Pourquoi écrire un livre
sur la bataille d’El Alamein ?
Avec
Midway et Stalingrad, cette bataille symbolise le tournant de la Seconde guerre
mondiale. Pourtant, si elle est fréquemment citée, elle reste trop peu connue
en France. On a tendance à n’y voir qu’une victoire britannique acquise après
des assauts frontaux laborieux, où le poids du matériel et de la supériorité
numérique ont seuls compté.
En
étudiant les opérations en Afrique du Nord, je me suis rendu compte que cette
bataille est complètement différente de cette description. Elle est mal
comprise alors qu’elle recèle de multiples enseignements encore d’actualité.
Quelles sont les
caractéristiques principales de cette bataille ?
Elle
s’est déroulée en trois actes bien distincts : d’abord l’échec de Rommel à
percer la dernière ligne de défense avant la vallée du Nil. Puis l’ultime
tentative de l’Axe de vaincre avant que la supériorité des Alliés ne deviennent
trop forte, et enfin l’offensive de Montgomery qui va se déployer sur deux
semaines avant d’emporter une victoire totale et incontestable.
La
première des caractéristiques de la bataille est donc d’être multiple, les
combats en juillet 1942 n’ont rien à voir avec ceux d’octobre. Pourtant, les
hommes et les matériels restent globalement les mêmes. Ce cycle
flux-stabilisation-reflux qui est assez courant sur le front de l’Est est
unique sur le front Ouest.
La
deuxième caractéristique de cette bataille est de montrer un affrontement entre
deux systèmes de guerre que tout oppose : d’un côté l’Axe, qui mise tout sur un
succès rapide, par des attaques brutales reposant sur le bluff, et de l’autre
les Alliés, une coalition qui regroupe une multitude de soldats de pays
différents, qui n’ont qu’un seul objectif : une victoire stratégique définitive
par l’anéantissement de l’ennemi.
La
troisième caractéristique de cette bataille est de montrer qu’il n’y aucune
victoire « évidente », et qu’un succès acquis d’avance « sur le papier »
nécessitera toujours une combinaison subtile entre le courage des soldats, et
l’habileté du commandement.
Quelles sont les raisons
de l’échec de Rommel à Alamein ?
Rommel
perd à Alamein, avant tout parce qu’il ne pouvait pas gagner !
La
question qui se pose souvent est de savoir ce que les Allemands auraient fait
s’ils avaient gagné à Alamein début juillet 1942. Avec des divisions réduites à
la taille de bataillons squelettiques, et moins de 20 Panzers, un succès à
Alamein ou la poursuite jusqu’à Astrakhan est une vue de l’esprit.
La
réalité est qu’au 30 juin 1942, Rommel est déjà allé au-delà de ses capacités
militaires. Ses dernières victoires reposent plus sur le bluff que sur ses
unités.
La
situation matérielle de ses troupes est si désastreuse, qu’il ne peut vaincre
militairement. En attaquant à nouveau sans laisser ses hommes se reposer, ni
savoir ce qu’il a en face, il ne fait que tenter un « coup de poker » sans
avoir même les moyens d’exploiter un hypothétique succès. Sa seule chance de
victoire est de provoquer un nouvel effondrement moral au sein des troupes
Alliées.
Et
cette chance passe dès le premier jour. Après, Rommel parvient miraculeusement
à se maintenir, malgré les assauts d’un adversaire qui le connaît bien et qui
l’a d’ailleurs déjà vaincu fin 1941, Auchinleck.
Rommel
tente une ultime offensive fin août, mais il n’y croit plus. Usé physiquement
et moralement, ne tenant que quelques heures par jour debout, il n’est
clairement plus apte à commander.
Alors que Rommel est
bien fortifié, les Alliés parviennent à détruire presque complètement son
armée. Comment expliquer un tel succès ?
Lorsque
l’offensive est déclenchée en octobre 1942, la victoire des Alliés à Alamein
n’était pas évidente.
Elle
découle d’une analyse très fine du système de combat des Allemands, de leurs
qualités manœuvrières et de leurs tactiques défensives, avec notamment la
présence de réserves mobiles
redoutables. Compte tenu de la supériorité numérique des Alliés, la difficulté
n’est pas de percer mais de neutraliser les contre-attaques de ces réserves.
Montgomery
va donc organiser ses assauts pour créer ce que j’appelle un « piège tactique »
: dès la fin de l’assaut, les canons et les tanks sont mis devant pour bloquer
les assauts des Panzers.
Plus
globalement, ce qui importe à Montgomery n’est pas de repousser mais de
détruire l’ennemi. Il faut donc qu’il ne retraite pas trop vite. Des assauts en
apparence « laborieux » sont lancés, où l’objectif n’est pas de percer les
défenses mais d’user les réserves ennemies.
Au-delà
des apparences, la troisième bataille d’Alamein est d’une étonnante modernité
et riche d’enseignements.
Justement, quels
enseignements une armée moderne peut tirer de cette bataille ?
La
bataille d’El Alamein se révèle intéressante à
deux points de vue au moins.
Elle
montre d’abord l’importance du facteur médiatique. L’effet moral de Rommel,
comme la stratégie psychologique mise en place par « Monty » pour mettre fin en
quelques semaines à la crise morale qui frappe ses troupes, reposent avant tout
sur la manipulation intelligente des médias. De manière intuitive, Rommel et
Montgomery ont compris l’importance de construire une image, qui deviendra un
atout pour la victoire. Le contraste avec Auchinleck, ignorant et maladroit
dans sa communication est frappant. L’art du commandement suppose donc une
maîtrise qui dépasse les techniques militaires, pour embrasser la communication
médiatique.
Ensuite,
les Alliés obtiennent un succès spectaculaire : l’anéantissement quasiment
complet d’une armée ennemie qui n’est pas encerclée. Cette victoire est le
fruit d’une stratégie globale, déployant dans le temps et l’espace des moyens
cohérents. C’est tout l’intérêt d’une analyse des systèmes ennemis à combattre,
pour identifier les points vulnérables et mettre en place une stratégie globale
et cohérente. Si cette analyse paraît évidente lorsqu’une armée régulière doit
s’engager dans un conflit asymétrique, elle l’est tout autant pour gagner face
à une autre armée. Les opérations
récentes en Libye ont montré qu’une stratégie victorieuse devait être globale,
en coordonnant dans une temporalité plus ou moins longue les efforts, sans
reposer sur une seule option et une seule tactique, ni rechercher un succès
rapide mais peu durable.
Nous
remercions Cédric Mas de sa disponibilité, et nous ne pouvons qu’inviter les
lecteurs et passionnés d’histoire militaire à se précipiter sur ce livre,
richement illustré de photos splendides.
Cedric Mas
La bataille d’El Alamein
Uniformes et Heimdal
Novembre 2012
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