Même dans l’armée il ne suffit pas de l’ordonner pour que les habitudes changent. Ce sont parfois les hommes eux-mêmes qu’il faut remplacer. La transformation de la pratique de la flotte sous-marine américaine pendant la guerre du Pacifique est une parfaite illustration de ce phénomène.
En 1941, la destruction de navires civils, cause officielle de leur entrée en guerre en 1917, fait particulièrement horreur aux Américains. La doctrine d’emploi des sous-marins américains est presque entièrement orientée vers le renseignement au profit de la flotte de surface dans son combat direct contre la flotte adverse, avec cette idée issue des exercices réalisés avant-guerre de l’extrême vulnérabilité de ces bâtiments à l’approche de l’ennemi. En réalité, ces exercices ont été réalisés dans des eaux très défavorables aux sous-marins et en surestimant grandement l’efficacité de l’aviation dans la lutte anti sous-marine mais ils vont enfermer toute une génération dans un piège cognitif. Ils conduisent à développer des méthodes d’approche et d’attaque extrêmement prudentes fondées sur le repérage des cibles au sonar et non au périscope, jugé trop voyant.
L’agression japonaise sur Pearl Harbor fait sauter toutes les réticences quant à la guerre de course et pendant des mois il s’agit pratiquement de la seule possibilité offensive offerte aux Américains. La mission prioritaire de la flotte sous-marine devient d’un seul coup la traque de la marine marchande au loin et dans la durée. Le résultat de cette première campagne est pourtant un échec, sans qu’il soit possible d’en déterminer véritablement la cause. Tous les commandants mettent en cause la torpille MK XIV. En juin 1942, le nouveau commandant de la flotte sous-marine du Pacifique, l’amiral Charles Lockwood, ordonne une série de tests qui permet d’améliorer les tirs. Simultanément, la flotte se dote des excellents bâtiments de la classe Gato et de radars de surface SJ. Pour autant, les résultats sont loin de progresser au rythme des innovations techniques. Plus exactement, un petit groupe d’équipage obtient désormais de bons résultats tandis que la grande majorité ne progresse guère. Le problème est donc surtout humain.
Avec ce type de combat, il n’y a plus d’échelon entre l’état-major à Pearl Harbor et les commandants de sous-marins et le succès repose d’abord sur l’agressivité, la prise d’initiative et la résistance au stress de ces derniers. Or, on s’aperçoit que la majorité des commandants persiste à reproduire les schémas extrêmement prudents qu’ils ont appris. Beaucoup continuent à tenter de repérer les cibles au sonar plutôt qu’au périscope, ce qui s’avère à la fois peu efficace et exagérément prudent face à des navires marchands. L’amiral Lockwood décide alors de relever de son commandement tout commandant qui n’aura pas obtenu une seule victoire en deux patrouilles. En 1942, 30 % des commandants sont changés, 14 % en 1943 et autant en 1944. La moyenne d’âge diminue alors de cinq ans à rapport à 1941. Simultanément, les « bonnes pratiques » sont diffusées et, à l’aide des premiers ordinateurs IBM, les patrouilles individuelles sont remplacées par des « meutes » concentrées sur des zones et des cibles de plus en plus précises comme les pétroliers au large de l’île de Luçon. L’efficacité monte alors en flèche et avec seulement 1,6% des effectifs de l’US Navy, la flotte sous-marine finit par couler 60 % de la flotte marchande japonaise (et même 30 % des navires de guerre), ce qui contribue largement à l’effondrement du Japon. Ce résultat remarquable est obtenu au prix de la perte de 3 503 hommes d’équipage sur 16 000 et de 52 bâtiments sur 200. Le seul inconvénient de ce type de combat qui repose sur des officiers subalternes est qu’il passe généralement inaperçu.
Il ressort de cette expérience qu’il n’est pas possible d’opérer une transformation importante sans susciter des problèmes de tous ordres, et il est souvent difficile, lorsque surgit un blocage, d’identifier entre les équipements, les structures et les hommes quelle en est la clé. Dans le cas des sous-mariniers américains, il a surtout fallu changer des hommes à qui on ne pouvait reprocher que d’avoir été de bons élèves.
A titre d'exemple, on peut citer l'attaque dite "à la gorge", c'est-à-dire le tir d'une salve de torpille vers la proue du bâtiment ennemi alors qu'il se dirige vers le sous-marin.
RépondreSupprimerCette tactique était interdite avant-guerre dans l'US Navy en raison de sa dangerosité. Elle s'est avérée d'une efficacité redoutable.
Sur la sous-marinade en général, le blocage mental était effectivement profond. Cf. les réactions à l'article de Castex dans la RM :
http://www.schizodoxe.com/2011/02/10/la-lecon-de-lu-20/
"Il ressort de cette expérience qu’il n’est pas possible d’opérer une transformation importante sans susciter des problèmes de tous ordres, et il est souvent difficile, lorsque surgit un blocage, d’identifier entre les équipements, les structures et les hommes quelle en est la clé. "
RépondreSupprimerparleriez vous des réformes de la décentralisation ? ^^
a ceci près que l'adaptation en temps de conflit d'une armée est une nécessité vitale, alors qu'une entité administrative dispose d'une certaine latitude et d'un droit à l'erreur(encore qu'en temps de crise, la marge de manœuvre diminue sensiblement).