Amené
à commenter la tactique dans les principales batailles de la série Game of Thrones, j’ai été frappé par
l’usage abondant des discours de motivation avant ou pendant les combats. On
notera que seuls les héros sympathiques en font, ce qui ajoute bien sûr à leur
charisme. J’exclus évidemment l’Armée des morts de ce constat car si les
Marcheurs blancs sont plutôt flegmatiques ils ne sont pas non plus insensibles
aux émotions et donc à la peur, au contraire de leurs soldats.
Car
bien sûr toute cette affaire tourne autour de la peur et de sa gestion,
c’est-à-dire du contrôle de l’emballement créé par l’amygdale, cette petite
sentinelle au cœur du cerveau qui organise la mobilisation générale en cas de
danger. L’amygdale est puissante mais elle est bête, elle n’organise les choses
qu’en fonction du passé (elle est intimement reliée à la mémoire) et non du
présent. Pour analyser le présent, il faut utiliser son néocortex. Pas besoin heureusement
d’être intelligent pour cela, il suffit simplement de pouvoir répondre à la
question : « suis-je capable de
faire face à la situation ? » Si la réponse est oui, il y a de
fortes chances que vous vous transformerez en super-héros à la Jon Snow le
temps de la bataille, si elle est négative l’emballement va s’accentuer
jusqu’au moment de la paralysie avant la crise cardiaque.
En
réalité, la plupart des membres d’un groupe placé dans une situation de stress
auront du mal à répondre rapidement à la question, surtout si cette situation
est surprenante et pas très claire. Quand les pulsations cardiaques montent
trop vite, la réflexion devient difficile. C’est là qu’interviennent l’exemple
et/ou le verbe. Sans l’un ou l’autre, on reste généralement « comme un
con ».
L’exemple,
c’est un modèle d’action qui se présente à soi. On voit quelqu’un qui va vers
la menace (ou prétendue menace parfois, mais c’est une autre question) ou au
contraire et plus fréquemment s’en éloigne et on le suit.
Le
verbe, c’est l’épée qui tranche le nœud gordien. Il peut être intérieur (« Vas-y ! Bouge-toi ! »).
On parle alors « d’écouter son courage », mais chez beaucoup il
ne dit jamais rien. Le verbe est surtout extérieur, venant de quelqu’un qui,
lui, a répondu « Je peux faire
face » à la fameuse question et a entendu une autre voix
intérieure qui lui disait « il faut
que tu dises quelque chose à tous ceux qui sont dans l’expectative…c’est ton
boulot de chef, ton devoir, tu ne t’en sortiras pas sans eux, etc.). Et voici
donc, après ce long préambule Sa Majesté le discours de motivation.
Comme
j’ai parlé de GoT en introduction pour
attirer l’attention en voici un très simple qui en est issu :
Soldats !
Je suis une moitié d’hommes, mais qu’êtes-vous donc ! Il
y a une autre sortie, je vais vous montrer. Sortez derrière eux et foutez-leur dans
le cul.
Ne combattez ni pour le Roi, ni pour le royaume, ni pour
l’honneur ou la gloire, ni pour la fortune, vous n’aurez rien !
C’est votre ville que Stannis veut piller, vos portes qu’il
veut enfoncer, s’il entre c’est vos maisons qu’il enfoncera, votre or qu’il
volera, vos femmes qu’il violera !
Des hommes courageux frappent à notre porte. Allons les tuer !
Les
initiés auront reconnu le discours de Tyrion au cœur de la bataille de la Néra
(saison 2, épisode 9), alors que la situation est critique, que le roi vient de
rejoindre sa maman et que tout le monde regarde la Main.
En
voici un autre, historique et très connu :
Soldats, vous êtes nus,
mal nourris; le Gouvernement vous doit beaucoup, il ne peut rien vous donner.
Votre patience, le courage que vous montrez au milieu de ces roches sont
admirables ; mais il ne vous procure aucune gloire, aucun éclat ne rejaillit
sur vous. Je veux vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde. De
riches provinces, de grandes villes seront en votre pouvoir; vous y trouverez
honneur, gloire et richesses. Soldats d'Italie manqueriez-vous de courage ou de
constance ?
Il
s’agit bien sûr de la Proclamation du général Bonaparte à l'armée d’Italie le
27 mars 1796. Bonaparte ne peut plus s’adresser directement aux dizaines de
milliers d’hommes de son armée, mais il fait comme si en utilisant des
intermédiaires.
