Nous vivons dans un monde qui tend vers l’Extremistan décrit par Nassim Nicholas Taleb [1] ; un monde où le Cygne Noir - cet événement a priori imprévisible mais aux répercussions graves - devient hautement probable, un monde où toute tentative d’anticipation ne saurait se résumer à une simple prolongation des lignes du passé. Qu’il soit juridique, humain, technologique (…), le risque est aujourd’hui trop protéiforme pour qu’une analyse puisse prétendre être complète, celle-ci donnerait même une dangereuse illusion d’exhaustivité.
Dès lors, comment se préparer à l’avenir ? Comment décider dans l’incertitude ? En partant du principe que le pire est certain, mais que sa forme est imprévisible, il semble opportun de ne pas se concentrer uniquement sur la forme de ce scénario du pire mais plutôt sur notre propre structure pour se garantir de pouvoir répondre à ce Cygne Noir.
En ne s’épuisant pas à deviner ces « unknown unknowns », nos organisations peuvent gagner en efficacité en accordant la plus grande attention à la robustesse et la solidité de leur propre architecture. A la manière du chat, qui, quelle que soit la raison ou la manière dont il chute, retombe toujours sur ses pattes, nos structures organisationnelles ne devraient pas s’attarder sur les causes des crises qu’elles ont à gérer ou la manière dont elles y font face, mais sur les conditions qui vont leur permettre d’atterrir et de reprendre leurs chemins.
L’on pourrait filer la métaphore féline plus longuement et ainsi s’amuser à décrire « les yeux, l’oreille interne et la colonne vertébrale » du commandement de nos armées. Ici, il s’agira plus simplement de s’en tenir à quelques considérations essentiellement théoriques qui peuvent être utiles au moment de décrypter le Livre Blanc. Ce bref développement est, peut-être, également valable pour une entreprise.
« On ne te demande pas de prévoir l’avenir, mais de le permettre ». Antoine de St Exupéry
Dans ce cadre, quelques principes connus comme la résilience, la redondance ou la subsidiarité méritent toute l’attention des décideurs. Ces caractéristiques pourront paraître générales, vagues ou à la mode, encore s’agit-il de comprendre ce qu’elles recouvrent et de les appliquer concrètement et scrupuleusement.
Que l’on considère la résilience sous son acception métallurgique, psychologique ou économique, la définition qu’en fait Pierre d’Huy, consultant pour le cabinet de conseil en innovation Experts paraît être particulièrement adaptée à nos armées: « la résilience est la capacité (…) à se structurer de façon à ce que la crise ou le choc, même et surtout ceux qui sont totalement imprévisibles, puissent être supportés par l’entreprise, et parfois même la renforcer. » Pour l’éthologue Boris Cyrulnik, la « résilience définit la capacité à se développer quand même, dans des environnements qui auraient dû être délabrants ». Ces définitions montrent bien à quel point un système résilient ne se focalise pas sur le type de choc auquel il va être confronté, mais sur sa propre robustesse afin de l’absorber et éventuellement d’en ressortir encore plus fort.
Par ailleurs, en ces périodes de crise, où fusent les idées visant à faire des économies, il convient de ne pas confondre duplication et redondance. Cette dernière est essentielle à l’efficacité de l’outil de défense. En effet, c’est bien cette redondance des capacités qui donne à nos armées leur liberté d’action et qui leur permet de concentrer leurs efforts. La redondance de nos systèmes de commandement, d’information, mais aussi de nos forces à projeter ne saurait être perçue comme un luxe mais bien comme la garantie d’une certaine autonomie de décision, de l’ubiquité de nos troupes et, donc, de l’exercice de la souveraineté de nos décideurs.
Enfin, le principe de subsidiarité doit aussi nous aider à construire nos modèles d’organisation. Puisque nos ressources sont désormais de plus en plus comptées, il s’agit de s’assurer que chaque niveau hiérarchique est employé de manière optimale. Véritable contrat entre les strates hiérarchiques, la subsidiarité vise la répartition des tâches de la manière la plus efficace où le supérieur s’interdit toute intrusion chez ses subordonnés, sans se défausser de ses propres responsabilités et où, en contrepartie, les échelons inférieurs ne sollicitent leurs chefs qu’au moment où ils dépassent leurs domaines de compétences.
“The plan is nothing, planning is everything”. Winston Churchill
Pour autant, se focaliser sur sa propre organisation ne signifie pas qu'il faille adopter une attitude égocentrée et renoncer à une certaine conscience du monde. La fonction « connaissance-anticipation » demeure cruciale tandis que les vertus de la planification et l’ébauche de scenarii restent essentielles. Ces exercices intellectuels doivent être préservés, mais ils méritent d’être perçus comme des formes de tests destinés à éprouver la capacité de nos organisations ou comme le moyen de disposer d’un temps d’avance lorsque les crises surviennent, bien plus que comme la colonne vertébrale de nos systèmes.
Le chef de bataillon Fabien Pezous est actuellement stagiaire à l'Ecole de guerre
C'est bien la "ligne" que nous fixe le livre blanc: "soyez comme le chat... maigre !"
RépondreSupprimer