Publié le 07/12/2011
Au début des années 2000, l'économiste David Romer entreprit d’analyser par ordinateur 700 matchs de National Football League. Il parvint ainsi à déterminer quelles étaient statistiquement les meilleurs choix tactiques (tenter d’avancer, taper le ballon au pied, etc.) en fonction notamment de la position de l’équipe sur le terrain. En comparant ces résultats et les choix réels des coaches, il s’aperçut que non seulement leurs décisions se ressemblaient beaucoup mais qu’ils étaient aussi systématiquement plus prudents que l’ordinateur. Au bilan, en termes économiques, la plupart des stratégies adoptées par ces gens pourtant compétents étaient sous-optimales.
Ce comportement apparemment irrationnel s’explique d’abord par le principe de la « preuve sociale ». Si tout le monde fait cela c’est que cela doit avoir un sens. On peut donc prendre une décision rapide (souvent juste mais pas toujours) sans avoir à trop réfléchir. Il s’explique surtout par la « pression sociale ». Si tout le monde fait cela, il est simplement difficile de ne pas le faire. Ces deux facteurs sont évidemment exacerbés si tous les décideurs sont issus de la même communauté, ont reçu la même formation et obéissent à la même culture.
Le plus important réside cependant dans les conséquences d’un échec éventuel. Le coût d’un échec conformiste n’est pas le même que celui d’un échec audacieux, puisque dans le deuxième cas on passera en plus pour asocial ou même fou. Or, un coach poursuit toujours deux objectifs : à court terme gagner des matchs et à long terme réussir sa carrière. Ces deux objectifs sont évidemment corrélés mais ne coïncident pas complètement. Il faut être bon mais aussi et peut-être surtout convaincre que l’on est bon ou au moins que l’on est sérieux. Ajoutons à cela le fait que l’échec est toujours psychologiquement plus fortement ressenti que la réussite (dans un rapport de un à quatre) et on obtient une forte tendance à la prudence et au conformisme dans une population d’individus apparemment indépendants et libres de leurs choix.
Imaginons maintenant le cas d’un colonel commandant un groupement tactique interarmes (GTIA) dans une opération de guerre au sein d’une coalition sur-dominée par un grand allié. Outre son code éthique, les décisions de ce colonel vont subir trois pressions : celle de la hiérarchie opérationnelle du grand allié qui exige des résultats concrets, celle des habitudes qui indique ce qu’il est « normal » de faire et celle de sa propre hiérarchie nationale dont le jugement va fortement influencer le futur post-opération du colonel et de son régiment.
L’action du GTIA sera de durée limitée et noyée dans l’action de dizaines d’autres bataillons. Elle n’aura donc qu’un impact limité au niveau du théâtre tout en étant très importante pour lui. S’il est audacieux et prend des risques, il ne peut espérer que quelques succès limités et provisoires alors que s’il échoue sa carrière est compromise et la réputation de son régiment terni. En revanche, s’il est conformiste et prudent, il peut espérer présenter un bilan peu glorieux mais sans craindre un désastre. Les pertes humaines passeront beaucoup plus facilement dans ce cas.
Au dessus du colonel, l’action s’inscrit dans un cadre politique national dominé par l'approche des élections présidentielles et dans celui d’une coalition asymétrique où chacun des alliés cherche à présenter un bon bilan diplomatique au moindre coût. Les moyens sont donc réduits au « juste suffisant » et la priorité est d’éviter un choc médiatique. En dessous du colonel, chacun des cadres est soumis au même dilemme qui peut se résumer à leur niveau à une question : est-ce que cela vaut vraiment le coup de risquer ma peau et celle de mes hommes ? Si cette valeur est jugée faible (par manque de reconnaissance par exemple), le rendement réel et cumulé de toutes les actions ne peut qu’être faible également.
