dimanche 28 avril 2013

De la capacité à créer des structures de commandement inefficaces-L'exemple de 1940


En septembre 1939, lorsque commence la guerre, le général britannique Ironside (alors chef de l’Imperial general staff) est obligé de dessiner un schéma sur ses carnets afin de comprendre l’organisation du haut commandement français. Au sommet, se trouve le général Gamelin commandant en chef des forces franco-britanniques et dont on sait que sa docilité politique a été le critère premier de nomination. En dessous, on trouve les trois armées dirigées par le général Vuillemin pour l’armée de l’air, l’amiral Darlan pour la marine et Gamelin encore pour les forces terrestres. L’amiral Darlan se refuse cependant à toute subordination et, perpétuant la vieille séparation entre Guerre et Marine, Daladier, président du conseil et ministre de la guerre, lui donne des ordres directement. A la tête de la jeune armée de l’air, très contestée avant-guerre, le général Vuillemin, s’efforce également d’avoir le maximum d’autonomie. Quant aux décisions concernant le corps expéditionnaire britannique, elles sont prises au sein d’un Conseil suprême interallié.

Mais même au sein des forces terrestres, dont il est théoriquement le chef, Gamelin voit son autorité contestée. Gamelin ne dispose que du Grand quartier général (GQG) des forces terrestres qui supervise les différents théâtres d’opérations depuis août 1939 : Levant (général Weygand), Sud-Est (général Billotte), Afrique du nord (général Noguès) et surtout Nord-Est (général Georges). Cet état-major commun est un monstre de 1 770 personnes dont près de 500 officiers (6500 en comptant tous les services rattachés comme les inspections d’armes).

Pour tenter de peser vraiment sur les événements, Gamelin impose en janvier 1940 une scission de ce GQG pour créer son propre état-major. Celui-ci s’installe à Vincennes, tandis que celui de Georges reste à la Ferté-sous-Jouarre, entre Meaux et Château-Thierry. Dans la réorganisation, les 1er, 2e et 3e bureaux du front Nord-Est sont coupés en deux, tandis que le 4e est affecté au complet à Vincennes mais tout en continuant à prendre ses ordres du commandant en chef du front du Nord-Est. Les communications sont assurées par téléphone, avec une interruption chaque midi le temps pour l’unique standardiste d’aller prendre son déjeuner, et par une moto-estafette par jour. A lourdeur et le cloisonnement bureaucratique sont tels qu’il peut s’écouler une semaine entre l’émission d’un document émis par Gamelin et sa réception par Georges.

Gamelin s’efforce ensuite de devenir le véritable conseiller du gouvernement pour la conduite de la guerre et de donner la direction stratégique de celle-ci mais avec le remplacement de Daladier par Reynaud le projet est retardé et Gamelin perd son principal soutien politique. L’offensive allemande le sauve provisoirement d’un remplacement imminent et il n’a alors de cesse de montrer que c’est bien lui qui conduit la guerre au niveau supérieur mais, selon sa formule, « sans interférer dans la conduite des opérations ». Il impose la manœuvre Dyle-Breda contre l’avis de tous ses subordonnés. On connaît la suite.

A partir de la percée allemande dans les Ardennes, le haut commandement s’avère incapable de fournir un point de situation cohérent de la bataille qui tend alors à se fragmenter au gré des initiatives des uns et des autres. Lord Gort ordonne le repli du corps expéditionnaire britannique le 24 mai, tandis que le général Billotte chargé de coordonner les armées alliées en Belgique donne l’ordre de tenir sur place. Quelques jours auparavant, le 17 mai, Gamelin a été remplacé par Weygand, en partie pour son accord total avec Georges, mais le temps de venir du Levant et de se mettre au courant de la situation, plusieurs jours cruciaux se passent. Il faut le voyage en avion à Ypres, le 21 mai, pour qu’il apprenne que les Allemands ont atteint la mer. Désormais, il est trop tard et le haut commandement est tellement décrédibilisé que ses ordres ne sont plus appliqués que partiellement.

Quels que soient les responsabilités des hommes, ce désastre est aussi l’échec d’une organisation bloquée par les rivalités internes et les peurs politiques, aboutissant à un système où plus personne n’assumait seul ses responsabilités.


Fiche au chef d'état-major des armées, 21/02/2008

13 commentaires:

  1. Cela rappel un peu la situation economique et politique européenne et francaise actuel...

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  2. Pour répondre à "Anonyme" je dirai que c'est différent. Ce billet pointe les erreurs d'organisation induites par les inimitiés politiques. La "structure" politique française reste inchangée depuis 1958 (minus le quinquenat).

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  3. Dans ses Mémoires, de Gaulle décrit aussi l'instabilité politique qui prévalait sous la Troisième République (investiture de Paul Reynaud, impossibilité pour ce dernier de se débarrasser de Daladier, exemple de son entrevue avec Léon Blum...) et, par contraste, la grande efficacité de la pression britannique à son égard, à Londres (car tous les intervenants anglais, une fois une ligne décidée par leur gouvernement, s'y tenaient, chacun dans sa partition).

