L’enracinement dans les ressources de la nation
Il faut d’abord rappeler que parmi les grandes nations
belligérantes, c’est la France qui avait le moindre potentiel économique et
démographique, potentiel encore amoindri par l’occupation allemande de régions
industrielles. Au moment de l’armistice, c’est pourtant l’armée de cette même France
qui, malgré les pertes immenses, domine. Elle surclasse une armée allemande en
cours de désagrégation rapide et dépasse de loin la jeune armée américaine (équipée
en grande partie par la France et dont un tiers des équipages de chars ou des
servants d’artillerie sont français). L’armée britannique connait une
progression de puissance très rapide mais elle ne représente encore que 60 % de la puissance française à la fin de la guerre.
Cette révolution repose d’abord sur une mobilisation
sans égale de la nation. Cette nation vieillie et au régime politique instable a pourtant réussi, non sans douleurs et tensions, à mobiliser ses ressources
humaines et économiques comme aucune autre dans le monde. Elle a été
capable aussi d’orienter cet effort intelligemment grâce à de nombreux liens entre
les mondes civil et militaire. S’il comprend quelques inconvénients le régime
parlementaire oblige aussi les représentants de la nation à s’intéresser à la
chose militaire. Il suffit de consulter les débats parlementaires d’avant-guerre
ou simplement de lire l’armée nouvelle de Jean Jaurès pour appréhender le
niveau de compétence technique des députés et sénateurs de l’époque. Beaucoup d’entre
eux rejoignent d’ailleurs le front d’où ils continuent à assurer le lien avec
le Parlement.
L’armée qui se mobilise en 1914 est aussi en grande majorité
composée de civils prenant l’uniforme. Ces civils viennent avec leur capital de
compétences particulières dont beaucoup seront très utiles lorsque la guerre se
transformera à la fin de 1914. Au printemps 1915, le lieutenant de réserve
Cailloux récupère deux tracteurs à chenilles qu’il possédait dans son exploitation
agricole de Tunisie et les offre à son régiment pour tracter des pièces d’artillerie
lourde dans les Vosges. C’est probablement le premier emploi militaire en France
d’engins à chenilles. D’un autre côté, la grande majorité des officiers possède
également une culture scientifique, technique chez les Polytechniciens qui
servent alors en nombre dans l’artillerie et le génie mais aussi chez les
officiers des armes de mêlée qui se passionnent souvent pour les sciences
humaines. Le colonel Estienne, artilleur et scientifique, pionnier à la fois de
l’aviation et des chars, est l’exemple parfait de ces « connecteurs ».
Malgré les apparences conservatrices, l’armée française est alors une armée
ouverte.
La circulation des idées
L’information circule vite et beaucoup dans l’armée
française. On ne fait en réalité qu’adapter au contexte de guerre des habitudes
prises dans le temps de paix, lorsqu’après la guerre de 1870 on a créé 400 bibliothèques
de garnison, plusieurs revues militaires et surtout incité les militaires, en
fait les officiers, à écrire. Contrairement à la période précédente où le
maréchal Mac Mahon « rayait de l’avancement tout officier qui a son nom
sur un livre », il est désormais de bon ton d’avoir écrit. Les officiers
brevetés de l’Ecole supérieure de guerre se présentent en donnant le nom de
leur éditeur. De fait, jamais les militaires français n’ont autant écrit et
débattu qu’entre 1871 et 1914. Cela ne va sans problèmes, entre effets de groupthink de la part d’hommes issus du
même milieu et de la même formation ou au contraire débats violents. C’est
avec un collage de doctrines peu compatibles que l’armée française entre en
guerre en août 1914 mais beaucoup d’officiers ont pris l’habitude d’analyser
systématiquement les choses et d’exprimer leurs idées, et cette habitude
perdure pendant la guerre.
Chaque opération, chaque combat fait l’objet d’un
compte-rendu, on parlerait aujourd’hui de retour d’expérience (retex), et quand
on examine ces documents on est frappé par leur honnêteté voire parfois leur
impertinence. Cela permet, avec le système des officiers de liaison, au Grand
quartier général, d’avoir une vision assez juste des évènements. Dès les 16 et
22 août 1914, le GQG peut édicter des notes destinées à corriger les premières
déficiences constatées. Ces rapports circulent aussi très vite entre divisions
voisines ou par le biais de lettre et de télégrammes entre les différents
réseaux de camarades des différentes promotions.