C’est ainsi que, à force de prudence, on peut imaginer un jour voir dans une petite province d'un lointain pays d'Asie centrale quelques centaines de combattants équipés de kalashnikovs tenir tête pendant des années à l’ex-première armée du monde.
Excellent parallèle !
RépondreSupprimerComme toujours, je vous lis avec "gourmandise".
RépondreSupprimerContinuez !
un "loufiat" en retraite.
D'accord avec vous, mais vous n'êtes pas allés au bout de la rédaction de votre réflexion qui est : votre sentiment sur vos chefs ! Et en fonction de ce que vous écrirez comment vous, vous vous positionnez dans "l'échelle".
RépondreSupprimerBon courage
Je ne suis pas d'accord avec démineur et vous comprend car vous êtes toujours d'active et ne pouvez pas vous permettre ce positionnement. Démineur semble au contraire chercher à poser des mines!!
RépondreSupprimerJe viens tout juste de découvrir votre blog, même si je vous connaissais déjà.
J'ai adoré ce premier post pour tout : le premier parallèle (j'adore le football américain) qui m'a donné envie de vous lire et pour le dernier (bref et percutant) qui reproche un manque d'allant et trop de retenue à notre engagement.
Pensez-vous que ce manque d'engagement peut également être reproché à l'engagement français en Algérie ? et concernant l'Irak que vous avez étudié en détails ?
"Je ne suis pas d'accord avec démineur et vous comprend car vous êtes toujours d'active et ne pouvez pas vous permettre ce positionnement"
RépondreSupprimerEt il demande ensuite : "Pensez-vous que ce manque d'engagement peut également être reproché à l'engagement français en Algérie ? et concernant l'Irak que vous avez étudié en détails ? "
Ca revient un peu au même non ? Critiquer ses chefs ou leurs choix ? :)
Audace, ou mesure.....certes le choix du mode d'action est crucial.....mais la prise en compte de l'environnement dans lequel on évolue l'est encore plus! Audace au risque d'un plus grand "cinétisme" au sein d'une population dont la référence tribale est la vengeance comme schéma relationnel ou prudence afin de se mouler dans la manière de faire locale faite de longs conciliabules? Petites victoires tactiques sans lendemain ou construction lente d'une victoire stratégique? Servir (construction d'une armée nationale solide) ou se servir (la réputation de l'unité et de ma carrière)........6 mois pour convaincre!
RépondreSupprimer"Servir (construction d'une armée nationale solide) ou se servir (la réputation de l'unité et de ma carrière)........6 mois pour convaincre!" Bien apprise la leçon. Il manque quand même "gagner les coeurs", "ne pas ajouter la guerre à la guerre", ... 20 ans de "soldats de la paix", concept lénifiant et inhibant.
RépondreSupprimerIl en faut pas confondre manque d'audace et réticence à l'emploi violent de la force. C'est parfois le cas (la plupart des missions sous Casques bleus)mais pas toujours. Dans les conflits de contre-insurrection actuels c'est plutôt la faible présence, dans l'espace et surtout le temps, sur le terrain qui pose problème. Maintenant, quand le 2e RIMa envoie ses sections nomadiser pendant des semaines en Surobi, c'est une prise de risque qui s'avère efficace.
RépondreSupprimerExcellente idée du COL H. de nomadiser ses sections. On reconnait le caractère un peu hors "cadre" de ce chef de corps. Nomadiser en sécurité, gagner les coeurs, sans partir à la chasse aux médailles ou risquer de ne pas rentrer au complet. Car lui sait ce que c'est que de perdre des hommes.
RépondreSupprimer"Nomadiser" en Afghanistan ? Racontez au pékin que je suis. Cela m'interpelle !
RépondreSupprimerJe reviendrai sur cette idée. Nomadiser signifie être en permanence sur le terrain, jour et nuit, pendant des semaines sans jamais rester trop longtemps au même endroit.
