Les doctrines militaires, comme les
paradigmes scientifiques, n’évoluent vraiment que lorsqu’elles sont très
sérieusement prises en défaut. L’échec sanglant de l’offensive de Champagne fin
septembre-début octobre 1915 constitue cette prise en défaut. En fait, c’est
même une grande crise au sein de l’armée française où on perçoit les premiers
signes de découragement, voire de grogne dans la troupe. En novembre 1915, le
général Fayolle note dans son carnet : « Que se passe-t-il en haut lieu ? Il
semble que personne ne sache ce qu’il faut faire […] Si on n’y apporte
pas de moyens nouveaux, on ne réussira pas ». La crise impose de trouver de
nouvelles solutions et on assiste effectivement à une grande activité durant l’hiver1915 dans le « monde des idées » qui
aboutit à la victoire de l’« opposition » et de son école de pensée alors
baptisée « la conduite scientifique de la bataille ».
Changement de paradigme
L’opposition ce sont d’abord les «
méthodiques », comme Foch, alors commandant du groupe d’armées du Nord (GAN) et
Pétain, commandant la 2e armée. Le rapport de ce dernier après l’offensive de
Champagne, met en évidence l’« impossibilité, dans l’état actuel de l’armement,
de la méthode de préparation et des forces qui nous sont opposées, d’emporter
d’un même élan les positions successives de l’ennemi ». Le problème majeur qui
se pose alors est que s’il est possible d’organiser précisément les feux
d’artillerie et l’attaque des lignes de la première position ennemie, cela
s’avère beaucoup plus problématique lorsqu’il s’agit de s’en prendre à la
deuxième position plusieurs kilomètres en arrière. Pétain en conclut qu’il
faut, au moins dans un premier temps, se contenter d’attaquer les premières
positions mais sur toute la largeur du front afin d’ébranler celui-ci dans son
ensemble. Ce sera la doctrine mise en œuvre – avec succès - à partir de l’été
1918, mais l’idée de grande percée est encore vivace. Une nouvelle majorité se
crée autour de quelques Polytechniciens artilleurs, avec Foch comme tête
d’affiche, pour concevoir cette bataille décisive comme une succession de
préparations d’artillerie-assauts d’infanterie, allant toujours dans le même
sens position après position ( Autant de positions, autant de batailles selon
Fayolle) et non pas latéralement comme le préconise Pétain et ce jusqu’à ce que
« l’ennemi, ses réserves épuisées, ne nous oppose plus de défenses organisées
et continues » (Foch, 20 avril 1916).
C’est une réaction contre les « folles
équipées » de l’infanterie au cours des batailles de 1915, désormais « la
certitude mathématique l’emporte sur les facteurs psychologiques ». Une analyse
de tous les détails photographiés du front doit permettre une planification
précise de la destruction de tous les obstacles ennemis à partir de barèmes
scientifiques. L’imposition de ce nouveau paradigme est la victoire de l’école
du feu sur celle du choc mais aussi la revanche des généraux sur les
Jeunes-Turcs du Grand quartier général (GQG). Ce sont les idées qui portent les
hommes bien plus souvent que l’inverse, et changer d’idées impose souvent de
changer les hommes. Les officiers du GQG, qui pour beaucoup avaient été les
champions de l’« offensive à outrance » puis de l’ « attaque brusquée », sont
envoyés commander au front. A la suite des décisions arrêtées en décembre 1915
à Chantilly entre les Alliés, cette nouvelle doctrine doit être mise en œuvre
dans l’offensive franco-britannique sur la Somme prévue pour l’été 1916. Le
groupe d’armées du Nord (GAN) de Foch est chargé de sa mise en pratique.
En attendant, toutes les idées
nouvelles trouvent leur matérialisation dans le nouveau GQG qui passe l’hiver
1915-1916 à rédiger le nouveau corpus de documents doctrinaux sur
l’organisation et les méthodes des différentes armes, infanterie et artillerie
lourde en premier lieu ainsi que la coordination entre elles. Ce sera par la
suite une habitude, tous les hivers on débat puis on rédige toute la doctrine,
soit un rythme douze fois plus rapide qu’en temps de paix avant la guerre. Mais
ce n’est pas tout de partir du bas, de faire du retour d’expérience, de
débattre puis de voir émerger un nouveau paradigme au sommet, encore faut-il
que les nouvelles idées redescendent et que l’explicite des documents se
transforme en bas en nouvelles habitudes.