    Dans le livre suivant :

    http://www.amazon.fr/Cultures-mondialisation-G%C3%A9rer-par-del%C3%A0-fronti%C3%A8res/dp/2020542811/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1367238943&sr=8-1&keywords=cultures+et+mondialisation

    les auteurs examinent différents cas concrets dans des entreprises de différents pays.

    En particulier, l'un des chapitres porte sur une coopération franco-suédoise sur un projet technique, et montre les différences de comportements entre français et suédois.
    Il montre aussi que toute médaille a son revers, et que les traits initialement décrits comme plus positifs de l'une des parties ont leurs inconvénients. Il s'agit en fait de logiques différentes, qui peuvent motiver (d'après les auteurs) des modes de gestion différents.

    (Enfin, on entend parfois dire, sur l'affaire Dreyfus (par exemple, par Jacques Bainville) qu'il a aussi s'agit d'une affaire Zola. Pour ceux qui soutiennent cette thèse, le fait pour le gouvernement d'être violemment pris à partie et contesté a contribué à le conduire à s'obstiner dans l'erreur.)

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  4. Dans ses Mémoires, Raymond Aron donne l'exemple d'une situation où l'anarchie se crée suite à la perte d'un chef : il s'agit du Figaro, où il travaillait en temps qu'éditorialiste, après la mort de Pierre Brisson en 1965.
    Selon lui, le manque de poids du nouveau directeur a conduit la rédaction à se disperser en de multiples tendances rivales, et à une perte de qualité du journal, qu'il a fini par quitter, après d'autres péripéties, en 1977.

    Assez longtemps au XIXe et XXe siècle, la France a eu des gouvernements instables ou changeant fréquemment de type. On entend parfois dire que c'est l'administration qui a tenu la barre pour compenser cette instabilité.
    Par ailleurs, les hommes politiques sont élus dans les conditions médiatiques que l'on connait, et le fait pour l'administration de pouvoir équilibrer telle ou telle décision pas assez réfléchie peut parfois être utile.
    Mais, pour que cela soit possible, il faut aussi que l'administration ne soit pas une simple collection d'individus désemparés, qui auraient tendance à être en compétition pour l'attention du pouvoir politique et seraient donc en position de faiblesse.

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  5. Axiome 1 : au-delà d’une certaine complexité organisationnelle, les acteurs ont tendance à oublier la finalité (la sauvegarde d’un bien commun) pour se concentrer sur l’atteinte d’objectifs égoïstes (personnelles comme la carrière et/ou corporatistes). Le chef, même intelligent, même doté d’une vision d’ensemble, est alors contraint à l’impuissance et voit venir la catastrophe sans pouvoir s’y opposer.
    Axiome 2 : la réalité c’est ce à quoi on se cogne. Plus on s’en éloigne, plus le choc en retour est violent
    Axiome 3 : l’axiome 2 est invariant quelle que soit l’échelle ; individuelle, sociétale, civilisationnelle.

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  6. Au-delà de l'organisation ubuesque des états-majors français, il faut aussi évoquer, en miroir, la qualité intellectuelle supérieure des officiers supérieurs allemands. Au final l'élite militaire d'un pays n'est que la traduction de son élite politique. La conduite de la guerre en 1939-1940 a été à l'image de ses décideurs : pitoyable. La situation contemporaine est pire encore. A côté d'un Daladier, Hollande est un nain, c'est dire.

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    1. Loin de moi la volonté de négliger les responsabilités du régime politique (démagogue, électoraliste, menteur, politicien), de l'action subversive du parti communiste, de la responsabilité de Gamelin (dont la qualité essentielle était d'être une carpette devant les politiciens élus), de l'erreur complète de la doctrine d'emploi des chars, de l'incompréhension du rôle essentiel de l'appui aérien rapproché (Stuka) qui affranchissaient les troupes d'assaut des nécessités logistiques de l'artillerie, etc., etc., mais mon point de vue est le suivant : nous avons perdu la guerre de 1940 parce qu'il nous a manqué six à douze mois de production industrielle.

      Si les Allemands avaient attaqué le 10 mai 1941, avec tous nos défauts, nous aurions, je crois, supporté l'attaque et serions parvenus à les mettre en échec grâce à l'équipement que nous aurions acheté ou produit depuis 1939.

      Si les Allemands avaient attaqué le 10 mai 1939, ils n'auraient pas mis deux mois pour parvenir jusqu'à Bordeaux, mais un seul. En ce sens, contrairement à tout ce que les moutons pensent, les accords de Munich étaient nécessaires et ont été d'une grande utilité pour la Défense nationale : ils nous ont permis de nous donner douze mois supplémentaires pour nous réarmer.

      Doctrine d'emploi, surveillance des menaces, réactivité, patriotisme élitiste et social sont évidemment quelques notions essentielles pour qu'une Défense nationale soit efficace, mais aussi, capacités industrielles et technologiques.