RépondreSupprimerDonc, c'est bien ce que j'avais compris. Façon Indo ou Algérie. Mais on n'a pas du tout l'impression que c'est possible sans pertes. Et que donc, cela peut se faire, politiquement ! Je pensais même que ce genre de tactiques et d'occupation du terrain relevait de décisions très très en amont ! Merci Colonel (et pour la qualité de votre blog !)
RépondreSupprimerLes solutions coûteuses à court terme peuvent économiser des vies à long terme si elles apportent la décision.
RépondreSupprimerLes Américains ont refusé d'engager leurs troupes disponibles à Tora Bora et Kandahar en 2001 pour éviter les pertes. Le mollah Omar et Ben Laden ont réussi à s'enfuir et la guerre a continué.
Inversement, lorsqu'ils ont décidé d'engager leurs troupes dans les rues de Bagdad en 2007, les pertes n'ont jamais été aussi élevées mais la situation a été rétablie en quelques mois.
Je suis bien d'accord avec vous, Colonel. Je suis pékin, certes, mais d'une génération qui a connu "la mise en condition" comme tout jeune homme de bonne famille qui se respectait alors, outre Rhin pour y monter la garde face aux hordes blindées soviétiques. Donc pékin, mais sensibilisé et pas pacifiste écervelé pour autant.
RépondreSupprimerCe que je voulais dire, c'est que je m'étonnais de cette liberté d'action, pour s'organiser sur le terrain et organiser la guerre, laissée aux chefs de BG en Afghanistan dans le contexte politique actuel. J'apprends quelque chose. Tout ce que je lis sur la blogosphère militaire française sérieuse, me laissait plutôt penser qu'on essayait à tout prix la casse et que donc, on restait dans ses camps retranchés pour n'en sortir que de façon pudique. Et surtout, pas d'éclat. Vous connaissez l'adage : "pas d'embrouille, pas de c...s".
Il me reste à vous féliciter encore pour l'ouverture d'esprit dont vous faites preuve et que vous apportez à la chose militaire en général, en faisant le parrallèle avec la vie économique. Il se trouve que je m'inspire beaucoup de ce que vous dites pour nourrir ma propre réflexion au sujet de l'organisation et de la vie des entreprises. Guerre et management, pour moi, c'est la même chose : c'est "conduire des opérations" dans un contexte de crise permanente. et l'entreprise a beaucoup à gagner en s'inspirant des leçons de créativité que la chronique a retenu depuis que l'homme écrit ses exploits.
l'introduction de l'analyse économique est intéressante et parait pertinente:
RépondreSupprimerpour l'anecdote, j'avais entendu une fois un officier (dans un cadre privé, hein, et c'était il y a longtemps) qui expliquait qu'on avait tendance à privilégier, tactiquement, une solution dont on savait déjà, par expérience, qu'elle n'allait pas fonctionner, plutôt que de tenter l'innovation pour un résultat imprévisible.
accessoirement, tout néophyte que je suis, je suppose que l'introduction d'une variable "investissement" ne fait que déséquilibrer encore le bilan "cout avantage", si, en plus de constater un bilan non dépourvu d'aléa, avec un risque humain accru, il demande un investissement notable en préparation (reco, toussa) ou matériel (on ravitaille comment, des légionnaires qui nomadisent)
Parfois ce qui m'étonne chez l'homo sapiens sapiens du 20 ème et 21 ème siècle, c'est que nous devions attendre des statistiques de mathématicien pour valider ce que philosophiquement nous avions déjà démontré et/ou constaté. Actuellement nous sommes sous un dictat des mathématiques assez impressionnant ou rien n'est valable s'il n'a pas été démontré par un mathématicien.
RépondreSupprimerDans le technique la situation que vous décrivez, est quotidienne, l'innovation coûte beaucoup d'argent et de temps, dans une société ou tout s'est accélérer avec l'informatique, nous n'avons plus le temps pour se risquer à innover, nous restons sur des schémas standards qui existent depuis 100 ans et lorsque nous avons besoin d'innover, nos décideurs ne savent absolument pas combien cela peut coûter ni le temps d'étude nécessaire, nous avons des exemples comme : l'EPR, L'A400M, F-35, A380, A350, et j'en passe.