Tout le front est restructuré. On
distingue désormais une ligne des armées, tenue désormais par le strict minimum
de troupes, des réserves de groupes d’armées à environ 20-30 km du front et
enfin des réserves générales encore plus loin. Il se met en place une sorte de
« 3 x 8 » où les troupes enchainent secteur difficile, repos-instruction,
secteur calme. L’année 1916 se partage ainsi, pour la 13eDivision d’infanterie,
en 93 jours de bataille (Verdun et La Somme) contre plus de 200 en 1915, 88
jours de secteur calme et le reste en repos-instruction. Toute cette zone des
réserves générales se couvre d’un réseau d’écoles, de camps et de centre de
formation où on apprend le service des nouvelles armes et les nouvelles
méthodes. On remet en place des inspecteurs de spécialités afin de contrôler
les compétences de chaque unité mais aussi de rationaliser les évolutions alors
que le combat séparé de chaque unité tend à faire diverger les pratiques. Une
innovation majeure de la guerre est la création du centre d’instruction
divisionnaire ou CID). Ce centre, base d’instruction mobile de chaque division
permet d’accueillir les recrues en provenance des dépôts de garnison de
l’intérieur, avant de les envoyer directement dans les unités combattantes.
Elles y rencontrent des cadres vétérans, des blessés de retour de
convalescence. Les cadres de leurs futures compagnies viennent les visiter. Les
hommes ne sont pas envoyés directement sur une ligne de feu avec des
compétences faibles ni aucun lien de cohésion avec les autres, mais acclimatés
et instruits progressivement.
La transformation des armes
Cette approche permet une évolution
plus rationnelle des unités. L’infanterie connaît sa deuxième mutation de la
guerre après l’adaptation improvisée et chaotique à la guerre de tranchées.
Elle devient vraiment cette fois une infanterie « industrielle ». Les
structures sont allégées et assouplies. Les divisions d’infanterie ne sont plus
attachées spécifiquement à un corps d’armée et commandent directement à trois
régiments et non plus à deux brigades de deux régiments. Les bataillons
eux-mêmes passent aussi à une structure ternaire mais la 4e compagnie, grande
nouveauté, devient une compagnie d’appui équipée de mitrailleuses, de canons à
tir direct de 37 mm et de mortiers. Encore plus innovant, les sections
d’infanterie ne combattent plus en ligne mais en demi-sections feu et choc (les
demi-sections deviendront identiques et autonomes en 1917, c’est l’invention du
groupe de combat), et organisées autour de nouvelles armes comme les
fusils-mitrailleurs et les lance-grenades. Les fantassins deviennent
spécialisés et interdépendants. D’une manière générale, la puissance de feu portable
de l’infanterie fait un bond considérable jusqu’à la fin de 1917. L’étape
suivante sera l’intégration des chars légers d’accompagnement à partir de mai
1918.
