Alors que
de 1962 à 1991, la presque totalité de nos investissements matériels et de nos
réflexions ont été tournés vers l’hypothétique affrontement avec le Pacte de
Varsovie, nos ennemis réels- ceux qui nous ont provoqués 99 % de nos pertes-
s’appelaient Frolinat, Tigres kantagais, Polisario, Hezbollah, Amal, et autres.
Après la disparition de l’ennemi soviétique, cette guerre mondiale en miettes a
continué, cette fois plutôt contre des sigles : FPR, HIG, AQMI, MUJAO,
etc.
Bien que
cette situation historique dure depuis plus de cinquante ans, nous continuons à
l’appréhender avec difficultés.
D’abord
parce qu’elle sort du cadre clausewitzien
de la guerre entre Etats. Nous avons eu beau affronter le Vietminh et le
FLN nous continuons à hésiter à qualifier de guerre les affrontements contre
les organisations non-étatiques. Alors même que l’on venait de connaître le 18
août 2008 le combat le plus violent depuis notre arrivée en Afghanistan- un
combat d’embuscade des plus classique qui a fait au moins 80 morts de part et
d’autre - le ministre de la défense de l’époque refusait de parler de guerre,
puisqu’il n’y avait eu aucune déclaration. Quelques mois plus tôt, après des
tergiversations identiques, Israël venait de qualifier officiellement de
« Seconde guerre du Liban », l’affrontement de 2006 contre le
Hezbollah.
Il est
vrai que le mot « guerre » à une connotation très forte dans des pays
qui ont été particulièrement meurtris par les deux conflits mondiaux. En dépassant
ce reflexe inconscient, il faut pourtant bien admettre qu’un affrontement armé
entre deux organisations politiques, étatiques ou non, est bien une guerre.
Le
prolbème est que ces organisations non étatiques, hors d’un soutien extérieur,
trouvent souvent leurs ressources dans l’économie illégale et surtout que, dans
ce contexte de conflits infraétatiques, les Etats hôtes ont, à l’instar de la
France face au FLN en 1954, tendance à préférer parler de délinquants plutôt
que d’ennemi (qui sous-entend un statut d’égal).
Cette
qualification est pourtant importante car l’emploi de la force n’est pas du
tout le même dans la guerre et dans la sécurité. Prendre l’une pour l’autre est
souvent à l’origine de déconvenues. De fait, la grande majorité de nos échecs et plus de la moitié de nos pertes
humaines sont le résultat de ce refus de voir des ennemis là où il y en avait
et du choix de méthodes alternatives à l’affrontement. S’il y a bien un
enseignement à tirer de toute cette période c’est que l’interposition ne
fonctionne pas.
Les
guerres contre les organisations armées n’ont pas non plus le début et la fin
claires (déclaration de guerre et traité de paix) des conflits clausewitziens.
Les organisations armées ne surgissent généralement pas du néant et se
construisent progressivement face à un Etat affaibli. Lorsque nous intervenons,
elles ont déjà formé une armée réduite et l’affrontement prend le plus souvent
la forme d’un duel des armes. Cela peut suffire (Kolwezi ou l’opération Lamantin
en Mauritanie en 1978) mais le plus souvent, le combat se poursuit le long
d’une « grande traîne », car les problèmes internes qui ont donné sa
force à l’organisation armée n’ont généralement pas disparu. Il est alors
nécessaire d’accompagner l’Etat hôte à normaliser la situation tout en
continuant à maintenir la pression sur les groupes armés ennemis. Cela prend
généralement plusieurs années et la normalisation ne signifie pas non plus une
paix définitive. L’engagement au Tchad est à cet égard typique. Un premier
engagement très ponctuel en 1968 sauve l’armée tchadienne du désastre et
l’année suivant on s’engage avec l’équivalent d’une brigade à la fois
aéroterrestre et civilo-militaire pour à la fois traquer les bandes armées du
Frolinat au Nord et au Sud, reconstituer l’armée tchadienne et
l’administration. Il faut alors quand même trois ans pour pacifier le pays
utile (un des très rares exemples modernes de contre-insurrection réussie),
pour revenir ensuite en 1978 lorsque la situation s’est à nouveau dégradée,
puis encore cinq ans plus tard.