Mon Colonel, cet article devrait être mit en parallèle avec un autre de vos article sur le managment "Mad men" (http://lavoiedelepee.blogspot.com/2011/12/mad-men.html)
Nos enterprises sont actuellement gérer comme ces 2 articles.
Comme vous l'expliquez, les cadres dirigeant sortent de la même école, les ingénieurs ont de plus un plus des diplômes au rabais, (comparez les thèses des années 75-85 à celle des années 2000).
Vous expliquez le mécanisme du manque d'audace, par dissymétrie entre l'échec conformiste et l'échec non-conformiste.
RépondreSupprimerMais comment expliquez vous les armées avec une haute dose d'audacieux (armées napoléoniennes, Wehrmacht) ? Quel est le contre-mécanisme ?
La question est "qu'est-ce qui se passe si vous échouez ?" Va-t-on saluer le courage d'avoir pris des risques ou vous sanctionner ? La réponse est à la fois culturelle et contextuelle. Vous auriez pu évoquer aussi l'armée israélienne au moins jusqu'en 1982.
SupprimerIl y a pas mal d'entreprise qui fonctionnent complètement a l'envers de votre article. Essayez et échouez vite! recommencez!
RépondreSupprimerPlutôt côté innovateurs. Pas des monopoles ou assimilés.
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RépondreSupprimerLa comparaison me semble possible qu'avec une guerre totale. C'est à dire avec une guerre qui s'éternise et qui occupe intégralement la nation (à l'image d'un championnat de football qui mobilise le club sur toute une année). La comparaison doit aussi exclure les guerres asymétriques, car le championnat de football US fait affronter des équipes régulières qui sont toutes soumises au même arbitrage.
RépondreSupprimerPour ces guerres de grande ampleur, mes conclusions sont opposées aux vôtres : ces guerres ont toutes été gagnées par des chefs de guerre qui ont renoncé l'excès d'audace (à l'image des entraîneurs de football US).
C'est en tous cas vrai pour la Guerre de Sécession (la logistique et la patience de Grant contre l'audace et le génie de Lee), la Première Guerre mondiale (abandon de l'offensive à outrance et de la recherche de l'acte décisif, façon Bonnal) et la Seconde Guerre mondiale (succès de l'art opératif soviétique et de la logistique américaine, échec du Blitzkrieg en URSS).
De façon générale, la victoire résulte surtout d'une acceptation d'une forme d'industrialisation de la guerre (résignation aux lourdes pertes militaires, renforcement de la méthodologie et de la logistique). Rejeter l'audace, c'est rejeter le choc psychologique qui l'accompagne souvent (et l'audace fait vite place au défaitisme quand elle échoue à créer le choc psychologique attendu chez l'ennemie). L'armée qui arrive à digérer les batailles perdues fait souvent un pas décisif vers la victoire finale.
Au final, il me semble que l'audace est avant tout le dernier espoir du plus faible, à l'image du Petit Poucet de la coupe de France de football (soccer) qui est condamné à l'exploit. L'audace n'est alors pas un choix, mais une nécessité dont les fruits sont surtout de nature médiatique, politique et historique. Mais si le conflit s'éternise dans le temps, contre un adversaire déterminé, l'audace ne servira même pas au plus faible ( à l'image de l'armée du général Lee, cherchant en vain LA bataille décisive alors que Grant s'est déjà convaincu de ne plus jamais reculer).
Merci pour cet excellent article! (Une fois de plus...)
RépondreSupprimerUne action audacieuse c'est créer la surprise chez l'ennemi, et donc prendre un ascendant psychologique fort. Lors des planifications, on se rend compte que la plupart des officiers n'imaginent pas pouvoir être surpris par l'ennemi qui, d'après eux, utilisera toujours un principe académique d'attaque ou de défense... De même qu'eux!
