un caisson de munitions
|
|
10 septembre 1914
|
BARBADE
|
Tué avec son état-major par un obus.
|
|
16 septembre 1914
|
MARQUET
|
Tué à l’ennemi
|
|
17 septembre 1914
|
BRIDOUX *
|
Fusillade de son état-major (embuscade)
|
|
20 septembre 1914
|
ROUSSEAU *
|
Tué à l’ennemi – éclat d’obus
|
|
21 septembre 1914
|
GRAND D’ESNON*
|
Tué à l’ennemi
|
|
25 septembre 1914
|
BATTESTI *
|
Blessures de guerre
|
|
27 septembre 1914
|
SIBILLE
|
3 éclats d’obus dont un au cœur.
|
|
04 octobre 1914
|
MARCOT
|
Tué à l’ennemi
|
|
29 octobre 1914
|
ARRIVET
|
Tué à l’ennemi
|
|
18 novembre 1914
|
DURAND
|
Blessures de guerre
|
|
30 novembre 1914
|
CAUDRELIER
|
Tué à l’ennemi – balle dans la tête
|
|
27 décembre 1914
|
REYMOND
|
Tué à l’ennemi – criblé de balles
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1915
|
15 février 1915
|
LÉRÉ
|
Mort de maladie
|
19 février 1915
|
GRANDMAISON
|
Tué à l’ennemi
|
|
20 mars 1915
|
DELARUE *
|
Tué à l’ennemi – par balle
|
|
29 mars 1915
|
DEFFORGES
|
Mort de maladie à Orléans.
|
|
10 mai 1915
|
BARBOT *
|
Obus.
|
|
12 mai 1915
|
STIRN *
|
PC « marmité ». Eclat d’obus.
|
|
21 mai 1915
|
MOUSSY
|
Tué à l’ennemi
|
|
7 juin 1915
|
GANEVAL
|
Tué à l’ennemi – Balle dans la tête (Dardanelles)
|
|
28 juin 1915
|
LAVISSE
|
Mort de ses blessures
(datant de décembre 1914).
|
|
17 juillet 1915
|
MASNOU
|
Mort de ses blessures, à bord d’un navire-hôpital.
|
|
28 août 1915
|
RETEL
|
Mort de maladie contractée en service.
|
|
30 août 1915
|
CHAUMONT
|
Mort à l’hôpital auxiliaire
n°44 (à 78 ans)
|
|
10 décembre 1915
|
PROYE
|
Mort de blessures (datant de février 1915)
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1916
|
6 janvier 1916
|
SERRET *
|
Blessé, amputé jambe droite, blessures de guerre.
|
22 janvier 1916
|
DELMOTTE
|
Mort de maladie à l’hôpital à Doullens
|
|
27 mars 1916
|
LARGEAU
|
Mortellement blessé par éclat d’obus
|
|
29 mars 1916
|
MONTAUDON
|
Mort de maladie
|
|
11 avril 1916
|
TRUMELET- FABER
|
Blessures de guerre (néphrite infectieuse).
|
|
9 mai 1916
|
KRIEN
|
Blessure (trépanation).
|
|
27 mai 1916
|
GALLIENI *
|
Mort des suites d’un cancer
|
|
13 juillet 1916
|
MEUNIER
|
Mort de maladie (aggravation par coup de froid).
|
|
6 septembre 1916
|
AIMÉ *
|
Tué à l’ennemi
|
|
23 septembre 1916
|
GIRODON
|
Tué à l’ennemi
|
|
3 octobre 1916
|
LA PORTE d’HUST
|
Mort de maladie
|
|
24 octobre 1916
|
ANSELIN *
|
Tué à l’ennemi – éclat d’obus à la tête.
|
|
22 décembre 1916
|
CLERMONT TONNERRE
|
Mort de maladie contractée en service.