D’un
point de vue opérationnel, nous pouvons distinguer plusieurs types
d’organisations armées en fonction de leur implantation populaire et de leur
sophistication. Les bandes armées sans implantation populaire et sans armement
antichar et antiaérien moderne (les « gendarmes katangais » par
exemple ou même AQMI au Mali) ont toujours été vaincues par une intervention
rapide et plus ou moins puissante. Les organisations implantées (telluriques)
et sans moyens importants sont plus délicates et impliquent souvent une
« longue traîne » (HIG, Talibans, MUJAO) et donc une présence
militaire importante adossée à un gouvernement local le plus légitime possible.
Nous n’avons pas pour l’instant affronté d’organisations armées sophistiquée
(qualifiée parfois d’hybrides) comme le Hezbollah depuis le début du XXIe
siècle. Il est vrai que celles-ci sont encore rares.
Les
succès dans les combats ont été obtenus grâce à la vitesse d’intervention, des
moyens adaptés et une bonne combinaison entre capacité d’appuis feux et
capacité de combat rapproché. La vitesse d’intervention est elle-même le
résultat d’une chaîne de commandement rapide, un consensus général sur cet
emploi « discrétionnaire » des forces, des forces prépositionnées,
des éléments en alerte, une bonne capacité de projection à moyenne distance.
Les
résultats des « longues traînes » ont été plus mitigés par manque de
moyens humains mais aussi parce que la centralisation de la décision est aussi
une faiblesse sur la durée quand les élus de la nation, les responsables des
partis politiques et l’opinion publique n’ont pas été associés. Entre un
exécutif et des médias également pressés qui sont incités, pour le premier à
annoncer toujours des bonnes nouvelles et pour les seconds à se concentrer sur
les mauvaises, les particularités de ces phases de contre-insurrection
(longueur, absence de résultats spectaculaires) sont mal expliquées et donc mal
connues des citoyens. La continuation normale des opérations est souvent
associée à un enlisement et cette perception négative incite alors l’exécutif à
s’immiscer dans ces mêmes opérations et donc à les entraver. L’historique de
l’engagement en Kapisa est symptomatique de cette même mauvaise gestion
politique.
Ajoutons
pour terminer que ce type de guerre se prête mal au travail en Coalition ou
alors il faut agir dans le même esprit et avec la même culture militaire, ce
qui n’est jamais arrivé durant ces cinquante années.
Résumons.
Pendant cinquante ans nous n’avons pas cessé de mener de faire la guerre, en
Afrique et en Afghanistan contre des organisations armées. Lorsque nous sommes
intervenus en refusant le combat, nous avons toujours été humiliés. Lorsque
nous avons accepté le combat nous avons toujours gagné le duel entre forces
armées. Nous avons gagné parce que nous sommes intervenus vite, seuls, avec des
moyens adaptés et une forte supériorité qualitative de nos combattants. A
l’exception de l’opération Lamantin en Mauritanie, la décision est là encore
toujours survenue au sol. La poursuite de la sécurisation en parallèle ou en
prolongement de ces combats a toujours plus délicate. Le succès, presque
forcément relatif, y est néanmoins possible à condition d’y consacrer les
moyens humains nécessaires dans des domaines variés et d’être patients. De fait,
les militaires sont les seuls à pouvoir être engagées sur les différentes
lignes d’opérations. Au bout du compte, la légitimité et la force du
gouvernement local restent les clés de la réussite à long terme.
(à suivre)
Sauf votre respect mon Colonel, je ne suis pas d’accord avec vous lorsque vous affirmez que le type de guerre faite au Mali par la France, se prête mal au travail en Coalition.
RépondreSupprimerC’est oublier un peu vite que les danois ont mis à notre disposition un C130 pendant la première phase de l’opération Serval, que les allemands ont effectués au moins deux rotations de C160 et que la Belgique nous a donné des palettes d’eau minérale (pétillante?).