Lorsque la guerre de tranchées apparaît, les débats
persistent et ne sont pas considérés comme des trahisons ou des
« atteintes au moral » pour reprendre une expression récente du chef
d’état-major des armées. Lorsque domine le paradigme de « l’attaque
brusquée » en 1915 (la percée du front allemand par une seule grand offensive),
Foch et plusieurs autres polytechniciens proposent plutôt la « conduite
scientifique de la bataille » (une série de préparations-assaut pour
chaque position successive jusqu’à la percée) tandis que Pétain ébauche l’idée
de la « bataille latérale » (des attaques limitées sur plusieurs
points séparés du front pour l’ébranler et non le percer). Lorsqu’en septembre
1915 l’offensive de Champagne marque l’impasse de l’ »attaque
brusquée », on fait appel à l’ « opposition » de Foch pour
conduire la grande bataille suivante sur la Somme. Après son échec relatif,
c’est le modèle de Nivelle (le retour de l’attaque brusquée avec des moyens
modernes) qui s’impose puis celui de Pétain.
Pétain, généralissime, organise lui-même les débats,
parfois sous la direction d’un de ses adjoints pour les questions importantes
(« faut-il imiter les Allemands en créant des troupes
d’assaut ? » dirigé par le général Debeney) ou par le biais de la
section études du GQCG pour les questions plus techniques (« comment
organiser le groupe de combat d’infanterie » à l’été 1917). Encore une
fois, on se trompe, on se dispute mais ça bouillonne d’idées.
L’exploitation des idées
Cette manière de faire permet d’exploiter les idées
et d’abord toutes celles qui ont été accumulées avant la guerre. Il faut bien
comprendre que l’armée française n’a pu vaincre que parce que avant-guerre elle
a consacré des ressources à des projets alternatifs. Dans un contexte de
ressources rares relativement à l’Allemagne, l’armée française a accepté de « gâcher »
du temps, de l’argent, quelques munitions, etc. en laissant des originaux
tester des méthodes non réglementaires ou créer des prototypes. Elle a ensuite
vécu toute la guerre sur cette « réserve » d’idées. Cela a d’abord
été sensible pendant les premières semaines de la guerre lorsqu’après les
désastres de la bataille des frontières, il a fallu innover à grande vitesse. Toutes
ces idées plus ou moins cachées apparaissent au grand jour, sont testées en
grandeur nature et lorsqu’elles réussissent, elles se diffuent très vite. C’est
un des secrets du "miracle de la Marne" qui permet à l’armée
française de compenser son infériorité en moyens disponibles pour l’entraînement
des forces (les effectifs sont les mêmes pour un budget inférieur presque de
moitié à celui de l’Allemagne).
L’armée française qui se bat début septembre n’est
plus la même que celle qui se battait deux semaines plus tôt. L’aviation qui n’était
censée faire que l’observation apprend, avec l’aérostation retirée des
places-fortes, à faire du réglage d’artillerie. Elle commence à frapper les
ennemis au sol et même à engager le combat contre les autres avions. Très loin
de son règlement de manœuvre, l’artillerie de campagne prépare les attaques, pratique
le tir indirect, de nuit, les barrages fixes et même roulants. Ses capitaines
guident les tirs à distance (quitte à écumer la France et la Suisse pour
trouver du câble téléphonique). L’infanterie a appris à coordonner son action
avec les artilleurs, à s’accrocher au sol et même le creuser, à diluer ses dispositifs
d’attaque. La cavalerie improvise les premières automitrailleuses, se dote
(parfois en les volant) d’outils afin de tenir le terrain et dope sa puissance
de feu en récupérant des mitrailleuses dans les dépôts.