      En complément, parcourir les numéros de l'excellente revue française G.B.M. : http://blindes-materiel.histoireetcollections.com.

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  7. Si quelqu'un souhaite actualiser et approfondir ses connaissances historiques sur la situation évoquée dans la note du colonel Goya de 2008, je vous invite à lire deux récentes biographies, celles des généraux Alphonse Georges (publiée en 2009) et Paul Vauthier (publiée il y a deux mois), toutes les deux écrites par le colonel Max Schiavon.

    Adresses de commandes :

    - http://www.amazon.fr/G%C3%A9n%C3%A9ral-Alphonse-Georges-destin-inachev%C3%A9/dp/2914818408/ref=la_B004MP8KGA_1_2?ie=UTF8&qid=1367310850&sr=1-2

    - http://www.amazon.fr/g%C3%A9n%C3%A9ral-Vauthier-officier-visionnaire-bouleversant/dp/2364450179/ref=la_B004MP8KGA_1_1?ie=UTF8&qid=1367310855&sr=1-1

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  8. +1 pour la biographie de Vauthier par Max Schiavon que je suis en train de lire, on retrouver les problèmes évoqués dans ce billet.

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  9. Grenadier de la Garde30 avril 2013 à 20:00

    Pas sûr que les structures actuelles de commandement soient meilleures.
    Bien sûr face à des adversaires sans marine et sans aviation, ca passe. Mais dans un affrontement à peine moins dyssymétrique, cela risquerait d'être surprenant.
    Il faudrait un gros carnet à un nouvel Ironside pour comprendre qui fait quoi dans les structures US ou otanniennes. Rappelons nous les difficultés du patron de l'OTAN en 1999 pour donner des ordres clairs. Heureusement qu'il n 'y avait en face que la petite armée serbe isolée.
    Vous avez déja évoqué les difficultés israéliennes face à la simplicté du commandement pyramidal du Hezbollah en 2006.
    Alors évidemment, face un costaud comme la whermacht en 1940, ca explose en vol...Et avec les systèmes informatiques c'est devenu ingérable en temps réel. Le temps de faire le powerpoint, on est déja passé à autre chose. Ce qui serait intéressant, c'est de savoir comment les Chinois analysent cela...
    La force de Napoléon et de Giap par exemple ne résidait-elle pas d'abord dans une structure de commandement simple et réactive?

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  10. @anonyme00.22 le 30.04

    Vous avez effectivement raisons,dans les 3 armes ,il y
    avait des OG d'une extreme qualité intellectuelle,que malheureusement le chancelier dans ses moments de perditions releguait au niveau de caporaux.
    Si ce dernier avait laissé les coudées franches a ces OG là,le Royaume Uni et l'URSS furent vaincu.
    Pendant la 3° et 4° republiques le militaire avait du pouvoir,sous la 5°c'est la grande muette et retour des responsabilités au politique.
    D'ailleurs il suffit de les ecouter!grande victoire au Mali,quand pour le militaire c'est une opération réalisée avec succes,nous ne sommes pas dans la meme gamme.

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  11. Jean-Claude Carré3 mai 2013 à 10:07

    Il n'est pas certain qu'un éventuel manque de production industrielle (6 à 12 mois) soit une des raisons majeures de notre défaite de 1940.
    Explication : les usines d'armement françaises tournent à plein régime depuis la fin des grèves de 1936, elles produisent mensuellement au printemps 40 jusqu'à 120 chars Hotchkiss H-39 et les fameux chars lourds B1-bis "tombent de chaîne à raison de plus d'un bataillon par mois" dixit François Vauvilliers in "Nos chars en 1940 : pourquoi, combien ?", Histoire de guerre, Blindés et matériels, n°74, 2006.
    Et passons les canons anti-chars (12 500 en dotation soit 5 pour 1 panzer !), les blindés à roues, etc.
    Mais tout ce matériel n'est pas en ligne mais à l'arrière voire dans les dépots, la distribution ne suit pas la production, au contraire de la 1e guerre mondiale.
    Les allemands seront stupéfaits de s'emparer d'autant de matériels neufs, modernes et en état de marche ; ils ne se gêneront point pour les utiliser ailleurs et plus tard.
    Nous avions beaucoup d'intellectuels brillants et quelques vrais chefs de guerre mais il nous manquait surtout d'authentiques... "managers" !
    Plus que Mandel, De Gaulle et consort, c'est d'un Henry Ford dont nous avions sans doute alors le plus besoin, non ?

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  12. Il me semble que tout c'est joué lorsque Hitler annule Locarno, et envahit la rive gauche du Rhin, la France voulait déclaré la guerre et à mon avis en avait les moyens mais à demandé d'abord le soutient de l'Angleterre qui de mon point de vu était plus du côté de l'Allemagne pour des raisons de filiations entre les familles princières et donc ne l'a pas obtenu mais le plus étonnant ce sont les USA qui ont carrément menacé la France de rétorsion en particulier d'une guerre monétaire qui affaiblirait le franc car de nombreux intérêts industriels liés l'Allemagne et les USA.

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