L’artillerie a la part belle dans le
nouveau paradigme. Pour Foch : « Ce n’est pas une attaque d’infanterie à
préparer par l’artillerie, c’est une préparation d’artillerie à exploiter par
l’infanterie » qui, ajoute-t-il plus tard, Foch ajoute que l’infanterie «
doit apporter la plus grande attention à ne jamais entraver la liberté de tir
de l’artillerie ». Dans une étude écrite en octobre 1915, son adjoint Carence
écrit : « L’artillerie d’abord ; l’infanterie ensuite ! Que tout soit
subordonné à l’artillerie dans la préparation et l’exécution des attaques ». Pour
autant, le volume de cette arme augmente assez peu avec seulement 590 nouvelles
pièces lourdes pour l’ensemble de 1916. Le grand défi pour l’artillerie est
celui de l’emploi optimal de l’existant, c’est-à-dire l’artillerie de campagne
et les pièces de forteresse récupérées, dans des conditions totalement différentes
de celles imaginées avant-guerre. Pour y parvenir on commence par mettre en
place de vrais états-majors d’artillerie capables de commander les groupements
de feux de centaines de pièces. Le 27 juin 1916, est créé le Centre d’études
d’artillerie (CEA) de Châlons chargé d’inspecter les régiments d’artillerie et
de synthétiser leurs idées, définir la manœuvre, perfectionner l’instruction
technique et faire profiter les commandants de grandes unités de toutes les innovations
touchant l’emploi de l’artillerie. Un peu plus tard, on formera aussi des
Centres d’organisation d’artillerie (COA), un par spécialité, qui constituent
les matrices des nouvelles formations et où les anciens régiments viennent
recevoir les nouveaux matériels et apprendre leur emploi. La troisième voie
pour mieux maîtriser la complexité croissante des méthodes est la
planification. Elle existe sous une forme embryonnaire dès 1915 mais elle
connaît un fort développement en 1916 grâce à l’influence du CEA. Celui-ci
codifie et vulgarise l’usage des « Plans d’emploi de l’artillerie » qui
permettent de gérer les étapes de la séquence de tir. L’aérologie et la
météorologie font d’énormes progrès. Le GAN dispose de sa propre section météo
commandée par le lieutenant de vaisseau Rouch avec un vaste réseau de
transmissions y compris sur des navires.
Le premier effort porte sur la maîtrise
de la gestion des informations. Les Français mettent l’accent sur l’emploi de
l’avion dans l’observation et la liaison entre les armes. Foch envoie le
commandant Pujo à Verdun, la première grande bataille de 1916 et qui est très observée
par le GAN qui prépare la seconde. Pujo reprend l’idée d’un « bureau tactique »
charger de centraliser toutes les informations des escadrilles et des ballons d’observation
(TSF, photos, écrits) afin d’actualiser en permanence un grand panorama
photographique et cartographique de la zone de combat. A l’instar des drones
aujourd’hui, l’aviation de l’époque est cependant surtout un système d’observation
et de liaison en cours d’action, au service de l’artillerie afin de guider les
tirs et d’en mesure les effets au-dessus des lignes ennemies, mais aussi de l’infanterie,
qui dispose en 1916 de ses propres appareils. Pour l’offensive de la Somme, la 13e
DI disposera par exemple d’une vingtaine d’appareils avec tout un panel de
moyens de liaisons pour organiser les communications entre l’air, qui envoie
des messages en morse ou message lesté, et le sol, qui répond avec des fusées
de couleur, fanions ou projecteurs et indique ses positions avec des pots
éclairants et ou des panneaux. Lorsque la division sera engagée sur la Somme, ses
compagnies d’infanterie seront survolées par huit avions et appuyées par une
quarantaine de mitrailleuses, huit canons d’infanterie ou mortiers et surtout
55 pièces d’artillerie…pour chaque kilomètre de front attaqué.
Le GAN reprend également deux grandes
innovations de Verdun. La première est l’idée de supériorité aérienne sur un
secteur du front. Dès le début de leur offensive sur Verdun, en février 1916, les
Allemands concentrent 280 appareils de chasse sur la zone et chassent les
quelques appareils français présents. L’artillerie française, qui dépend
désormais de l’observation aérienne devient aveugle. Pour faire face à cette
menace, les Français sont obligés de livrer la première bataille aérienne de
l’Histoire. Le 28 février, le commandant De Rose reçoit carte blanche. Il
constitue un groupement « ad hoc » de quinze escadrilles avec ce qui se fait de
mieux dans l’aviation de chasse en personnel (Nungesser, Navarre, Guynemer, Brocard,
etc.) et en appareils (Nieuport XI). Cette concentration de talents forme un
nouveau laboratoire tactique qui met au point progressivement la plupart des
techniques de la maîtrise du ciel. On expérimente également l’appui feu air-sol
notamment lors de l’attaque sur le fort de Douaumont le 22 mai ou la
destruction des ballons d’observation ennemies (fusées à mise à feu électrique
Le Prieur d’une portée de 2000 m, balles incendiaires, canon aérien de 37 mm). A
son imitation, le GAN groupe de chasse est constitué à Cachy sous le
commandement de Brocard avec huit escadrilles Spad.