A cette première phase, qui concerne surtout les innovations
de méthodes, succède la nécessaire adaptation à la guerre de tranchées, qui peu
ont anticipé. Cette adaptation se fait à récupérant sur « étagère »
tous les prototypes techniques utiles en les perfectionnant éventuellement. L’artillerie
française fonctionne ainsi avec des pièces qui ont toutes été inventées avant-guerre.
L’armement de l’infanterie de tranchées est également tout entier développé à
partir de prototypes déjà existants (fusil-mitrailleur Chauchat, mortiers,
canon de 37 mm et même fusils semi-automatiques) ou utilisées à petite échelle
dans d’autres armes (les grenades du génie).
Les équipements vraiment nouveaux viennent de l’industrie
des communications et surtout de l’automobile, domaines dans lesquels la France
est en pointe. La France va terminer la guerre avec 80 000 camions, 2 000
chars et 400 automitrailleuses (plus que tous les autres belligérants réunis
dans les trois cas) et plus de 3 500 avions en ligne (plus que les
Allemands). L’armée française est la seule à disposer de 37 régiments automobiles
d’artillerie de campagne. C’est cette mobilité opérative qui va permettre de
concentrer les forces d’un point à l’autre du front plus vite que toute autre
armée, stopper les offensives allemandes du printemps 1918 puis de prendre et conserver
l’initiative des opérations offensives.
Le soutien
aux entrepreneurs
Derrière
des innovations, il y a toujours des innovateurs ou plus exactement des
entrepreneurs capables de porter des projets face aux difficultés de toutes
sortes.
Ces
entrepreneurs peuvent être des tacticiens qui, on l’a vu, proposent des modes d’action
différents. Or l’armée française, plutôt rigide dans son avancement dans le
temps de paix (il suffit généralement de réussir le concours de Saint-Cyr ou de
Polytechnique et de ne pas se faire remarquer en mal pour y faire une brillante
carrière) devient une vraie méritocratie
en temps de guerre. Plus de 40 % des généraux d’août 1914 sont limogés avant la
fin de l’année et parmi les grands chefs qui conduiront l’armée vers la
victoire, beaucoup ne sont que colonels (Pétain, Fayolle, Debeney ou même
Nivelle) au début du conflit.
Ce
sont aussi des techniciens. Le GQG est assailli de nombreuses propositions.
Certaines sont peu sérieuses, comme le projet du soldat Raffray du 103e
RI sur un appareillage assez fantaisiste destiné à remplacer les hommes de
liaison ou celui du sous-lieutenant Malassenet proposant un nouvel alphabet télégraphique
pour remplacer le morse. Ces projets sont rejetés mais ils ont été, étudiés
avec soin. D’autres dossiers sont beaucoup plus importants et sérieux. En
novembre 1914, le commandant du génie Duchêne propose un mortier de tranchée
qui aboutit en janvier 1915 au canon de tranchée de 58 mm. Par ses multiples
propositions le capitaine Sacconey réorganise à peu près complètement
l’aérostation française. Les entrepreneurs les plus célèbres restent cependant
les grands organisateurs des transmissions (colonel Férrié et commandant
Fracque) de l’aéronautique (commandant Barès, colonel Duval), du service
automobile (commandant Doumenc) et des chars (colonel Estienne), parrainés
directement par le général en chef et dont ils deviennent les conseillers
directs. On notera au passage le grade modeste de ces hommes à qui cette armée
de plus de 330 généraux fait confiance.
Les
ressources nouvelles dont disposent les armées permettent à ces hommes de créer
des laboratoires tactiques où ils expérimentent leurs idées. Ces laboratoires où
l’on pratique l’écoute et la stimulation mutuelle peuvent être spontanés, comme
en 1915 l’escadrille MS3 des Roland Garros, Guynemer et Brocard qui expérimente
le combat aérien, ou aidés par le GQG lorsque l’investissement est trop
important, comme le groupement de chasse du commandant de Rose à Verdun en
février 1916 ou l’Artillerie spéciale du colonel Estienne en septembre 1916 (il
lui aura fallu dix mois pour créer la première unité de chars en partant de
rien).