Tous
ces discours reposent en réalité sur des mécanismes simples que je m’empresse
de vous dévoiler.
En
premier lieu, il ne s’agit à chaque fois que de deux choses : mobiliser
(pour obliger à un comportement peu naturel) et/ou sécuriser (« ça va bien se passer »). On mobilise lorsque les choses
paraissent faciles et qu’on risque de se faire surprendre ou au contraire
lorsqu’elles sont difficiles et qu’il faut mobiliser toutes les ressources. On
sécurise lorsqu’on veut persuader que la situation est grave mais pas
désespérée et que la montagne est haute mais que son sommet est atteignable. Tout
dépend donc de la situation de départ, et il ne faut évidemment pas se tromper.
En général, un bon discours comprend un mélange des deux modes. Je conseille
pour ma part un modèle club-sandwich PSSP (Pression-Sécurisation-Sécurisation-Pression) en trois ou quatre séquences
commençant par une interpellation mobilisation, suivie d’une ou deux séquences
de sécurisation et se terminant par une nouvelle mobilisation, éventuellement une injonction.
Quels
sont les ingrédients à y mettre ? Reprenons les deux exemples. De quoi
parle-t-on ? De soi ou de l’ennemi, dans le passé, maintenant ou dans le
futur. Ce qui stimule : la honte d’un acte passé, une faiblesse actuelle
par rapport à l’ennemi, un futur horrible si on échoue ou au contraire génial
si on réussit. Ce qui rassure : les victoires passées, les points forts
actuels, et une certitude raisonnable de réussite. Dans les deux cas, on peut
jouer sur l’affectif (le très vintage « honneur » par exemple)
ou la raison et des éléments objectifs (« On
a un dragon et pas eux »). On peut employer tous les temps, mais
l’impératif est intéressant pour donner un cadre.
Reprenons
les exemples précédents. Tyrion fait un discours rapide en PSPP en interpellant,
en décrivant une solution (une autre sortie et les moyens de les prendre à
revers), une situation future fort déplaisante en cas d’échec, une petite
valorisation de l’ennemi (des « hommes courageux ») et termine par un
ordre. Notons le « Allons » qui induit que contrairement au Roi, il
en sera. De son côté Bonaparte, fait un PSSP classique, mais efficace. Il
commence par un point de situation négatif, reconnait le courage et la patience
admirables (point sécurisation), enchaîne ensuite une promesse de richesse et
de gloire (« vous y trouverez », nouvelle sécurisation presque autant
que stimulation) et appel final à l’honneur (notons le courage qui passe de
« stoïcien » au début à « homérique » à la fin).
Une
fois que l’on a compris ces quelques principes, c’est assez simple. On peut faire un petit PSSP à la manière du maître Yoda en une minute : « Fort est Vador, mais la haine en lui je vois, le vaincre tu peux
donc, et surtout le vaincre tu dois ». Ajoutez une voix un peu rapide
pour la stimulation, plus lente pour la sécurisation et surtout claire et
forte, je n’ose dire grave (Dieu dans Les
dix commandements) pour ne pas passer pour sexiste, mais écoutez bien quand
même la teneur et le débit des voix dans les publicités ou les reportages en vous
demandant quel est l’effet recherché à chaque fois. Parlez naturellement
(personne ne lit un papier devant les troupes dans GoT) et donc apprenez par
cœur le texte ou au moins entraînez-vous à combiner les ingrédients.
Vous
voilà prêts à vous faire suivre jusqu’à la mort. Dans GoT et tous les films américains,
un discours se termine par un hourra spontané et des épées en l’air (sauf l’épisode
où Theon Greyjoy prend un coup de masse juste après un beau discours). En
réalité, c’est vous qui devrez provoquer ce hourra mobilisateur. Maintenant, si
vous constatez simplement que tout le monde vous écoute et vous regarde avec
attention sans jeter un coup d’œil à son smartphone, vous aurez déjà gagné.
Hourra !
Petit
travail pratique : saurez-vous trouver la forme et les ingrédients utilisés
dans cette autre proclamation de Bonaparte (26 avril 1796) ?
Soldats, vous avez en
quinze jours remporté la victoire, pris 21 drapeaux, 55 pièces de canon,
plusieurs places fortes, conquis la partie la plus riche du Piémont; vous avez
fait 15000 prisonniers, tué ou blessé près de 10000 hommes.
Vous vous étiez jusqu'ici
battus pour des rochers stériles. Dénués de tout vous avez supplée à tout. Vous
avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans pont, fait des
marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et souvent sans pain.
