Ceci est la version longue de l'article paru dans le Journal du dimanche
L’intervention
militaire française au Mali, le 11 janvier 2013, fut d’abord une surprise
stratégique pour les djihadistes qui, en lançant la veille leur offensive vers
le sud du pays, ne l’avaient probablement pas anticipé. Cette erreur
d’appréciation devait certainement à une vision d’Etats occidentaux désormais
réticents à s’engager au combat vraiment après l’expérience afghano-irakienne,
vision confortée d’ailleurs par un certain nombre de déclarations françaises au
cours des mois précédents. Dans ces conditions, face à une Mission
internationale de soutien au Mali (MISMA) particulièrement lente à se mettre en
place, et une armée malienne décomposée, les organisations djihadistes ont pu
croire qu’elles bénéficiaient d’une liberté d’action pendant quelques mois, liberté
dont elles ont voulu profiter. Leur analyse était en partie juste : nous
avions effectivement atteint un point bas dans la manière de mener des
interventions militaires, mais ce point bas était aussi un point d’inflexion.
L’opération Serval consacrait d’abord le retour à une forme classique
d’intervention rapide de la
France , proche de celle que l’on connaissait durant la guerre
froide. La France
avaient notamment mené une série d’opérations de guerre en Afrique de 1977 et
1980 qui avaient toutes été des succès militaires. Ces succès résultaient d’un système
spécifique reposant sur des institutions autorisant un processus de décision rapide,
des unités prépositionnées, des éléments en alerte en métropole, des moyens de
transport et de frappe à distance, la capacité à fusionner avec des forces
locales et la combinaison tactique du combat rapproché au sol et des appuis
aériens.
Les opérations françaises ont
commencé à perdre de leur efficacité lorsqu’on est sorti de ce système. De la Force d’interposition des
Nations-Unies au Liban en 1978 à l’opération Licorne débutée en 2002 en République de Côte d’Ivoire, l’armée
française a payé cher l’abandon de la notion d’ennemi et la stérilité des
missions d’interposition. De l’engagement en Bosnie en 1995 à celui mené contre
le régime de Kadhafi en 2011, les opérations de guerre, c’est-à-dire face à des
ennemis politiques, ont alors été conduites en coalition sous leadership
américain jusqu’à l’épuisement. Parallèlement, sur le sol africain, la France était dans un
processus de désengagement militaire, réduisant le nombre de ses conseillers
aux forces locales et de ses bases tout en privilégiant le soutien aux forces
régionales et l’appel à l’Union européenne.
L’occupation du nord du Mali par
les groupes djihadistes en toute impunité pendant toute l’année 2012 consacrait
la fin de ces processus. La réticence des Alliés occidentaux à engager des
troupes même contre des groupes terroristes et la difficulté de la plupart des
Etats africains à mettre en place des forces puissantes (un an pour engager
3 000 hommes, ce qui d’évidence aurait été insuffisant) laissaient la France comme seule
puissance ayant encore les moyens et la volonté d’intervenir. Il n’y avait d’autre
choix que le retour à la forme classique d’intervention « à la
française ». La clé de voûte du mouvement était une volonté politique
claire, assumant d’emblée l’idée de
guerre, et sans intrusion tactique. Ce préalable acquis, le reste du système d’intervention
a été prompt à se réactiver.
La
surprise stratégique de la décision a pu dès lors se doubler d’une surprise
opérative, grâce au dispositif d’alerte en métropole et surtout au maintien du réseau
de bases dans la région. Cette proximité, et l’aide de nos alliés ont permis par
ailleurs de compenser l’affaiblissement de nos moyens de transport aérien. Il a
été ainsi possible de porter très rapidement un coup d’arrêt à l’offensive en
cours au centre du Mali par des moyens aériens tout d’abord, puis en l’espace
de quelques jours par la mise en place d’une brigade terrestre. En deux
semaines, les forces engagées ont dépassé en volume le plus fort de
l’engagement en Afghanistan.
Le
bénéfice de la surprise s’est maintenu avec une contre-offensive immédiate. La
rapidité de l’offensive en direction de Gao et Tombouctou a permis de libérer la
boucle du Niger dès le 28 janvier. La capacité à enchaîner rapidement les actions
s’est confirmée avec l’occupation des villes du Nord avec la formation une
nouvelle coalition avec les forces tchadiennes mais aussi des éléments touaregs
retournés, tandis que simultanément un groupement tactique était chargé de la
sécurisation de la région de Gao avec les forces armées maliennes (FAM).