Lorsque
ces laboratoires, souvent après avoir surmonté quelques déboires initiaux,
obtiennent des succès, leurs procédés sont généralisés. Le groupement de Rose
donne naissance aux groupes de chasse affectés à chaque armée ou à la division
aérienne de 1918. La voie sacrée de Doumenc est reproduite sur la Somme puis à
plusieurs exemplaires simultanés lors des offensives de 1918. La première
génération de chars de 1917, très imparfaite, fait place aux 21 bataillons du remarquable
char léger FT-17 de 1918 qui redonne de la puissance offensive à l’infanterie
française. On est alors très près de créer des divisions blindées françaises.
Il
ne suffit pas d’innover, il faut aussi faire en sorte que les nouveautés
efficaces remplacent les habitudes dépassées. Dans ce processus de destruction
créatrice, la régulation est assurée par un réseau d’inspections d’armes et d’écoles
qui se met en place pendant la guerre avec une systématisation avec l’arrivée
de Pétain à la tête de l’armée. Chaque
spécialité a ainsi son école où on recueille et synthétise les retours d’expérience
et les idées avant de les transformer en règlements, bulletins et surtout en
cours dispensés à tous. Les inspecteurs d’armes, qui dirigent aussi souvent ces
établissements sont les conseillers directs du général en chef.
Au
bilan, malgré les pertes terribles, les échecs, les tensions internes, l’armée
française résiste et apprend. Même les mutineries de 1917 peuvent apparaître
comme la colère de soldats professionnels qui font grève pour protester contre
la manière dont ils sont utilisés. A partir du printemps 1916, les Français font
jeu égal avec les Allemands et à partir de 1917, ils développent un modèle
propre qui en fait l’armée la plus moderne du monde.
La
victoire est le résultat de la volonté mais aussi et surtout de l’intelligence.
Ce sont aussi la liberté d’expression, les débats, le bouillonnement d’idées, la
culture scientifique du corps des officiers, la culture militaire des élites
civiles, l’acceptation du « gaspillage » de ressources pour les
projets alternatifs qui ont rendu la victoire possible. C’était il y a cent
ans.
Un nouveau bon et plaisant article de votre part.
RépondreSupprimerEffectivement très intéressant article.
RépondreSupprimerJ'ai cependant deux insignifiantes remarques; l'article parle du "Pétain, généralissime, organise lui-même les débats", je croyais que ce titre n'a été donné qu'aux généraux commandant aux armées françaises, anglaise,puis américaines ? donc Joffres et Foch.
Ensuite "L’armement de l’infanterie de tranchées est également tout entier développé à partir de prototypes déjà existants (fusil-mitrailleur Chauchat"
Il me semble que ce fusil mitrailleur a été l'origine d'un gros scandale politico-financier car complètement inutilisable et inefficace
"Il me semble que ce fusil mitrailleur a été l'origine d'un gros scandale politico-financier car complètement inutilisable et inefficace"
RépondreSupprimerM. Goya va sans doute mieux répondre que moi, mais, à ma connaissance, non.
D'après le peu que j'en sais, le Chauchat était handicapé par sa conception (prototype peu avancé d'avant-guerre utilisant un mécanisme Browning nécéssitant entre autre une tenue très ferme de l'arme pour laisser le recul actionner le tir), mise en service rapide par comité, choix forcé d'une cartouche peu adéquate - la France a été à la pointe niveau développement des armes légères jusqu'à la 2é GM, poudre, cartouches, armes automatique, fusils semi-autos, mais a toujours joué de malchance, les rendez-vous historiques semblant se présenter au pire moment -, et fabrication en partie avec des pièces cannibalisées sur des mitrailleuse mises au rebut.
L'arme était toutefois fonctionnelle, économique, et suffisamment efficace pour être l'arme automatique la plus utilisée durant le conflit (180 000 je crois), le premier vrai FM autour duquel l'armée Française organisera sa doctrine, avec succès, en tous cas suffisamment pour que les autres belligérents, Allemands y compris, recherchent cette arme.
La "légende noire" du Chauchat vient directement du "folklore des flingues" de nos amis Américains, l'Armée US ayant voulu s'équipper de Chauchat en 30.06, et ayant (comme toujours) complètement raté la conversion de calibre, pour arriver à une arme dangereusement inutilisable.