Les phalanges républicaines, les soldats de la liberté étaient seuls capables
de souffrir ce que vous avez souffert.
Mais soldats, vous n'avez
rien fait, puisqu'il vous reste encore à faire. Ni Turin, ni Milan ne sont à
vous. La patrie a droit d'attendre de vous de grandes choses : justifierez-vous
son attente ? Vous avez encore des combats à livrer, des villes à prendre, des
rivières à passer. Tous brûlent de porter au loin la gloire du peuple français;
tous veulent dicter une paix glorieuse, tous veulent, en rentrant dans leurs
villages, pouvoir dire avec fierté: « J'étais de l'armée conquérante
d'Italie!».
1er paragraphe : Mobiliser (rappel du passé glorieux), 2ème Rassurer/ Sécuriser (Pour vous tout est possible), 3ème Mobiliser encore (tracer des perspectives victorieuses et de récompenses).
RépondreSupprimerBravo, mais c'était facile.
SupprimerOn pourra lire avec intérêt lire l'exposé de Touhari Ouardia, Harangue de chef avant la bataille : comparaison entre Tite-Live (Histoire Romaine, livre XXVII) et Silius Italicus (Punica,XV,320-823) publié dans Vita Latina, n° 171, 2004. pages 121 à 129 sur le portail Persée. On découvrira que la guerre punique entre Hannibal le Carthaginois et Scipion l'Africain a été animée par de nombreuses harangues, cohortationes en latin, de part et d'autre. Bon week-end.
RépondreSupprimerHenry V, acte IV, scène III. De la pure propagande, mais de Shakespeare !
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=NvNZulpXxHk
Très instructif et fort bien écrit. Comme toujours un plaisir de vous lire.
RépondreSupprimerPar contre l'acronyme PSSP ou PSPP, ça signifie quoi s'il vous plaît ? P pour persuasion S pour sécurisation ?
Julien
Pression et Sécurisation
SupprimerMerci beaucoup !
RépondreSupprimerPuisque nous sommes dans le discours et la fiction, un peu de warhammer 40 000 ?
RépondreSupprimerhttps://youtu.be/a8_MjeU8MLM
Nous sommes loin des discours guerriers de notre actuel chef des armées ... :p
RépondreSupprimer[daniel]
RépondreSupprimerAh! tout ce qu'un bon soldat peut faire en matière de courage et d'héroïsme avec quelques paroles bien tournées...
Comment analyser le discours de la Reine d'angleterre, récemment, et aussi pendant le Blitz ?
RépondreSupprimerBonjour
RépondreSupprimerj'aime bien Churchill « Je n'ai rien d'autre à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ».
C'est le discours qu'un prétendant au trône de France pourrait tenir s'il veut être réaliste.
Mais serait-il élu? Manque la "sécurisation" mais c'est la contrepartie quand on atteint le fond.
Salutations
Il y aura certaine ment quelquechose à tirer de Zelensky...
RépondreSupprimerSur son discours en Russe on a cité au contraire un discours d'humanisation conseillé aux otages...
Sinon son comportement me rappelle la remarque de ma femme, que les leaders d'oppositions qui s'exilent n'emportent pas les coeurs... (contre exemple, De Gaulle?)
On verra.
Je me permets d’ajouter cet extrait de discours que je trouve très beau et qui illustre vos propos (désolé c’est n’est pas français ;-)) :
RépondreSupprimerToute la fureur, toute la puissance de l'ennemi va bientôt se déchaîner contre nous. Hitler sait qu'il devra nous briser sur cette île ou qu'il perdra la guerre. Si nous parvenons à lui résister, toute l'Europe pourra être libre, et la vie du monde progresser vers de hautes et vastes terres baignées de soleil. Mais si nous échouons, alors le monde entier, y compris les États-Unis, y compris tout ce que nous avons connu et aimé, sombrera dans les abîmes d'un nouvel âge des ténèbres rendu encore plus sinistre, et peut-être plus durable, par les lumières d'une science pervertie. Aussi, préparons nous à accomplir notre devoir et à nous conduire de telle sorte que, si l'Empire britannique et son Commonwealth durent mille ans, les hommes diront encore: "Ce fut leur plus belle heure."
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimertoujours un plaisir de vous lire , Colonel. n'oublions pas la harangue d'Attila à ses troupes, lors des champs catalauniques, une chaude affaire où celle du César Julien, à la bataille de Strasbourg contre les Alamans .
RépondreSupprimerDes chefs légendaires