L’invasion
de l’Ukraine a été fertile en OFD, avec de pures fausses attaques, comme les
pseudo-tirs d’artillerie sur des villages frontaliers russes quelques jours
avant l’offensive russe, puis de tragiques tentatives de détournement de
crimes, comme la frappe sur la gare de Kramatorsk en avril 2022, la destruction
de la prison d’Olenivka en juillet 2022, abritant des prisonniers ukrainiens et
attribuée également, contre toute évidence, aux Ukrainiens, ou encore le
sabotage du barrage de Nova Kakhovka sur le Dniepr en juin 2023. Heureusement,
à côté de ces tragédies, on a eu droit aussi à quelques mises en scène
amusantes, comme lorsque les Russes ont osé présenter de ridicules faux
légionnaires capturés pour démontrer l’implication de l’armée française en
Ukraine.
Parfois,
on ne prend même pas la peine de créer une mise en scène ou de montrer quelque
chose, et l’OFD devient purement déclaratoire, comme lorsque plusieurs
responsables russes annoncent d’un seul coup, et sans le moindre élément de
preuve, que les Ukrainiens sont en train de préparer une bombe radiologique
(bombe sale). Le ministre de la Défense Sergueï Choïgou évoquait même, dans une
mise en abyme, l’idée que les Ukrainiens utiliseraient cette bombe sale dans
une opération sous faux drapeau afin d’accuser les Russes. C’était à peine
moins débile que l’attaque ukrainienne par moustiques génétiquement modifiés
annoncée à peu près au même moment.
Ils
n’ont pas le monopole du mensonge, mais quand on en est à ce stade, on aurait
dû en être à classer tout dirigeant russe comme une source de niveau C ou D (de
A, toujours fiable, à D, pur menteur et manipulateur) et vérifier très
précisément la vraisemblance de ce qu’il annonce (de 1 pour un fait vérifié et
recoupé à 4 pour un fait manifestement farfelu).
Aussi, quand Sergueï Lavrov annonce une attaque de drones ukrainiens à longue portée sur une résidence de Vladimir Poutine, le réflexe immédiat doit être de classer l’information comme C‑2. La source, Lavrov, a déjà sorti dans le passé d’énormes mensonges (« La Russie n’a pas commencé cette guerre », « Les massacres civils comme à Boutcha sont des faux », etc.), mais il a dû lui arriver de dire des choses vraies. Le fait lui-même — une attaque de drones sur une résidence de Poutine — est par ailleurs techniquement possible. En attendant plus, on peut le classer en 2.
Et puis, on se dit que 100 % de
coups au but, comme annoncé par Lavrov, ce serait quand même inédit de la part
de la défense russe, surtout sur autant de projectiles (91). On attend
par ailleurs les éléments de preuve, mais aucun ne vient : pas le plus petit débris
de drone, pas le moindre dégât sur la résidence, pas une photo de smartphones, rien. On se
demande ensuite pourquoi c’est le ministre des Affaires étrangères qui a parlé,
et non le ministère de la Défense, dont c’est normalement le rôle, et quand on
regarde de ce côté, on voit que celui-ci a publié, comme si de rien n’était, un
communiqué quotidien (18 drones ukrainiens dans tout la région) qui ne corrobore pas les déclarations de Lavrov. La
vraisemblance de l’événement tombe alors naturellement à trois, au niveau «
très suspect », avec en tout cas une très mauvaise organisation de la
communication, comme s’il s’agissait surtout d’aller vite ou que l'on se moquait en fait de prouver quoi que ce soit. Mais le pire n’est
pas là.
Le
pire est qu’il s’agit surtout de montrer que les Ukrainiens ont voulu tuer
Vladimir Poutine, et là on tombe dans le surréalisme. Outre qu’il est toujours
très difficile de savoir où se trouve réellement Poutine, et qu’il se montrait
d’ailleurs au même moment à côté de son état-major général, on ne tue
simplement pas un homme avec des projectiles qui vont mettre quatre à cinq heures pour
arriver sur lui, surtout si cet homme est dans une résidence surveillée et
protégée et qu’il suffit de la moindre alerte pour le mettre à l’abri. À la
limite, et sans même évoquer le fait qu’il serait totalement contre-productif
de tenter ce coup dans les circonstances actuelles — et même sans doute tout le
temps —, si les services avaient appris que Vladimir Poutine était dans la
résidence de Valdaï et qu’il n’y avait pas d’autre procédé possible, ils
auraient lancé ce qu’ils ont de plus rapide et de plus puissant à cette portée,
tout ce qu’ils ont en stock de FP‑5 Flamingo par exemple, pour avoir une chance - minime- de le tuer. Ils n’auraient pas envoyé des drones, lents,
vulnérables et sans charge suffisante pour détruire la totalité de la résidence
et de l’abri probable qui doit s’y trouver.
Bref,
si le renseignement « il y a eu une attaque de drones sur une résidence de
Poutine » pouvait être classé, au bout du compte, C‑3 — possible pour des
raisons symboliques, mais douteux au regard des éléments rapportés —, le
renseignement « les Ukrainiens ont essayé de tuer Poutine par des drones à longue portée lancés
sur sa résidence » devient C‑4, c’est-à-dire absurde. Cette fausse information a
pourtant été diffusée à très grande échelle, car elle est associée à un autre
coefficient : le stress ou l’émotion qu’elle peut provoquer dans les différents
publics visés, et parmi l’un de ces publics, on trouve Donald Trump.
La ficelle est grossière et apparaît comme la dernière pirouette en date lorsque la Russie reçoit le « ballon » de l’obligation de montrer qu'elle œuvre pour l’arrêt de la guerre alors qu’elle ne le veut pas. Au bout du compte, c’est habituellement joué, puisque Donald Trump a visiblement plus avalé la couleuvre russe qu’écouté le démenti de Volodymyr Zelensky ou les rapports de ses propres services de renseignement. La Russie peut en tirer prétexte pour refuser tout plan de paix et frapper sans vergogne sur les Ukrainiens. Ce qui est cru est plus important que ce qui est vu.

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