A partir de là, le Chauchat est devenu le "Chau-Shit" pour un certain public qui de toute manière ne peut vraiment PAS avoir d'autres conceptions, concernant une arme Française, et le "chauchat, pire mitrailleuse jamais utilisée" est devenu un lieu-commun, une vérité admise... comme en témoigne une simple recherche en ligne.
Disons que celà n'ajoute qu'une petite anecdocte, dénigrante et légère, à la négation du rôle de la France durant la Grande Guerre, dans une vision historique USA-centrée.
Je laisserai toute autre personne réellement informée me corriger. Et je me décide enfin à acquérir "La chair et l'acier", avec beaucoup de honte pour mon retard.
Superbe billet du Colonel Goya !
SupprimerJe suis tout à fait d'accord avec votre message concernant le Chauchat.
Je connais une chaîne YouTube animé par un américain qui aime les armes en règle générale mais qui se passionne pour les armes française ( il a d'ailleurs fait des vidéos sur un FAMAS qu'il a acquit et qui a bluffé un paquet de monde chez lui aux USA lors de parcours de tirs !) , il a un niveau de connaissance très important qu'il met bien en avant dans un contexte qui n'est pas si facile aux USA lorsque l'on parle des armes françaises.
Voici quelques une de ses vidéos sur le Chauchat très intéressante :
https://youtu.be/bCwP3Dm52Ls
https://youtu.be/TmpjChRShTE
https://youtu.be/HfUJalo1u2c
https://youtu.be/HIFv8XUBB2o
https://youtu.be/uFfdaEPDcGc
Son travail est énorme car il permet de casser cette image du Chauchat qui a trop perduré en faisant un constat honnête sur l'arme.
Cordialement
Je viens de lire le livre de Keegan sur cette guerre, il fait jouer à la France un rôle moins enthousiaste que vous. Vous ne parlez pas, par exemple, de l'intervention décisive, déjà, des Américains. Cela me laisse sceptique.
RépondreSupprimerPeut-être parce que les Américains n'ont pas été si décisifs que ça. Rôle psychologique et économique indéniable, rôle tactique important de quelques divisions engagées dans les rangs français et britanniques (la 2e DIUS notamment)
SupprimerPour le reste, la 1ère armée américaine ne conduit que deux batailles, une relativement facile à Saint-Mihiel et une autre, difficile et assez mal conduite, dans l'Argonne. Rappelons que c'est l'armée française qui équipe (à son détriment) l'armée américaine et qu'elle lui fournit aussi de nombreux équipages de chars et d'artilleurs.
Je ne me rappelle pas que John Keegan évoque cela (j'aime beaucoup Keegan mais ce n'est pas son meilleur livre).
Pourquoi ne pas admettre tout simplement que les Américains, en envoyant un corps expéditionnaire embryonnaire en France, sont essentiellement venus prendre des gages pour pouvoir participer au règlement politique de l'après-guerre loin duquel ils auraient sans doute été tenus à l'écart définitivement s'ils étaient restés en dehors du conflit. Avec en prime un joli discours moralisateur, et la volonté affichée pour la première fois de prendre le "lead" mondial en s'abritant derrière les "14 points" de Wilson. On peut lire dans l'intervention tardive des US leur volonté d'empêcher l'Allemagne de gagner la guerre et de devenir potentiellement et durablement une puissance économique capable d'unifier le continent européen et surtout de concurrencer la super-puissance montante. On voit mal un historien anglo-saxon arriver à ce genre de conclusions... Je vous remercie, mon Colonel, de faire ce simple rappel de faits historiques qui ont été écartés de l'enseignement trop longtemps.
SupprimerCela n'enlève absolument rien au courage des soldats américains et à la valeur de leur sacrifice. Ils se sont battus pour les intérêts de leur nation avant tout.
Cordialement,
L'entrée en guerre des US a eu un énorme impact psychologique et économique. Militairement, ils sont déployés en masse lorsque la décision est déjà faite suite à la seconde bataille de la Marne. Militairement, les US n'ont en aucun cas été décisifs.