Le "génie" de Bonaparte, puis de l'Empereur, c'est d'abord la manœuvre, l'éclairage, le renseignement, puis quelques combats de préparation pour bousculer l'ennemi (ascendant psychologique), enfin la bataille décisive à l'endroit voulu et décidé par lui, en provocant la faute qui se traduira par une aile trop avancée, une marche de flanc, etc., aussitôt mise à profit... Et quel meilleur exemple qu'Austerlitz? Pourtant, on se souviendra que Davout lui-même, la veille de la bataille se met dans une grande colère contre le plan qui lui est présenté, à l'instar des autres maréchaux et parle de "coup de dés"! Avec raison si l'on se réfère uniquement à l'académisme de l'époque.
Plus près de nous, les batailles défensives de 1918, gérées par Foch durant quatre mois, ne l'empêche pas de dégarnir le front pour créer une réserve générale (2 armées quand-même!) au grand dam de Pétain, lesquelles permettront de soutenir les Américains, puis les Belges, puis les Anglais à nouveau, et créer une troisième armée confiée à Mangin (double faute d'après les autres généraux...) pour lancer son fameux coup de faux qui fera s'effondrer tout le front allemand... C'est un coup audacieux, qui abrégera les combats d'un an, à la surprise générale.
Plus près de nous encore, Patton, grand admirateur de Napoléon et du Maréchal de Saxe, traité de tous les noms d'oiseaux possibles par ses condisciples, et considéré souvent comme "ingérable", permettra par son audace et la rapidité d'exécution de surprendre l'adversaire et de débloquer la situation... Il ne sera finalement admiré et craint que par les Allemands et les Russes!
Mais c'est bien le problème de la plupart de nos officiers supérieurs et généraux: "Le jeu en vaut il la chandelle?". Ne vaut il pas mieux perdre une bataille de façon orthodoxe, plutôt que de la gagner par miracle?
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SupprimerBonsoir,
SupprimerL'article est excellent en effet, et le sujet abordé est passionnant.
Pour ma part, il me semble que les exemples que vous citez représentent avant tout des victoires obtenues sur un ennemi à bout de souffle (l’Allemagne de 1918 et celle de la fin de la seconde guerre mondiale). Dans ces combats, il s'agissait pratiquement d'abréger les souffrances de l'adversaire déjà vaincu au niveau stratégique (précisément grâce à une remise en cause de l'offensive à outrance et à l'acceptation d'une planification besogneuse des combats).
Il me semble bien difficile de créer un choc psychologique au sein d'une armée adverse qui s'est forgé des nerfs d'acier au cours de nombreuses années de combat et qui possède un nombre croissant de soldats et plusieurs armées autonomes (l'armée soviétique de 1943-1945, par exemple : l'audace allemande n'ayant eu pour effet que de renforcer l'ennemi).
Pour ce qui est de Napoléon, son véritable génie résulte selon moi dans son exceptionnelle capacité à innover, laquelle lui a permis d'obtenir un avantage décisif sur ses adversaires. Il a bénéficié pour cela des fruits de la Révolution Française (il a en grande partie fait du neuf avec du vieux).
L'avantage ne pouvait toutefois être qu’éphémère. Ainsi, l'Empereur a lui même a pu constater au cours des campagnes de 1813, de 1814 et de 1815 à quel point l'adversaire avait su s'adapter. Il a su s'armer massivement en vue d'une guerre totale que l'Empereur a perdu malgré son génie et son audace (la campagne de France en est le meilleur exemple). Déjà, pendant la campagne de 1812, il a pu constater à quel point la victoire sur le champ de bataille avait ses limites face à un adversaire prêt à brûler ses villes et à reculer jusqu'en Sibérie s'il le fallait. Enfin, il a pu constater à quel point la guérilla pouvait décimer dans l'ombre sa grande armée. L'audace s'est vite retournée contre l'Empereur au cours de cette période : elle lui a fait perdre son objectivité et l'a contraint à tirer sa légitimité dans une sorte de guerre perpétuelle qu'il ne pouvait que perdre au final.