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1917
|
16 avril 1917
|
COUSIN
|
À son domicile, de maladie.
|
15 août 1917
|
MICHELER
|
Des suites de ses blessures de guerre (juillet 1915).
|
|
11 sept. 1917
|
RIBERPRAY
|
Tué à l’ennemi – balle dans la tête
|
|
17 octobre 1917
|
BARATIER *
|
Embolie.
|
|
17 octobre 1917
|
CHALLE
|
Tué à l’ennemi
|
|
24 octobre 1917
|
CREPEY
|
Maladie contractée en service.
|
|
7 novembre 1917
|
RAVENEZ
|
Inconnue- En réserve au moment de sa mort.
|
|
30 décembre 1917
|
COLIN
|
De blessures (éclat d’obus).
|
|
30 décembre 1917
|
MARGUERON
|
Blessure - dépression nerveuse puis lésion de l’aorte
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1918
|
5 janvier 1918
|
LIZÉ
|
Des suites de ses blessures. (PC bombardé)
|
7 janvier 1918
|
GROSSETTI
|
Mort de maladie contractée en service (en Orient).
|
|
29 mars 1918
|
FRANCFORT
|
Tué lors du bombardement de l’église Saint-Gervais
|
|
28 mai 1918
|
DES VALLIÈRES *
|
Inconnue
|
|
31 mai 1918
|
GUIGNABAUDET
|
Mort des suites de ses blessures de guerre
|
|
16 juillet 1918
|
VANWAERTERMEULEN
|
Mort des suites de ses blessures (éclat d’obus)
|
|
22 juillet 1918
|
BOUTTIAUX
|
Mort à l’ambulance n°226 des suites d’un accident
|
|
17 décembre 1918
|
REY
|
Décédé de la grippe espagnole.
|
|
27 décembre 1918
|
JULLIEN
|
Inconnue – Mort à Paris.
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1919
|
14 janvier 1919
|
GUEYDON de DIVES
|
Mort des suites de maladie
|
19 janvier 1919
|
REBOUL LACHAUX
|
Mort des suites d’une maladie
|
|
10 mai 1919
|
GÉRÔME
|
Inconnue. Mort à Marseille.
|
|
15 mai 1919
|
DUFLOS
|
Inconnue. Mort à Marseille.
|
|
19 mai 1919
|
MONTEROU
|
Inconnue.
|
|
29 juillet 1919
|
MONTANGON (de)
|
Mort de maladie
|
|
19 octobre 1919
|
FIÉVET
|
Inconnue
|
|
1919
|
HOLLENDER
|
Inconnue.
|
|
1919
|
RENOUARD de SAINTE CROIX
|
Inconnue.
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1920
|
4 février 1920
|
ARLABOSSE
|
Inconnue (grièvement blessé en 1917).
|
Mars 1920
|
VENEL
|
Malade, amputé jambe droite.
|
|
19 juin 1920
|
SIMONIN
|
Mort de blessures de guerre, au cour s d’une réunion.
|
|
23 juin 1920
|
WADDINGTON
|
Mort de maladie
|
|
26 août 1920
|
BARET
|
Mort de maladie (retraite depuis 1917).
|
|
8 décembre 1920
|
CHAILLEY
|
Inconnue
|
|
1920
|
SAURET
|
Inconnue.
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1921
|
15 septembre 1921
|
GUÉRIN
|
Inconnue
|
12 novembre 1921
|
LADOUX
|
Inconnue
|
|
31 décembre 1921
|
LARROQUE
|
Mort de ses blessures (gaz).
|
|
1921
|
MONTIGNAULT
|
Inconnue (prisonnier en Allemagne 1914-1918).
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1922
|
22 juin 1922
|
JACQUOT
|
Suite d’une intoxication au gaz (Verdun 1916)
|
10 juillet 1922
|
LANCRENON
|
Inconnue.
|
|
15 août 1922
|
DURUPT
|
Des suites de ses blessures (aux reins).
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1923
|
28 mars 1923
|
MAUNOURY *
|
Mort subite dans un train.
|
26 novembre 1923
|
MALLETERRE
|
Inconnue (avait eu une jambe amputée)
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1924
|
18 janvier 1924
|
AUDIBERT
|
Inconnue.
|
22 février 1924
|
POEYMIRAU
|
Maladie et blessures de guerre.
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1925
|
23 février 1925
|
HANOTEAU
|
Inconnue.
|
Année
|
Date
|
NOM
|
Modalité du décès
|
1927
|
5 avril 1927
|
DROUOT
|
Inconnue.
|