SupprimerSur leur entrée en guerre, il ne faut pas retenir que le cynisme et le calcul. Comme toujours avec les US, il y a aussi une grosse dose d'idéalisme.
Je ne suis pas du tout un spécialiste, mais ne serait-ce que par leur arrivée massive les Américains ont vraisemblablement permis la concentration de nos forces en vue de l'offensive, non?
RépondreSupprimerIls ont permis d'obtenir la supériorité numérique à partir de septembre 1918 et surtout la certitude que cette supériorité ne pouvait que s'accroître. La première cause de la victoire est la supériorité technique britannique et surtout française.
SupprimerIl faut aussi préciser que la France équipe une partie des troupes américaines qui arrivent, notamment en char (Renault FT 17) et artillerie (GPF 155mm qui inspirera le futur Long Tom américain).
SupprimerDe mémoire, Foch avait prévu une offensive en 1919 où cette supériorité aurait détruit l'armée allemande. On peut ainsi dire que l'armistice de 1918 a pu contribuer au mythe de l'armée allemande invaincue, la sauvant indirectement de cette puissante offensive.
Les américains ont aussi été équipés en chasseurs SPAD...qui les marqua tellement qu'ils surnommèrent SPAD leur fameux A-1 skyraider.
RépondreSupprimerUn article très intéressant comme souvent, mon colonel.
RépondreSupprimerUn point en particulier attire mon attention : "Pétain, généralissime, organise lui-même les débats, [...] « faut-il imiter les Allemands en créant des troupes d’assaut ? » ".
Y a t-il moyen d'en savoir plus à ce sujet? L'armée allemande en 1918 a dévoré sa substance et n'est plus réellement en mesure de remplacer ses Sturmtruppen perdues suite aux offensives du printemps. Mais cela n'invalide pas le concept pour autant. Par là, quel est l'avis du commandement français et sa réponse à la question?
Grosso modo le maréchal Pétain s'est opposé à la création de telles "troupes de choc" ou "troupes d'assaut", allant jusqu'à les qualifier de "gladiateurs".
SupprimerLe raisonnement était le suivant. L'existence de troupes de choc et de troupes de ligne (qui auraient eu pour role de tenir le front de manière statique en étant peut apte à l'offensive) aurait induit une différenciation et la création d'un fossé entre ces deux corps.
C'est alors contraire aux traditions de l'armée française, notamment depuis la bataille de Verdun qui aura vu "toutes" les divisions françaises passer au feu, dans un souci d'égalité et d'uniformité. L'armée française de 1916/1918 est alors très homogène, contrairement à l'armée allemande dont les troupes sont rangées dans plusieurs catégories selon leur niveau opérationnel. Il existe bien dans l'armée françaises des divisions et des corps ayant une réputation "d'élite" mais pas de manière institutionnalisée.
Dans la doctrine française, toute division était sensée pouvoir prendre l'offensive et la défensive. Cette doctrine a montré sa pertinence d'une certaine façon avec l'excellent niveau opérationnel atteint par notre armée à la fin du conflit comme le démontre le colonel Goya.
Merci pour ce complément.
SupprimerPeut-on faire un parallèle (prudent) entre la Grande Guerre Française et la Grande Guerre Patriotique Soviétique?
RépondreSupprimerDans les deux cas ça commence avec une situation très critique et ça finit avec une victoire claire et nette (pour la France et la Russie)...
L'universalisme contre la raison raisonnante. L'histoire se répète.
RépondreSupprimerJuste un détail : le nombre d'avions dont dispose l'armée en 1918 n'est pas clair. Le même nombre... heu, le même nombre que quoi ?
RépondreSupprimerMerci pour cette excellent billet .
RépondreSupprimerLecture en cours de Guns of August et de The Sleepswalkers en ces temps de commémoration. Mais combien sommes nous a réellement nous souvenir de ces hommes et de leur courage ?