La seconde innovation est l’œuvre du
capitaine Doumenc, l’« entrepreneur » du service automobile, subdivision qui
appartient à l’artillerie comme tout ou presque ce qui porte un moteur à explosions.
Grâce à lui et quelques autres, l’idée s’impose que le transport automobile
peut apporter une souplesse nouvelle dans les transports de la logistique et
surtout des hommes, leur évitant les fatigues de la marche tout en multipliant
leur mobilité. Les achats à l’étranger et la production nationale permettent de
disposer dès 1916 de la première flotte automobile militaire au monde avec près
de 40 000 véhicules (200 fois plus qu’en 1914). Cette abondance de moyens
autorise la constitution de groupements de 600 camions capables de transporter en
1916 six divisions d’infanterie d’un coup. L’efficacité de cet outil est
démontrée lorsqu’il s’agit de soutenir le front de Verdun, saillant relié à
Bar-le-Duc, 80 km plus au Sud, par une route départementale et une voie ferrée
étroite. Le 20 février 1916, veille de l’attaque allemande, Doumenc y forme la
première Commission Régulière Automobile (CRA), organisée sur le modèle des
chemins de fer, et dont la mission est d’acheminer 15 à 20 000 hommes et 2 000
tonnes de ravitaillement logistique par jour par ce qui est baptisée rapidement
la Voie sacrée. Le GAN copie l’idée et créé sa propre CRA sur l’axe
Amiens-Proyart afin d’alimenter la bataille de la Somme, avec un trafic
supérieur encore à celui de la Voie sacrée.
La déception de la Somme
En sept mois de préparation, aucun
effort n’a été négligé pour faire de l’offensive sur la Somme la bataille
décisive tant espérée. Loin des tâtonnements de 1915, la nouvelle doctrine a
été aussi scientifique et méthodique dans la préparation qu’elle le sera dans
la conduite. L’objectif de l’offensive d’été préparée avec tant de soins est de
réaliser la percée sur un front de 40 km, pour atteindre ainsi le terrain libre
en direction de Cambrai et de la grande voie de communication qui alimente tout
le front allemand du Nord. Le terrain est très compartimenté avec, en
surimposition des trois positions de défense, tout un réseau de villages érigés
par les Allemands en autant de bastions reliés par des boyaux. La préparation
d’artillerie, d’une puissance inégalée s’ouvre le 24 juin et ne s’arrête qu’une
semaine plus tard, le 1er juillet après au moins 2,5 millions d’obus
lancés (sensiblement sur 40 km tout ce que l’artillerie ukrainienne actuelle a
lancé en 15 mois sur l’ensemble du front). L’offensive n’est ensuite n’est
déclenchée qu’après avoir constaté l’efficacité des destructions par
photographie. Comme prévu, l’aviation alliée bénéficie d’une supériorité
aérienne totale, autorisant ainsi la coordination par le ciel alors que comme
pour les Français au début de la bataille de Verdun, l’artillerie allemande,
privée de ses yeux, manque de renseignements.
Dans cet environnement favorable, la VIe
armée française de Fayolle s’élance sur seize kilomètres avec un corps d’armée
au nord de la Somme en contact avec les Britanniques, et deux corps au sud du
fleuve. Contrairement aux Britanniques, l’attaque initiale française est un
succès, en partie du fait de l’efficacité des méthodes employées. Au Nord, le 20e
corps d’armée français progresse vite mais doit s’arrêter pour garder le
contact avec des Alliés qui, dans la seule journée du 1er juillet, paient leur
inexpérience de 21 000 morts et disparus. Au Sud, le 1er corps
colonial (un assaut que mon grand-père m'a raconté) et le 35e corps
enlèvent d’un bond la première position allemande. En proportion des effectifs,
les pertes totales françaises sont plus de six fois inférieures à celles des
Britanniques, concrétisant le décalage entre la somme de compétences acquises
par les Français et celle de l’armée britannique dont beaucoup de divisions
sont de formation récente. Du 2 au 4 juillet, l’attaque, toujours conduite avec
méthode, dépasse la deuxième position allemande et s’empare du plateau de
Flaucourt. Le front est crevé sur huit kilomètres, mais on ne va pas plus loin
car ce n’est pas le plan.