La preuve éclatante que nous n’avons pas à nous inquiéter de la diminution constante du budget de la défense, l’Europe est là pour prendre la relève !
Je suppose que votre message est ironique, car le soutien de nos alliés a été purement symbolique et votre inventaire vite terminé en est la preuve.
SupprimerCependant, il met en évidence les lacunes dramatiques des armées françaises en terme de logistique.
En effet, particulièrement en ce qui concerne l'armée de terre, nos grands chefs militaires sont tous issus des armes de mêlée (cavalerie, infanterie avec une prédominance marquée de Troupes de Marine, des Parachutistes et de la Légion Étrangère). Depuis leur temps de lieutenant, ils ont été habitués à concevoir leurs manoeuvres ou opérations en oubliant (pour ne pas dire méprisant) le soutien logistique.
L'opération Serval est particulièrement éclairante à ce propos: on a projeté vite et loin une force robuste sans soutien correctement adapté et nos petits camarades du bataillon logistique ont sué sang et eau pour tenter de maintenir un soutien minimal.
D'accord avec vous. Il s'agit presque d'un défaut culturel tant il est cultivé le mythe du soldat débrouillard, souple félin et manœuvrier au point de pouvoir se passer de logistique.
SupprimerC'est parce que nous avons une vision romantique de la guerre (culte de la défaite glorieuse, culte du para d'Indochine faisant la guerre avec sa b... et son couteau) que la log n'intéresse pas et ne suit guère.
Or, dès lors que l'on passe aux choses sérieuses (et la projection au Mali en était une) ces lacunes capacitaires et osons le mot, culturelles sont flagrantes.
Au risque de paraître "longue capote", j'ai envie de dire "et la défense du territoire national et des citoyens français dans tout cela ?".
RépondreSupprimerBien sûr, on ne peut pas nier ces "vraies guerres". Et "on ne doit pas oublier la guerre d'aujourd'hui à force de préparer celle de demain". mais il ne faut pas opposer comme on le fait trop souvent la défense du "sol sacré de la patrie" et les expéditions outre-mer. En France, du fait de nos traditions (troupes de marine, légion, etc) on veut opposer les deux. Il y aurait la guerre lointaine, forcément "glamour" (je ne sais pas si le terme convient) et la guerre des Tranchées sous la pluie, pas très attirante....il faut dire.
On ne peut pas concevoir une armée à partir seulement des expéditions lointaines (on appelle cela aujourd'hui je crois les "contrats opérationnels"). ca, c'est l'armée des budgets, celle que redoutait en son temps (il fut un précurseur) le général LAGARDE. Une armée, vous le dites souvent, c'est une préparation sur des années. Les guerres outre mer ne sont qu'une partie (certes éminemment urgente et sanglante) de la construction et de l'entretien d'une force armée adaptée à la défense du territoire et des libertés du peuple qui entretient cette armée.
Il ne faut pas opposer la guerre qui n' a pas eu lieu face à l'Armée soviétique et celles qui ont eu lieu sous telle ou telle latitude. C'est la même défense du pré carré et de notre façon de vivre. "L'art suprême de la Guerre, c'est vaincre l'ennemi sans combat" a du écrire Sun Tzu (si on ne sait pas, l'attribuer à Sun Tzu, ca fait plus sérieux). A force de tout miser sur les "Forces Projetables", on a fait croire qu'il n' y aurait plus de menaces sur la "Terre de nos pères" et que quelques unités "moins nombreuses mais plus musclées" suffiraient. On ne sait pas de quoi sera fait l'avenir...Il faut se préparer au pire en formant des cadres qui le moment venu encadreront les soldats-citoyens qui se présenteront spontanément car il ne sera nul besoin de leur expliquer pourquoi la "Patrie est en danger"...
Merci encore d'entretenir notre réflexion, vous faîtes œuvre utile.
Cordialement
Tout à fait d’accord avec vous Grenadier de la Garde.