La fin de l'Empire, c'est déjà la fin de l'avantage opérationnel et tactique acquis. Elle préfigure nos guerres modernes (guerre totale, armées gigantesques, guerre asymétrique, industrialisation). Ces éléments se sont vérifiés pendant la Guerre de Sécession. L'échec de cette forme de « positivisme napoléonien » s'est poursuivi avec les boucheries de 1914-1915 et ceux de la Seconde Guerre Mondiale (l’entêtement néfaste de Manstein, notamment).
Dans ce type de conflit, l'audace n'a finalement fonctionné que lorsqu’elle a été employée de façon réfléchie, planifiée, voire besogneuse (quitte à être moins brillante). La carrière d'un Joukov en est une belle illustration.
Marc Pierre le 23 août 2015
RépondreSupprimerBonjour,
Vous avez particulièrement bien mis en évidence la parallèle qui existe entre le football américain et l'action militaire, à travers la perception qu'en ont leurs meneurs de jeu respectifs. Si l'une et l'autre activités présentent des caractères communs que vous avez su mettre en valeur, des différences notables entre les deux subsistent néanmoins.
La première est que les équipes de sport collectif de contact s'affrontent dans des championnats où les niveaux de jeu sont proches les uns des autres, hormis les coupes ouvertes au plus grand nombre d'équipes. Ce n'est pas le cas de l'action militaire, caractérisée souvent par des affrontements asymétriques, où le plus faible essaie de mettre en échec le plus fort, parfois en en se conformant pas aux « lois de la guerre » ou en les contournant. Nous le savons depuis le penseur chinois Sun Tzu au Ve siècle av. J.-C.
La seconde est que, tout comme les sports collectifs professionnels de contact, l'action militaire est médiatisée, au point de rendre un échec secondaire et inattendu ressenti plus vivement, ainsi que vous l'avez exposé, qu'une victoire de premier ordre planifiée et réalisée. Or, cette médiatisation en affrontement asymétrique peut jouer à l'encontre du vainqueur pressenti, tout comme l'opinion se range du côté du « petit Poucet » lors d'une compétition de type coupe en sports collectif de contact, ne serait-ce que pour récuser la domination du « gros » perçue tantôt comme arrogante. C'est cette propension que Jacques Baud et Christine Lorin de Grandmaison ont montré dans leur ouvrage La guerre asymétrique ou la défaite du vainqueur paru en 2003 aux Éditions du Rocher.
La troisième est que si les équipes de sport collectif de contact se rencontrent sur des terrains aux dimensions invariables (zones des 10 à 50 yards et de touch down en ce qui concerne le football américain cité dans votre article, par exemple), ce n'est pas le cas de l'action militaire appelée à être exercée en tous temps et en tous lieux. Ce dernier impératif ne permet pas aux chefs militaires de se référer à un catalogue de schémas de jeu et de combinaisons qu'il va s'agir de faire mettre en œuvre aux joueurs que l'on a sélectionné en fonction de leurs facultés physiques, comportementales et psychologiques. De plus, comme l'a indiqué Dominique David de l'IFRI dans le numéro hors série intitulé Science et guerre d'août 2015 de Sciences et Avenir, « le champ de bataille classique disparaît » … Nos chefs militaires sont désormais engagés sur des terrains d'action aux limites de plus en plus floues, parfois dans des univers virtuels qui sont pourtant bien réels. Notre difficulté est donc de penser et de conduire l'action militaire afin de prendre le dessus sur les adversaires dans un contexte complexe et on ne peut plus changeant.
Salutations à tous