La réaction allemande est très rapide.
Dès le 7 juillet, seize divisions sont concentrées dans le secteur attaqué puis
vingt et une une semaine plus tard. La réunion de masses aériennes
contrebalance peu à peu la supériorité initiale alliée. Dès lors, les combats
vont piétiner et la bataille de la Somme comme celle de Verdun se transforme en
bataille d’usure. La mésentente s’installe entre les Alliés et les poussées
suivantes (14-20 juillet, 30 juillet, 12 septembre) manquent de coordination.
Au sud de la Somme, Micheler, avec la Xe armée progresse encore de
cinq kilomètres vers Chaulnes mais le 15 septembre Fayolle est obligé de
s’arrêter sans résultat notable, au moment où les Britanniques s’engagent (et
emploient les chars pour la première fois). Les pluies d’automne, qui rendent
le terrain de moins en moins praticable, les réticences de plus en plus
marquées des gouvernements, les consommations en munitions d’artillerie qui
dépassent la production amènent une extinction progressive de la bataille.
Après cinq mois d’effort, l’offensive alliée a à peine modifié le tracé du
front. Péronne, à moins de dix kilomètres de la ligne de départ, n’est même pas
atteinte. Les pertes françaises sont de 37 000 morts, 29 000 disparus ou
prisonniers et 130 000 blessés. Celles des Britanniques et des Allemands sont
doubles. En 77 jours d’engagement sur la Somme, la 13e DI n’a progressé
que de trois kilomètres et a perdu 2 700 tués ou blessés pour cela.
La percée n’est pas réalisée et la Somme
n’est pas la bataille décisive que l’on cherchait, même si elle a beaucoup plus
ébranlé l’armée allemande que les Alliés ne le supposaient alors. C’est donc
une déception et une nouvelle crise.
L’offensive de la Somme a d’abord
échoué par excès de méthode. La centralisation, la dépendance permanente des
possibilités de l’artillerie, la « froide rigueur » ont certainement empêché
d’exploiter certaines opportunités, comme le 3 juillet avec le corps colonial
ou le 14 septembre à Bouchavesnes devant le 7e corps. A chaque fois,
ces percées, tant espérées l’année précédente, ne sont pas exploitées. Certains
critiquent le manque d’agressivité de l’infanterie. D’un autre côté, pour le
sous-lieutenant d’infanterie Jubert du 151e RI, « le fantassin
n’a d’autre mérite qu’à se faire écraser ; il meurt sans gloire, sans un élan
du cœur, au fond d’un trou, et loin de tout témoin. S’il monte à l’assaut, il
n’a d’autre rôle que d’être le porte-fanion qui marque la zone de supériorité
de l’artillerie ; toute sa gloire se réduit à reconnaître et à affirmer le
mérite des canonniers ».
Les procédés de l’artillerie s’avèrent surtout
trop lents. On persiste à chercher la destruction au lieu de se contenter d’une
neutralisation, ce qui augmente considérablement le temps nécessaire à la
préparation. Les pièces d’artillerie lourde sont toujours d’une cadence de tir
très faible, ce qui exclut la surprise. De plus, le terrain battu par la
préparation d’artillerie est si labouré qu’il gêne la progression des troupes
et des pièces quand il ne fournit pas d’excellents abris aux défenseurs.
L’artillerie avait le souci de travailler à la demande des fantassins mais
ceux-ci ont eu tendance à demander des tirs de plus en plus massifs avant d’avancer,
ce qui a accru la dévastation du terrain et les consommations de munitions.
Compenser la faible cadence de tir nécessite d’augmenter le nombre de
batteries, ce qui suppose de construire beaucoup d’abris pour le personnel ou
les munitions et complique le travail de planification nécessaire pour monter
une préparation de grande ampleur. Le temps d’arrêt entre deux attaques dépend
uniquement de la capacité de réorganisation de l’artillerie. Or ce délai reste
supérieur à celui nécessaire à l’ennemi pour se ressaisir.