[Daniel]
RépondreSupprimerUn livre britannique des années 1970 (référence oubliée, et très dispensable). Le thême était : « En 1918, la British Army a gagné la guerre pour les alliés. Dommage que les français étaient le maillon faible ». On sent la patte de (captain Sir) Basil Liddell-Hart, dont en 1939 un capitaine Beaufre dénonçait déjà l’hyper britanno-centrisme ; et avec amusement devant tant d’outrances.
A oublier sans retard.
Mon Colonel, je suis convaincu que votre ouvrage « les vainqueurs » fera date.
la fin de la guerre voit l'armée française comme la meilleure du monde, que s'est il passé pour qu'elle s'écroule en 1940 ? je vois là matière au prochain livre de Monsieur Goya !
RépondreSupprimerC'est l'objet du dernier chapitre de "Les vainqueurs".
SupprimerJe voudrais ajouter quelques détails à cet exposé exhaustif et passionnant concernant la régénération de l'armée de l'armée française en cours du premier conflit mondial.
RépondreSupprimerEn 1914, la mitrailleuse en dotation dans l'armée de terre, la Saint-Etienne Mle 1907 dérive de la Puteaux produite à partir de 1903. Elle en diffère principalement par le mécanisme d'emprunt des gaz et la hausse. La mise au point de la mitrailleuse de Puteaux et de son système de récupération des gaz à la bouche n'ayant pas donné satisfaction, on s'est résolu à la modifier pour l'adapter à un système d'emprunt des gaz, comme celui de la mitrailleuse concurrente, la Hotchkiss produite à partir de 1900. Le défaut majeur de la Puteaux réside dans l'usure de son canon, son acier constitutif étant porté à une température élevée après un tir à cadence soutenue. Les mitrailleuses Mle 1907 sont ensuite modifiées pour devenir Mle 1907 T, les principaux changement affectant la hausse, le guidon et le système compensateur. Considérée au départ comme une mitrailleuse " bouche-trou ", sa production démarrant faiblement en décembre 1914, la Hotchkiss finit par s'imposer grâce à sa robustesse, sa précision et son fonctionnement sûr et régulier même dans les conditions les plus difficiles du combat, au point de détrôner la mitrailleuse modèle 1907 T. Sa production devient prioritaire en 1916.
Le casque Adrian Mle 1915 est conçu dans l'urgence, après le constat que 77 % des blessures des millions de Poilus engagés dans la guerre de tranchées sont localisées à la tête. Adopté en février 1915, il vient remplacer la cervelière, une calotte d'acier portée sous la casquette ou le képi, elle-même produite à la hâte, et est distribué à partir de septembre 1915, pour équiper les unités françaises participant aux offensives d'Artois et de Champagne. Les blessures à la tête descendent à 22 % en 1916.
La Grande Guerre est également une période d'évolution significative en matière de médecine militaire. Notamment, la chirurgie réparatrice traite les très nombreuses « Gueules cassées ». Sont ainsi pratiquées à vaste échelle les greffes de la peau et des os, dont la célèbre greffe Dufourmontel inventée en 1908 et encore pratiquée de nos jours. L’imagerie médicale se développe par ailleurs dès 1914. Marie Curie avec l’aide de la Croix-Rouge fait équiper plusieurs centaines de véhicules sanitaires équipés d'appareils de radiologie traitant les blessés sur le front. Ainsi, en 1918, on recense environ 300 de ces véhicules appelés « petites Curies ». Un million de blessés au total ont été « vus » par 400 médecins radiologistes. Sur le front éloigné de Salonique ou d'Orient, le « Plan paludisme » initié avec le concours d'Alphonse Laveran et des frères Edmond et Etienne Sergent en 1916, dont un aspect majeur est la « quininisation » des troupes, est appliqué avec succès à partir de 1917.
Pour terminer sur un clin d'oeil à l'histoire militaire, même le jargon militaire s'est considérablement enrichi pendant cette période. Par exemple, parviennent à consécration les mots « barda » et « cagna ».
Bonsoir ,
RépondreSupprimerL'emploi des véhicules n'a été possible massivement que grâce à la disponibilité de sources d'approvisionnement sûres en pétrole ( cf la tirade attribuée à Clémenceau )
Les Empires Centraux n'avaient à leur disponibilité que :
- Quelques gisements en Autriche ( rien du tout )
- La Roumanie
- Mossoul dans l' Empire Ottoman ( rapidement perdu )
Les Allemands avaient eux aussi parfaitement compris le rôle de la motorisation mais étaient limités
dans les ressources pétrolières .