Dans ce
type de conflit contre des organisations non-étatiques où aucun traité ne vient
officialiser la victoire, c’est au politique de marquer symboliquement les
succès. Tel fut l’objet du voyage du président de la République le 2
février, consacrant la réussite de la première partie de la mission donnée aux armées :
la restauration de l’autorité de l’Etat malien sur l’ensemble du territoire. La
deuxième partie, la destruction des organisations ennemies, se limitait alors à
la disparition d’Ansar Eddine, l’organisation radicale touareg. Les trois
autres mouvements armés djihadistes - Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le
Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’ouest (MUJAO) et les
Signataires par le sang de Mokhtar Belmokhtar - conservaient encore la majeure partie
de leur potentiel, en dépit des frappes aériennes.
Plusieurs centaines de combattants d’AQMI aguerris et
motivés s’étaient installés depuis des années dans le massif de Tigharghâ à
l’ouest de l’adrar des Ifhogas. Après avoir localisé cette base, les forces
françaises ont accepté le combat rapproché, ce qui a sans doute constitué une nouvelle
surprise pour des djihadistes. Après une manœuvre de bouclage menée par les
forces françaises et tchadiennes, la zone a été conquise à pied par un
groupement d’infanterie légère, fortement appuyé par artillerie et moyens
aériens. Preuve était ainsi faite également que, dans un combat asymétrique, le
« fort » ne l’emporte que s’il rivalise avec lui dans le combat
rapproché en milieu difficile. Après un mois de combat, du 19 février au 21
mars, le bastion d’AQMI au Mali a été détruit et plus de 200 de ses combattants,
dont le chef de katiba Abou Zeïd, ont été tués ou capturés.
La situation dans la région de Gao était plus complexe.
Contrairement à AQMI, le MUJAO poursuivait depuis le 5 février un combat asymétrique
fait de multiples actions d’éclat combinant attaques suicide, infiltrations et
tirs de harcèlement. Face à cette menace, les forces françaises, maliennes et
nigériennes dans la région du fleuve Niger ont mené une série d’opérations
ponctuelles dans la région, détruisant la plupart des bases du mouvement et lui
causant encore plus de pertes que contre AQMI. Comme la visite du président du
2 février, celle du ministre de la
Défense le 7 mars a voulu marquer politiquement la fin d’une
nouvelle phase. Après
trois mois de combats, la mission assignée par le chef des armées – rétablir la
souveraineté de l’Etat malien sur l’ensemble de son territoire et y détruire
les forces des organisations terroristes – était accomplie.
La
situation n’était évidemment pas normalisée pour autant et l’opération Serval changeait logiquement de nature
(peut-être aurait-il fallu changer de nom?), les forces françaises passant en
soutien de celles de la
Mission des Nations-Unies au Mali (MINUSMA) mises en place à
partir de juillet 2013 et participant à la mission de formation de l’armée
malienne en attendant la stabilisation de la situation, processus qui ne peut
que s’inscrire dans le long terme et dans un contexte régional.
Les
organisations terroristes sont toujours présentes et conservent une capacité
d’action dans tout le Sahel. La question touareg n’est pas résolue et
l’alliance tactique française avec les organisations locales, pourtant à
l’origine des événements de janvier 2002, a irrité les gouvernements alliés de la
région et continuera de constituer un facteur de discorde tant qu’une solution
politique n’aura pas été trouvée. A plus long terme, les facteurs politiques,
économiques et même écologiques d’affaiblissement des Etats de la région sont
toujours présents. Le conflit est entré maintenant dans une « longue traîne » de la stabilisation. Il s’inscrit maintenant dans une stratégie pour
l’ensemble de la région consacrant le retour de la France en Afrique
subsaharienne.
En citant "l’infanterie légère" et "Preuve était ainsi faite également que, dans un combat asymétrique, le « fort » ne l’emporte que s’il rivalise avec lui dans le combat rapproché en milieu difficile" vous rendez hommage à la doctrine du Général Bigeard qui l'a mis en application depuis le simple soldat de 40 jusqu'aux étoiles de Général, en passant par le Capitaine d’Indochine et le Colonel d'Algérie.
RépondreSupprimerC'est bel et bien ces traditions qu'il faut s’efforcer de conserver malgré les restrictions imposées.