Car la guerre se « fait à deux ». La
guerre se prolongeant sur plusieurs années, phénomène inédit depuis la guerre
de Sécession, les adversaires s’opposent selon une dialectique
innovation-parade d’un niveau insoupçonné jusqu’alors. La capacité d’évolution
de l’adversaire est désormais une donnée essentielle à prendre en compte dans
le processus d’élaboration doctrinal qui prend un tour très dynamique. La
puissance de feu de l’artillerie alliée terriblement efficace au début de
juillet, est finalement mise en défaut. Les Allemands s’ingénient à ne plus
offrir d’objectifs à l’artillerie lourde. Ils cessent de concentrer leurs
moyens de défense sur des lignes faciles à déterminer et à battre. Constatant qu’ils
peuvent faire confiance à des petits groupes isolés même écrasés sous le feu,
ils installent les armes automatiques en échiquier dans les trous d’obus en
avant de la zone et celles-ci deviennent insaisissables. En août, Fayolle
déclare à Foch : « Enfin, ils ont construit une ligne de tranchés, je vais
savoir sur quoi tirer ». Les Allemands vident les zones matraquées,
amplifient le procédé de défense en profondeur, procédant à une « défense
élastique » qui livre le terrain à l’assaillant, mais lui impose des
consommations de munitions énormes et des attaques indéfiniment répétées.
Malgré la puissance de l’attaque, ils réussissent ainsi à éviter la rupture de
leur front.
L’échec de la « conduite scientifique de
la bataille » entraîne donc sa réfutation en tant que paradigme et la mise à
l’écart de Foch. Comme à la fin de 1915, l’échec de la doctrine en cours laisse
apparaître les autres théories en présence. Pétain propose toujours la patience
et le combat d’usure sur l’ensemble du front. Mais l’école du choc revient en
force en soulignant la perte de dynamisme, issue selon elle de la sécurité
relative qu’apporte un combat où toutes les difficultés sont résolues par une
débauche d’artillerie. Elle fait remarquer que les pertes sont plus importantes
dans les attaques qui suivent l’offensive initiale. Il est donc tentant de
revenir à la « bataille-surprise ».
Extrait et résumé de Michel Goya, L'invention de la guerre moderne, Tallandier (édition 2014)
L'offensive de la Somme a effectivement échoué à cause du manque de coordination entre les alliés, mais aussi parce que les Allemands ont pris l'initiative au plan stratégique en lançant l'offensive de Verdun. La Somme devait être une affaire française, c'était la grosse affaire de Joffre, elle est devenue britannique avec une armée anglaise ayant fraîchement promu le service militaire obligatoire, donc avec des soldats peu entraînés, aussi avec un maréchal Haig nommé par le fait du Prince et dont l'histoire n'a pas retenu beaucoup de ses lumières sur le registre militaire. Il est pourtant resté généralissime jusqu'en 1918, le gouvernement de sa majesté ayant préféré la stabilité du commandement à l'innovation modèle Nivelle. Si l'offensive était restée française, au regard des résultats obtenus côté Fayolle, peut-être que le modèle scientifique accordant toute prééminence à l'artillerie aurait fonctionné. C'est du reste " l'assommoir arithmétique" de Foch qui a amené les Allemands à demander l'armistice deux ans plus tard. Entretemps, les Allemands ont réussi à plusieurs reprises la percée en 1918 grâce au système des Stosstruppen... auxquels il manquait le moteur et une légère cuirasse pour conduire ... la guerre-éclair.
RépondreSupprimerJe note que la maîtrise du transport des troupes d'un point à l'autre du front a joué un rôle important, par le train lors de la première bataille de la Marne en 14, puis par camions notamment lors des offensives allemandes de 18. Peut-être favorisé par le fait que le front était en France. Peut-être aussi la qualité du service du train français.
RépondreSupprimerBonjour monsieur GOYA,
RépondreSupprimerSi cela vous intéresse, un entretien récent avec "Arty Green" et traduit en Anglais vient de paraitre :
"Top UAF military planner, callsign Arty Green, 2023 summer campaign, 28 July update | English translation"
https://www.youtube.com/watch?v=KrnEPA_Om8g
Bonne journée à vous, et bonne continuation.
Cordialement.