Il faut savoir garder un minimum d'honneteté intellectuelle !
Daniel BESSON
-
Re-bonsoir ,
RépondreSupprimerIl faut non plus ne pas verser dans le triomphalisme excessif .
En 1914 nous faisons parti de ce que l'on appelait les " having " avec l' Angleterre et déjà surtout les Etats-Unis .
Notre pays est riche de son épargne ( les " bas de laine " ) , de ses réserves d'or , de ses colonies . C'est la même chose pour l'Angleterre . Nos nations sont stables au delà des régimes depuis au moins plus de 300 ans alors que l'Empire Allemand n'existe lui que depuis 1871 .
https://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20131226trib000802862/l-economie-mondiale-en-1914-35-rule-britanniahellip-mais-pour-combien-de-temps.html
Deux des quatre plus grandes puissances mondiales alliées , puis trois !
Cette victoire est effectivement grande , mais à l'aune des sacrifices inouïs consentis .
Je vous conseille sur le plan plus général " 1919 , les illusions de la gloire " de Paillat
Daniel BESSON
J'ai lu les livres de Paillat. Je vous propose de lire L'invention de la guerre moderne ou Les vainqueurs pour juger de mon honnêteté intellectuelle.
SupprimerBonjour
RépondreSupprimerCe qui est surtout remarquable en 1918, c'est l'implication du citoyen-soldat et sa conviction à défendre un modèle de société. Ce qui est encore plus fascinant, et qui peut faire peur, c'est le professionnalisme qui anime ce soldat-civil dans la maîtrise de système d'armes complexes prouvant qu'au bout de 4 ans de guerre totale, un réserviste de 1918 était plus compétant qu'un professionnel de 1914. Les organigrammes des régiments d'artillerie lourde à tracteurs, symbole de la mécanisation révolutionnaire de l'armée française, sont composés aux trois-quarts de réservistes. La grande majorité des pilotes de chasse sont des réservistes ou des hommes de classes incorporés pendant la guerre (15,16,17,18) que rien ne prédestiner à être des redoutables combattants. Je ne reviendrais pas sur le cas de Georges GUYNEMER qui était classé service auxiliaire, donc inapte à porter des armes... Enfin, véritable symbole, n'oublions pas que le capitaine CONAN de Roger VERCEL, était dans la mercerie sur les marchés avant-guerre et est devenu ce redoutable chef de corps franc...
Même si le soldat allemand a fait preuve lui aussi d'une grande capacité d'innovation (les stosstrupen testées dès 1915 dans les Vosges, les mitrailleuses légères, l'organisation ternaire des divisions, les triplans...), la différence s'est jouée à très peu de choses... Peut-être qu'en 1918, la gestion de la crise des effectifs a été catastrophique côté allemand (analyse des fiches de prisonniers accessibles sur le site du CICR : des fantassins de 47 ans avec des quasi enfants de la classe 1919) alors que côté français, le fantassin avait de 20 à 40 ans avec des Groupes de Grenadiers d'Elite ouvrant la marche.
Le drame fut la réinsertion de ses soldats...
Hervé FAURE
Merci à Michel Goya. Honneur et Gloire à nos anciens.
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerLequel de votre livre faut-il lire pour retrouver ce que vous décrivez dans ce billet de blog ? i.e. l'agilité dont a su faire preuve l'armée française.
S'agit-il du livre "L'invention de la guerre moderne" ou un autre ?
Merci
Dominique
PS : je viens de finir "Les vainqueurs" que j'ai bien aimé. Ce dernier livre nous change (enfin !) de l'image d'Epinal selon laquelle (pour résumer abruptement) les français seraient restés peu ou prou terrés dans les tranchées, dont ils ne seraient vraiment sortis qu'à l'arrivée des américains qui leur auraient tendu la main pour sortir des dites tranchées et leur fournir la victoire (sic).