SupprimerAujourd’hui 16/11/13, malgré d’innombrables retards et l’absence d’un groupe aéronavale opérationnel, la marine indienne reçoit livraison de son premier porte-avions (STOBAR). Un événement à mettre en lumière en le comparant à la situation de la marine de son ancienne puissance coloniale. Non seulement la Royal Navy, ne possède plus de PA, mais la capacité des industriel anglais à en construire, sans l’aide des industriels américains (ou français), peut susciter de sérieux doutes.
Du déclassement au surclassement, les choses peuvent aller extrêmement vite. Une fois le savoir-faire industriel perdu, il l’est définitivement. Et vous reculez d’autant plus vite que les autres gardent la volonté d’avancer rapidement. C’est ainsi que les anglais se retrouvent encore un peu plus vassaliser par leur puissant allié…
Un exemple à méditer. Choisir de baisser le budget de notre défense, c’est faire le choix lucide, à court-moyen terme, de cette même vassalisation. Dans l’environnement stratégique actuel d’absence de menaces aux frontières et sur des critères froidement comptables, c’est un choix qui peut paraître rationnel. Sur le long terme, c’est faire le pari qu’aucune crise exogène ou endogène à l’UE ne viendra bouleverser notre environnement. C’est également faire le pari que les États-Unis seront toujours disposés à venir à notre aide et qu’aucun mouvement isolationniste de grande ampleur ne viendra entraver, voir paralyser, leur exécutif (d’ici une trentaine d’années, c’est dire demain, la population étasunienne originaire d’Amérique latine, devrait être plus nombreuse que la population d’origine européenne).
Des paris bien risqués. Et qui paraissent d’autant plus irrationnels quand on met en regard le budget de la Défense, les ‘économies’ espérées en le rabotant sans cesse et le PIB national.
Concrnant le PA indien, j'ai pu voir un reportage d'une chaine tv russe sur ce navire. Même si je ne comprend pas le russe, j'ai pu constater que son hangar avia est étroit et de doit pas occuper la largeur complète du navire. Pour les mouvement avia dans le hangar, ils utilisent un système de manutention sur rail pour amener l'avion vers l'ascenseur (au pied de l'ilot). Ce même ascenseur communique avec les locaux pour préparer les munitions avia (j'ai pu reconnaître les rateliers à bombe) sans pour autant avoir de porte coupe feu ou anti souffle. En cas de bombe ou de missile pénétrant au pied de l'ilot et proche de l'ascenceur avia, je vous laisse imaginer les conséquences.
SupprimerDe plus, sur le pont d'envol, l'axe de décollage sur la gauche coupe la piste oblique d'appontage. Le navire ne peut donc pas à la fois lancer des avions et en récupérer d'autre en même temps. Les PA américain et le Charles de Gaulle peuvent le faire par contre.
Tout cela pour dire que ce PA STOBAR, refonte de l'ex Baku rebaptisé AFSS GORCHKOV, est donc un navire ayant de sérieux inconvénient pour mettre en oeuvre le groupe aérien embarqué. Cela explique aussi que pour un navire de cette taille (plus de 280m), le groupe a érien n'est pas plus nombreux que celui du CDG.
Par ailleurs la largeur du Charles de gaulle est plus importante que celle de ce PA.
"Il faut se préparer au pire en formant des cadres qui le moment venu encadreront les soldats-citoyens qui se présenteront spontanément car il ne sera nul besoin de leur expliquer pourquoi la "Patrie est en danger"..."
SupprimerIl sera difficile de pouvoir assurer cela, par manque de moyen. Comment incorporer un grand nombre d'individu quand nos industries de défense ne pourront pas fournir dans un très court terme les uniformes et armements nécessaires pour accueillir un tel afflux de personnel. Comment nos industries de défenses pourront fournir suffisamment de munitions pour assurer la fourniture vers les armées.
Disposerons nous de suffisamment de locaux pour accueillir ces "appelés" ?
Avant d''acquérir cette capacité d'accueillir et d'encadrer ces soldats citoyens, il va falloir définir la stratégie de moyens pour les équiper. Sinon, ils n'auront que leur poitrine à opposer à nos ennemis.